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05/11/2024

Kamel Daoud remporte le prix Goncourt

Kamel Daoud.jpgCe n’est pas une surprise. Kamel Daoud remporte le prix Goncourt pour son troisième roman, Houris, paru chez Gallimard. Le livre a été élu dès le premier tour de scrutin, avec six voix contre deux à Hélène Gaudy pour Archipels (l’Olivier), une à Sandrine Collette pour Madelaine avant l’aube (JC Lattès) et une au Franco-Rwandais Gaël Faye pour Jacaranda (Grasset), lequel reçoit le prix Renaudot.

Dans Houris (c’est ainsi que sont nommées les vierges censées accueillir le croyant au paradis), l’écrivain franco-algérien passe au crible la « décennie noire » de la guerre civile (1992-2002) dans son pays natal, par la voix étouffée d’une jeune Oranaise, prénommée Fajr (l’aube), mutilée parce qu’alors mal égorgée. Sa blessure court d’une oreille à l’autre sur 17 cm, la privant de cordes vocales. Aube la mutique est « porteuse de l’histoire d’une guerre entière inscrite sur sa peau ». Elle est ainsi le vivant stigmate de la violence collective qui a ravagé l’Algérie, quand des groupes islamistes affrontèrent l’armée en semant la terreur, faisant environ 200 000 morts. Victime sans voix, l’héroïne, en cette veille de l’Aïd, est enceinte d’une enfant dont elle veut avorter. L’Algérie de l’année 2018 peinte par Daoud est l’ennemie des femmes, sans exception. C’est une Algérie attaquée par les adeptes d’un islam rétrograde. Dans sa langue muette, Aube raconte, à l’enfant qui ne verra pas le jour, son histoire tragique et celle de son pays.

Une jeune héroïne privée de cordes vocales

Alors que, désormais, l’un des articles de la charte pour la paix et la réconciliation mentionne qu’il est interdit de parler de cette guerre, volontairement passée sous silence sous peine d’emprisonnement – à l’opposé de l’autre, la guerre d‘indépendance, si présente dans les têtes, dans les manuels et gravée sur les monuments –, Kamel Daoud
porte le fer dans la plaie mémorielle. Outre Aube, on découvre Aïssa Guerdi, un autre personnage de Houris. Lui, c’est à voix haute qu’il s’exprime, pour mettre des mots forts sur cet oubli volontaire, cette amnésie quasi obligatoire. Ce fils de libraire est chauffeur. Hypermnésique, lui aussi rescapé d’une des tueries de l’époque fatale, il est capable de se rappeler, des tueries, le jour, l’heure, le lieu, le nombre de victimes et leur prénom, même si, depuis 2005, plus personne ne prête attention à ce passé maudit.

Ce voyage au bout de l’horreur a valu à Kamel Daoud, ainsi qu’à son éditeur, une interdiction de participation au dernier salon d’Alger. L’écrivain, qui vit à Paris depuis 2020 après avoir obtenu sa naturalisation, a déclaré, sitôt l’annonce de son prix : « Ce livre est né parce que je suis en France. C’est un pays qui me donne la liberté d’écrire. Ce n’est pas facile de parler de guerre, il faut du temps, du deuil, de la distance. »

Kamel Daoud avait déjà reçu, en 2014, le Goncourt du premier roman pour Meursault, contre-enquête, paru chez Actes Sud. Dans ce livre, il prenait le contrepied du roman célèbre de Camus, l’Étranger, en tirant du néant l’Arabe sans nom dont le corps n’a jamais été retrouvé dans le texte initial.

 

 

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15/09/2024

Maurice Gouiran remporte le premier Prix du polar de l’Humanité

On est pas serieux.jpgAu terme d’un procès mené par le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM), le Marseillais a été récompensé pour son livre « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »

 

Ils étaient dix, comme dans le célèbre livre d’Agatha Christie. Au terme d’un spectaculaire procès mené par l’écrivain Gilles del Pappas, président de ce tribunal littéraire, dix auteurs de polar ont écouté les réquisitions de l’avocate générale et les plaidoiries de leurs avocats commis d’office.

Leur crime ? Avoir commis des livres avec un fond social et politique, en dépit de la diversité des genres et des écritures, du fantastique au roman historique. Le jury, composé de lecteurs de l’Humanité, a choisi, après une brève délibération, de récompenser « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » (M + éditions, 2024) du marseillais Maurice Gouiran.

À travers l’histoire d’un jeune émigré polonais accusé en 1961 de crimes qu’il n’a pas commis, l’auteur dit avoir voulu « se libérer du roman national » et, comme il l’a rappelé devant le public du village du livre, « écrire pour les gens ». Comme au festival de Cannes, le jury a souhaité décerner un prix spécial pour mettre en lumière le travail singulier de Nicolas Jaillet, auteur de la Maison (Bragelonne, 2016), un recueil brillamment défendu par Maître Charlotte Cambon qui en a profité pour rappeler l’importance des avocats commis d’office et la qualité de leur défense pour dire aux « vieux gros blancs hommes pénalistes » qu’ils ne peuvent pas demander autant d’argent. Le prix de la plaidoirie revient à Maître Alban Richeboeuf pour sa défense du roman de Gérard Streiff, le Sosie.

Un concours d’éloquence

Créé en 2008 à Marseille par Gilles del Pappas avec des associations de quartier, ce prix du polar original et spectaculaire, est remis pour la première année à la Fête de l’Humanité. Avec Magali Busseuil, militante et lectrice, il a sélectionné les œuvres et recruté le jury « par voie de presse » avec l’Humanité.

Léa Talrich, secrétaire générale du Syndicat des avocats de France (SAF), a trouvé les avocats : « C’est un concours d’éloquence. J’ai tenu à ce que les différentes matières d’exercice soient représentées : pénalistes, travaillistes, une publiciste… Ils et elles viennent de toute la France avec une diversité générationnelle à l’image du syndicat. Je regrette seulement de ne pas être arrivée à la parité alors que le SAF est à 80 % féminin ».

Pour trouver l’avocat général, chargé des réquisitoires, le SAF s’est rapproché du Syndicat de la magistrature avec un souci commun de promouvoir la lecture : « La procureure, dont le rôle est essentiel, très politique, a lu les dix livres. Nous représentons le procès avec une volonté de vulgarisation. » L’idée de déplacer le prix du polar à la Fête de l’Humanité est née il y a moins d’un an, à la terrasse d’un bar de Marseille : « On n’aurait jamais imaginé qu’on allait l’organiser dans cet espace du Village du Livre. Tout a été très simple ». Rendez-vous l’an prochain.

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11/09/2024

Fête de l’Humanité 2024 : les dix auteurs en lice pour le premier prix du polar l'Humanité

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Le premier prix du polar l’Humanité sera décerné à l’issue d’un procès. Un jury populaire composé de lectrices et lecteurs de notre journal départagera les dix auteurs en lice.

Accusés, levez-vous ! Le premier prix du polar l’Humanité sera décerné, samedi 14 septembre, à partir de 17 h 30, à l’espace débats du Village du livre. Créé en partenariat avec le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM), le prix sera remis à l’occasion d’un faux procès d’assise. Les dix auteurs, cinq hommes et cinq femmes, en lice s’assoiront sur le banc des accusés.

Le romancier Gilles Del Pappas, qui présidera le tribunal, explique : « On leur reproche d’avoir commis des polars au sens que donnait Jean-Patrick Manchette. » Pour l’écrivain et spécialiste du genre, aujourd’hui disparu, « polar signifie roman noir et violent » et « tandis que le roman policier à énigme de l’école anglaise voit le mal dans la nature humaine – mauvaise –, le polar voit le mal dans l’organisation sociale transitoire ». Tous les styles de polar sont représentés : politique, historique, régional, social ou encore d’anticipation. Tous les romans sélectionnés ne sont pas de cette rentrée littéraire mais pour cette première édition « nous avons aussi souhaité distinguer certains auteurs pour l’ensemble de leur œuvre », poursuit le président du tribunal.

Les magistrats du SM prononceront les réquisitoires, les avocats du SAF assureront la défense des accusés. Après un dernier mot de leurs clients, le jury composé de lectrices et lecteurs du journal et qui a mis à profit l’été pour se plonger dans les romans, rendra son verdict. Il désignera également la meilleure plaidoirie.

Laurence Biberfeld : « Grain d’Hiver » (éditions In8)

Longtemps institutrice, Laurence Biberfeld manie la plume depuis l’enfance. Poèmes, contes, romans… elle finit par quitter l’éducation nationale en 1999 pour se consacrer à l’écriture. Elle publie son premier polar, la B.A. de Cardamone, en 2002.

En 2009, l’autrice qui se revendique de l’anarchie, est impliquée dans l’aventure du Poulpe avec On ne badine pas avec les morts. 

Avec Grain d’hiver, elle nous raconte l’histoire d’Edoyo, accusée d’avoir assassiné son conjoint, et de sa grand-mère Gafna. La violence, les exils, la nature outragée, les liens du sang, l’amour sans condition sont au cœur de ce nouveau roman.

Antoine Blocier : « Sidéral » (les éditions du Horsain)

Antoine Blocier a fait ses classes dans l’action socioculturelle, bénévole et salariée, avant de bifurquer dans la fonction publique territoriale. 

L’homme se dit « auteur du dimanche » mais compte à son actif quelques polars dont une aventure mémorable au Poulpe, Templiers.com, ou encore des nouvelles.

Militant politique, il est l’auteur de plusieurs pamphlets. Avec Sidéral, où il fait le récit d’une enquête sur la mort suspecte de deux spationautes, il signe un roman inclassable, à la fois polar, anticipation, réflexion philosophique et plaidoyer pour un autre monde.

Florence Bremier : « Les héros sont fatiguant » (éditions Grrr… art)

Dans une vie précédente, Florence Bremier était comptable après avoir poursuivi des études littéraires. Autant dire qu’elle sait brouiller les pistes. Après un grave accident de ski, en 1998, elle délaisse définitivement les chiffres pour les lettres et la danse.

Elle publie son premier roman en juillet 2007, De mémoire d’assassinLes Héros sont fatigants ! est son deuxième roman, publié en janvier 2009 aux éditions Grrr… art. Ce polar antique et humoristique (sélectionné pour le prix marseillais du polar 2009) lève le voile sur la vie cachée des personnages de l’Odyssée.

Jeanne Desaubry : « Poubelle’s Girls » (éditions Lajouanie)

De son propre aveu, l’envie d’écrire la taraudait depuis l’âge de 7 ans, mais avant de se consacrer à l’écriture, Jeanne Desaubry a connu plusieurs vies : étudiante, cadre hospitalier, puis institutrice. Désormais, elle ne vit plus que pour le roman noir, comme éditrice et autrice. Dans Poubelle’s Girls, elle nous conte la folle histoire d’Élisabeth et de Paloma.

La première élève seule son enfant et exerce des petits boulots, la seconde squatte les bancs publics. Pour en finir avec les fins de mois difficiles, les deux pétroleuses se lancent dans le braquage. Un roman noir revendicatif…

Maurice Gouiran : « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » (M + Éditions)

Docteur en mathématique, spécialiste mondial en informatique de la gestion des incendies de forêt, Maurice Gouiran a visiblement besoin d’échapper aux chiffres et aux modèles.

En 2000, il publie la Nuit des bras cassés, le premier d’une série de polars originaux et engagés où l’intrigue se mêle aux tragédies du XXe siècle. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans s’inscrit dans cette veine. À l’été 1961, Bro, un jeune Polonais, s’est installé à Lovère, un village près de Marseille. Il y a trouvé un travail et une amoureuse, mais nourrit une drôle d’obsession. Chaque soir, il se rend au bar pour suivre les retransmissions du procès Eichmann.

Nicolas Jaillet : « La Maison » (éditions Milady)

Nicolas Jaillet a l’habitude de brûler les planches. Comédien et auteur de théâtre, il a participé à plusieurs compagnies. Ami d’Alexis HK, avec qui il écrit des chansons, boit et fume comme il le confesse lui-même sur son blog, il s’est aussi essayé au cinéma expérimental et a même repris des études.

Ce touche-à-tout s’est donc lancé dans le roman. Avec la Maison, polar psychologique, il raconte l’histoire d’une femme qui épouse un homme qu’elle n’aime pas. Pendant des années, elle élève leur enfant et souffre en silence de la violence de son conjoint, mais prépare son évasion…

Louise Oligny : « Colère chronique » (le Livre de poche)

La Québécoise Louise Oligny, installée en France depuis 1989, travaille comme photographe-reporter pour de nombreux titres de la presse parisienne. Elle mène également de nombreux projets artistiques mêlant photographie, vidéo et musique.

Avec Colère chronique, elle livre un premier polar social féroce et déjanté : quand le directeur de l’hebdo qui l’a licenciée abusivement, quelques mois auparavant, est tué dans un attentat, les émotions de Diane oscillent entre joie et angoisse. Ne serait-elle pas pour quelque chose dans cette disparition ?

Michèle Pedinielli : « Sans collier » (éditions de l’Aube)

Journaliste de formation reconvertie dans la conception éditoriale Web et le communication digitale, Michèle Pedinielli est l’autrice de nouvelles et de plusieurs polars. Avec Sans collier, elle conte une nouvelle enquête menée Ghjulia Boccanera, dite Diou.

Cette fois-ci, la quinquagénaire part à la recherche d’un jeune ouvrier moldave mystérieusement disparu sur un chantier de construction à Nice alors qu’au même moment son patron est victime d’une crise cardiaque. La coïncidence n’en est pas une. Les disparitions s’accumulent, l’histoire se mêle à celle des années de plomb de la proche Italie…

Gérard Streiff : « Le Sosie » (la Déviation)

Les lecteurs de l’Humanité sont nombreux à connaître Gérard Streiff, qui fut correspondant du journal à Moscou et qui intervient régulièrement dans nos colonnes.

Auteur prolifique, il s’est lancé dans la littérature à la fin des années 1990 et a publié une trentaine d’ouvrages dont la récente biographie, Missak et Mélinée Manouchian : un couple dans la résistance (éditions de l’Archipel). Avec le Sosie, la nouvelle enquête de Chloé Bourgeade nous plonge dans les années 1970, la guerre froide, les dessous du Parti communiste français et les secrets de l’un de ses dirigeants, Jean Kanapa.

Pascal Thiriet : « Vos entrailles à nos chiens » (Jigal éditions)

Ancien autostoppeur aux États-Unis et au Guatemala, où il effectua un bref séjour en prison, Pascal Thiriet fonde à son retour en France une communauté situationniste. Tour à tour fabriquant de santons, convoyeur de bateaux, garagiste, typographe et professeur de math, il publie son premier roman J’ai fait comme elle a dit, en 2013.

Dans Vos entrailles à nos chiens, il est question du retour de Lydia dans son village, dans des circonstances quelque peu sanglantes puisque quelqu’un n’a rien trouvé de mieux que de suspendre des corps de touristes éviscérés dans les arbres de la forêt toute proche…

 

 

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09/07/2024

« Ça me fout les boules » : la tournée d’un facteur communiste en terres RN

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Facteur depuis 23 ans, Dimitri Estimbre est aussi militant CGT et conseiller municipal communiste dans l’Hérault. Dans sa circonscription, le Rassemblement national a obtenu 49% de voix dès le premier tour des législatives et l’a emporté à 55% le 7 juillet. Reportage. 

Au centre courrier de Bédarieux, commune d’un peu moins de 6000 habitants près de Béziers, les agents postiers s’activent, gueule de bois électorale ou pas. Dès 7h30, plusieurs discutent un peu, avant d’enchaîner avec le tri des colis et de leurs tournées. Dimitri salue ses collègues. Son nom ? Estimbre, « comme un timbre, j’étais prédestiné ! »

Le 30 juin, ce facteur et conseiller municipal PCF « de l’opposition » dans une mairie PS tenait un bureau de vote pour le premier tour des législatives anticipées. À plus de 21h, il était encore devant la mairie, commentant les résultats avec ses camarades. Décevants, selon lui : dans sa circonscription, la députée sortante du Rassemblement national (RN), Stéphanie Galzy, y est arrivée en tête du premier tour des législatives, avec près de 49% des voix ; devant le candidat du Nouveau Front populaire (NFP) Aurélien Manenc, à 32%. Au deuxième tour, le 7 juillet, le RN l’a emporté à 55%.

« Il y a désormais des gens qui ne prennent qu’un bulletin Reconquête et un RN de façon à ce que ça se voit, là où avant, les gens qui votaient FN se cachaient », décrit le facteur. « Sur notre commune, si on n’a pas les services publics ou ce qu’il en reste, c’est la déshérence la plus totale, parce que le taux de chômage officiel est à 20% », poursuit-il. Un sentiment d’abandon qu’il observe à la fois en tant que conseiller municipal et dans son travail.

La dégradation des services publics et la précarité, Dimitri Estimbre connaît. Avant d’être embauché en CDI, il dit avoir enchaîné 38 CDD « et autant d’avenants de contrats en un an et demi » à La Poste, dont il a observé la transformation d’entreprise publique en société anonyme. Ce matin-là, au centre courrier, il y a selon lui 25 à 30% de contrats précaires, parmi lesquels CDD, intérimaires, apprentis, ou encore alternants. « Par rapport à quand on a été embauchées, ça n’a plus rien à voir », commente Christelle, factrice depuis 28 ans, face aux vignes qui prennent les premiers rayons de soleil de la journée.

Comme ses collègues, elle avait pris l’habitude de commencer sa tournée à 6h et de l’avoir finie pour midi, tandis qu’elle débute aujourd’hui à 8h et termine vers 15h, après une pause de 45 minutes obligatoire. « C’est un travail physique », met en avant cette syndiquée à la CGT, qui a commencé à La Poste à 18 ans. Elle décrit des colis de plus en plus lourds, « parfois des valises aussi ».

À ses côtés, Dimitri pointe du doigt la pile de colis Amazon : « Notre métier change. C’est plus de manutention, plus de colis hors norme. Depuis le Covid, ça peut être n’importe quoi : de la nourriture, des croquettes pour chien… C’est le facteur qui ravitaille !, rapporte-t-il. Un jour, un colis s’est ouvert après une chute : c’était des raviolis en boîte. » 

Certes, le courrier se fait plus rare, « mais en zone rurale, on amène tout », décrit-il : recommandés, colis, publicités… « On peut faire jusqu’à 120 kilomètres par jour », fait-il remarquer. Si l’on s’en tient à la description de sa position de travail sur son application professionnelle, Dimitri doit distribuer 29 objets ce jour. « Là je n’ai pas tout flashé et j’en suis déjà à 44 », remarque-t-il, tandis que sa responsable vient s’enquérir de notre identité, suivie par le chargé des relations presse de La Poste, qui nous appelle quelques minutes plus tard.

Plus de contrôle

Militant CGT déjà passé en conseil de discipline, Dimitri Estimbre est un des rares facteurs à accepter de décrire son quotidien. Car l’anonymat est souvent requis par peur de la hiérarchie. « On est fliquées », a lancé une factrice, qui avait accepté de nous rencontrer avant de se désister. « Officiellement on n’est pas contrôlés, on n’a pas de traceur GPS, mais on doit scanner les objets distribués et l’heure s’affiche », ironise Dimitri. 

Sur sa tournée, partagée entre ville et campagne, le facteur ouvre une boîte aux lettres dans la rue commerçante d’Herepian, où figurent encore des tracts du NFP, qui n’ont visiblement pas intéressé. « Ça me fout les boules », souffle-t-il. Dans cette commune, le RN a fait 54% au premier tour des législatives. Plus du double que son concurrent de l’alliance des gauches.

Le chiffre désole également Thierry Deloulay, gérant du restaurant L’Ocre Rouge, installé dans la région depuis 24 ans, qui déplore la disparition des services publics. Il connaît Dimitri depuis quelques années. « On se voyait aux manifestations contre la réforme des retraites », raconte-t-il. 

Moins de temps pour le contact humain

Le postier, que tous les passants saluent, prend des nouvelles de François, le fleuriste, seul derrière son comptoir. « Il prend le temps, on discute deux-trois minutes, ça fait du bien », confie ce dernier. Ce n’est pas toujours le cas. « Avec l’intensité du travail, tu galopes, tu aimerais parler et tu peux pas, c’est ça le plus grand malheur », regrette le postier, qui alterne entre plusieurs tournées différentes. Avant d’ajouter : « La Poste joue sur la notoriété du facteur pour essayer de faire du business, et en même temps elle nous enlève le temps nécessaire à ce contact humain, donc c’est toute une contradiction. »

Parmi cette diversification des missions à l’œuvre depuis plusieurs années, il est ainsi parfois demandé aux agents de faire de la vente de timbres, du portage de repas, de la livraison de fleurs, ou de proposer le service de téléassistance « Veiller sur mes parents », payant pour les usagers. Le tout sans contrepartie, ou presque. « Avant on était payés pour distribuer les bottins, les catalogues, les plis électoraux… aujourd’hui tout est intégré dans la charge de travail, déplore Clémence, factrice depuis 26 ans et fière fonctionnaire. J’ai eu un des derniers concours pour entrer dans le métier, maintenant il n’y en a plus ! »

1600 euros nets

Postier depuis 23 ans, Dimitri touche 1600 euros net par mois. Soit un peu plus du double que ce que gagne Armand, qui distribue du courrier pour Milee, concurrent historique de Médiaposte, filiale du groupe La Poste. Avec 700 euros par mois, il complète ainsi sa petite retraite de 1160 euros. Dimitri s’arrête pour serrer la main à cet ancien maître d’hôtel de 80 ans, qui tire un petit chariot bleu à roulettes. « Je pense arrêter en septembre », confie Armand après 17 années de distribution dans cette entreprise qui emploie 9000 personnes, dont beaucoup de retraités, et qui a récemment demandé son placement en redressement judiciaire.

« Il faudrait que tous soient intégrés à Médiaposte », défend le facteur, solidaire. Mais partout, la tendance est plutôt à la réduction des effectifs. Nombreux sont ses collègues qui déplorent des départs à la retraite non remplacés, ou alors par des intérimaires. 

Dans le contexte politique actuel, les facteurs de la commune Bédarieux ont obtenu d’être payés en heures supplémentaires à 200% pour la distribution des plis électoraux. « Mais la semaine prochaine on va se retrouver à distribuer le courrier et les colis en souffrance », pressent déjà Dimitri. Le tout sans compter les heures supplémentaires qu’il effectue bénévolement en dehors de son temps de travail.

Pour des plis bien choisis, cette fois : les tracts du NFP, qu’il a distribués sans relâche jusqu’au 5 juillet. Chaque jour, il faisait ainsi une heure et demie de tractage de 6h à 7h30, avant de se rendre au centre de tri. Inépuisable, il recommençait l’après-midi, après sa tournée, pour tenter de convaincre quelques « fâchés pas fachos ».

À cette tâche, il reconnaît être plutôt efficace : « J’avance vite, c’est mon métier ! », s’amuse-t-il. Et alors que la candidate RN l’a emporté au second tour dans cette cinquième circonscription de l’Hérault, les efforts de Dimitri semblent avoir porté leurs fruits à Bédarieux, où Aurélien Manenc, du NFP est arrivé en tête de justesse, à 51,5 contre 48,5%. « Ça veut dire que notre travail de proximité a payé », réagit le facteur depuis sa tournée.

Rozenn Le Carboulec pour Basta

17:40 Publié dans Actualités, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : facteur, rn | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!