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19/01/2018

L'insolente croissance du Portugal inflige un camouflet au culte de l'austérité de Bruxelles

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Pascal de Lima Chef Economiste d'Harwell Management

La réussite du modèle portugais ne vient pas des politiques de l'offre mais au contraire des politiques de la demande. Bruxelles est dans l'embarras.

Longtemps le modèle de référence en Europe a été le modèle allemand. Bruxelles en a fait régulièrement l'apologie, notamment en raison de l'exceptionnel excédent budgétaire allemand, de la dynamique de sa dette, de ses réformes permettant une exceptionnelle compétitivité. Bruxelles s'est souvent appuyé sur ce modèle pour faire pression sur les Etats.

Historiquement, ce modèle repose sur les réformes hétéroclites de l'épopée du Chancelier Schröder pour dépasser la crise des années 1990 en Allemagne. Réformes de l'assurance maladie, célèbres lois Hartz, accords de compétitivité dans les entreprises ont propulsé l'Allemagne vers l'idéal de l'économie de l'offre. L'abaissement des charges des entreprises et la hausse de la TVA ont déplacé la pression fiscale. En parallèle à cela, c'est tout le poids de l'Etat qui a été nettement diminué. Ce modèle qui repose finalement sur les entreprises, on le trouve en Autriche, aux Pays-Bas mais aussi... en Italie du Nord. Ces politiques pro-entreprises ont connu leur apogée en Europe entre 2005 et 2011, date à laquelle, en particulier, la croissance allemande a été maximale.

Mais qu'à cela ne tienne, l'Allemagne s'est essoufflée en 2013-2014 avec une croissance, certes, toujours positive. Un fait notable et loin d'être anodin, le taux de croissance du Portugal est passé au-dessus de celui de l'Allemagne en 2015-2016 et ce sera le cas probablement en 2017. Cependant, avec des excédents commerciaux qui inquiètent de plus en plus Bruxelles, l'Allemagne aujourd'hui interroge.

L'influence de l'Allemagne sur les politiques d'austérité en Europe a atteint ses limites. Car la locomotive de l'Europe ne roule désormais plus qu'à petite vitesse, en termes de croissance et d'exportations, un comble!

Pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d'abaissement de la protection sociale, pas de programme d'austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite. Au contraire.

Car pendant ce temps, le petit poucet de l'Europe, longtemps décrié par Bruxelles, vient bouleverser les grandes certitudes sur les bonnes politiques amères à mener en Europe. Il s'agit du Portugal. Il y a un peu plus d'un an en juillet 2016, la Commission européenne entamait une procédure pour "déficit excessif" contre le gouvernement de Lisbonne. Mais depuis, le Portugal a réduit son déficit à 2,1% en 2016 et devrait le ramener à 1,5% cette année quand on peine en France à passer en-dessous de la barre des 4%.

Après une période historique de privatisations forcées pour obtenir les prêts de la Troïka, c'est finalement la coalition de gauche entrée au pouvoir en 2015 qui allait inverser les choses, mettant Bruxelles dans un grand embarras.

Car le modèle économique portugais qui dépasse les taux de croissance allemand aujourd'hui est totalement contraire à celui prôné par Bruxelles. Depuis 2015, la croissance réelle du Portugal s'est nettement redressée après des années noires, celles de la Troïka, durant lesquelles les taux de croissance étaient même négatifs de 2011 à 2013. Aujourd'hui, les taux de croissance du Portugal dépassent ceux de l'Allemagne. Si le taux de chômage frôlait les 17% avec les politiques d'austérité en 2013, celui-ci a décru fortement depuis 2015 pour atteindre 8% en 2017 selon toute probabilité.

Une baisse remarquable, du jamais vu. Le Portugal bénéficie également d'une forte reprise de la consommation depuis 2 ans, jointe à un excédent de la balance des biens et services. Les investissements productifs en pourcentage du PIB se rapprochent même de ceux de l'Allemagne, c'est à dire 16,5% contre 20% pour l'Allemagne.

Avec une amélioration continue du capital humain, on observe également une belle chute des crédits au secteur privé quand l'épargne est en hausse constante depuis deux années. L'inflation quant à elle est totalement maîtrisée, même plus basse (1,3%) qu'en Allemagne (1,6% en 2016). Certes la dette portugaise avoisine les 146% contre 68% en Allemagne, mais elle diminue depuis deux ans.

Les politiques de demande ne sont donc pas systématiquement des politiques d'accroissement de l'endettement. Par ailleurs les taux d'intérêt à long terme se situent à 3,2% en 2016 contre 0,09% en Allemagne. En 2015 et 2016 ce sont les plus bas qu'ait connu le pays depuis 2010 avec la nouvelle coalition de gauche arrivée en 2015.

Le gouvernement n'a pas lésiné sur le plan de relance du pouvoir d'achat.

Car la réussite du modèle portugais ne provient pas vraiment des politiques de l'offre mais au contraire des politiques de demande: pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d'abaissement de la protection sociale, pas de programme d'austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite qui avait notamment gelé le salaire minimum et les pensions de retraite, augmenté les impôts et tout cela sans aucun effet notoire sur l'économie. Au contraire, on a assisté en parallèle à une hausse de la pauvreté.

Ici, rien de tel: le salaire minimum a été augmenté en 2016 puis en 2017. En parallèle à cela nous avons assisté à une baisse des cotisations employeurs de 23 à 22%. Enfin, le gouvernement n'a pas lésiné sur le plan de relance du pouvoir d'achat: hausse des retraites et allocations familiales, renforcement du droit du travail, baisse des impôts pour les salaires les plus modestes, arrêt net des privatisations... Pour clore le tout, le Portugal a compris qu'il ne servait plus à rien d'essayer de concurrencer les pays de l'est à bas coûts, donc, on est monté en gamme, dans l'industrie et dans le tourisme. Un point dont la France devrait s'inspirer: la montée en gamme du pays et des politiques de stimulation de la demande, conjointement à un simple abaissement des charges des entreprises.

Sources Blog

29/08/2017

Le capitalisme est incompatible avec la survie de la planète

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Humanite.fr, Jean-Jacques Régibier

Alors que les études se succèdent pour démontrer la gravité et l’étendue des atteintes à l’environnement, peut-on faire confiance au capitalisme pour réparer ce qu’il a produit ?
Non, répondent des scientifiques, militants environnementaux et eurodéputés réunis à Bruxelles par la Gauche Unitaire Européenne (1). Ils proposent d’autres alternatives.
Les mauvaises nouvelles sur le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement s’accumulent à un rythme alarmant depuis le début de l’été sous forme d’une avalanche d’études scientifiques qui aboutissent toutes au même diagnostic : si des mesures drastiques ne sont pas prises très vite à l’échelle mondiale, une partie de la planète risque de devenir invivable dans un délai assez bref. Certaines études concluent même qu’il est déjà trop tard pour redresser la barre.
 
Florilège non exhaustif de ces chroniques estivales d’une catastrophe planétaire annoncée :
 
- Dans la revue Nature, le climatologue français Jean Jouzel et un groupe de scientifiques, prévoient que si d’ici 3 ans les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas stabilisées, la planète passera dans un autre type climat aux conséquences « catastrophiques » : recrudescence des décès dus à la chaleur ( certaines régions de France connaitraient des températures supérieures à 50° ), des incendies, accroissement des réfugiés climatiques venant de régions particulièrement touchées comme la Corne de l’Afrique, le Moyen-Orient, le Pakistan ou l’Iran ( on compte déjà actuellement 65 millions de réfugiés climatiques sur la planète ), baisse des rendements agricoles, etc...
 
- Un rapport établi par plus de 500 scientifiques dans plus de 60 pays, (2) montre que 2016 aura été l’année de tous les records en matière de températures, d’émissions de gaz à effet de serre, de montée des océans et de terres soumises à la sécheresse.
 
- Selon le climatologue américain Michael Oppenheimer, avec le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, les chances de réussir à le mettre en œuvre ne dépassent pas 10% ( d’autres chercheurs parlent de 5% de chances.)
 
- Selon une étude réalisées par les chercheurs du Massachusets Institut of Technology ( MIT ) et de l’Université Loyola Marymount, la chaleur risque de rendre l’Asie du Sud-Est invivable d’ici 2100.
 
- Une évaluation scientifique effectuée en avril dernier par l’Unesco conclut que si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites très rapidement, les 24 sites coralliens classés au patrimoine mondial  auront disparu d’ici à 2100. C’est déjà le cas pour 20% d’entre eux.
 
- Début juillet, une étude menée par des chercheurs américains et mexicains (3) montre que les espèces de vertébrés reculent de manière massive sur terre, à un rythme inégalé depuis la disparition des dinosaures il y a plus de 60 millions d’années. Les chercheurs parlent de « sixième extinction de masse des animaux » et analysent les conséquences « catastrophiques » de cette « défaunation » aussi bien sur les écosystèmes que sur l’économie et la société en général.
 
- Selon article de la revue Science Advances, la fonte des glaces du Groenland, région qui se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète, va s’accélérer dans les prochaines années. Selon l’un des auteurs de cette étude, Bernd Kulessa ( Collège des sciences de l’université britannique de Swansea ), si les glaces devaient disparaître complètement, le niveau des océans monterait de 7 mètres.
Comme pour le confirmer, il y a quelques jours, un méthanier de 300 mètres battant pavillon du groupe Total, franchit le passage du Nord-Est habituellement obstrué par la banquise, sans l’aide d’un brise-glace. Ce rêve de relier l’Atlantique au Pacifique par le Détroit de Bering que caressaient depuis longtemps les pétroliers, mais aussi des états comme la Russie, est désormais une réalité.
 
- Pour couronner le tout, un institut de recherche international  travaillant sur les données fournies par l’ONU (4), nous apprend que depuis la fin du mois de juillet, la planète vit « à crédit », c’est-à-dire que l’humanité a consommé en 7 mois, toutes les ressources que la terre peut produire en une année. Circonstance aggravante : cette date fatidique arrive désormais de plus en plus tôt.
En prime, toujours au chapitre de la consommation, une autre étude nous indique que si tous les habitants du monde voulaient vivre comme un Français, il faudrait trois planètes terre pour assurer leurs besoins.
 
Le capitalisme responsable
Si toutes ces études se recoupent et se complètent sur les constats, elles s’accordent également sur leurs causes : c’est bien le développement explosif de la production et l’exploitation sans limite des ressources de la planète depuis le début de « l’ère industrielle », qui est la cause de la catastrophe en cours. Le fait que la situation se soit dégradée à très grande vitesse au cours des dernières décennies en est une preuve supplémentaire. Cette accélération est liée directement au développement du capitalisme dans les pays émergents, et plus généralement à l’extension hégémonique de ce mode de production à l’ensemble de la planète. Rappelons que la Chine, premier pays émergent, est aussi le premier pays émetteur de gaz à effet de serre, juste devant les Etats-Unis, première puissance capitaliste mondiale. « La logique de la croissance va vers l’autodestruction du système, voilà ce qui se passe quand on confie la gestion des ressources de l’humanité à des privés », juge le député européen espagnol Xabier Benito ( GUE-GVN .)
C’est également l’avis de Daniel Tanuro qui rappelle que le but du système capitaliste étant de produire de la survaleur, il n’y a pas d’autre solution que de remplacer le travail vivant par du travail mort pour lutter contre la baisse du taux de profit, donc « d’accroître de plus en plus vite la masse des marchandises, ce qui amène à consommer de plus en plus de ressources et d’énergie. » Et l’écosocialiste le répète : « la croissance capitaliste est la cause de la crise écologique, dont le chômage massif permanent est l’autre aspect.» C’est pourquoi, pour Daniel Tanuro, il est indispensable de  lier les combats sociaux et environnementaux.
Pas d’illusion non plus à se faire du côté du « capitalisme vert » promu notamment par l’Union européenne au niveau international. Pour Daniel Tanuro qui y a consacré un livre, « capitalisme vert est un oxymore. » Ce que l’on constate aujourd’hui dans les destructions qu’il opère partout sur la planète, c’est bien au contraire sa violence, dit Eleonera Forenza, qui explique par exemple comment le sud de l’Italie est ainsi devenu la décharge du Nord.
 
Quelles alternatives ?
Une fois reconnu que la voie préconisant la « modernisation » du capitalisme, son « verdissement », est une impasse ( de même que la promotion des valeurs « post-matérialistes » ou « post-classes » qui l’accompagnent ), il faut poser clairement, analyse l’historienne Stefania Barca, que « le capitalisme est le problème, » et pensez la politique a partir de cet axiome, dans des termes nouveaux par rapport à ceux du XXème siècle. « Où est-ce qu’on peut bloquer le capitalisme ? » devient une question politique centrale, explique Dorothée Haussermann, de Ende Gelände, un vaste collectif d’organisations environnementales et de groupes politiques qui concentre ses actions sur le blocage des mines de lignite et de charbon en Allemagne. « Le charbon fait partie du problème du réchauffement climatique, on doit en empêcher la production. Il faut commencer quelque part, c’est à nous de prendre les choses en mains, » explique Dorothée Haussermann.
 
En matière de changement climatique, ce n’est pas l’information qui nous manque, fait remarquer Rikard Warlenhus ( Left Party, Suède ), mais on a l’impression que changer les choses est au delà de nos possibilités. C’est, pour les raisons que l’on vient de voir, parce qu’au fond, remarque l’eurodéputé Ernest Cornelia ( GUE / Die Linke ), « imaginer la fin du capitalisme est impossible. » Pour lui, la question devient donc : « comment passer du stade actuel à l’étape suivante ? » Cette question est d’autant plus centrale que, comme l’explique Rikard Warlenhus, « les dossiers climatiques ont tendance à nous diviser. » Par exemple, explique Dorothée Häussermann, « le mouvement environnemental peut être conçu comme une menace à l’emploi.» C’est la raison pour laquelle une partie du mouvement syndical est converti au « capitalisme vert », bien qu’il soit évident que le chômage continue à augmenter, ou que de nombreux syndicats soutiennent les énergies fossiles. « Une difficulté à mettre sur le compte de 3 décennies de déclin du mouvement ouvrier », analyse l’historienne Stefana Barca, dont il faut être conscient qu’elle provoque des divisions. C’est pourquoi, ajoute-t-elle, il faut concevoir le combat pour l’environnement comme « une forme de lutte des classes au niveau planétaire entre forces du travail et capital. »
 
Constatant la vitalité des combats pour l’environnement menés partout dans le monde sous des formes et par des acteurs très différents, les intervenants insistent tous sur la nécessité de promouvoir des articulations entre tous ces mouvements et des acteurs institutionnels quand ils existent ( des villes, des régions, par exemple ), ou des syndicats, des partis, et ce, au niveau mondial. L’objectif est de se situer « à la même échelle d’action que notre adversaire », explique Rikard Warlenhus « parce que le capital dépasse la structure de l’Etat national. »
 
Le rôle crucial des femmes
De nombreux analystes soulignent également comme un point central, le rôle des femmes dans le combat écologique et social. Il ne s’agit pas de dire qu’il est bien que les femmes y participent à égalité avec les hommes ( l’égalité homme-femme est un leitmotiv  consensuel de nos sociétés, en général jamais respecté ), mais bien de repérer l’apport spécifique, déterminant et innovateur des femmes, en tant que femmes, dans les nouvelles formes de combat. La députée italienne Eleonora Forenza ( GUE-GVN ) voit dans les mobilisations qui ont suivi la catastrophe de Seveso en juillet 1976, l’événement fondateur de cet éco-féminisme. « Ce sont les femmes qui ont joué un rôle essentiel en exigeant que soient menées des études médicales, car les femmes enceintes risquaient de donner naissance à des enfants malformés. Ce sont également elles qui ont lancé les premiers appels pour l’IVG en Italie. » ( L’IVG a été légalisé en 1978, mais il est toujours très difficile de la faire appliquer, ndlr.) Cet apport des femmes au combat écologique est également majeur pour Daniel Tanuro qui explique que « la place que le patriarcat donne aux femmes, leur procure une conscience particulière. » Il rappelle que 90% de la production vivrière dans les pays du Sud est assurée par des femmes, faisant d’elles le fer de lance de tous les combats actuels liés à l’agriculture, à la propriété de la terre, aux pollutions ou au climat.
 
(1) Colloque au Parlement européen, 27 mars 2017, Bruxelles publiées dans les Proceedings of the Natural Academy of Science ( PNAS )
(3) publié en juillet par l’Agence américaine océanique et atmosphérique ( NOAA ) et L’American Meteorological Society ( AMS ),
(4) Le Global Foodprint Network, Oakland ( Californie )
(5) Daniel Tanuro, « L’impossible capitalisme vert », La Découverte.
 

31/05/2017

Josiane Balasko : « J’ai simplement envie que les gens vivent mieux »

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Entretien réalisé par Julia Hamlaoui, L'Humanité

La comédienne Josiane Balasko apporte son appui aux candidats PCF pour les législatives, dont elle partage, sans être communiste, de nombreux engagements.

Pourquoi avez-vous décidé de soutenir les candidats communistes aux législatives, en particulier Maxime Cochard, dans la 10e circonscription de Paris ?

Josiane Balasko Leur discours n’est pas un discours de haine ou de démolition, mais de construction, cela m’a intéressée. Je ne suis pas communiste, mais ce sont des gens honnêtes qui font un bon boulot dans les quartiers. Ils se mobilisent pour l’aide aux personnes dans le besoin – et il y en a énormément –, contre le mal-logement, pour le secours aux réfugiés… Ce sont des engagements qui me parlent. Le Parti communiste a toujours été là dans les communes, avec ses militants et ses représentants, pour aider les gens.

C’est pour cela que j’ai eu envie de les soutenir et que j’appelle à voter pour eux. Et puis, il faut qu’il y ait une parité aux législatives. Après le travail que les communistes ont fait, ce serait injuste qu’ils soient réduits à la portion congrue. Pour ma part, j’ai simplement envie que les gens puissent vivre un peu mieux, qu’ils n’aient pas de problème pour boucler leurs fins de mois et remplir leur Caddie. Beaucoup de gens vivent très misérablement.

Je passe mon temps à me balader en tournée, et je vois la désertification gagner les campagnes, les centres-villes. On ressemble maintenant aux villes américaines où il n’y a plus rien dans le centre et où il faut faire dix bornes pour aller s’acheter de la bouffe industrielle.

Après l’élection présidentielle, pour laquelle vous n’avez pas soutenu de candidat, quel regard portez-vous sur la situation politique ?

Josiane Balasko Comme beaucoup de Français j’ai voté Macron, non pas parce que j’étais absolument pour lui, mais parce qu’il fallait impérativement barrer la route au Front national. Il n’y avait pas 36 000 solutions. J’attends de voir ce qui va se passer puisque peu de choses ont été dites ou faites depuis la présidentielle. Mais il est impératif pour la démocratie que plusieurs partis républicains, plusieurs partis du peuple soient représentés à l’Assemblée nationale. Et notamment la gauche.

Le PS est très mal barré, Macron veut réunir tout le monde et Mélenchon tuer toute la gauche à part lui. Pour moi, les législatives sont aussi importantes que l’élection présidentielle. Ce sont elles qui permettent d’avoir une réelle représentation et que chacun puisse s’exprimer.

Pour l’instant on ne parle plus du FN, mais il est toujours là. Ce n’est pas parce qu’ils ont été recalés à la présidentielle qu’ils n’existent plus. En revanche, on parle beaucoup d’un raz-de-marée Macron en juin. Il est très photogénique mais on ne sait pas ce qui va se passer. J’espère qu’il y aura des surprises.

10:08 Publié dans Actualités, Entretiens, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : josiane balasko, pcf, législatives | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

27/01/2017

André Orléan : « Pour Keynes, le capitalisme est un moment transitoire dans l’histoire »

Entretien réalisé par Dominique Sicot, Humanité Dimanche

orlean.jpgL’œuvre de John Maynard Keynes (1883-1946) est entrée le 1er janvier dans le domaine public. Mais si l’économiste britannique demeure relativement connu du grand public pour avoir inspiré les politiques publiques de l’après-Seconde Guerre mondiale dans bon nombre de pays occidentaux, ses écrits, rarement traduits en français, sont peu accessibles aux non-spécialistes. A l’exception peut-être de sa « Lettre à nos petits enfants », que viennent de publier Les Liens qui libèrent. André Orléan, directeur d’études à l’EHESS, qui en a rédigé la préface, met en évidence le regard très original que ce libéral « hérétique » portait sur le capitalisme et les ruptures conceptuelles qu’il a opérées.

Vous avez écrit une préface au texte de Keynes, « Lettre à nos petits-enfants », réédité par Les liens qui libèrent. Etes-vous à l’initiative de cette réédition ?

André Orléan. L’initiative vient de l’éditeur qui m’a sollicité pour la préface. Je ne suis pas keynésien, je suis marxiste. Mais j’apprécie beaucoup Keynes- et ce texte en particulier. Même si Keynes n’a aucune estime pour Marx ! Il a des phrases très dures contre le marxisme, parlant d’ « une doctrine dont la bible […] est un manuel d’économie périmé »*.

Pourquoi relire ce texte aujourd’hui ?

André Orléan. C’est à l’origine un article publié en 1930. Il y est question de rareté et d’abondance, thèmes aujourd’hui d’actualité en raison de la crise écologique. On y retrouve le regard original de Keynes sur le capitalisme.

Si Keynes se dit lui-même libéral, il s’est souvent opposé aux idées du libéralisme. Pour les libéraux, l’organisation économique que nous connaissons est la bonne, elle permet de produire de manière efficace, d’assurer la liberté d’entreprendre. Et il n’y a pas de raison que cela cesse. Le capitalisme, pour Adam Smith par exemple, est un fait de nature, puisqu’il est dans la nature de l’être humain d’échanger.

Or, dans ce texte, Keynes rompt radicalement avec cette vision. Pour lui, le capitalisme est un moment nécessaire mais transitoire dans l’histoire de l’humanité - ce qui le rapproche de Marx.  La mission historique du capitalisme est d’en finir avec la rareté de façon à ce que l’être humain, libéré de la lutte pour la subsistance, puisse enfin exprimer la plénitude de ses potentialités. Pour Keynes, cette disparition à venir du capitalisme est tout à fait souhaitable parce que les valeurs qui fondent ce régime économique sont, à ses yeux, éminemment condamnables. Deux d’entre elles sont particulièrement visées dans ce texte : l’amour de l’argent, et « l’intentionnalité », la propension à être plus intéressé par demain que par aujourd’hui. Cette condamnation vigoureuse des fausses valeurs du capitalisme fait de Keynes un libéral tout à fait à part.

Ce texte date de 1930, en pleine crise économique. Il est pourtant optimiste

André Orléan. Oui, puisqu’il y est écrit que dans 100 ans, autrement dit en 2030, la production des pays développés aura été multipliée entre quatre et huit fois. C’est une forme d’optimisme. Et de lucidité, puisqu’en effet, la crise des années 1930 a fini par être surmontée.

Malgré tout, Keynes fait une grosse erreur d’analyse en estimant que le principe d’existence du capitalisme serait de satisfaire les besoins - idée très commune dans la pensée libérale. Même s’il comprend bien qu’il existe des faux besoins, globalement il pensait qu’une fois que le capitalisme aurait permis de satisfaire les besoins essentiels de l’individu, il serait amené à disparaître.

Il ne voit pas que pour fonctionner, le capitalisme doit créer perpétuellement des besoins, sans lesquels, faute de demande, il meurt. Autrement dit, la rareté est au principe même du capitalisme. Elle lui est indispensable. Pour faire du profit, il faut inventer constamment de nouveaux besoins.

Ce processus entre aujourd’hui en contradiction violente avec la finitude du monde. La sobriété est devenue un impératif incontournable. Le capitalisme ne sachant pas être sobre, la seule solution passe par une rupture avec le capitalisme et ses fausses valeurs.

Keynes a eu l’intuition du désir d’accumulation qui est au centre du capitalisme, mais sans voir que la recherche du profit en est le moteur. N’est-ce pas contradictoire ?

André Orléan. Keynes, qui se disait lui-même « hérétique », était très opposé au libéralisme du « laisser-faire ». Il ne croit pas à l’auto-ajustement du système de marché. Et le lie à la question de la monnaie. Pour la théorie libérale, la monnaie est essentiellement un moyen de transaction, qui facilite les échanges. Pour Keynes, elle est beaucoup plus problématique, parce que le désir de monnaie, en soi, est perturbateur. Il affaiblit la propension à consommer et sans consommation, pas de profit, pas de croissance, et, en conséquence du chômage qui est le problème essentiel qu’affronte Keynes dans les années 1930. Keynes voit aussi que ce désir d’argent a une dimension perverse et irrationnelle. Dans ce texte, il parle même de « pulsion mi-criminelle mi pathologique » que l’on « laisse en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales ».

Aussi, plutôt que la question du profit, c’est celle du caractère perturbateur de la monnaie que pose Keynes. Une de ses forces, c’est de comprendre la puissance néfaste de la monnaie et d’essayer de l’analyser.

Vous souligniez que Keynes a sans doute sous-estimé les besoins secondaires, créés sans cesse par le capitalisme. Depuis son époque, le capitalisme a poursuivi la marchandisation du monde. Dans vos propres travaux, vous faites référence aux résistances qu’il y a à cette marchandisation continue

André Orléan. La marchandisation est une question cruciale. Il s’agit d’un processus qui vise à étendre toujours plus loin l’emprise de la valeur économique dans le but de créer de nouveaux espaces de rentabilisation pour le capital. Ses deux formes dominantes aujourd’hui sont la brevetabilité du vivant et l’ubérisation. La pensée libérale justifie cette évolution en faisant valoir les gains d’utilité qu’en retirent les consommateurs. C’est là une analyse tout à fait insuffisante. Il faut plutôt considérer que la marchandisation produit un délitement moral parce qu’elle détruit les formes traditionnelles de la solidarité en les noyant « dans les eaux glacées du calcul égoïste ».

Dans un livre récent, « Ce que l’argent ne saurait acheter » (Seuil), le philosophe Michael Sandel montre bien comment « le marché évince la morale ». Pour illustrer sa thèse, il cite l’exemple d’une crèche où certains parents arrivaient trop souvent en retard pour reprendre leurs enfants. La crèche réagit et pense résoudre le problème en infligeant des sanctions monétaires aux retardataires. Le résultat fût à l’exact opposé. On assista à une multiplication des retards. En effet, dès lors que le retard se monnaye, on change le système de valeurs qui règle la relation des parents à la crèche. Avant, les parents se sentaient liés par un contrat moral. Être en retard les mettait dans une situation fort inconfortable : ils se savaient en dette à l’égard des personnels de la crèche sans avoir aucun moyen simple pour se libérer de cette dette. Cependant, dès lors qu’ils sont autorisés à payer, la situation se transforme radicalement. La dette peut être annulée. Cet exemple montre bien que la marchandisation véhicule certaines valeurs qui viennent se substituer aux valeurs antérieures. Keynes, dans ce texte, montre qu’il est parfaitement averti de l’importance de ces questions éthiques. Le capitalisme, à ses yeux, n’est pas simplement une manière performante de produire. Ces performances ne sont possibles qu’en vertu d’une certaine hiérarchie de valeurs dont il souligne le caractère déplaisant. D’ailleurs, Keynes a toujours défendu l’idée selon laquelle l’économie est une science morale.

Historiquement, la marchandisation de la terre a été une étape décisive dans l’émergence du capitalisme. Ce sont les fameuses « enclosures » auxquelles Marx consacre dans Le Capital d’importants développements. Il s’est agi de détruire la propriété communale « dans le but de faire de la terre un article de commerce ».

 

Marx n’avait-il pas plus l’intuition de la finitude de la nature que Keynes ?

André Orléan. Il me semble que cette question de la limitation des ressources est une question récente. Certes, dans son œuvre, Marx est tout à fait attentif aux ravages que le capitalisme inflige à la nature. Mais on ne trouve pas chez lui, ni chez Keynes, l’idée selon laquelle la finitude de la nature condamnerait le capitalisme. En fait, il faut attendre les années 70 pour que cette question s’impose véritablement.

 

Keynes dit vouloir mettre les économistes « sur la banquette arrière ». Pourquoi ce mépris? 

André Orléan. Cela revient souvent chez Keynes : l’économiste sur la banquette arrière ou, dans ce texte, la comparaison avec le dentiste. Cette dévalorisation de l’économiste découle directement de sa vision négative du capitalisme, régime transitoire fondée sur des fausses valeurs. Pour Keynes, ce qui est important est ailleurs. Il fait preuve à cet égard d’un élitisme certain. Rappelons que, dans sa formation intellectuelle, il a donné beaucoup de place aux principes éthiques de George Edward Moore, un philosophe qui a développé une conception exigeante du bien, étroitement associé au plaisir esthétique. Par rapport à cet ensemble de valeurs, l’économie est tout à fait en bas de l’échelle.

Mais tout ceci est d’une très grande hypocrisie car Keynes a pour son propre rôle d’économiste  la plus haute considération. N’oublions pas que c’est un homme étroitement lié à l’appareil d’État et au gouvernement anglais. C’est lui qui ira négocier à Bretton-Woods en 1944. Il pense que les questions économiques qu’il affronte sont des questions extrêmement difficiles, que très peu de gens sont capables de maîtriser et que lui-même fait partie de ces « happy fews ». Néanmoins, ses convictions éthiques ont joué un grand rôle par le fait qu’elles lui ont permis de développer un regard distancié et critique à l’égard de la réussite économique et des valeurs bourgeoises. D’où l’originalité de ses conceptions.