18/07/2013
LES FRERES ENNEMIS !
Il était une fois un homme nommé Abraham, on le disait descendant de Sem, le fils de Noé. Un servent de Dieu: ni chrétien, ni juif, ni musulman, un servent de Dieu.
Cet homme, avait une épouse, Sarah. Il avaient également une servante, Hajar. Sarah lui donne un fils qu’ils nomment Isaac et Hajar un fils appelé Ismaël. Deux frères que tout unit mais que tout opposera. On leur a prédit d’avoir une vaste descendance, chacun devra accomplir son destin et perpétuer une lignée.
Ismaël et Isaac n’étaient pas complètement frères de sang, mais ils étaient frères de sein, mais Sarah, ordonne à son époux de chasser Hajar et son fils, condamnés à errer dans le désert.
Un même père mais deux mères qui vont définitivement troubler les repères. Pourtant, une famille est une famille, quelque soit le caractère légitime ou pas de la filiation.
Les siècles ont passé, la descendance d’Isaac et Ismaël s’est propagée dans tout le Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Certains sont devenus juifs et les autres musulmans.
Un jour, une arabe tombe amoureuse. Un jour, un juif tombe amoureux.
Ni elle, ni lui ne sait ce que l’autre est, mais ils tombent amoureux l’un de l’autre.
Elle, l’aimait pour son élégance, sa sagesse et son humour. Lui, l’aimait pour son intelligence, sa beauté et sa générosité.
Ils s’aimaient sans se poser de questions, la puissance des corps étaient plus forte que celle des clivages politiques. Mais un jour, il a découvert que sa langue maternelle était l’arabe et elle que la sienne était l’hébreu. Alors que leur seul langage était l’amour, ils se sont rendus compte qu’ils ne se comprenaient plus, ou plutôt qu’ils ne voulaient plus se comprendre. Ils ne cherchaient plus à se comprendre.
Ils partageaient tout, mais surtout, ce qu’ils partageaient, étaient hautement transcendant, mais il lui a dit "tu sais, je suis sioniste" et elle lui a répondu "tu sais les palestiniens aussi ont droit à leur terre". Pour chacun, une confidence bien amère…
Il s’aiment plus que tout et ils ont fini par se haïr pour une simple question de territoire, de convictions politiques, de suprématie.
Quelque chose qui est en contraste total avec ce qu’ils étaient au départ. De servants de l’amour ils sont devenus esclaves de la haine.
Leurs langues sont cousines, leur histoire est commune, leurs origines sont voisines et ils se vouent aujourd’hui une guerre sans merci.
J’ai bien essayé de comprendre, de remonter aux origines bibliques, ethniques, historiques, rien ne justifie leur défiance les uns à l’égard des autres.
Et ce que j’en conclue, c’est que ce sont ceux qui cultivent cette haine, qui des deux côtés sont antisémites.
Anti eux-mêmes
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04/07/2013
LE PLUS VIEUX METIER DU MONDE !
Auriez-vous un jour imaginé voir un proxénète devenir célèbre et venir rouler des mécaniques devant les caméras de TF1, W9 en passant par Canal Plus. Non? Et Dodo La Saumure alors?
Derrière ce nom, qui semble plutôt sympathique, un physique rond et des cheveux grisonnants -la première fois que je l’ai entendu je pensais que c’était un chanteur de bistrot miteux- se cache un homme qui exploite sexuellement des femmes: appelons un chat un chat. Monsieur a côtoyé Dominique Strauss-Khan, l’un de ses clients.
Non, ne vous fiez pas à cette apparence de papy gâteau, dès qu’il ouvre la bouche, on sait à qui l’on a affaire, un trafiquant qui croit tromper son monde sur ses activités et qui est quand même accusé de proxénétisme aggravé dans le cadre de l’affaire du Carlton de Lille.
Non seulement, il vient vendre un baratin qui ne reflète en rien la réalité des faits, mais en plus les médias relaient ces informations et contribuent à donner du crédit à ces activités et donc parallèlement à cautionner l’asservissement des femmes, des humaines qu’il y a derrière. Alors que des associations, des collectifs, des mouvements, des personnalités et des citoyen-ne-s contribuent au quotidien à oeuvrer pour l’abolition de la prostitution et à protéger les prostituées, d’autres cherchent à vous faire croire qu’il est normal que des femmes soient obligées d’êtres vendues par des trafiquants d’humains comme Dodo La Saumure.
Parce que ce qu’il faut retenir, c’est que la prostitution n’est pas un phénomène "normal", qu’il est inévitable: selon un rapport établi par l’Inspection générale des affaires sociales, 90% de la prostitution est issue de réseaux criminels et que dans cette part, 80% des femmes sont des étrangères. Comment alors, au vu de ces chiffres peut-on encore être partisan de la réouverture des maisons closes, surtout lorsque l’argument principal avancé est "qu’il permet de canaliser les pulsions sexuelles des hommes".
Pourtant, on ne peut se revendiquer féministe si l’on n’est pas abolitionniste: la prostitution est ingérable parce que comme vous pouvez le voir, elle est la porte ouverte à tous les trafics et tous les réseaux criminels que l’on ne peut contrôler. Par ailleurs, il n’est pas tolérable que des corps soient utilisés au sens propre, à des fins commerciales, et plus encore lorsqu’ils profitent à des exploiteurs et que la personne en question n’est même pas maîtresse de son activité.
Cela est et demeurera un métier très dangereux à plusieurs égards: lorsque l’une des victimes de ces bandes organisées criminelles cherche à s’en aller, la plupart du temps elle est retrouvée et réintégrée dans le milieu. Les prostituées sont très souvent mal-traitées, et le mot est faible pour cerner tout ce qui est greffé autour de l’activité sexuelle tarifée, puisqu’en plus des violences physiques et verbales dont elles sont victimes, elles se retrouvent également entraînée dans des trafics annexes: la drogue et les armes.
Enfin, il apparaît également très important de souligner que les risques sanitaires sont eux aussi très élevés, étant donné que très souvent les personnes auxquelles elles font face refusent d’avoir recours au préservatif qui est la seule contraception qui protège des maladies sexuellement transmissibles et se trouvent alors exposées en permanence.
Pourtant, du point de vue de la législation, la France se place du côté des abolitionnistes: les maisons closes sont toutes fermées depuis 1946 , aider, protéger ou assister un proxénète ou une activité qui relève du proxénétisme est passible de sept ans de prison et de 150 000€ d’amende.
Aujourd’hui et plus que jamais, il faut légiférer de manière plus ferme afin d’éradiquer complètement la prostitution non pas en sanctionnant celle qui y a recours mais celui qui est responsable de l’activité: à savoir le proxénète.
Nos sympathiques petits présentateurs de Touche Pas A mon Poste et toutes les autres émissions qui se sont fait le malin plaisir d’inviter notre cher ami Dodo La Saumure afin de faire exploser leur audimat étaient donc en infraction et nous aurions pu (dû?) les poursuivre pour cela.
Pour l’heure, nous nous devons de continuer à lutter contre l’exploitation de la femme car en plus de la domination patriarcale et phallocrate à laquelle nous devons faire face, c’est également la politique capitaliste faisant la course aux économies et donc pratiquant la réduction drastique des dépenses qui contribue, en paupérisant les individus et en particulier les femmes, à entériner et conforter la pratique de la prostitution, surtout en bande criminelle organisée.
Le mot d’ordre tient en quatre syllabes: A-BO-LI-TION.
Sophia de mon prénom, 19 années de vie à mon actif. Je suis étudiante et je me définirai comme une altermondialiste et citoyenne du monde , prônant une « croissance » raisonnée fondée sur le bien être humain et le développement humain. Je suis contre toutes ces organisations supra-nationales qui contrôlent nos vies sans que l’on n’ait rien à redire: OMC, FMI, Banque Mondiale, G8, capitalisme, néolibéralisme, néocolonialisme autant d’aberrations qui m’ulcèrent et m’outragent tous les jours un peu plus.
Je ne veux être complice de ce que j’appelle les « crimes silencieux », des vies entières dépendent de ces politiques qui ne visent qu’à paupériser toujours plus ceux qui sont déjà à la limite entre vie et survie.
Depuis ma plus tendre enfance je suis qualifiée d’utopiste par mon entourage, mais l’utopie est elle est impossible à atteindre? Non, c’est l’idéal vers lequel il faut tendre.
Alors selon moi, l’essentiel c’est la valeur partage, la valeur communication...
BIENVENUE SOPHIA SUR NOTRE BLOG
12:24 Publié dans Cactus, La Robe rouge, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : la robe rouge, prostitution, société, straus khan | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
25/06/2013
Emmanuel Todd « Un nouvel élan au rêve français de l’homme universel »
NOUVEAU : Version française suivie par la traduction anglaise. (article followed by an English version)
L’historien, démographe et anthropologue Emmanuel Todd vient de faire paraître, avec le démographe Hervé Le Bras, un ouvrage (1) qui s’appuie sur une analyse de 120 cartes de France, à partir de nombreuses études et statistiques. Leur mise en perspective fait tomber nombre d’idées reçues en autant de paradoxes. Le Mystère français constitue un diagnostic puissant.
Dans le Mystère français vous présentez un portrait hexagonal assez nuancé. Comment faut-il comprendre ce diagnostic ?
Emmanuel Todd. Nous avons surtout analysé une contradiction entre la superstructure économique et l’infrastructure mentale. Nos cartes de la déroute industrielle sont parmi les plus inquiétantes qui soient ! Nous mesurons les inégalités de richesse. Nous décrivons les effets de la crise. Mais dans l’éducation, la démographie et la vie familiale, nous constatons un autre mouvement. Le niveau éducatif moyen a progressé.
L’émancipation des femmes se poursuit et s’accélère. La fécondité, sans distinction de classes sociales, atteint un niveau plus que raisonnable. L’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée. Les taux d’homicides et de suicides sont en baisse. Nous sommes là dans le monde réel. Cette contradiction est importante à souligner. Il y a eu deux interprétations dominantes de ce livre. D’un côté, « la France ne va pas si mal ». Et de l’autre, « la France qui va mal et celle qui va bien ». En réalité, c’est un livre qui dit : « Attention, il y a une contradiction entre la vision des classes dirigeantes, qui agissent comme si leur pays n’existait pas et produisent une catastrophe économique, et une réalité vivante dont il faut tenir compte. » La crise du système politique français réside dans cette méconnaissance. C’est un livre dont on pourrait faire un usage révolutionnaire.
Plus de trente ans après l’Invention de la France, vous proposez un profil actualisé du pays avec toujours ce que vous appelez « la main du passé » ?
Emmanuel Todd. Il y a trente ans, nous nous étions amusés à mettre en avant la diversité persistante de la France. Cette fois-ci, nous aurions pu simplement constater qu’en dépit du changement mental, il existait toujours des zones anthropologiques et religieuses. En fait, nous découvrons que le changement social, et même son accélération sont portés et guidés par les vieilles zones anthropologiques. Les structures familiales et religieuses ne sont pas des éléments qui subsistent mais qui agissent. Prenons l’exemple de l’éducation. Il y a d’abord eu un décollage précoce des zones culturelles de famille souche d’Occitanie. Puis les zones où le catholicisme vient tout juste de s’effondrer, une constellation périphérique, à l’ouest et à l’est, ont atteint des performances maximales. Le catholicisme est mort métaphysiquement mais il est vivant socialement et semble produire des effets. Nous avons utilisé le concept de « catholicisme zombie ».
Vous distinguez deux grandes zones qui traversent la France même si elles recouvrent une hétérogénéité ?
Emmanuel Todd. Il existe une opposition fondamentale entre deux formes complémentaires. Un long bassin parisien, entre Laon et Bordeaux, et la façade méditerranéenne constituent ensemble la France précocement déchristianisée, marquée par l’idéal révolutionnaire, républicain et laïque. Son cœur est occupé par une famille individualiste égalitaire. Autour, dans la périphérie, il y a la France catholique, une France de la hiérarchie. Il existe des cartes anciennes de cette opposition. Celle de l’Américain Timothy Tackett montre que ces zones apparaissent à l’occasion de l’acceptation ou du refus de la Constitution civile du clergé en 1791.
En partant du diagnostic d’un « catholicisme zombie », vous définissez en creux une « dépression postcommuniste » ?
Emmanuel Todd. C’est l’élément le plus important pour moi. La dépression qui s’est installée dans les régions et les milieux populaires de l’espace idéologique communiste d’après-guerre : difficultés scolaires, taux de chômage élevés, phénomènes de désagrégation sociale. Le communisme était une croyance collective structurante. Il jouait un rôle formidablement positif dans la vie des milieux populaires. Il incarnait l’idée de progrès, un contrôle des mauvais instincts xénophobes. Il avait foi en la culture… Tout cela a implosé, dans la honte, à cause du stalinisme. Il y a donc aujourd’hui un immense vide. Du point de vue de l’anthropologue, je dirai qu’un PS dominé par le catholicisme zombie ne peut pas représenter toute la gauche française. Quelque chose manque dans la culture politique française et la représentation. Le Parti communiste était l’incarnation ultime de la Révolution française, une révolution qui, dans ses principes, n’est pas morte.
Vous montrez que certains changements pourraient engendrer une droitisation idéologique ?
Emmanuel Todd. Dans les années 1950, tout le monde savait lire mais seulement quelques-uns avaient fait des études supérieures. C’était une époque de démocratie en ascension. La masse de la population imitait et contestait la classe supérieure, elle regardait vers le haut et vers l’avant. Le progrès était à l’ordre du jour. Aujourd’hui, parmi les moins de trente-cinq ans, le groupe le plus nombreux est constitué de ceux qui ont fait des études supérieures. Il y a ensuite ceux qui ont suivi des études secondaires et techniques. Enfin, 10 à 12 % des jeunes restent bloqués au niveau du primaire et ont parfois des difficultés de lecture. Nous sommes dans un monde différent. Les diplômés supérieurs regardent vers l’extérieur, vers les espaces infinis de la mondialisation culturelle. Le groupe intermédiaire a peur de retomber. Il regarde avec crainte les 10 à 12 % de non-diplômés. Ce monde-là regarde vers le bas, et vers l’arrière. Il est structurellement orienté à droite. Par ailleurs, la société est en voie de vieillissement, ce qui favorise le conservatisme en politique.
Mystère français là encore, cette droitisation s’exprime de façon paradoxale ?
Emmanuel Todd. Depuis l’écriture du livre, la situation a quelque peu évolué. Pour moi, nous n’en sommes plus maintenant à la droitisation en général, mais à celle du… gouvernement socialiste ! Et je commence à sentir un glissement européiste et libéral du PS qui pourrait nous amener, à notre immense surprise, au-delà de ce dont le sarkozysme a été capable. Car le plus paradoxal dans ce livre est de noter que les bastions du PS se situent maintenant dans les régions qui historiquement croient moins que les autres en la liberté de l’individu, en l’égalité des hommes, ou en l’importance de l’État comme régulateur. On peut se demander alors si le PS ne se trouve pas lui-même marqué par ce basculement.
C’est aussi vrai de la droite, dans un sens opposé. Jérôme Fourquet, de l’Ifop, nous a permis d’accéder à des données difficiles à obtenir, tel le cumul des intentions de vote par catégories socioprofessionnelles et par régions. Les milieux populaires de Champagne-Ardenne, au cœur de la France égalitaire, ont voté majoritairement pour Sarkozy au second tour. Au regard de son implantation locale, l’UMP se retrouve traversée par des tendances égalitaires.
Le pouvoir sarkozyste était décomplexé, c’est le moins qu’on puisse dire, du côté de la xénophobie, fort doué pour la désignation de boucs émissaires, musulmans, immigrés, Roms, corps intermédiaires, professeurs, syndicats… Mais il n’était pas parvenu à déréguler le marché du travail ou à attaquer l’État social comme le PS est en train de le faire, avec l’aide de la CFDT (CFTC déconfessionnalisée), et donc incarnation syndicale du catholicisme zombie.
Au fond, puisque vous dites que le PS et l’UMP sont traversés par de fortes contradictions et que la France est beaucoup plus fragmentée qu’elle n’y paraît, peut-elle repartir en étant en accord avec elle-même, à partir de l’égalité qu’elle a toujours mise en avant ?
Emmanuel Todd. Il y a un élément qui n’est pas dans le livre, mais que le livre peut éclairer. Quid de l’Europe, où les nations divergent encore plus que les provinces françaises ? Dans le contexte de sociétés vivant une crise de l’hyper-individualisme, les gens sont isolés et angoissés et, inévitablement, ils vont, partout, rechercher dans leur histoire, dans leurs traditions, les forces de l’adaptation.
La réalité de l’Allemagne est qu’elle est en phase de renationalisation, phénomène absolument conscient depuis sa réunification. La France, aussi, mais de façon inconsciente, beaucoup plus complexe et lente, parce qu’elle est très diverse. Ses dirigeants, arc-boutés contre l’histoire, pensent qu’ils sont en train de sauver l’Europe, et surtout l’euro, dont la destruction est pourtant comme mécaniquement programmée par la divergence culturelle des nations.
En France, le concept de nation est apparu à gauche avec la Révolution française. Il est passé à droite vers 1900. Dans le vide produit par l’interminable agonie du concept européen, le Front national peut se permettre de proposer une version rétrécie, dégradée, ratatinée, de l’idée nationale. Il en donne une vision sinistre qui exclut et rejette de fait l’universalisme français.
C’est pour cela que je parle d’un front antinational. Ce dont nous avons besoin en France, c’est d’une renaissance à gauche de l’idée de nation, qui nous permette, libérés de la paralysie européenne, de retrousser nos manches et de résoudre nos problèmes économiques et sociaux.
Vous en concluez à un reflux inévitable du FN ?
Emmanuel Todd. Il est déjà en train de refluer dans toutes les grandes villes et dans la région parisienne. Le FN est parti de l’est de la France, grandement associé à la présence de l’immigration maghrébine. Mais son implantation se déplace régulièrement vers la zone centrale, vers l’espace révolutionnaire. Il décroche alors entièrement de ses bases départementales anti-maghrébines. On pourrait s’inquiéter que le Front national parvienne au cœur de la culture française. En réalité, l’arrivée dans cet espace égalitaire va le mettre au pied du mur.
Un mur qu’il ne peut pas sauter car il fonctionne sur deux dénonciations simultanément : celle des classes dirigeantes, composante égalitaire, celle d’un bouc émissaire étranger, composante inégalitaire et de fait antinationale en France. C’est, il est vrai, la posture habituelle d’un parti fasciste. Mais nous nous dirigeons vers une montée en puissance des phénomènes de classe et de contestation sociale des élites, déjà à l’origine du vote non au référendum de 2005.
Les difficultés sociales vont se multiplier et mettre plus encore en évidence l’impéritie de l’oligarchie dirigeante. Beaucoup plus qu’à une poussée massive du FN, je crois en une implosion globale de la représentation politique, redistribution générale des cartes, d’un coup et à la surprise de tous.
L’une de vos principales sources pour faire l’analyse critique des mouvements de la société se trouve être Marx ?
Emmanuel Todd. C’est vrai et c’est grâce, notamment, à la longue et permanente discussion que j’entretiens avec mon copain philosophe Bernard Vasseur autour des textes, en particulier ceux du jeune Marx. Pour l’analyse des phénomènes historiques et des conflits de classes, Marx a toujours été la figure totémique, le modèle du chercheur engageant toute sa vie dans sa quête intellectuelle, en dehors des structures universitaires, avec une impressionnante capacité à exprimer les choses cruellement et drôlement. Je ne peux être qu’admirateur de ce Marx-là. Mon livre de base, ici, cité dans Après la démocratie et dans le Mystère français, reste les Luttes de classes en France.
Que peut-on déduire de ce diagnostic pour notre avenir commun ?
Emmanuel Todd. L’accès de faiblesse du cœur égalitaire résulte de l’état intermédiaire, en ce moment politiquement inactif, de la grande région parisienne. Cette région représente une masse considérable, mais elle est aujourd’hui fragmentée. Les inégalités éducatives et économiques y sont plus fortes qu’ailleurs. Ceux qui ont un niveau éducatif très élevé y sont nombreux. Elle compte aussi beaucoup de jeunes et des immigrés de toutes origines.
Les taux de mariages mixtes y sont élevés. La région capitale constitue ainsi une sorte de chaudron expérimental où se fabrique la future culture centrale dominante de la France. C’est l’une des rares villes monde où soient en train de fusionner des populations de toutes origines religieuses et de toutes couleurs, et cela se fait dans la culture individualiste égalitaire française traditionnelle. Les évolutions sont encore trop récentes pour que le vieux rêve français d’un homme universel y prenne tout de suite un nouvel élan.
Mais dans vingt ou trente ans, lorsque la fusion sera réalisée, la région parisienne sera l’une des merveilles culturelles du monde. Elle reprendra le contrôle du système national. J’admets que les prochaines années vont être dures. Mais, en tant qu’historien et en tant qu’homme de gauche, je suis tout à fait tranquille pour l’avenir un peu plus lointain de mon pays.
(1) Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, coédition Seuil-La République des idées, 2013. 336 pages, 17,90 euros.
Révolution anthropologique. Emmanuel Todd est un historien français, anthropologue, démographe, sociologue et essayiste. Chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), il développe l’idée que les systèmes familiaux jouent un rôle déterminant dans l’histoire et la constitution des idéologies religieuses et politiques.
Élève d’Emmanuel Le Roy Ladurie, son approche historique, basée sur l’histoire de longue durée, est celle de l’École des Annales de Fernand Braudel. Sa formation relève de l’empirisme anglo-saxon. C’est en 1976 qu’Emmanuel Todd publie la Chute finale, son premier livre. Il y annonce « la décomposition de la sphère soviétique ». Ce n’est peut-être pas tant le thème de ce travail qui surprend que la méthodologie historique qui produit une révolution dans les sciences sociales : la puissance de son analyse repose sur une interprétation anthropologique.
Depuis, il a été l’auteur de nombreux ouvrages et essais reprenant cette approche. L’Invention de la France, parue en 1981, voit ce travail d’analyse réalisé conjointement avec le démographe Hervé Le Bras. Il traite du cas français, intéressant parce qu’il est un modèle de diversité anthropologique au sein d’une seule nation.
"A Fresh Impetus To the French Dream of Universal Man"
Translated Saturday 6 July 2013, by
Historian, demographer and anthropologist Emmanuel Todd and Hervé Le Bras have just published a study based on 120 maps of France drawn from a great many studies and statistics, in the light of which many commonplaces are shown to be paradoxes. Altogether, Le Mystère français [1] (The French Mystery) provides a penetrating diagnosis.
“HUMA”: In The French Mystery you draw a fairly balanced portrait of our hexagonal mainland. How do you account for this diagnosis?
EMMANUEL TODD: We have mostly analyzed a contradiction between the economic superstructure and the mental infrastructure. Our maps of the industrial rout are most disquieting. We measure inequality in wealth. We describe the effects of the crisis. But in education, demography and family life we find the opposite trend: average educational standards have improved. Women’s emancipation has been going on at a faster rate. The birth rate, irrespective of social class, has reached a more than reasonable level. Life expectancy has never been so high. Homicide and suicide rates are down. These figures give us a real picture. So the contradiction must be underlined.
Roughly, there are two ways of interpreting this book: on the one hand “France is not doing so badly”, and on the other, ”see the great divide between those that are doing badly and those that are doing fine”. In fact the book says: “Careful, there is a contradiction between the ruling class’s vision, those that do as if their country did not exist and lead us to an economic catastrophe, and the real country, the real people who must also be considered.” The crisis of the French political system lies in this blindness. This book could serve revolutionary purposes [2].
HUMA: More than thirty years after The Invention of France, you give us an updated profile of the country but still brushed with what you call “the hand of the past”. Is that it?
TODD: That was thirty years ago, we took pleasure in pointing out France’s persisting diversity. This time, we might have simply registered the fact that the anthropological and religious zones persisted despite changes in our mentality. In fact we find that social change, its acceleration even, are catalyzed and piloted by the old anthropological zones. The old religious or family structures are not simply persistent, but they are still active. Take education for instance. First there was the early lift-off of the cultural zones where the Occitan-speaking family type prevailed. Then those where Catholicism has just collapsed – a peripheral constellation, west and east - achieved top performances. Catholicism is metaphysically dead, but from a social point of view it is still alive and seems to produce effects still. We use the concept of “zombie Catholicism”.
HUMA: Is this what leads you to establish a distinction between two great zones across the country – even if they are somewhat heterogeneous?
TODD: There is a basic opposition between two complementary forms: the long basin around Paris, (“bassin parisien”), between Laon and Bordeaux, together with the Mediterranean front constitute that half of France that was de-Christianized at an early stage, and is characterized by the revolutionary, republican and secular ideal. And home to the individualistic, egalitarian family type. Then all around lies the other, Catholic half. This opposition appears in very old maps. The map drawn by Timothy Tackett, an American, shows that these zones appeared following the adoption of the clergy’s Civil Constitution in 1791, depending on whether it was accepted or refused.
HUMA: Having diagnosed this “zombie Catholicism”, you make out, by contrast, what you call “the post-communist depression” zone?
TODD: To me that is the most important element. The depression that set in in the popular regions and classes of the post-war communist ideological space, with its ailing schools, high unemployment rates, social break-up symptoms. Communism as a collective faith that had a structuring effect. It played an extraordinarily positive part in the life of the common people. It embodied the notion of progress, checked the bad xenophobic instincts. It had faith in culture… All of this imploded, because of Stalinism, leaving a legacy of shame. And so today there is a great void. As an anthropologist I would say that a socialist party under the influence of zombie Catholicism cannot represent the whole of the French Left. Something is lacking in the French political culture and representation. The Communist Party was the ultimate incarnation of the French revolution, a revolution that lives on through its principles.
HUMA: And you find that certain changes might generate a rightist ideological drift?
TODD: In the 1950s everybody could read but only a few had been to university. Those were the times when democracy was in its ascending phase. The masses imitated and challenged the middle class, they looked up to it and to the future. Progress was then the word. Whereas today, among the under-35 age-group a majority has gone to university. Then come those that have been through high school or technical schools. Then comes the 10-to-12% group of those that got stranded at elementary school level and are sometimes poor readers.
Today’s world is completely different. Those with university degrees look out for opportunities abroad, in the infinite spaces of cultural globalization. The middle group is afraid of coming down in the world and is looking down with fear to the 10 to 12% of drop-outs. That middle group looks down to the bottom, to the past. It structurally leans to the Right. Moreover society is ageing, which is a conservative factor in politics.
HUMA: But here again "the French Mystery" lies in the fact that this swing to the right has a paradoxical expression?
TODD: Since I wrote this book the situation has somewhat changed. I believe we have left behind the stage where the Right in general made headway, for now it is the Socialist government that leans to the Right. And I am beginning to perceive a pro-European and neo-liberal evolution of the Socialist Party that, to our great surprise, might take us further than what Sarkozy’s rule was able to achieve. For what is most paradoxical in that book is the finding that the Socialist party’s strongholds are now in the regions that, historically, compared to others, have little faith in the freedom of the individual, in equality between humans, or in the importance of the State as regulator. It is therefore legitimate to wonder if the Socialist Party is not itself affected by this swing.
This is also true of the Right, in the opposite direction. Jérôme Fourquet, who works with IFOP (the French public opinion institute) gave us access to data that are hard to come by, like the sum of voting intentions in each socio-professional categories and region. A majority of the lower-classes in the region of Champagne-Adennes’, at the heart of the equalitarian “half”, voted for Sarkozy in the second round of the presidential election. Because of its local situation, the UMP finds itself under the influence of equalitarian trends.
Whereas Sarkozy’s government had, to say the least, no scruples as regards xenophobia and was very good at designating scapegoats, Muslims, immigrants, Roma, the public or mediating/para-public bodies, teachers, trade-unions, etc. but it did not succeed in deregulating the labour market or in dismantling the welfare state as the Socialist Party is now doing with the help of CFDT (the secularized avatar of the CFTC) which is therefore an instance of zombie-catholicism unionism.
HUMA: Since in your view the Socialist Party and the UMP are laboring under strong inner contradictions and France is much more fragmented than it might seem, would you say that basically France can rebound and be at one with itself, by making equality its first and foremost principle, which it has traditionally been?
TODD: There is an element that is not in the book, but on which the book can shed light: what about Europe, where nations diverge even more than the French provinces? Within the context of societies that are going through the crisis due to hyper-individualism, people are cut off from one another and anxious and lacking the strength adaptation requires, inevitably they turn back to their history and traditions. The truth about Germany now is that it is going through a new nation-building process – an extremely conscious process since its re-unification. So is France, too, but without being aware of it, and in a much more complex and slow way, being so diverse. Its leaders, bracing themselves against the grain of history, believe that they are saving Europe, and especially the euro even though the euro is doomed, its destruction being mechanically programmed, so to speak, by the cultural divergence between the nations. In France, the concept of nation appeared within the Left with the French Revolution. Then it passed over to the Right around 1900. In the void that results from the interminable death throes of the European concept, the National Front is given leeway to propose a stunted, degraded, warped version of the national idea. A sinister vision that excludes and denies French universalism. That is why I call it an anti-national front. What we need in France is a rebirth, within the Left, of the idea of nation, such as can enable us to shake free from the European paralysis and roll back our sleeves and set about solving our economic and social problems.
HUMA: From this you conclude that the tide in favour of the National front is bound to turn?
TODD: It is already ebbing in all the great cities and in the region around Paris. The National Front started in the east; it had narrow links with the presence of immigrants from the Maghreb. But its strongholds have been regularly moving towards the central zone, the revolutionary zone. In the process it has been losing its anti-Maghreb provincial bases. One might worry lest the National Front find its way into the very heart of French culture. But in fact, once it arrives in this equalitarian space it will stand against the wall. And it can’t jump over it, because its rhetoric denounces both the ruling classes (in conformity with the equalitarian stance) and against the foreigners, its scapegoats, , which runs contrary to the equalitarian stance and because of this, also against the French national idea. This, no doubt, is the posture characteristic of a fascist party. But what we can feel rising is the polarization of events around class and the social protest against elites, in which the No vote in the 2005 referendum originated. Social problems are going to multiply and point out the incapacity of the ruling oligarchy. I believe far less in a spring tide in favour of the National front than in a global implosion of political representation, in the general reshuffle, all at once and to everyone’s surprise.
HUMA : One of the main sources you use in you critical analysis fo the movements of society happens to be Marx ?
TODD: True, and that is especially because of my long and endless discussions with my pal, philosopher Bernard Vasseur . About texts, in particular those of the young Marx. Marx has always been the totemic figure for the analysis of historical phenomena and class conflicts. The model of the researcher’s life-long commitment to his intellectual quest, and outside academic structues, with an impressive capacity to express things cruelly and funnily. I can only admire that Marx. My basic book, here, quoted in Après la democracy ("After democracy") and Le Mystère français ("The French Mystery") remains La Lutte des classes en France.
HUMA: What can we draw conclusions from this diagnosis for our common future?
TODD: The current fit of weakness of the equalitarian heart results from the intermediary state, in this politically apathetic time, of the great region around Paris. This region represents a considerable, mass, but today it is fragmented. Inequalities in schools and social inequalities run deeper than elsewhere. There are great numbers of people with extremely good degrees. And great numbers of young people and immigrants of all origins. The rate of mixed marriages is high. The region around the capital is therefore a kind of experimental caldron where France’s future central, dominant culture is brewing. It is one of the very few cities in the world where populations of all religious origins and colours are melting. And this is taking place within the French traditional individualistic, equalitarian. These evolutions are too recent for the old French dream of universal man immediately to make a fresh start. But within twenty or thirty years, when the fusion has taken place, the region around Paris will be one of the world’s cultural marvels. It will gain back control of the national system. I admit the next years are going to be tough. But as a historian and a Leftist, I am not a bit anxious concerning my country’s mid-term future.
[1] Le Mystère français, d’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, coédition Seuil-La République des idées, 2013. 336 pages, 17,90 euros.
[2] The anthropological revolution : Emmanuel Todd is a French historian, anthropologist, demographer, sociologist and essayist. A researcher with the National Institute of Demographic Studies (Ined), he develops the idea that family systems play a decisive role in the history and constitution of religious and political ideologies. A student of Emmanuel Le Roy Ladurie, his historical approach, based on long-term history is that of Fernand Braudel’s “École des Annales. He is an alumnus of the school of Anglo-Saxon empiricism. In 1976 he published La Chute finale ("The Final Fall"), his first book, in which he announces “the decomposition of the soviet sphere”. What was surprising about this study was not so much its theme as the historical methodology that brought about a revolution in the social sciences: the penetrating force of his analysis rests on an anthropological interpretation. He has since then written many books and essays based on the same approach. In L’Invention de la France ("The Invention of France"), which came out in 1981, the analysis is carried out conjointly with demographer Hervé Le Bras. It studies the French case, the interest lying in its being a model of anthropological diversity within one nation.
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28/05/2013
La couleur d’origine / La vie d'Adèle : le point de vue de l'auteure : Julie Maroh
Voilà bientôt deux semaines que je repousse ma prise de parole quant à La vie d’Adèle. Et pour cause, étant l’auteure du livre adapté, je traverse un processus trop immense et intense pour être décrit correctement.
Ce n’est pas seulement à propos de ce que Kechiche a fait. C’est un processus à propos de l’idée de la répercussion de nos actes, d’écrire une ridicule histoire l’été de mes 19 ans et d’arriver à… « ça » aujourd’hui.
C’est un processus à propos de l’idée de prendre la parole et transmettre sur la Vie, l’Amour, l’Humanité en tant qu’artiste, de manière générale. C’est un processus à propos de moi-même et du chemin que j’ai choisi. Donc, oui… je suis traversée d’un sentiment indescriptible à propos de la répercussion. De se lever et de parler, et où cela peut mener.
Moi ce qui m’intéresse c’est la banalisation de l’homosexualité.
Je n’ai pas fait un livre pour prêcher des convaincu-e-s, je n’ai pas fait un livre uniquement pour les lesbiennes. Mon vœu était dès le départ d’attirer l’attention de celles et ceux qui:
- ne se doutaient pas
- se faisaient de fausses idées sans connaître
- me/nous détestaient
Je sais que certains sont dans un tout autre combat: garder cela hors-norme, subversif. Je ne dis pas que je ne suis pas prête à défendre cela. Je dis simplement que ce qui m’intéresse avant tout c’est que moi, celles/ceux que j’aime, et tous les autres, cessions d’être:
- insulté-e-s
- rejeté-e-s
- tabassé-e-s
- violé-e-s
- assassiné-e-s
Dans la rue, à l’école, au travail, en famille, en vacances, chez eux. En raison de nos différences.
Chacun aura pu interprété et s’identifier au livre à sa convenance. Je tenais toutefois à repréciser le point de départ. Il s’agissait également de raconter comment une rencontre se produit, comment cette histoire d’amour se construit, se déconstruit, et ce qu’il reste de l’amour éveillé ensemble, après une rupture, un deuil, une mort. C’est cela qui a intéressé Kechiche. Aucun de nous n’avait une intention militante, néanmoins j’ai très vite pris conscience après la parution du Bleu en 2010 que le simple fait de parler d’une minorité telle qu’elle soit participe à en défendre la cause (ou le contraire, selon.) et que cela nous dépasse complètement.
Le dégradé de la BD jusqu’au film
Kechiche et moi nous sommes rencontrés avant que j’accepte de lui céder les droits d’adaptation, c’était il y a plus de 2 ans. J’ai toujours eu beaucoup d’affection et d’admiration pour son travail. Mais surtout c’est la rencontre que nous avons eue qui m’a poussée à lui faire confiance. Je lui ai stipulé dès le départ que je ne voulais pas prendre part au projet, que c’était son film à lui. Peut-être est-ce ce qui l’a poussé à à me faire confiance en retour. Toujours est-il que nous nous sommes revus plusieurs fois. Je me souviens de l’exemplaire du Bleu qu’il avait sous le bras: il ne restait pas un cm2 de place dans les marges, tout était griffonné de ses notes. On a beaucoup parlé des personnages, d’amour, des douleurs, de la vie en somme. On a parlé de la perte du Grand Amour. J’avais perdu le mien l’année précédente. Lorsque je repense à la dernière partie de La vie d’Adèle, j’y retrouve tout le goût salé de la plaie.
Pour moi cette adaptation est une autre version / vision / réalité d’une même histoire. Aucune ne pourra annihiler l’autre. Ce qui est sorti de la pellicule de Kechiche me rappelle ces cailloux qui nous mutilent la chair lorsqu’on tombe et qu’on se râpe sur le bitume.
C’est un film purement kéchichien, avec des personnages typiques de son univers cinématographique. En conséquence son héroïne principale a un caractère très éloigné de la mienne, c’est vrai. Mais ce qu’il a développé est cohérent, justifié et fluide. C’est un coup de maître.
N’allez pas le voir en espérant y ressentir ce qui vous a traversés à la lecture du Bleu. Vous y reconnaîtrez des tonalités, mais vous y trouverez aussi autre chose.
Avant que je ne vois le film à Paris, on m’avait tellement prévenue à coups de « C’est librement adapté hein, ohlala c’est très très librement adapté », je me voyais déjà vivre un enfer… Chez Quat’Sous Films se trouvait tout le découpage des scènes filmées, épinglé au mur en petites étiquettes. J’ai battu des paupières en constatant que les deux-tiers suivaient clairement le cheminement du scénario du livre, je pouvais même en reconnaître le choix des plans, des décors, etc.
Comme certains le savent déjà, beaucoup trop d’heures ont été tournées, et Kechiche a taillé dans le tas. Pourtant, étant l’auteure du Bleu j’y retrouve toujours beaucoup du livre. C’est le cœur battant que j’en reconnais tout mon Nord natal tel que j’avais tenté de le retranscrire en images, enfin « réel ». Et suite à l’introduction de ma déclaration ici je vous laisse imaginer tout ce que j’ai pu ressentir en voyant défiler les plans, scènes, dialogues, jusqu’aux physiques des acteurs et actrices, similaires à la bande dessinée.
Donc quoi que vous entendiez ou lisiez dans les médias (qui cherchent souvent à aller à l’essentiel et peuvent facilement occulter certaines choses) je réaffirme ici que oui, La vie d’Adèle est l’adaptation d’une bande dessinée, et il n’y a rien de mal à le dire.
Quant au cul
Quant au cul… Oui, quant au cul… Puisqu’il est beaucoup évoqué dans la bouche de celles et ceux qui parlent du film… Il est d’abord utile de clarifier que sur les trois heures du film, ces scènes n’occupent que quelques minutes. Si on en parle tant c’est en raison du parti pris du réalisateur.
Je considère que Kechiche et moi avons un traitement esthétique opposé, peut-être complémentaire. La façon dont il a choisi de tourner ces scènes est cohérente avec le reste de ce qu’il a créé. Certes ça me semble très éloigné de mon propre procédé de création et de représentation. Mais je me trouverais vraiment stupide de rejeter quelque chose sous prétexte que c’est différent de la vision que je m’en fais.
Ça c’est en tant qu’auteure. Maintenant, en tant que lesbienne…
Il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau: des lesbiennes.
Je ne connais pas les sources d’information du réalisateur et des actrices (qui jusqu’à preuve du contraire sont tous hétéros), et je n’ai pas été consultée en amont. Peut-être y’a t’il eu quelqu’un pour leur mimer grossièrement avec les mains les positions possibles, et/ou pour leur visionner un porn dit lesbien (malheureusement il est rarement à l’attention des lesbiennes). Parce que – excepté quelques passages – c’est ce que ça m’évoque: un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui m’a mise très mal à l’aise. Surtout quand, au milieu d’une salle de cinéma, tout le monde pouffe de rire. Les hérétonormé-e-s parce qu’ils/elles ne comprennent pas et trouvent la scène ridicule. Les homos et autres transidentités parce que ça n’est pas crédible et qu’ils/elles trouvent tout autant la scène ridicule. Les seuls qu’on n’entend pas rire ce sont les éventuels mecs qui sont trop occupés à se rincer l’œil devant l’incarnation de l’un de leurs fantasmes.
Je comprends l’intention de Kechiche de filmer la jouissance. Sa manière de filmer ces scènes est à mon sens directement liée à une autre, où plusieurs personnages discutent du mythe de l’orgasme féminin, qui… serait mystique et bien supérieur à celui de l’homme. Mais voilà, sacraliser encore une fois la femme d’une telle manière je trouve cela dangereux.
En tant que spectatrice féministe et lesbienne, je ne peux donc pas suivre la direction prise par Kechiche sur ces sujets.
Mais j’attends aussi de voir ce que d’autres femmes en penseront, ce n’est ici que ma position toute personnelle.
Quoi qu’il en soit je ne vois pas le film comme une trahison. La notion de trahison dans le cadre de l’adaptation d’une œuvre est à revoir, selon moi. Car j’ai perdu le contrôle sur mon livre dès l’instant où je l’ai donné à lire. C’est un objet destiné à être manipulé, ressenti, interprété.
Kechiche est passé par le même processus que tout autre lecteur, chacun y a pénétré et s’y est identifié de manière unique. En tant qu’auteure je perds totalement le contrôle sur cela, et il ne me serait jamais venu à l’idée d’attendre de Kechiche d’aller dans une direction ou une autre avec ce film, parce qu’il s’est approprié – humainement, émotionnellement – un récit qui ne m’appartient déjà plus dès l’instant où il figure dans les rayons d’une librairie.
La palme
Cette conclusion cannoise est évidemment magnifique, à couper le souffle.
Comme évoqué dans mon introduction, tout ce qui me traverse ces jours-ci est tellement fou et démesuré que je ne saurais vous le retranscrire.
Je reste absolument comblée, ébahie, reconnaissante du cours des évènements.
Cette nuit j’ai réalisé que c’était la première fois dans l’histoire du cinéma qu’une bande dessinée avait inspiré un film Palme d’Or, et cette idée me laisse pétrifiée. C’est beaucoup à porter.
Je tiens à remercier tous ceux qui se sont montrés étonnés, choqués, écœurés que Kechiche n’ait pas eu un mot pour moi à la réception de cette Palme. Je ne doute pas qu’il avait de bonnes raisons de ne pas le faire, tout comme il en avait certainement de ne pas me rendre visible sur le tapis rouge à Cannes alors que j’avais traversé la France pour me joindre à eux, de ne pas me recevoir – même une heure – sur le tournage du film, de n’avoir délégué personne pour me tenir informée du déroulement de la prod’ entre juin 2012 et avril 2013, ou pour n’avoir jamais répondu à mes messages depuis 2011. Mais à ceux qui ont vivement réagi, je tiens à dire que je n’en garde pas d’amertume.
Il ne l’a pas déclaré devant les caméras, mais le soir de la projection officielle de Cannes il y avait quelques témoins pour l’entendre me dire « Merci, c’est toi le point de départ » en me serrant la main très fort.
Pour en savoir plus sur le film, vous pouvez télécharger son dossier de presse
Et concernant le porn lesbien, un petit lien
L’ombre du tournage -> http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2013/05/...
10:25 Publié dans Actualités, Cinéma, Livre, Point de vue, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julie maloh, la vie d'adèle, cinéma | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |