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28/10/2025

Au musée du Louvre, une exposition consacrée au peintre révolutionnaire Jacques-Louis David

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En consacrant un événement au peintre et conventionnel Jacques-Louis David, auteur de Marat assassiné, le musée du Louvre renouvelle notre regard sur « un artiste pour notre temps ».

 

L’historien romain Tite-Live a décrit les Sabines arrêtant le combat entre leurs pères et frères et leurs maris romains, comme courageuses, au milieu des projectiles, leurs cheveux défaits et leurs vêtements déchirés. Le tableau de Jacques-Louis David, déplacé de la grande salle où il voisine avec le Sacre de Napoléon, du même David, est sans conteste l’œuvre la plus spectaculaire de l’exposition que le Louvre consacre à la figure du peintre et révolutionnaire.

Selon Sébastien Allard, cocommissaire et directeur du département des peintures du musée, David est « un artiste pour notre temps ».

Des femmes humaines face la violence guerrière des hommes

Il faut, pour cela, regarder les Sabines en se débarrassant de l’image d’une grande machine évoquant un épisode qui ne saurait nous concerner. On peut résumer rapidement l’histoire. Lors de la fondation de Rome, les Romains, qui veulent des épouses, finissent par enlever des femmes au peuple des Sabins. Lors de la guerre qui s’ensuit, les femmes parviennent à arrêter les combats et à instaurer la paix.

Alors regardons le tableau de David avec au centre celle-ci en blanc, les bras écartés pour stopper la fureur guerrière, celle-là agenouillée, toute au désarroi de ne pouvoir peut-être protéger ses enfants, et cette autre, ridée, se dépoitraillant comme pour dire « tuez-moi, tuez votre mère »… La nudité des hommes en fait des allégories de la violence guerrière. Mais les femmes sont humaines.

Qui est David quand il entreprend, en 1795, cette œuvre magistrale avec déjà à son actif les chefs-d’œuvre que sont le Serment des Horaces en 1785 et, bien sûr, dans son austérité confinant au sublime, Marat assassiné, en 1793, devenu l’une des images les plus puissantes de la Révolution dans l’imaginaire national ?

Des couleurs vives du rocaille, au clair-obscur dramatique et moral

Né en 1748 à Paris, déterminé à être peintre et pas n’importe lequel, il échoue à plusieurs reprises au Grand Prix de l’Académie et tente même de se suicider en 1772. Il est encore, alors, dans le registre léger du XVIIIe de Boucher, Fragonard. Touche enlevée, couleurs vives, ce qu’on appelle le style rocaille.

Mais, ce dont témoignent les premiers tableaux du parcours du Louvre, dont Bélisaire demandant l’aumône (1780), il se tourne vers le Caravage et ses suiveurs, le clair-obscur et la tension dramatique, puis vers une vision morale qu’incarne en 1785 le Serment des Horaces jurant devant leur père de défendre Rome contre les Curiaces de la ville d’Albe.

Peint avant la Révolution, le tableau va devenir une image de la vertu et comme une préfiguration du serment du Jeu de paume, que David entreprendra de peindre mais ne finira jamais. Le sort des personnalités qui auraient dû y être représentées ayant connu des fortunes diverses, pour le moins.

Quelques séjours en prison avant de peindre l’empereur et de s’exiler

David n’est pas que peintre, c’est un homme engagé et un politique. Député à la Convention, organisateur des fêtes révolutionnaires, proche de Robespierre, il sauve sa tête, quand bien même il n’échappe pas à quelques séjours en prison après la chute de ce dernier. Il se voue alors au portrait dont celui, célèbre, de la brillante Juliette Récamier, une reine de la période du Directoire, qu’elle refusera sans que l’on sache trop pourquoi.

Bonaparte, puis Napoléon dans ses premières années, apparaît encore en France et dans l’Europe des Lumières comme le continuateur de la Révolution, celui par qui, pour reprendre les termes de Hegel qui voit en lui « l’âme du monde », la raison avance dans l’Histoire.

David va devenir le peintre de l’empereur, au prix de quelques accommodements. En 1800, il peint Bonaparte passant les Alpes sur un magnifique cheval blanc cabré qui a pris la place d’une humble mule. Pour le Sacre de Napoléon (1804), il installe la mère de l’empereur dans la loge centrale alors qu’elle était absente.

La Restauration contraindra David à l’exil, à Bruxelles, où il mourra en 1825 en se refusant à revenir en France comme il aurait pu le faire au bout de quelque temps.

« Les Sabines » : une œuvre pour la paix

Mais revenons aux Sabines, une œuvre politique, invitant à la paix. Déjà, avec le Serment des Horaces, avec la Douleur et les regrets d’Andromaque sur le corps d’Hector dans la même période, le peintre fait une place particulière aux femmes.

Sébastien Allard écrit : « David retourne les valeurs liées à l’héroïsme viril en nous donnant à voir le prix que cet héroïsme implique, un prix tout entier payé par les femmes. » Au Salon de 1799 où sont accrochées les Sabines, David fait installer un miroir en face du tableau pour que les visiteurs soient, par leur reflet, inscrits dans le drame en cours. Ce sont eux qui font l’Histoire.

« Jacques-Louis David », jusqu’au 26 janvier 2026, au Louvre, Paris 1er. Rens. : louvre.fr. Catalogue édité par Hazan et le musée du Louvre, 370 pages, 49 euros.

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24/10/2025

« Terres rares », métaux « critiques » : de quoi parle-t-on ?

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Ce sont des termes que l’on croise de plus en plus souvent. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Les métaux rares, ou « terres rares » sont un groupe de métaux :

  • Ils sont définis comme des éléments géologiques ayant des propriétés physiques spécifiques.
  • Relativement abondants dans la terre, malgré leur nom.
  • Très difficiles à extraire et à purifier (ils sont mélangés à d’autres minéraux et très dispersés).
  • Il est rare de trouver un gisement assez riche pour justifier une mine.

En bref, les métaux rares sont des métaux particulièrement difficiles à obtenir. Les séparer exige un travail long, coûteux, complexe et très polluant (énormes quantités de déchets rocheux, d’eaux usées, risques de contamination des sols, éléments radioactifs).

Exemple : pour 1 kilo de lutécium, il faut casser 1 200 tonnes de roches ; pour 1 kilo de scandium, c’est près de 4 tonnes de minerai à traiter avec un bon gisement.

On liste 17 terres rares, dont les lanthanides (auxquels appartient le lutécium), le scandium ou l’yttrium. Ils permettent, par exemple, de fabriquer des aimants permanents, des alliages, écrans, catalyseurs, etc.

Les métaux rares sont aussi… critiques

Les métaux critiques ou stratégiques sont listés par des gouvernements en raison de plusieurs critères économiques et politiques :

  • Essentiels pour l’économie.
  • Peu substituables par d’autres matériaux.
  • Présentent des risques élevés de pénurie.

Par exemple, l’Union européenne liste 34 matières premières critiques, dont les terres rares, le lithium, le cobalt, le graphite, le nickel, le gallium, le germanium, l’indium, le tantale, le tungstène ou encore le phosphore. Les « terres rares » sont des métaux critiques, mais la liste de ces matériaux stratégiques les dépasse largement.

Là aussi, les utilisations sont variées et stratégiques : le gallium pour les puces électroniques, les LED et les cellules photovoltaïques ; l’indium pour les écrans tactiles ; le tantale pour les condensateurs d’appareils électroniques ; le germanium dans les fibres optiques et les lentilles infrarouges ; le tungstène dans les armements, etc. Le cobalt et le lithium sont connus pour leur utilisation dans les batteries.

Ces métaux sont donc largement indispensables à la transition énergétique, à l’électronique ou au secteur de la défense.

Guerre commerciale ou coopérations ?

À ce jour, la production des métaux rares est en fait très concentrée : la Chine domine très largement la production mondiale. Elle vend plus de 168 000 tonnes par an, soit 60 % du marché mondial, selon l’Institut des études géologiques des États-Unis (USGS).

Mais elle est encore plus incontournable dans les premières étapes de la chaîne de valeur. La Chine extrait ainsi 60 à 70 % des minerais de terres rares et raffine 90 % de la production mondiale. Autrement dit, la plupart des pays extracteurs font appel à elle pour le raffinage du matériau.

Cela ne date pas d’hier, car la Chine populaire est devenue premier producteur mondial de métaux rares en 1995 !

Même si ces métaux sont aujourd’hui essentiels pour la production des véhicules électriques, éoliennes et panneaux photovoltaïques, l’extraction et le raffinage ont un coût environnemental assez colossal. C’est pourquoi la Chine tente de limiter sa production en établissant des quotas d’exportation, mais le monde entier veut lui en acheter !

Dans le cadre de la guerre commerciale lancée par les États-Unis, le gouvernement chinois demande désormais à vérifier que ses exportations ne soient pas utilisées par des industries militaires contraires à ses intérêts de sécurité (comme c’est le cas pour l’armement américain).

Il faut bien comprendre qu’on parle ici de capacités de production à une échelle gigantesque et que la question de la répartition géologique des réserves minérales est secondaire. Les estimations évoluent constamment avec les progrès des connaissances, et la Chine a un réservoir certes important (37 % des réserves mondiales), mais dans une proportion relativement plus faible que son importance dans la production mondiale.

Peut-on en produire en France ?

Selon l’USGS, 4 pays détiendraient 90 % des réserves mondiales : Chine, Vietnam, Brésil et Russie. Quatre pays avec lesquels les États-Unis et leurs vassaux entretiennent des relations quelque peu tumultueuses.

En admettant que des coopérations futures permettent d’acheter des métaux rares à ces pays, le retard pris dans le développement de capacités de traitement et de raffinage est abyssal. La Chine a non seulement plus de 30 ans d’expérience industrielle, mais également une stratégie nationale d’investissements, des entreprises publiques au centre du secteur, une intégration de ses industries de pointe qui bénéficient de cette production spécifique.

Une éventuelle exploitation française, dans un cadre d’entraide et de partage des savoir-faire, mettrait au minimum 10-15 ans à être mise en service. Autant dire que nos va-t-en-guerre et protectionnistes du cru nous emmènent droit dans le mur.

par Amado Lebaube pour Liberté Actus

11:15 Publié dans Actualités, Connaissances, Planète | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : terres rares | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

14/10/2025

Face aux attaques des colons contre les Palestiniens, l’interposition non-violente des volontaires internationaux

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Pendant que Trump vante son plan de paix pour Gaza, en Cisjordanie, les attaques de colons contre des Palestiniens se poursuivent. Face aux violences, des volontaires internationaux et israéliens tentent de soutenir villageois et cultivateurs.

par Anne Paq pour Basta

Rashid Khidiry est au téléphone avec une militante internationale du groupe ISM, pour "International Solidarity Movement". Ensemble, ils planifient la répartition des équipes de bénévoles, venus du monde entier, pour aider concrètement les Palestiniens, au sein des différents villages de la vallée du Jourdain, l’une des zones les plus vulnérables aux attaques de colons israéliens.

« Les besoins sont énormes, et nous ne sommes pas assez nombreux face à la recrudescence des attaques de colons », explique Rashid Khidiry. L’organisation crée en 2001 vise à « soutenir et à renforcer la résistance populaire palestinienne en étant immédiatement aux côtés des Palestiniens », notamment dans les endroits « où les Palestiniens sont constamment harcelés ou attaqués par les soldats et les colons ». ISM est guidée par les principes de non-violence. Des centaines de volontaires s’y engagent chaque année en Cisjordanie, pour quelques jours, quelques semaines, voire plusieurs mois.

Un dispositif dissuasif contre la brutalité

Les mobilisations citoyennes ainsi que les pressions diplomatiques se concentrant sur la situation à Gaza, bombardée, affamée et sous blocus intégral. La Cisjordanie est reléguée au second plan sur la scène internationale. Le territoire palestinien est également le grand oublié du « plan de paix » proposé par Donald Trump, qui a pour le moment permis un cessez-le-feu à Gaza, la libération des vingt otages israéliens encore en vie et de près de 2000 prisonniers palestiniens.

Pourtant, la colonisation israélienne s’y est accélérée depuis le 7 octobre 2023, notamment dans la vallée du Jourdain, qui marque la frontière avec la Jordanie, où de nombreuses communautés bédouines ont été expropriées et déplacées de force.

Depuis le début de l’année, les attaques de colons y atteignent un niveau sans précédent : plus d’un millier d’attaques ont été recensées par le bureau des Nations Unies pour les affaires humanitaires. Face à cette violence coloniale, et l’incapacité de la communauté internationale de la freiner, des groupes de solidarité concrètes, comme ISM, se sont organisés. Ils offrent une sorte de protection civile en envoyant des volontaires israéliens ou internationaux vivre plusieurs semaines auprès des communautés palestiniennes menacées.

Leur présence est censé agir comme un dispositif dissuasif, combinant observation, documentation et accompagnement des communautés ciblées par les colons. Ces militants peuvent s’interposer physiquement entre les colons et les Palestiniens, mais aussi participer aux travaux agricoles ou accompagner éleveurs ou bergers.

« J’en avais marre de juste faire des manifestations »

Rashid Khidiry poursuit ses coups de fils. Il est très inquiet pour Ibziq, l’une des communautés rurales installées dans les collines qui surplombent la vallée du Jourdain. Il y organise une présence constante de militants depuis deux mois, car à la suite de l’établissement d’un avant-poste israélien, les attaques se sont multipliées. Sur les 14 familles qui composaient le village, 13 sont déjà parties.

Tina*, une militante franco-espagnole d’ISM, était présente lorsque plusieurs soldats ont débarqué dans le village, forçant tous les membres de la famille à s’agenouiller. « Alors que nous étions dans la cuisine, deux Palestiniens ont reçu des coups. Quand nous sommes sortis, nous avons été mis à distance. Les Palestiniens n’ont pas voulu que nous filmions par crainte de représailles. L’armée a intimé à la famille de partir sous peine de tout détruire raconte-t-elle. Après qu’Aziz Najawaj’a, le chef de famille, a protesté et réclamé un papier officiel, l’armée leur leur donné dix jours pour partir. Un des soldats a dit : “Tout ça, c’est à moi !“ »

Tina* a été particulièrement choquée par cette scène, mais elle ne regrette pas d’avoir rejoint ISM. « J’en avais marre de juste faire des manifestations. Je voulais quelque chose de concret, alors quand j’ai vu que c’était possible, je suis venue. Je reste trois semaines. » Il faut savoir faire face à des situations « hostiles », et toujours faire preuve d’humilité, dit la jeune femme. « La culture ici est différente. Au début en tant que féministe, c’était assez dur de voir les espaces séparés entre hommes et femmes. Être là, c’est écouter, aider, sans être paternaliste et avec humilité. » L’une de ses activités principales auprès de la communauté est de se rendre à l’école, située près d’un avant-poste israélien, et d’alerter en cas d’attaques ou de manœuvre de harcèlement de la part de colons.

« Nous nous sentons mieux quand ils sont là »

Celles-ci sont fréquentes. « Chaque nuit, nous montons la garde. Ils continuent de nous harceler tous les jours. J’ai dû évacuer mon père trop vieux, et je ne peux plus aller faire paître mes animaux comme avant », témoigne Aziz Najawaj’a. Pour lui, la présence d’internationaux fait malgré tout une différence : « Nous nous sentons mieux quand ils sont là. Les colons ont peur des caméras. L’armée n’aime pas non plus cela. »

Un repas est partagé sous la tente entre la famille et les bénévoles. Parmi les Palestiniens présents, Moath est un jeune volontaire du Palestinian Medical Relief Society (Association palestinienne du secours médical). « Je suis secouriste. C’est mon devoir de venir aider, dit-il. Nous devons rester ici, c’est le dernier espoir pour cette communauté. Il est encore possible d’empêcher leur départ forcé si davantage de personnes soutiennent cette famille. »

Malheureusement, la famille de Aziz n’a pas tenu. Le harcèlement des colons s’est intensifié. L’éleveur a même été battu deux fois par des militaires. Face à l’ultimatum lancé par l’armée israélienne, la famille s’est vue forcée de partir. Le hameau d’Ibziq s’ajoute à la liste des villages et communautés vidées de ses habitants par la violence coloniale.

Plusieurs volontaires internationaux tués

Chaque militant international doit suivre une formation pour se préparer aux situations difficiles comme celle à laquelle Tina a dû faire face, ainsi qu’aux risques, qui sont bien réels. Depuis la création de ISM, plusieurs bénévoles ont été tués par l’armée israélienne : l’États-unienne Rachel Corrie en 2003, le Britannique Tom Hurdall en 2004, et plus récemment la Turco-états-unienne Aysenur Egzi Eygi, tuée d’une balle dans la tête en 2024 lors d’une manifestation à Beita, près de Naplouse. Plus d’une dizaine d’internationaux ont aussi été arrêtés puis expulsés depuis 2023, selon ISM.

Les formations permettent aussi d’éviter les postures de « sauveurs blancs » de la part de militants occidentaux, et de s’assurer que les personnes ne commettront pas d’actions pouvant déclencher des représailles contre les communautés palestiniennes. « Nous sommes ici pour protéger et documenter. Nous n’avons pas besoin de héros explique Rashid Khidiry, le coordinateur d’ISM pour la Vallée du Jourdain. Nous devons agir intelligemment, car les soldats et les colons n’attendent qu’un prétexte pour punir les communautés. »

S’engager « avec nos corps »

À quelques kilomètres au nord de Ramallah, un viticulteur palestinien, Adam Kassis, accueille un groupe venu l’aider à ramasser du raisin sur son vignoble situé près d’un avant-poste israélien. « Si les colons débarquent, on ne leur parle pas. Laissez-nous faire et continuez le travail », précise-t-il aux bénévoles. Le groupe est aussi composé de militants israéliens venus pour la journée. Malgré la proximité des colons armés, l’ambiance est détendue. La trentaine de personnes – travailleurs palestiniens, militants israéliens et internationaux – ramassent le plus vite possible les raisins, tout en gardant l’œil sur les routes alentours.

Mina*, Canadienne et militante d’ISM, nous raconte pourquoi elle s’est engagée : « En tant que petite-fille de survivants de l’Holocauste, on m’a enseigné que la leçon "plus jamais ça" devait être universelle pour avoir un sens. Je me suis engagée dans la solidarité avec la Palestine depuis l’université. Quand la guerre génocidaire s’est intensifiée, j’ai senti que je n’en faisais pas assez et qu’il était nécessaire que ceux d’entre nous qui possèdent des passeports de pays privilégiés et, dans mon cas, le privilège, par rapport à Israël, d’être juive, s’engagent plus directement, avec nos corps. »

La journée se termine tranquillement par un repas partagé sous un olivier. De retour chez elle après trois semaines sur le terrain, Mina peut tirer le bilan. Elle évoque les difficultés, notamment le sentiment d’impuissance qu’elle a éprouvé lorsqu’elle a assisté au départ forcé d’une famille palestinienne à la suite d’attaques répétées de colons.

Mina revient aussi sur ce que ce séjour lui a apporté : « En 24 heures sur le terrain, j’ai appris davantage qu’à travers tous les livres et podcasts réunis que j’ai lus ou écoutés. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point la Palestine était belle. Découvrir l’hospitalité palestinienne et des modes de vie qui prennent soin de la terre, voir la manière dont les gens se battent pour maintenir la communauté, constater la brutalité et la déshumanisation dont font preuve les colons… Tout cela met en évidence les enjeux de notre lutte, qui ne concerne pas seulement la Palestine, mais notre avenir à tous. »

Activistes israéliens

À Masafer Yatta, dans le sud de Cisjordanie – une région où les colons sont parmi les plus extrémistes et violents –, de nombreux groupes assurent une protection civile. La région est en « zone C », sous contrôle total israélien (soit 60 % du territoire, les autres zones A et B demeurent sous administration civile palestinienne). Elle est parsemée de villages et hameaux palestiniens, qui vivent traditionnellement de l’agriculture et de l’élevage.

Les démolitions des maisons et infrastructures palestiniennes conduites par l’armée israélienne y sont devenus la routine. Les avants-postes se multiplient ainsi que les attaques de colons. Le 28 juillet, Awdah Hathaleen, un professeur d’anglais et militant pour son village de Umm Al Kheir, était tué par un colon, sans que ce dernier ne soit inquiété.

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Dans ce contexte très difficile, la présence de militants internationaux et israéliens est essentielle. Outre ISM, cette fragile protection est, notamment, assurée par une organisation italienne, Operation Dove et [des groupes de militants israéliens qui viennent à Masafer Yatta depuis plusieurs années, dont Tayyush.

Omri Eran Vardi, 29 ans, est photographe. Il fait partie d’un collectif « d’activistes israéliens non sionistes », explique-t-il, dont les activités consistent à « documenter les atrocités commises par le régime d’apartheid israélien et à faire preuve de solidarité avec les résidents palestiniens ». « C’est plus qu’une motivation, c’est une obligation morale. Je ne peux pas vivre ici sans agir, ajoute-t-il. Ce n’est pas nous qui prenons les décisions, ce sont les Palestiniens, et nous essayons de les soutenir autant que possible. »

Omri et deux autres activistes israéliens passent la nuit aux côtés de la famille d’Haj Ali Sabah et de son épouse Samiha. À la demande de Samiha, visiblement inquiète, ils dorment à la belle étoile devant la maison. La nuit tombée, alors que les chiens aboient un peu trop, Samiha scrute les environ avec sa puissante torche électrique, craignant l’arrivée de colons. Fausse alerte.q

Le lendemain matin, tous partagent le petit déjeuner typique, constitué d’un pain traditionnel fait maison, d’huile d’olive et de Zaatar, un mélange d’épices, avant d’accompagner Haj Sabbah auprès de son troupeau. Sol*, un jeune militant israélien, tient sa caméra prête au cas où.

Lui est un « refuznik » – il a refusé de servir au sein de l’armée israélienne. Haj Sabbah a déjà perdu la moitié de son troupeau, volé l’année dernière par les colons. Il ne fait désormais pâturer ses moutons que très peu de temps le matin et le soir, et doit leur acheter des compléments alimentaires. De retour à la maison, la tranquillité ne dure pas.

Harcèlement quotidien de la part des colons

Un buggy tout terrain s’arrête à une centaine de mètres de la demeure, suivi d’un drone, signes de l’arrivée imminente de colons. Il s’agit d’un jeune, qui mène son troupeau et le fait abreuver sans vergogne dans le puits de la famille palestinienne. Omri filme. Le colon également, avec son portable. Il fait ensuit entrer les animaux dans une petite grange de la famille où Samiha a entreposé patiemment des semis d’aubergines.

Omri intervient pour faire sortir le bêtes avant qu’elles ne détruisent des semaines de travail. Puis le troupeau s’en prend aux branches d’oliviers et aux feuilles de vignes de la propriété. Dans une région aride, où les ressources sont limitées, les familles dépendent non seulement de leur troupeau mais aussi des oliviers et de ce qu’elles peuvent planter pour leur subsistance. La police israélienne est appelée. Lorsqu’elle arrive, le colon est déjà parti. C’est toujours la même histoire, selon Omri : « La police vient trop tard et, de toute façon, ne fait jamais grand chose. »

Combien de temps la famille d’Haj Ali Sabah et de Samiha tiendra-t-elle face à ce harcèlement quotidien ? « Je pense que notre présence fait une grande différence pour les individus, à petite échelle. Mais, au final, cela n’arrête pas le processus de nettoyage ethnique. Cela peut seulement le ralentir dit Omri, amer. La liste des villages et des familles qui réclament que des personnes restent dormir avec eux s’allonge sans cesse. »

Trop peu de bénévoles sont disponibles. Quelques heures plus tard, une attaque brutale de colons se déroule à Qawawis, à quelques kilomètres de là. Des Palestiniens sont roués de coups, ainsi que deux militantes israéliennes, frappées à la tête. L’une d’elles aura le bras et l’épaule fracturés.

Récolte des olives sous tension

La présence protectrice est encore plus cruciale pendant la récolte des olives qui débute. L’olive et son huile constituent un pilier de la fragile économie palestinienne de Cisjordanie et de son identité. Avec l’augmentation de la violence des colons et la multiplication des entraves à la liberté de la circulation depuis le 7 octobre 2023, la récolte risque d’être très difficile. Plusieurs groupes comme ISM en appellent à la solidarité internationale et ont créé une campagne commune, « Olive harveArik Ascherman derrière une barricade précaire, sur une colline

Boîte noire

Pour ce reportage, je suis restée un mois en Cisjordanie, de fin août à fin septembre. Une des difficultés majeures a été les déplacements dû à la multiplication des checkpoints israéliens, et le fait de ne pas pouvoir faire de portraits de nombreux militants par soucis d’anonymat (les prénoms marqués d’un * dans l’article sont des pseudonymes). Le risque d’attaque de colons était omniprésent.

17:40 Publié dans Actualités, Connaissances, International | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : palestine, colonie; israel | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

10/10/2025

Le « modèle » allemand se fissure un peu plus

par Esteban Evrard Liberté Actus

Il fut un temps où l’Allemagne était présentée comme « la force tranquille de l’Europe », avec des excédents commerciaux record et une industrie championne de l’export. Mais en août, la production industrielle a chuté de 4,3 %, son plus fort recul depuis la pandémie. L’automobile — colonne vertébrale du pays — s’est écroulée de 18,5 % en un mois. Les commandes manufacturières sont en berne, les exportations reculent, les ventes au détail se contractent. Bien plus qu’une alerte, c’est la confirmation d’une crise structurelle.

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L’Allemagne a longtemps bâti sa puissance sur trois piliers : énergie bon marché, demande mondiale, domination technologique. Ces trois fondations se dérobent. Le gaz russe n’est plus là et le chancelier Merz semble plus va-t-en-guerre que jamais ; les États-Unis taxent les produits européens à 15 % et font tout pour attirer les fleurons allemands sur leur sol ; la Chine dépasse désormais les constructeurs allemands sur le terrain qu’ils croyaient imprenable : l’automobile.

La fin d’une époque ?

Sur le front intérieur, la consommation s’étouffe. En août, les ménages ont encore réduit leurs achats. L’inflation énergétique, les incertitudes sur l’emploi et la peur de la récession poussent les familles à épargner. L’Allemagne découvre ce que vivent d’autres peuples depuis longtemps : le doute, l’angoisse du lendemain, la disparition du mythe de l’invincibilité industrielle.

Le danger dépasse ses frontières. Si l’Allemagne cale, c’est toute l’Europe qui tremble. La première économie du continent risque une récession technique, après un PIB déjà en recul de 0,3 % au printemps. Et Bruxelles, fidèle à sa doctrine, continue de compter sur Berlin pour relancer la machine… sans voir que la machine ne répond plus.

La crise allemande n’est pas conjoncturelle. Elle marque la fin d’une époque où sa puissance était fondée sur l’export et l’austérité. Elle semble incapable aujourd’hui de penser la reconversion productive. Il ne s’agit pas de se réjouir de la chute d’un voisin, mais d’en tirer une leçon : sans politique industrielle, sans protection des savoir-faire, sans maîtrise énergétique, aucun modèle ne tient. Pas même le plus sacralisé.

Beaucoup de bruit sur l’automobile

Les dirigeants allemands s’agitent. L’AfD monte un peu plus à chaque élection et le modèle politique hérité de la RFA se fissure inexorablement. Dernier épisode en date, Friedrich Merz convoque un énième « sommet automobile » à Berlin, ce jeudi 9 octobre, rassemblant constructeurs, patrons et syndicats. On y parle de 2035, de moteurs thermiques, de prolonger les hybrides… mais le pouvoir semble incapable de répondre aux attentes du pays. Plus de 50 000 emplois ont déjà disparu en un an dans l’automobile, sans alternative solide.

Politiquement, la coalition éclate. Les conservateurs veulent abandonner l’interdiction des moteurs thermiques, les Verts défendent mordicus la mesure de Bruxelles, les sociaux-démocrates promettent des aides fiscales. Chacun parle d’« avenir », mais personne ne trace de cap. Résultat : une paralysie qui ressemble à celle que Berlin imposait autrefois à l’Europe, au nom de la rigueur.

12:02 Publié dans Actualités, Economie, International | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!