La seule raison pour laquelle j’en veux profondément à l’école de la République, c’est de ne pas m’avoir prévenue d’une chose. Du moins, d’avoir omis de nuancer son propos concernant un sujet précis: il n’y a en réalité pas d’ascenseur social. Non. Il y en a deux.
L’un pour les riches, l’autre pour les pauvres L’un qui est un immense cylindre en verre un peu comme on pourrait voir dans les gratte-ciel dernier cri à Hong-Kong; l’autre est un ascenseur cabossé d’un HLM des années soixante du quartier le plus dépravé de Corbeil-Essonnes et qui fonctionne une fois sur deux : je suis gentille.
L’ascenseur bourgeois est beau, il y a du jazz en musique de fond et vous emmène étage par étage, exactement là où vous voulez aller. Celui du lumpenproletariat débloque grave : si vous avez la chance que la porte s’ouvre, vous êtes un gros veinard (hum, hum!) Et puis surtout, très souvent, il se bloque, ne monte pas bien haut, il sent l’urine de chien et grince quand il veut bien grimper.
En fait, on vous fait croire que vous êtes chanceux. On vous fait croire que "mais c’est super! Tu devrais être reconnaissant-e, tu as une bien meilleure condition que tes parents". En effet, ce n’est pas bien compliqué de faire mieux que ces parents malades, analphabètes ou sachant à peine lire, dépressifs immigrés, ouvriers, sans-papiers et je vous passe les autres allègres dotations initiales.
Oui, depuis toujours et de tout temps nous sommes éduqués à nous satisfaire de situations qui en soi sont loin d’être satisfaisantes sous prétexte que "ça aurait pu être pire". Bah oui ma fille! Estime toi heureuse, tu ne seras pas une incubatrice sur pattes, contrairement à ta mère tu as la contraception et l’IVG.
Ah booooon…?
L’Espagne, oui tu sais nos voisins de pallier, européens, l’OCCIDENT Gary! Un pays du Nord, civilisé, un moralisateur et donneur de leçons, l’un des précurseurs des Droits de l’Homme. Pardon, avec un petit "h" en réalité. Sexe masculin, blanc, chrétien, hétéro, en CDI et partisan de la croissance et du libéralisme. Et si tu ne fais pas partie de cette catégorie… je ne parle pas aux sous-prolétaires.
L’Espagne donc, n’a pas hésité à reculer sur ce droit, un grand bon en arrière, ce qui a suscité de vives réactions chez nous en France réveillant les aspirations obscurantistes de nos chers copains les pro-vie (ou plutôt les anti-choix). Evidemment, en France il n’y a ni chômage, ni pauvreté, ni précarité, ni austérité, ce qui pose problème c’est que des femmes choisissent de ne pas poursuivre une grossesse. Ah ça! C’est TE-RRIBLE! Aucune morale ces bonnes femmes qui n’assument pas leur fonction de reproduction. T’as vu j’parle comme Le Pen père (regarde ici si tu ne me crois pas).
Le pire c’est que pas plus tard que lundi, j’ai ouï dire par l’un de mes enseignants, qu’en France, il n’y avait pas de patriarcat. Le genre de trucs qu’il faut vraiment s’abstenir de prononcer devant moi. Pour parler de patriarcat il faut être lapidée sur la place du village, sinon, oh rien de méchant, la femme qui meurt tous les deux jours sous les coups de son compagnon: BAGATELLE. Celle qui a compétence égale gagne 30% de moins: que nenni, point de patriarcat. Que des hommes achètent les faveurs sexuelles d’une femme: ne vous offusquez point tout est marchandise chez Mr Capitalisme, même les humains, surtout les femmes.
Je vous disais donc que je regrette sincèrement de ne pas avoir été prévenue que Bourdieu disait vrai à propos de ces histoires de capital social. Déçue de ne pas pouvoir emprunter le même ascenseur que la nana de mon âge qui vit à Neuilly, je veux écouter du jazz moi aussi, merdum.
Lorsque je vous parlais de riches et de pauvres, ce n’est pas un raccourci facile et naïf. Depuis toute petite j’ai cette intuition que celui qui est riche n’est pas seulement celui pars en vacances deux fois par an, une fois au ski et une fois sur la Côte d’Azur, c’est également celui qui a un bon carnet d’adresse et qui d’un coup de téléphone peut se débrouiller pour avoir un entretien d’embauche, celui qui dans l’année sera régulièrement allé au cinéma, au théâtre, voir des expositions, qui possède en somme une connaissance pointue de l’histoire, de la littérature et du patrimoine. On reconnaît le pauvre lui, à ses arbitrages entre aller chez le dentiste ou se payer une nouvelle paire de chaussures, à sa nature écolo-forcé économisant intempestivement l’électricité et le chauffage (c’est pas malin d’ailleurs parce que du coup il tombe malade et se retrouve face à un nouveau dilemme).
On nous endort donc avec de bien curieuses préoccupations, aujourd’hui le problème c’est l’IVG, une soi disant théorie du genre enseignée aux enfants, le mariage homosexuel, "les juifs et les arabes", et plus du tout notre avenir. Quelqu’un va-t-il enfin se préoccuper du fait que continuer à austéritériser va finir par nous tuer? Oui, oui, vous avez bien entendu, l’austérité tue à petit feu par la précarité énergétique, un accès au soins réduit et cette fichue médecine à eux vitesses, l’exclusion sociale (c’est sûr que c’est tellement simple de s’intégrer, immigré ou pas, lorsque l’on te coince dans ta cité dépourvue de tout accompagnement au logis) et la précarité financière en générale.
Laissez-nous disposer de notre corps librement bon sang, laissez nous faire des enfants lorsque l’envie nous prend et surtout ces enfants, épargnons leur une éducation sexuée, donnons-leur simplement une bonne éducation, inculquons leurs de bonnes valeurs : celles de la tolérance, de la fraternité, du partage, de la curiosité… il y a tellement de choses à apprendre à des enfants plutôt que leur rappeler que le rose c’est pour les filles et le bleu pour les garçons.
Bizarrement, lorsqu’il s’agit de protester afin de payer un taux marginal d’imposition moins important que celui de Liliane B., on n’entend plus personne. Hé oui… Nous adorons et nous prosternons devant les détenteurs du Dieu Suprême: Argent.
Révolutionnairement vôtre,
la Robe Rouge.