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01/06/2024

Un plan climat pour la France pour 2050 proposé par le Parti Communiste Français dans l'esprit de Diderot, celui de l'esprit critique et de l'intelligence

plan climat PCF.jpg

NDLR : Une appréciation d’Yves Bréchet sur le plan climat Empreinte2050 du PCF

Yves Bréchet, Membre de l’Académie des Sciences

Le groupe de réflexion « Écologie » du Parti Communiste vient de republier son « plan climat pour la France  pour 2050 » (https://lnkd.in/ePAaJ-wD ) . Dans la sinistrose ambiante et la vacuité pathétique du débat de la campagne des élections européennes, notamment sur la question pourtant essentielle de l’énergie, de ses usages, et de son rôle dans les questions de transition écologiques, voila un texte qui mérite votre attention.

Il mérite votre attention car il n’a pas prétention à être un dogme intouchable, mais il est une base de discussion, élaborée déjà par de très nombreuses consultations dans le monde scientifique et technique, sans exclusive d’appartenance politique, et qui appelle à de nouvelles discussions. Discussions pour une fois, sur les choix de priorités tout en conservant la cohérence, sur les choix politiques qui ne soient pas des petits arrangements entre partis en vue d’alliances d’arrière-cuisine. On avait perdu l’habitude !

 Il n’est pas nécessaire d’être un « compagnon de route du PC » pour en tirer profit. Il n’est pas nécessaire d’adhérer aux option politiques retenues, ni d’avoir la même liste de priorités, mais l’exigence de rigueur de ce texte est exemplaire et peut bénéficier à tous ceux qui ont à cœur le bien de leur pays dans ces périodes économiquement et écologiquement difficiles.  Il n’est pas question pour moi de dire que je suis d’accord avec tout ce qu’il contient. Mais au moins ce document, le premier ( et le seul à ce jour…) de cette qualité issu d’un parti politique  a le mérite de proposer une analyse cohérente et systémique des problèmes. Il a le courage de rappeler la valeur de la notion de service public sur une denrée aussi essentielle à notre économie que l’énergie. Il a le mérite de parler d’industrie et de souveraineté industrielle sans tomber dans une forme d’autisme qui nie la nécessité de collaborations internationales. Il rappelle la nécessité impérieuse d’une recherche forte qui soit au service des exigences nouvelles. Il met en exergue l’importance de la formation à tous les niveaux de la société, et la nécessité vitale d’engager la génération montante à construire le monde qui vient plutôt que de les conforter dans un catastrophisme mortifère et des jérémiades stériles qui justifient l’inaction.

Il met en exergue la nécessité d’électrifier notre économie, les options raisonnables pour décarboner l’électricité, préférant construire des trajectoires qui respectent les lois de Carnot et de Kirchoff (non, ce ne sont pas des députés du siècle dernier !…) plutôt que de se complaire dans des guerres de religion ( Nucléaire vs Renouvelables par exemple…). Il propose une vision construite de la transition écologique dans les transports, dans les bâtiments. Il n’a pas peur de dire franchement, et il est grand temps, que l’adaptation au réchauffement climatique est une nécessité qui n’est pas contradictoire avec la lutte à mener pour le limiter. Il rappelle que tout le monde dans un pays riche a le droit à un logement décent et correctement chauffé, une capacité à se déplacer, l’accès à la nourriture.  Il rappelle à la classe politique qui semble si souvent l’oublier, qu’il y un monde avec des gens au-delà du périphérique. Dans un monde médiatique hypnotisé par les sondages, malgré son contenu pour une fois réfléchi, ou peut-être à cause de cela, il passe totalement inaperçu. Ce qui est révélateur de la pauvreté de notre débat public.

Ce texte devrait pourtant être lu, critiqué, amendé, enrichi, et cela d’autant plus qu’il tranche avec la « pensée par slogans » qu’on nous sert de toute part. Coutumier de l’étiquetage et de l’invective plus que du débat, le microcosme politico-médiatique s’avère incapable de discuter le fond, il est même devenu incapable de le reconnaitre quand il se présente. Il est superbement ignoré par les médias, la cervelle vissée sur l’audimat, et par l’ensemble de la classe politique, trop heureuse que ne paraisse pas au grand jour l’inanité collective de sa réflexion sur ces sujets ( le débat récent entre les différents candidats montrait à quel point le « prêt à penser » fait des ravages https://www.youtube.com/watch?v=t3TmdV7uj6E ). Encore une fois, je ne plaide pas pour une acceptation « en bloc » (seule la commission Attali, avec un secrétaire célèbre depuis, et ses « cent propositions » avait cette outrecuidance… ) , mais je plaide pour une discussion de fond. L’importance du sujet mérite cet effort.

diderot.pngAprès deux décennies de doxa libérale qui a fini par confondre  le progrès et l’innovation, le contenu et l’affichage, la création de richesse et la spéculation, en oubliant au passage  la notion de « bien commun » versé au nombre des vieilles lunes de « l’ancien monde », après deux décennies où une gauche intoxiquée par un Rousseauisme de pacotille mâtiné de calculs électoraliste s’est éloignée de l’héritage des Lumières, ce texte qui engage à réfléchir, qui assume pleinement le progrès scientifique et technique, est un retour heureux de l’esprit de Diderot qui a été trop longtemps oublié y compris par ceux qui se prétendaient ses héritiers.    

le plan climat est en téléchargement sur ce lien : https://revue-progressistes.org/2023/11/07/plan-climat-empreinte-2050/

Les principales propositions du plan climat présentées par Léon Deffontaines (à partir de la 32 ème minute...)

16:23 Publié dans Cactus, Connaissances, Entretiens, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

11/04/2024

Léon Deffontaines : « Face à l’impératif écologique, il faut produire plus en France »

Leon Deffontaines, entretien, Europe

Tête de liste PCF, Léon Deffontaines tient son premier meeting de campagne ce jeudi soir, à Amiens. Souveraineté industrielle, environnement, guerre en Ukraine… le communiste entend marquer sa différence avec les autres listes de gauche.

 

En 2014, l’entreprise Goodyear fermait à Amiens, malgré la lutte historique des salariés. Dix ans plus tard, ce sont les 300 salariés de l’usine biochimique Metex qui se battent pour leurs emplois. Menacés, entre autres, par la concurrence déloyale de la lysine chinoise (sur laquelle l’Europe a supprimé les taxes douanières), certains prendront la parole ce 11 avril, à l’occasion du premier meeting de la tête de liste PCF Léon Deffontaines, sur ses terres natales. Le communiste entend s’y adresser à la « France du non en 2005 » (contre le traité établissant une Constitution européenne). Entretien.

Pourquoi faites-vous de la souveraineté industrielle le cœur de votre campagne ?

C’est comme cela que nous reparlerons du social. La gauche s’est trop divisée sur les questions de société. Si nous voulons répondre à l’impératif écologique, nous devons produire davantage, en relocalisant en France et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports.

Cela permettra de créer de l’emploi et d’éradiquer le chômage. Produire plus ou moins en Europe ? C’est la question à trancher lors de ce scrutin, et qui nous différencie à la fois des libéraux qui ont mis notre industrie à genoux, mais aussi des insoumis et des écologistes qui défendent une option décroissante.

Fin mars, vous étiez dans l’Allier, où a été évoqué le projet d’une mine de lithium. Y êtes-vous favorable ?

Le raisonnement est simple. Nous partageons la nécessité, fixée par l’Europe, de développer les véhicules électriques à la place de l’essence. Pour cela, il faut produire du lithium pour nos batteries. Plutôt que de l’extraire à l’autre bout de la planète dans des conditions environnementales et sanitaires déplorables, notamment au Chili, allons chercher le lithium qui est dans notre sol ! C’est une chance énorme. À condition, bien sûr, d’avoir au préalable des discussions avec les populations locales, autant sur les conséquences positives que négatives, sur le partage de l’eau, sur la pollution des nappes phréatiques…

Ces projets supposent de raisonner à consommation constante. La transition écologique ne doit-elle pas passer par plus de sobriété dans les usages ?

Il faut évidemment tendre vers une diminution de l’utilisation de la voiture. Non pas en contraignant davantage avec les zones à faibles émissions, mais en développant les alternatives de transports en commun, comme le train. Malgré tout, des voitures, il y en aura toujours. Si on fait le choix de l’électrique, nous aurons besoin de lithium.

La mine de l’Allier pourrait couvrir 40 % de nos besoins actuels. Il ne s’agit pas de produire pour produire, mais de répondre aux besoins sociaux. Il faut qu’on puisse y répondre avec des usines françaises ou européennes. Il faudra aussi installer parallèlement une grande filière industrielle de recyclage de ces matières polluantes.

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Climat : le PCF présente son plan « Empreinte 2050 »

Auriez-vous voté le pacte vert européen ?

On partage l’objectif fixé de la neutralité carbone en 2050, pour respecter l’accord de Paris. On demande en revanche à ce que ce soit calculé en empreinte carbone et non pas en émissions de gaz à effet de serre, pour réintégrer les importations dans ce décompte.

Si le pacte vert, c’est multiplier les normes à l’intérieur de l’Europe tout en continuant à signer des traités de libre-échange, on n’atteindra pas l’objectif. Si on délocalise toutes nos usines, on va vite atteindre la neutralité carbone, c’est sûr, mais on polluera toujours autant à l’import ! Et le réchauffement climatique, lui, n’est pas délocalisable.

À mes yeux, il n’y a pas de citoyenneté européenne.

Réindustrialiser la France suffit-il pour retrouver de la souveraineté au sein de l’Union européenne ?

Si on veut avoir notre mot à dire sur la façon dont on produit, sur les conditions de travail, sur les normes environnementales, il faut que les usines soient sur notre territoire. Ensuite, il y a une question politique. Nous nous battons pour faire évoluer les cadres européens, pour défendre le principe de subsidiarité du droit français sur le droit européen. L’UE n’a pas à imposer ses règlements sans que les peuples puissent les discuter.

Il y a une citoyenneté française. À mes yeux, il n’y a pas de citoyenneté européenne. L’Europe est une coopération entre peuples souverains, pas une dissolution des États dans une méga-structure. Cela veut dire renégocier les traités en vigueur. Nous ne sommes pas non plus pour un élargissement de l’UE.

On paie encore aujourd’hui les pots cassés de l’agrandissement à des pays comme la Slovaquie ou la Hongrie. Goodyear à Amiens est un cas concret de dumping social. Les salariés ont refusé une dégradation de leurs conditions de travail. L’usine a délocalisé en Slovaquie.

Vous avez déclaré que la Nupes était morte. Qu’en est-il de l’union de la gauche pour vous ?

J’ai été un peu rapide… La Nupes est un accord électoral pour les législatives de 2022 ; il a permis de faire élire des députés, mais pas de gagner. Les députés élus avec cette étiquette ont un mandat sur le programme de la Nupes. Mais elle n’existe qu’à l’Assemblée nationale. Des accords d’union de la gauche, il y en a eu avant, il y en aura encore après. C’est le projet politique qui doit faire le rassemblement.

Manon Aubry avait proposé une tête de liste écologiste pour une liste Nupes. Il y a un problème ! Je ne suis pas du tout d’accord avec le projet politique des écologistes sur l’Europe. Une alliance au minimum avec des projets incohérents sur les plans économique et social, c’est le meilleur moyen de perdre.

Il faut qu’on s’adresse à ceux qui votaient à gauche, et désormais s’abstiennent ou votent RN, et on ne les recaptera pas avec un projet porté par Jean-Luc Mélenchon ou Raphaël Glucksmann. Mais 2027 est encore loin, c’est trop tôt pour dire s’il y aura, à gauche, un candidat, deux candidats, trois ou quatre. Il faut qu’on discute entre forces politiques, sur le fond.

Vous vous dites « candidat de la paix ». Quels seraient les termes et les conditions d’une négociation entre la Russie et l’Ukraine ?

Pour parvenir à une issue diplomatique, il faut aider militairement les Ukrainiens à tenir. Si Poutine continue à avancer et qu’il est en passe dans quelques mois d’arriver à Kiev, il ne viendra jamais autour de la table des négociations. On assume donc d’aider l’Ukraine à se défendre et à geler le front.

Une fois qu’on y parvient, il faut proposer une sortie diplomatique du conflit. Il faut un cessez-le-feu, d’abord. Ensuite, il faudra obtenir un retrait des troupes russes des territoires occupés en contrepartie d’une neutralité de l’Ukraine, et de la promesse que les armes nucléaires de l’Otan ne seront pas à quelques centaines de kilomètres de Moscou. C’est la seule condition qui puisse remettre tout le monde autour de la table.

La question de la Crimée et du Donbass qui sont, pour nous, des territoires occupés, se posera. Le droit international repose sur deux piliers : l’intégrité territoriale et la souveraineté des peuples, et la recherche de la paix. Mais on ne peut pas mettre la Crimée et le Donbass comme préalables aux discussions. Ensuite, nous avons une ligne rouge : nous ne devons pas devenir cobelligérants. Nous nous opposons à l’envoi de troupes en Ukraine.

La neutralité de l’Ukraine suffirait-elle à ce que Poutine retire ses troupes ? Au vu du projet de « Grande Russie », qu’il prône dans ses discours…

C’est probablement à la fois ce projet politique et l’inquiétude d’une Ukraine se rapprochant de l’Otan qui ont poussé Poutine à intervenir. Désormais, il est embourbé. Le statut de neutralité constituerait déjà une victoire, non pas pour Poutine, mais pour le peuple russe.

Si cette contrepartie permet à l’Ukraine de retrouver sa souveraineté, ses territoires occupés, et de mettre un terme au conflit, le peuple ukrainien sera prêt à signer. Poutine est un dictateur avec des visées impérialistes, je le redis. Mais il n’est pas le seul. Faut-il être jusqu’au-boutiste, chercher à les faire tomber au détriment de la paix ? L’autre option serait que ce conflit dure le plus longtemps possible. Je n’y crois pas. Les États-Unis vont décider d’une manière ou d’une autre d’arrêter leur aide.

S’il faut aider les Ukrainiens à tenir, on ne pourra pas le faire pendant cinq ou six ans. Je ne veux pas d’une victoire militaire de la Russie. Or, nous n’avons pas les capacités industrielles de fournir le front ukrainien sans les États-Unis. En outre, faire durer la guerre multiplierait les morts et nous ferait risquer un engrenage guerrier qui pourrait connaître une issue funeste pour l’humanité.

Quelle place la guerre à Gaza et la question palestinienne tiennent dans votre campagne ?

Elle a toujours été un combat important pour le parti communiste français. Lorsque j’étais secrétaire général du MJCF, nous avons mené campagne pour la libération de Marwan Barghouti. Notre cap n’a jamais bougé. C’est celui d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens, qui passe par la reconnaissance de deux Etats sur les frontières de 1967, telle que la préconise le droit international. Nous avons condamné le Hamas sans aucune ambiguïté. Non seulement pour l’acte terroriste commis le 7 octobre 2023, mais aussi parce qu’il n’offre aucune perspective de paix. Le Hamas n’est pas une force de libération des Palestiniens, mais de son asservissement autour d’une idéologie islamiste. Il refuse l’existence de l’état d’Israël. Comme en face, Benjamin Netanyahou, veut un Etat sans Palestiniens. Nous avons toujours combattu le Hamas, et la politique colonisatrice israélienne. L’Union européenne a un poids prépondérant pour résoudre ce conflit. Elle commerce avec Israël, ce qui lui donne un moyen de pression considérable. Israël ne peut pas vivre sans l’UE, les aides américaines ne suffiraient pas. On doit servir de cette arme économique pour imposer une paix juste et durable. Le chemin vers la paix passe aussi par la libération des leaders palestiniens partisans de la paix, et notamment de Marwan Barghouti. Je veux porter ce combat sur la scène internationale. Sa libération créerait un espoir pour les Palestiniens, mais aussi pour les Israéliens. Son projet est de nature pacifique, et il peut rassembler les Palestiniens.

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22/02/2024

États-Unis, Russie, perte de repères... les conséquences de la guerre en Ukraine pour l'Occident selon Emmanuel Todd

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L’historien vient de publier un nouvel essai, dans lequel il analyse les bouleversements enclenchés par la guerre en Ukraine. Il y dépeint un monde anglo-saxon en perte de repères et une Europe poussée à des mesures suicidaires par les États-Unis face à la Russie. De quoi susciter des débats.

Avec son nouvel essai paru chez Gallimard, la Défaite de l’Occident, Emmanuel Todd suscite, comme attendu, le débat. L’historien avait commencé ses recherches avant la guerre en Ukraine. Il a finalement écrit son livre durant l’été 2023, et ce qui était un exercice de prospective est devenu une « analyse du présent ». Recourant à la démographie, à l’histoire, à l’anthropologie et à la méthode qui a fait sa marque de fabrique, l’étude des structures familiales anciennes, il propose une explication des grands bouleversements que traversent l’Occident et le monde depuis l’invasion russe.

En quoi une défaite de l’Ukraine dans la guerre contre la Russie serait-elle une défaite de l’Occident lui-même ?

Je décris un Occident divers, avec un pôle libéral et un pôle non libéral. D’un côté, l’Occident étroit qui a inventé la démocratie libérale constituée de l’Angleterre, des États-Unis, de la France. De l’autre, un Occident plus vaste avec l’Italie et l’Allemagne, si l’on s’en tient à l’Europe, où les structures familiales et les traditions politiques sont plus autoritaires. La défaite de l’Occident, c’est fondamentalement celle du monde anglo-américain. Mon livre comporte un chapitre sur l’Angleterre dans lequel je décris une classe dirigeante en décomposition. C’est la mère des États-Unis, qui a servi de modèle à leur classe dirigeante impériale.

Ce que j’écris est une version crue de ce que chuchote le Pentagone. Malgré le courage ukrainien, la plus grande surprise de la guerre, c’est la déficience de l’appareil militaro-industriel américain. Le désaccord entre Biden et les républicains sur les crédits à voter pour l’Ukraine est une mascarade. Ce n’est pas avec des chèques en dollars qu’on fait la guerre, mais avec des armes. Les États-Unis n’ont la capacité ni de les produire ni de créer les usines nécessaires à cette production. Mon livre analyse donc la déficience des Américains en termes de production d’ingénieurs. Les États-Unis sont plus de deux fois plus peuplés que la Russie, et produisent 30 % d’ingénieurs en moins. Ils produisent en revanche des avocats, des fiscalistes…

Vous réfutez justement le calcul de la richesse des États-Unis avec leur PIB, en le « dégonflant » avec un indicateur que vous appelez le PIR, « produit intérieur réel ». De quoi s’agit-il ?

Le PIB se dégonfle. Pour faire mon calcul, j’ai pris les dépenses de santé, qui sont autour de 18,8 % du PIB américain, alors que l’espérance de vie y est plus basse que dans les autres pays occidentaux. Il me semble donc que leur valeur réelle est surestimée. J’ai par conséquent choisi de les réduire à 40 %. Je décide d’appliquer un coefficient choisi comme ça, ce qui est étonnant. Mais c’est justement le problème. N’importe quel chiffre choisi à la louche sera plus exact que ce qui nous est offert par le calcul du PIB. En dégonflant, on se rapproche de la réalité. En appliquant la même méthode à l’ensemble de l’économie américaine, en ramenant la production de richesse aux choses matérielles, j’obtiens au final un « PIR » légèrement inférieur au PIB par habitant de l’Europe occidentale.

« La disparition du protestantisme produit l’Amérique que l’on connaît, un monde de corruption, de cupidité, violent… »

Pourquoi établir un lien avec la baisse de la pratique religieuse et particulièrement du protestantisme ?

La cause ultime n’est pas seulement l’effondrement de la pratique religieuse protestante, mais aussi celui des valeurs du protestantisme. Max Weber associait l’ascension de l’Occident au protestantisme pour des raisons d’éthique du travail. Je vais plus loin. Le protestantisme a alphabétisé des populations entières pour que chacun accède aux écritures saintes. Il a ainsi produit, presque par accident, une main-d’œuvre mobilisable économiquement, éduquée, travailleuse, sévère, épargnante. C’est l’avantage initial de l’Amérique, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la Scandinavie. La disparition du protestantisme produit l’Amérique que l’on connaît, c’est-à-dire un monde de corruption, de cupidité, violent…

En face, la Russie s’est stabilisée. L’Occident s’est infligé cette défaite à lui-même de par sa propre évolution religieuse, culturelle et économique. Le vainqueur de l’Occident, c’est l’Occident lui-même.

« L’Amérique que l’on connaît » n’est pas nouvelle… Pourquoi aujourd’hui ?

Les États-Unis sont partis de très haut. La chute du communisme a créé l’illusion d’une victoire du capitalisme que l’on croyait revitalisé par le néolibéralisme, l’obsession du marché. En réalité, on observe un déclin éducatif dès 1965 et économique dès 1980. À partir de Ronald Reagan, la production de blé commence à diminuer. En 2002, je l’avais déjà observé dans Après l’empire, au moment où tout le monde parlait d’hyperpuissance américaine.

En lisant votre dernier livre, on a l’impression que le processus que vous décriviez il y a plus de vingt ans est allé beaucoup plus loin…

Le modèle et la représentation de la société américaine aujourd’hui ne sont pas les mêmes. J’entre dans l’irrationnel social et religieux. Lorsque j’ai écrit Après l’empire, j’espérais que les États-Unis se rétractent de leur rêve impérial et se contentent d’être une nation géante. Je voyais l’agitation militariste américaine comme une manière de se rendre indispensable à peu de frais. Dans la Défaite de l’Occident, ce qui est nouveau, c’est le concept de nihilisme dérivant de la crise religieuse. C’est une société qui n’a plus de classe dirigeante, souterrainement guidée par un principe de déification du néant.

Je l’écris à la fin du livre : « L’état sociologique zéro de l’Amérique nous interdit toutefois toute prédiction raisonnable quant aux décisions ultimes que prendront ses dirigeants. Gardons à l’esprit que le nihilisme rend tout, absolument tout, possible. » On peut imaginer une implosion interne des États-Unis, avec une animosité qui lance les uns contre les autres républicains trumpistes et démocrates post-clintoniens… On peut aussi imaginer une Amérique pratiquant la stratégie du fou : faire croire qu’elle est capable d’être cinglée. Ce qui fait peur, c’est qu’elle pourrait être utilisée par des fous. Et c’est ce qui rend mon livre désagréable et angoissant pour nos élites atlantistes. J’y décris un comportement des Russes plus rationnel, plus lisible. C’est une situation extrêmement étrange.

« Les oligarchies libérales protègent leurs minorités. La démocratie autoritaire russe, non »

Et ça vous vaut des accusations de « poutinophilie ». Vous qualifiez le régime russe de « démocratie autoritaire ». Curieux, au moment même où meurt dans une colonie pénitentiaire Alexei Navalny, le principal opposant de Poutine…

Je définis un couple. Les gens pensent que nous sommes en démocratie chez nous, et qu’il y a une « autocratie », une « tyrannie » en face. Dans Après l’empire, j’expliquais que nous étions, nous, en « oligarchie libérale ». Le caractère libéral des États-Unis est incontestable. En Russie, tous les sondages d’opinion, tous les comportements attestent que la majeure partie du peuple russe soutient Poutine. Les élections sont encadrées, « raisonnablement trafiquées ». Mais Poutine représente pour les Russes le retour à la stabilité et à une vie normale. Qui là-bas voudrait faire l’expérience d’un retour aux années d’anarchie d’après la chute du communisme ? J’applique également mon modèle anthropologique auquel j’ai consacré mes années de chercheur, à savoir les structures familiales anciennes et la culture politique du présent.

Celles des Russes dérivent de familles communautaires très compactes, très vastes, très anti-individualistes, dont il reste quelque chose, même si les effets s’atténuent avec le temps. Si chaque Russe, pris individuellement, n’est qu’un tout petit porteur d’un résidu de cette culture, l’ensemble des interactions produit un système politique qui est l’expression normale de la société russe. Il est donc « démocratique ». J’ajoute « autoritaire », et c’est aussi important que « démocratie ». Ce n’est pas pour distinguer le système russe de la démocratie « normale », mais des démocraties libérales. Celles-ci expriment une volonté majoritaire, mais protègent leurs minorités. En Russie, le régime exprime la volonté de la majorité, mais ne protège pas ses minorités. J’y inclus les opposants : la minorité ultralibérale, ceux qui réclament un autre système, les homosexuels, les oligarques…

Nos oligarchies protègent bien certaines minorités comme les oligarques, qui y sont les mieux lotis. Et je crois que les Américains n’ont jamais pardonné à Poutine d’avoir mis au pas les oligarques russes. Il leur a laissé leur argent, mais retiré leur pouvoir. Ce rapport de l’État aux oligarques aide à comprendre le concept de « démocratie autoritaire ». En Occident, ceux qui ont de l’argent sont les maîtres du système. En Russie, ils ont été matés.

Le régime est aussi un soutien des extrêmes droites en Europe. N’est-ce pas un problème, cette fois, pour nos propres démocraties ?

Les Russes soutiennent qui ils peuvent. Ils n’ont pas le choix de leurs alliés. Les liens qui ont pu exister entre les extrêmes droites et le régime de Poutine sont plus circonstanciels qu’on ne croit. Il y a un malentendu. Ce n’est pas tout d’être populiste, d’en appeler au peuple contre les classes moyennes supérieures, ce que les deux formes idéologico-politiques ont en commun. En Europe occidentale, le rapport à l’islam est structurant pour les extrêmes droites qui se sont construites contre l’immigration et utilisent cette religion comme repoussoir.

Le régime russe n’est pas comme ça. La Russie compte 15 % de musulmans, la présence de l’islam y est au moins aussi ancienne que la population russe sur le territoire, s’incarnant dans des unités intégrées en bloc comme le Tatarstan, la Tchétchénie ou le Daguestan. Vladimir Poutine a fait construire à Moscou la plus grande mosquée d’Europe. Le rapport de la Russie à l’islam est positif et n’a pas vraiment d’équivalent. Peut-être que, d’une certaine manière, les extrêmes droites se trompent aussi sur la Russie. Quant à l’expérience Meloni en Italie, elle n’est pas encourageante pour Poutine.

« Il est difficile d’admettre que la puissance bénéfique est devenue un parasite monstrueux »

Vous laissez entendre qu’un retrait des États-Unis du continent européen serait positif. Malgré la menace russe depuis l’invasion de l’Ukraine ?

La prise de conscience du désastre ukrainien a semé une vague d’instabilité psychique dans les cercles supérieurs de l’Otan. Ces gens qui n’ont pas été capables de voir que Poutine allait prendre la décision d’attaquer ne sont pas non plus capables d’imaginer qu’il s’arrête une fois ses objectifs atteints. C’est une manifestation du refus de voir la situation d’un point de vue russe. Les Occidentaux jouent aux échecs en avançant leurs pièces, mais sans s’intéresser à ce que fait l’adversaire. Les Russes vont s’arrêter parce que leur territoire est déjà trop grand pour leur population, qui décline démographiquement. Ils doivent terminer la guerre dans les cinq ans, parce que la mobilisation va devenir difficile.

Diego Chauvet pour l'Humanité

14/11/2023

Violeur de la Sambre, témoignage d'Annick Mattighello, Maire communiste de Louvroil

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En 2002, j'ai simplement voulu prévenir les femmes. On m'a dit Il n'y a pas mort d'hommes"

C’est une personnalité politique du Val de Sambre qui a accepté de revenir avec nous sur cette affaire du Violeur de la Sambre. Annick Mattighello, maire de Louvroil entre 2001 et 2017, Médaillée d’Officier de l’Ordre National du Mérite, confie avoir la « boule au ventre » avant le début de ce procès, ce vendredi 10 juin.

Il faut dire que cette ancienne secrétaire du syndicat CGT chez Thomson, n’a toujours pas digéré l’année 2002. À l’époque, elle convoque la presse pour évoquer la présence d’un prédateur sexuel … uniquement dans sa commune de Louvroil : « Trois employées avaient été violées, agressées, dans ma commune. Je me suis sentie responsable de prévenir la population. Cela n’a pas été pris au sérieux. On me disait : « Il n’y pas mort d’hommes ». On m’a accusé de faire entrave à l’enquête publique, alors que l’homme sévissait depuis plus de 30 ans ! »

Le suspect présumé arrêté en février 2018, Dino Scala, se rendait régulièrement dans la commune en tant qu’entraîneur et Président du club de football de Pont-sur-Sambre : « Parait-il qu’il y avait un portrait-robot. Avec ça, dans le milieu du sport, on l’aurait reconnu. Et des dizaines de victimes auraient pu être épargnées. »

À l’approche du verdict de cette affaire hors norme, où Dino Scala répondra des faits d’agressions sexuelles, viols, sur 56 femmes, Annick Mattighello espère que ce procès aidera « les femmes qui se sentent coupables, portent la honte en elles. Des maris, Des familles, des maires de communes demandent à ces victimes de se taire. De ne pas aller plus loin C’est un moment de vérité »

Podcast de son interview}}}

Source Canal FM

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Le « violeur de la Sambre » et la maire héroïque

Dans son enquête, « Sambre, radioscopie d’un fait divers », Alice Géraud raconte comment, pendant trente ans, l’inefficacité de la police et de la justice a permis à Dino Scala de continuer à sévir. Ce récit revient aussi sur le combat de l’ancienne édile de Louvroil Annick Mattighello en faveur des victimes.

Le vendredi 1er juillet 2022, Dino Scala, 61 ans, a été reconnu coupable par la cour d’assises du Nord de 54 agressions sexuelles et viols entre 1988 et 2018 – il est soupçonné d’en avoir commis davantage. Condamné à vingt ans de réclusion criminelle, le « violeur de la Sambre » a fait appel et un nouveau procès doit se tenir en 2024.

Dans son magistral livre Sambre, radioscopie d’un fait divers (JC Lattès), Alice Géraud, ancienne journaliste de Libération et du site Les Jours, retrace cette affaire vertigineuse et livre le résultat de quatre années d’investigations sur un mystère : comment cet homme a-t-il pu agresser et violer des dizaines de femmes pendant trente ans, le long d’une même route, sans être inquiété ? Comment a-t-il pu échapper à la justice malgré les dizaines de plaintes déposées dans les commissariats et gendarmeries de ce territoire minuscule du val de Sambre (Nord) ?

Son enquête a été adaptée en série par Jean-Xavier de Lestrade, et est diffusée actuellement sur France 2 sous le titre Sambre, elle est accablante pour l’institution policière et judiciaire, inefficace face aux violences sexuelles, indifférente et parfois cruelle à l’égard des victimes. De ce désastre émergent quelques figures ­lumineuses et héroïques : des proches de victimes, des policiers et des médecins. Parmi elles, l’ancienne maire de Louvroil (Nord) Annick Mattighello, aujourd’hui âgée de 72 ans.

Source Le Monde

10:16 Publié dans Actualités, Entretiens, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sambre, annick mattighello | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!