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07/10/2015

SYRIE : NON, IMPOSSIBLE POUR MOI DE SOUTENIR CETTE POLITIQUE / ALEX KAHN

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Allons, avant de me remettre à l’écriture de mon prochain livre (je suis dans la dernière ligne droite), une manifestation de mauvaise humeur maitrisée contre la politique étrangère du couple Fabius – Hollande.

Certes, Vladimir Poutine n’est pas exactement le type de démocrate dont on rêverait sous nos climats, il est sans doute machiste et est resté homophobe. Même si la Russie a rarement connu mieux, ce n’est pas un modèle. En revanche, il est à l’évidence le plus redoutable “homme d’État” du moment, de la trempe des grands de l’ancien temps. Bachar Al Assad est  un tyran sanguinaire, pas de doute. Pour autant, quand même ?

Qu’est-ce que c’est que cette politique américano-française (les Français étant les extrémistes dans l’affaire) qui consiste à “bombarder Daesch en Syrie” mais à laisser des colonnes de cette organisation foncer à terrain découvert, puis assiéger des semaines durant, Palmyre sans une seule intervention pour s’y opposer ? Des centaines de soldats syriens seront égorgés, mais ils étaient les mercenaires du “méchant”, alors rien à dire, ils l’avaient cherché…. Le conservateur des antiquités du site sera lui torturé et décapité, Palmyre dynamité.
 
Qu’est-ce que c’est que cette politique qui consiste à armer “les bons adversaires” du tyran, à entrainer des troupes pour les renforcer alors que tout le monde sait qu’aujourd’hui, sur le terrain, le ‘front uni” contre Assad a comme composante majeure Al Nosra, Al Qaida en Syrie, grand massacreur de soldats et de chrétiens, et d’autres groupes guère moins islamistes et extrémistes. Hélas, trois fois hélas, l’ALS existe surtout par ses portes-paroles dans les grands hôtels de la région.
 
Qu’est-ce que c’est cette politique qui refuse de voir une évidence : aujourd’hui, plus encore que le Liban, la région du monde qui a connu le plus grand afflux de réfugiés (sa population a été multipliée par quatre), c’est le croissant chiite – alaouite – chrétien adossé à la méditerranée qui résiste encore à l’avancée de Daesch et des autres groupes islamistes, que sa chute serait une catastrophe, un désastre humanitaire encore plus grand que celui épouvantable vécu depuis trois ans ?
 
Et puis, veuillez excuser la pointe de cynisme, qui aujourd’hui a créé une situation qui menace le monde ? Sont-ce les américains armant les talibans contre les Russes en Afghanistan, chassant d’Irak un tyran laïc pour le remplacer par un pouvoir chiite allié de l’Iran et opposé à des islamistes sunnites ? Sont-ce les Français pourchassant le tyran Kadhafi jusqu’à le livrer à ses ennemis qui le mettront en pièce, et laissant ensuite s’installer à sa place une kyrielle de groupes sunnites extrémistes et djihadistes dans un pays ouvert à tous les trafics et menace mortelle pour toute la région ? Ou bien les méchant russes gouvernés par un méchant Poutine et soutenant un horrible dictateur ?
 
Une dernière question, maintenant, iconoclaste. Le couple Fabius – Hollande a décidé pour d’honorables raisons commerciales de soutenir l’alliance avec le grand pays inventeur du wahhabisme et décapiteur de têtes qu’est l’Arabie saoudite, avec le Qatar financeur des mouvements salafistes à travers le monde. Presque rien à dire, c’est de la “realpolitics“. Mais cela justifiait-il de soutenir aussi sans nuance  l’intervention de ces pays au Yémen voisin en proie à une rébellion chiite (houtiste) mais aussi aux exactions d’un puissant Al Qaida local, équivalent yéménite d’Al Nosra en Syrie ; intervention anti-chiite favorisant indirectement Al Qaida ?
 
Cela justifie-t-il d’intervenir si mollement contre les évidentes atteintes aux droits de l’homme dans ces pays, ne permettrait-il pas de les rappeler à leurs devoirs envers les réfugiés quittant l’Irak et la Syrie sous la pression principale des groupes qu’ils ont financés ?
 
Aujourd’hui, le méchant Poutine et les méchant Russes ont décidé d’intervenir pour éviter la chute du croissant chiite – chrétiens en Syrie, soutenant en cela, on ne peut le contester, le tyran Assad. C’est aussi, de leur part, de la “realpolitics” : il ont là leur dernière base en Méditerranée, importante pour leur volonté de ne pas laisser partout le champ libre aux États-Unis. L’affaire de Sébastopol et de la Crimée témoigne de leur vigilance à défendre ce qu’ils voient comme leurs intérêts stratégiques. Ils sont aussi les défenseurs des chrétiens orthodoxes d’Orient  et, de plus, sont concernés au premier chef par le terrorisme islamiste.
 
Ne pas se faire d’illusion sur les motivations de Poutine justifie-t-il d’emboiter le pas au déluge de propagande anti-russe, dénoncer les morts civils des frappes russes dans le même temps où on ne proteste guère contre la destruction en Afghanistan d’un hôpital de Médeçins sans frontière et la mort de plus de vingt personnes, dont des enfants malades et douze employés de l’ONG ? Est-il si difficile d’admettre que, en toute lucidité, notre intérêt cynique est sans doute que le méchant Poutine empêche le contrôle total de la Syrie par les islamistes, y compris ceux que nous avons rangés dans le camp de “nos amis” ? Merkel semble l’avoir compris, le couple Fabius – Hollande, non.
 
Axel Kahn, le cinq octobre 2015
 
Axel Kahn est médecin, directeur de recherche à l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique.
 
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17:58 Publié dans Actualités, Cactus, International, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : syrie, alex kahn | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

02/10/2015

Affaire Morano : "Retirer le mot race de notre législation permettra une éducation populaire"

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Après les propos de Nadine Morano sur la "race blanche", le député PCF André Chassaigne milite pour la suppression du mot "race" du droit français.

Et si les récentes déclarations de Nadine Morano sur la "race blanche" étaient l'occasion d'un coup de balai dans le droit français ?

Les parlementaires de la gauche de la gauche ont demandé au gouvernement, mercredi 30 septembre, d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat une proposition de loi supprimant le mot "race" de la législation.

Le texte, déjà adopté à l'Assemblée nationale en mai 2013, avait été déposé notamment par le président du groupe Gauche démocrate et républicaine, André Chassaigne.

Francetv info revient sur cette démarche avec l'élu communiste du Puy-de-Dôme.

Francetv info : Pourquoi avoir déposé, en 2012, ce texte visant à supprimer le terme de "race" de notre corpus juridique ?

André Chassaigne : Ce n'était pas une première, le sujet avait déjà été mis à l'ordre du jour en 2003, mais le texte avait été rejeté par la majorité [UMP] de l'époque. Il s'agissait pour nous de rappeler que l'utilisation du mot "races", au pluriel, est une ineptie complète. Il n'y a pas plusieurs races humaines (blanche, noire...), mais une seule race humaine.

En 1996, 600 scientifiques avaient répondu à Jean-Marie Le Pen sur le sujet de "l'inégalité des races""Les gènes n'ont pas de race", disait alors le généticien André Langaney. Son collègue Albert Jacquard a depuis écrit qu'il était "impossible de classer les différentes populations humaines en races".  Dès lors, on ne peut pas conserver dans nos textes un mot qui n'a aucune justification.

Que recherchez-vous précisément par cette démarche ?

Nous voulons éviter l'instrumentalisation du mot "race". Celle-ci a eu cours au XIXe siècle, au moment du colonialisme, pour justifier la supériorité d'une race sur une autre. L'actualité nous montre que l'instrumentalisation continue : si on dit que la population française est de "race blanche" dans son histoire et dans ses gènes, par opposition à d'autres "races", c'est inacceptable.

Nous avons besoin de faire de la pédagogie, de nous adresser aux consciences. Le fait de retirer le mot "race" de notre législation permettra, grâce à un débat, de donner des explications sur le sujet. Cela ne mettra pas fin au racisme mais permettra une éducation populaire. Trop de gens croient encore qu'il existe plusieurs races et qu'elles sont différentes. 

Quel a été le parcours de votre proposition de loi à l'Assemblée ?

Le texte a été voté à l'unanimité [le texte a été voté à main levée, avec quelques votes contre de l'UMP, selon Reuters], avec un avis favorable du gouvernement représenté par la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Il était accompagné d'un rapport du député Alfred Marie-Jeanne, qui avait listé 59 articles contenant le mot "race" dans neuf codes et treize lois, dont la dernière remontait à 2008.

La proposition de loi est ensuite partie au Sénat, avec un quasi engagement du gouvernement de l'inscrire à l'ordre du jour. Les sénateurs communistes attendent toujours que le gouvernement le fasse.

Etes-vous confiant quant à une adoption prochaine de la proposition de loi au Sénat ?

Je suis assez optimiste. On espère qu'une décision sera prise lors de la prochaine conférence des présidents de groupe au Sénat, le 7 octobre. Le ministre des Finances, Michel Sapin, s'y est dit favorable, ce matin. Cela serait un geste fort pour remettre les choses en place et souligner l'usage fallacieux du mot "race".

Vous militez aussi pour une suppression du terme "race" de la Constitution elle-même, comme s'y était engagé François Hollande en 2012. Y croyez-vous ?

Oui, car ce n'est pas un texte clivant. Je vois mal un groupe parlementaire dire qu'il existe plusieurs races humaines. Recueillir une majorité des trois cinquièmes au Parlement ne devrait pas être un problème. Le seul obstacle pourrait être juridique, sur la forme, mais je n'y crois pas.

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29/09/2015

Races et racisme, Axel Kahn*

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Revenir aux fondements des idées racistes : mieux les comprendre pour mieux les combattre. Axel Kahn nous aide à poser un regard historique et scientifique sur le racisme.

*Axel Kahn est médecin, directeur de recherche à l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique.

L’homme moderne semble avoir colonisé peu à peu la planète à partir d’un petit groupe qui a commencé de quitter l’Afrique il y a moins d’une centaine de milliers d’années. Ces hommes, établis en différentes régions du globe, ont parfois été confrontés à des populations autochtones antérieures (par exemple les néandertaliens en Europe). Localement, ils se sont, au cours du temps, plus ou moins différencié les uns des autres, formant des groupes physiquement reconnaissables, des ethnies… on devait dire, un jour, « des races ».

LES FONDEMENTS DU RACISME

racisme1.pngDécembre 1492, Christophe Colomb débarque à Hispaniola (Haïti). C’est le début d’une catastrophe pour le continent américain, dont la population passera, en l’espace de 80 ans, de 80 millions d’habitants à 8 millions. (Gravure de Théodore de Bry, XVle siècle.)

Race et racisme sont deux mots de même origine. On appelle « race » l’ensemble des individus d’une même espèce qui sont réunis par des caractères communs héréditaires. Le racisme est la théorie de la hiérarchie des races humaines, théorie qui établit en général la nécessité de préserver la pureté d’une race supérieure de tout croisement, et qui conclut à son droit de dominer les autres. Si on s’en tient à ces définitions, tout semble clair et facile. Puisque le racisme est défini par les races, il suffit de démontrer que les races n’existent pas pour ôter toute substance au racisme. Cependant, les choses sont loin d’être aussi simples. En effet, le racisme s’est structuré en idéologie à partir de la fin du XVIIIe siècle, c’est-à-dire, pour paraphraser Georges Canguilhem, en une croyance lorgnant du côté d’une science pour s’en arroger le prestige. Le racisme possède un fondement qui n’est pas issu des progrès de la biologie. Tout débute par des préjugés, et lorsque le racisme aura été débarrassé de ses oripeaux scientifiques on peut craindre que ceux-ci ne persistent. Or ils sont autrement difficiles à combattre.

Les races humaines n’existent pas, au sens que l’on donne au mot « race » lorsque l’on parle de races animales. Un épagneul breton et un berger allemand appartiennent, par exemple, à deux races différentes qui obéissent peu ou prou aux mêmes caractéristiques, à l’instar des variétés végétales : distinction, homogénéité, stabilité. En l’absence de croisement entre ces races, les similitudes intraraciales l’emportent de loin sur les ressemblances entre deux individus de races différentes. Rien de tout cela ne s’applique aux populations humaines. Ainsi, on constate du nord au sud une augmentation continue de la pigmentation cutanée : les peaux très blanches en Scandinavie foncent graduellement pour en arriver à la couleur la plus sombre en zones équatoriales et subéquatoriales.

Certains ont proposé que la sélection des peaux claires dans les régions les moins ensoleillées ait permis d’améliorer la synthèse cutanée de la vitamine D, facteur antirachitique essentiel, normalement stimulée par la lumière. À l’inverse, la richesse cutanée en mélanine a été sélectionnée dans les pays soumis à l’ardeur du soleil car elle protège des brûlures et des cancers cutanés.

CE QUI EST RACISTE ET CE QUI NE L’EST PAS

Un préjugé raciste peut être défini comme la tendance à attribuer un ensemble de caractéristiques péjoratives, transmises héréditairement, à un groupe d’individus. Des affirmations telles que « tous les Juifs sont avares, tous les Irlandais sont violents, tous les Corses sont paresseux » sont des exemples typiques d’affirmations racistes. En revanche, toute indication d’une différence physique, physiologique entre populations n’a évidemment rien de raciste : dire que les Suédois sont plus grands que les Pygmées ou que les Africains noirs pourraient avoir des dons particuliers pour la course à pied sont des remarques dénuées de toute connotation négative et qui reflètent la réelle diversité humaine. Il se trouve parfois dans la presse des discours irréfléchis où est taxée de raciste une étude notant que le chiffre normal des globules rouges et la durée de la grossesse sont légèrement différents entre des populations d’origine africaine et, par exemple, européenne. Ces paramètres ne préjugeant en rien des capacités les plus spécifiquement humaines, de l’ordre de la créativité et de la dignité, leur étude ne peut d’aucune manière être diabolisée comme étant d’essence raciste.

HISTOIRE DU RACISME

Des discours racistes apparaissent dès l’Antiquité, y compris chez Aristote. Ce dernier établit des différences intrinsèques de comportement et de qualités entre les peuples ; selon lui, les Européens sont courageux mais un peu sots, les Asiatiques très intelligents mais manquent de courage, et les Hellènes, placés géographiquement au milieu, combinent les avantages des uns et des autres : ils sont intelligents et courageux. Le philosophe ajoute que les esclaves sont des « choses animées », et il introduit la notion d’esclaves par nature. Cependant, et là réside l’ambiguïté qui empêche de ranger définitivement les Grecs dans le camp des protoracistes, les esclaves peuvent être affranchis… et accèdent alors de plein droit à l’humanité.

À Rome, le discours change. Cicéron écrit : « Il n’est de race qui, guidée par la raison, ne puisse parvenir à la vertu. » Dans la foulée de l’impérialisme romain, les premiers siècles de la chrétienté sont exempts de racisme, car s’y trouvent combinés l’universalisme du messianisme chrétien s’exprimant dans la parole de saint Paul et le souvenir de l’Empire romain, creuset de peuples et d’ethnies différents.

Dans l’Occident chrétien, le racisme réapparaît et se développe plusieurs siècles avant l’apparition du concept scientifique de race, à partir de l’an 1000, autour des cristallisations religieuses, l’anti-islamisme et, surtout, l’antijudaïsme. Au XIIesiècle, en pleine querelle des Investitures, Anaclet II, l’antipape élu, a un ancêtre juif. La campagne virulente du camp romain contre cet antipape s’appuie sur ses origines « maudites » souillant tout son lignage. L’antijudaïsme virulent de Saint Louis flirte avec l’antisémitisme. Dans l’Espagne chrétienne, c’est un antisémitisme cette fois structuré qui se manifeste, puisque les juifs convertis sont interdits d’accès aux fonctions publiques, au métier des armes, etc. Il est décrété que ces individus doivent être écartés parce que l’infamie de leur père les accompagnera toujours. La notion d’hérédité d’une infériorité, d’un opprobre, qui constitue une base essentielle du racisme, est donc ici manifeste.

C’est dans ce contexte que prend place un épisode décisif, souvent présenté comme un succès de la civilisation alors qu’il s’agit d’un drame effroyable : la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. À cette occasion s’accomplit l’un des premiers génocides de l’histoire du monde. En 1492, Christophe Colomb débarque à  Hispaniola (Haïti, Saint-Domingue), une île alors peuplée de 3 millions de Taïnos. Trois ans après, il ne reste déjà plus que 1 million d’Indiens ; soixante ans après, ils ne seront plus que 200, qui disparaîtront rapidement.

Tous les ingrédients du racisme tel qu’il s’est manifesté depuis, y compris dans les univers concentrationnaires, sont ici réunis. Les Indiens sont parqués et mis au travail forcé, les enfants sont tués, les femmes enceintes sont éventrées. Dans cette misère extrême, les femmes n’ont plus d’enfants, voire, pour échapper à leur malheur, se suicident en masse.

À partir de 1519, d’âpres débats théologiques opposent Bartolomé de Las Casas, qui est entre-temps devenu dominicain, à différents autres ecclésiastiques. La confrontation la plus connue est la controverse de Valladolid, en 1550, qui aboutit à la conclusion, acquise de justesse, que les Indiens ne sont pas de nature différente des autres hommes. On continue malgré tout à les massacrer, et l’Amérique, qui comptait 80 millions d’aborigènes aux temps précolombiens, n’a plus que 8 millions d’habitants quatre vingts ans après sa « découverte » par Christophe Colomb. Par la suite, les Indiens ayant été massacrés et décimés, se pose le problème de la main d’œuvre dans les colonies américaines. Cette question devient cruciale lorsque s’y développe la culture de la canne à sucre, conduisant le Portugal, puis la France et l’Angleterre, à développer le commerce trilatéral et la traite des Noirs.

Depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, entre la naissance de l’antisémitisme chrétien, la conquête de l’Amérique et la traite des esclaves noirs, ce sont donc tous les ingrédients du racisme qui se mettent en place, tous ses crimes qui commencent d’être perpétrés.

L’IDÉOLOGIE RACISTE

Le concept scientifique de race n’apparaît qu’au XVIIIe siècle. Il est perceptible sous la plume de Carl von Linné, dont la classification systématique des êtres vivants s’étend aux hommes rangés en cinq catégories… qui deviendront des races : les «monstrueux » (c’est-à-dire les personnes atteintes de malformation, que Linné assimile à une race à part entière), les Africains, les Européens, les Américains et les Asiatiques. À chacune de ces catégories il attribue des caractéristiques et des qualités comportementales, les plus flatteuses étant naturellement réservées aux Européens.

Avant le XVIIIe siècle, le mot « race» est surtout utilisé dans le sens de lignage aristocratique : on parle d’enfants de bonne race, de bon lignage… un peu comme de chevaux de bonne race.

C’est à partir de la fin du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe, que l’on assiste à la structuration des préjugés protoracistes en idéologie par agrégation successive des progrès scientifiques, principalement la théorie de l’évolution. C’est à cette même époque qu’apparaissent les deux grandes thèses opposées sur l’origine de l’homme : produit de l’évolution ou créature, est-il apparu une fois – les hommes actuels étant tous les descendants de cet ancêtre (monogénisme) – ou plusieurs fois de façons séparées et indépendantes – les différents groupes ethniques ayant alors des ancêtres différents (polygénisme) ? Naturellement, c’est cette dernière hypothèse que privilégient les doctrinaires du racisme. Le polygénisme sera la thèse privilégiée par les créationnistes esclavagistes américains jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Le mécanisme de la sélection naturelle comme moteur de l’évolution, proposé par Charles Darwin, et surtout la lecture qu’en fait le philosophe anglais Herbert Spencer, contemporain de Darwin, puis l’Allemand Ernst Haeckel vont modifier en profondeur la forme de l’idéologie raciste. En effet, le mécanisme de l’évolution, la lutte pour la vie pour Darwin, devient, sous l’influence de Spencer, la survivance du plus apte. Appliquée aux civilisations, cette notion peut constituer une justification a posteriori de la domination des vainqueurs, qui sont bien entendu les plus aptes, puisqu’ils l’ont emporté. Un tel raisonnement tautologique s’est révélé d’une redoutable efficacité à l’appui des thèses racistes. À vrai dire, il serait profondément injuste de faire porter à Charles Darwin, un des plus grands scientifiques qui ait jamais existé, la responsabilité personnelle des dérives idéologiques dont ses travaux ont fait l’objet et ont été victimes, car il a toujours récusé l’interprétation eugéniste et sociale des mécanismes de l’évolution qu’il avait mis au jour.

Les lois de la génétique, c’est à dire les règles gouvernant la transmission des caractères héréditaires, énoncées initialement par le moine Gregor Mendel en 1865, redécouvertes au début du XXe siècle par des botanistes européens et développées par l’États-Unien Thomas H. Morgan, auront alors une influence considérable sur la biologie et, plus généralement, sur l’évolution sociale et politique des pays. On assiste en effet à la tragique synthèse entre le racisme, théorie de l’inégalité des races ; le déterminisme génétique, qui considère que les gènes gouvernent toutes les qualités des êtres, notamment les qualités morales et les capacités mentales des hommes; et l’eugénisme, qui se fixe pour but l’amélioration des lignages humains. Sous l’influence de la génétique, le dessein eugénique devient l’amélioration génétique de l’homme, la sélection des bons gènes et l’élimination des mauvais gènes qui gouvernent l’essence des personnes et des races. L’Allemagne nazie poussera cette logique jusqu’à l’élimination des races « inférieures », censées porter et disséminer de mauvais gènes.

LES RACISTES ET LE QUOTIENT INTELLECTUEL

Les préjugés racistes sont loin d’avoir disparu après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. La conviction que le quotient intellectuel moyen est différent selon les ethnies était alors partagée par une grande majorité des élites scientifiques, du Français Paul Broca aux anthropologues états-uniens consultés pour l’élaboration de l’Immigration Restriction Act de 1924, qui limitait sévèrement l’entrée aux États-Unis des ressortissants issus de pays où, selon les psychométriciens consultés, sévissait la débilité. Plus près de nous, les sociologues Charles Murray et Richard J. Herrenstein en 1994, puis encore Bruce Lahn et ses collègues en 2005, enfourchent la même monture idéologique. En fait, un examen soigneux de tous ces travaux, même les plus récents, en démontre la faiblesse et les erreurs, parfois grossières, à l’évidence motivés par des présupposés idéologiques.

GÉNOMES ET RACISME

C’est en 2001 que fut publiée la première séquence presque complète du génome humain, très affinée depuis. Les humains possèdent environ 22000 gènes qui ne différent que très peu d’une personne à l’autre. L’alphabet génétique est composé de quatre lettres : A, C, G et T, disposées en un long enchaînement de 3,2 milliards de signes hérités de chacun de nos parents. Or cet enchaînement ne varie qu’une fois sur dix mille entre des hommes ou des femmes issus d’Afrique, d’Asie ou d’Europe.

La très grande ressemblance entre les génomes de personnes issues d’ethnies différentes, originaires de régions éloignées les unes des autres de plusieurs milliers de kilomètres, a semblé rassurante : c’est là la preuve, a-t-on affirmé alors, que les races n’existent pas et que le racisme n’a donc plus aucune justification possible, qu’il est appelé, espère-t-on, à disparaître bientôt. Hélas, je crains qu’on ne soit allé bien vite en besogne, par ignorance ou sous l’influence de présupposés idéologiques. En fait, il faut revenir au mode d’action des gènes, c’est-à-dire au mécanisme par lequel ils influencent les propriétés des êtres vivants, qui est combinatoire, à la manière dont c’est la combinaison des mots qui donne sens à la phrase ou au texte. Or ce n’est pas le nombre de mots utilisés qui fait la qualité littéraire d’un texte, de même que ce n’est pas le nombre de gènes qui explique l’étendue des potentialités humaines. C’est à dessein que j’utilise ici le terme de « potentialité », car la combinaison des gènes ne gouverne que la possibilité pour une personne d’être éduquée au contact d’une communauté de semblables.

Isolé, élevé par des animaux, le petit d’homme évoluera vers ces enfants sauvages dont de nombreux exemples ont été décrits dans l’histoire, incapables d’atteindre les capacités mentales caractéristiques de l’espèce humaine.

L’effet combinatoire des gènes explique que de petites différences génétiques puissent avoir de considérables conséquences sur les êtres, comme en témoignent les aspects et capacités bien distincts des hommes et des chimpanzés, dont les gènes sont pourtant à 98,4 % identiques. C’est pourquoi aussi la grande homogénéité génétique des hommes du monde entier, confirmée par l’étude du génome, n’est pas suffisante pour conjurer la menace d’un dévoiement raciste de la biologie, pour deux ordres de raisons : les maladies avec retard mental témoignent que la mutation d’une seule des plus de trois milliards de lettres de l’alphabet génétique suffit à altérer les fonctions cognitives ; de très légères différences dans le génome des personnes pourraient de la sorte avoir chez elles d’importantes conséquences. D’autre part, l’affirmation que le racisme est illégitime parce que, sur le plan biologique, et en particulier génétique, les races n’existent pas revient à admettre que si les séquences génétiques différaient statistiquement entre les ethnies le racisme serait peut-être recevable. Or, bien sûr, puisqu’on peut distinguer les gens en fonction de leurs caractéristiques physiques – couleur de la peau, aspect de la chevelure, etc. –, on le peut aussi à partir de l’ADN qui code toutes ces caractéristiques. Là ne réside, en fait, ni l’origine du racisme ni la justification de l’antiracisme.

LE RACISME PEUT SE PASSER DES RACES

Lorsque l’on aura expliqué à des gens habités par des préjugés racistes que les races humaines n’existent pas au sens où l’on parle de races animales distinctes, peut-être seront-ils impressionnés et convaincus. Pourtant,  cette démonstration risque bien d’être insuffisante, car déconnectée du vécu des gens ordinaires qui, eux, n’ont pas de difficulté à reconnaître, dans la rue, des Jaunes, des Blancs, des Noirs, des Méditerranéens bruns et des Scandinaves blonds. Par ailleurs, la réfutation scientifique de la réalité des races ne prend pas en compte les très fréquentes racines socioéconomiques d’un racisme qui est souvent le reflet du mal-être et du mal vivre, par exemple au sein des populations défavorisées de grandes villes.

Paradoxalement, il n’y a que peu de rapports entre la réalité des races et celle du racisme.

Reconnaître des différences physiques entre individus, voire entre groupes humains, et des potentialités plus ou moins développées, comme dans le sport, ne préjuge en rien de ce qui est purement humain : la créativité, le droit à la dignité.

Chacun peut en effet observer que les pires excès racistes s’accommodent fort bien de la non existence des races humaines. En ex-Yougoslavie, les plus effroyables comportements de type raciste ont opposé les Slaves du Sud, les uns convertis au catholicisme (les Croates), les autres à l’islam (les Bosniaques), et les derniers à la religion orthodoxe (les Serbes).

Dans le discours des racistes modernes, ce ne sont souvent plus les races qui sont déclarées incompatibles ou inégales, ce sont les coutumes, les croyances et les civilisations. C’est un choc des cultures. Ce qui est rejeté, ce n’est plus tellement l’homme noir, blanc ou jaune, ce sont ses préparations culinaires, ses odeurs, ses cultes, ses sonorités, ses habitudes.

Souvent, la montée en puissance de l’uniformisation culturelle et l’imposition des standards occidentaux accompagnant la mondialisation économique entraînent, en réaction, une tendance au repli communautaire. Il s’agit là d’un réflexe de protection contre une civilisation opulente et dominatrice dont on ressent la double menace, celle de l’exclusion et de la dépossession de ses racines.

Or il y a dans cette forme de communautarisme exclusif une tendance qui m’apparaît non humaine. Ce qui caractérise, en effet, les civilisations et leur évolution, ce sont les échanges culturels et les emprunts qui, à l’opposé de l’uniformisation imposée par une culture dominante, créent de la diversité et ouvrent de nouveaux espaces au développement de l’esprit humain. Les Phéniciens subissent l’influence des Hittites, des Assyriens, des Babyloniens, qui échangent avec l’Égypte, avec la Grèce. Les Étrusques, nourris des arts et techniques grecs et phéniciens, sont à l’origine de la culture romaine. Plus près de nous, la musique des esclaves noirs des États-Unis sera à l’origine du jazz et d’autres courants majeurs de la musique moderne, l’« art nègre » fécondera la peinture et les arts plastiques occidentaux, et les conduira en particulier au cubisme. Le progrès des sociétés humaines est toujours passé par le métissage culturel.

À l’inverse, les races animales n’échangent guère leurs habitudes, elles conservent leurs particularités éthologiques qui n’évoluent, pour l’essentiel, que sous l’effet de variations génétiques et écologiques. La diversité humaine n’est donc facteur d’enrichissement mutuel que si elle est associée à l’échange. L’uniformité a le même effet que le repli sur soi : dans les deux cas, le dialogue est stérilisé et la civilisation dépérit.

UN ENGAGEMENT ANTIRACISTE

Au total, la biologie et la génétique modernes ne confirment en rien les préjugés racistes, et il est certainement de la responsabilité des scientifiques de réfuter les thèses biologisantes encore trop souvent appelées à leur rescousse. Cela est relativement aisé, mais à l’évidence insuffisant, tant il apparaît que le racisme n’a pas besoin de la réalité biologique des races pour sévir.

À l’inverse, ce serait un contresens de vouloir fonder l’engagement antiraciste sur la science. Il n’existe en effet pas de définition scientifique de la dignité humaine, il s’agit là d’un concept philosophique. Aussi le combat antiraciste, en faveur de la reconnaissance de l’égale dignité de tous les hommes, au-delà de leur diversité, est-il avant tout de nature morale, reflet d’une conviction profonde qui n’est évidemment en rien l’apanage exclusif du scientifique.

Depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, entre la naissance de l’antisémitisme chrétien, la conquête de l’Amérique et la traite des esclaves noirs, ce sont donc tous les ingrédients du racisme qui se mettent en place, tous ses crimes qui commencent d’être perpétrés.

Le racisme s’est structuré en idéologie à partir de la fin du XVIIIe siècle, en une croyance lorgnant du côté d’une science pour s’en arroger le prestige. Le racisme possède un fondement qui n’est pas issu des progrès de la biologie.

Un préjugé raciste peut être défini comme la tendance à attribuer un ensemble de caractéristiques péjoratives, transmises héréditairement, à un groupe d’individus, telles que « tous les Juifs sont avares ». En revanche, toute indication d’une différence physique, physiologique entre populations n’a évidemment rien de raciste.

Au début du XXe siècle, on assiste en effet à la tragique synthèse entre le racisme, théorie de l’inégalité des races ; le déterminisme génétique, qui considère que les gènes gouvernent toutes les qualités des êtres, notamment les qualités morales et les capacités mentales des hommes ; et l’eugénisme, qui se fixe pour but  l’amélioration des lignages humains.

La réfutation scientifique de la réalité des races ne prend pas en compte les très fréquentes racines socio-économiques d’un racisme qui est souvent le reflet du mal-être et du mal vivre, par exemple au sein des populations défavorisées de grandes villes. Paradoxalement, il n’y a que peu de rapports entre la réalité des races et celle du racisme.

09:38 Publié dans Connaissances, Point de vue, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alex khan, racisme | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

24/09/2015

ALLEMAGNE, ECOLOGIE : LES ILLUSIONS PERDUES !

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Tricherie chez Volkswagen : et si on dévoilait aussi les émissions de CO2 par habitant et par an de l'Allemagne?
9,8 t pour cette dernière contre 5,8 t pour la France.
Et là, pas de trucage, pas de logiciel malin : c'est au vu et au su de tous.
Dit autrement un français "en retard sur l'écologie" émet deux fois moins de CO2 qu'un allemand "super en avance et citoyen modèle dans le domaine". (quant aux Danois et aux Hollandais le bilan est plus médiocre encore...)

La raison principale? : la sortie du nucléaire par les énergies renouvelables (en réalité par le charbon et le gaz), 20 ans que ça dure, des centaines de milliards d'euros dépensés, et seulement à peine plus de 10% d'électricité renouvelable, chiffre qui plafonne (en dessous de 15%), pas à cause d'un méchant lobbie ou d'un complot contre ces énergies, mais plus simplement à cause d'obstacles technologiques majeurs et de problèmes d'échelles (les allemands reconnaissent volontiers ce fait maintenant, fini de rire pour eux, et pour cause ils comprennent qu'ils se mettent en danger avec un tel délire du mythe 100% d'électricité renouvelable).

En revanche, plus de 50 % d'électricité produite par le charbon, et environ 10% pour le gaz. Mais ça, aucune émission ni débat sur l'écologie ne vous en parleront. (les chiffres ci dessous datant de 2013 sont valables pour 2015, pas de gros changements depuis 2 ans).

Amar bellal, rédacteur en chef de la revue progressistes, 
membre de la commission écologie du PCF. Ancien élève de l'Ecole normale supérieure de Cachan et de l'INSA de Lyon, professeur agrégé de génie civil, enseigne dans des lycées et centres de formation en Ile de France.

Ce débat passionnant continue sur Facebook (extrait)

  • Eric BourguignonCher Amar, ces chiffres sont intéressants, mais assez connus en Allemagne. Vous laissez toutefois soigneusement la question des déchets nucléaires hors de l'équation. Ouvrons cette discussion d'ici au congrès de juin. Au plaisir depuis Munich...
  • Amar Bellal
  • Amar BellalCher Eric, alors tu dois aussi connaitre les chiffres concernant les centaines de tonnes de métaux lourd (arsenic, cyanure, mercure et même uranium) résultant de la combustion de millions de tonnes de charbon? et déversés dans l'atmosphère en contaminant tous les milieux aquatiques et terrestres, provoquant toutes sortes de cancer et maladies neuro-cérébrales? Durée de vie de ces poisons? : infinie, des millions d'années de persistance, rien a envier aux déchets nucléaire dont on se préoccupe du devenir au moins. Et biensûr il y a tous les métaux lourds contenus dans les panneaux solaires et les éoliennes : idem, comment organiser l'extraction et le stockage de tous ces poisons de durée de vie infinie? 100 fois plus volumineux que les déchets nucléaire mais avec la même problématique : ouvrons ce débat en effet cher Eric
     
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