06/02/2007
LES PARTIS POLITIQUES SONT-ILS DISQUALIFIES ?
Raymond Huard est historien, auteur de l’Élection du président au suffrage universel dans le monde (1) et de la Naissance du parti politique en France (2). Entretien.
Rappel des faits
En présentant jeudi dernier sa candidature, José Bové déclarait : « Je ne suis pas le candidat d’un parti. Je ne suis pas un professionnel de la politique. » « C’est pourquoi je ne suis pas hors-sol », précisait-il dans un entretien le lendemain. José Bové tire de sa non-appartenance à un parti la légitimité de sa candidature et un atout pour rassembler. La plupart des candidats sont issus de partis et ont été désignés par eux et tous les candidats à l’élection présidentielle, loin de là, ne cherchent pas à s’en démarquer. Nicolas Sarkozy prétend cependant : « Je ne suis pas le candidat d’un système. » Une posture de campagne que son porte-parole Xavier Bertrand confirme : « Nicolas Sarkozy est un candidat hors système. »
Plusieurs candidats à l’élection présidentielle se présentent comme « hors parti » ou « hors système » et en font un argument électoral. Est-ce que cela signifie que les partis politiques seraient disqualifiés pour gouverner le pays ?
Raymond Huard. Regardons exactement quelle est la situation. La plupart des candidats à l’élection présidentielle ont commencé par recueillir les suffrages de leur parti. C’est vrai pour Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou, Dominique Voynet, Olivier Besancenot et Marie-George Buffet. Et même certains ont mené une véritable campagne pour obtenir ce soutien. Remarquons que ce phénomène s’est accentué depuis les débuts de l’élection présidentielle au suffrage universel. C’est donc une tendance forte. Et ceux qui se présentent comme fédérateurs hors parti, comme José Bové, fédèrent aussi des minorités de partis (minorité des Verts, de la LCR, du PCF...). Apparemment il ne néglige pas l’apport de ces minorités de partis.
Alors, ce fait reconnu qui est fondamental, il y a des candidats qui cherchent à élargir leur base au-delà des partis. Quand Sarkozy se dit « hors système », il flatte l’électorat de droite qui n’est en général pas très favorable aux partis. C’est dans ce cas un double langage. Mais il peut y avoir d’autres raisons : par exemple affirmer une certaine marge de liberté par rapport à son parti, ce qui peut s’admettre dans une élection au caractère très personnalisé. La démarche de Marie-George Buffet est encore différente : elle ne cache pas son appartenance au PCF, mais elle peut se réclamer aussi d’une légitimité conquise à la base dans les collectifs unitaires.
Mais cette posture recherchée par certains ne s’appuie-t-elle pas sur une crise des partis ?
Raymond Huard. L’élection présidentielle est une élection politique et il n’y a rien d’anormal à ce que les partis y jouent un rôle prépondérant. Qu’ils désignent les candidats. C’est dans ces partis qu’ils se sont fait connaître, qu’ils ont été testés et éprouvés. C’est une garantie de sérieux qui peut prémunir des emballements passagers de l’opinion sur une personnalité médiatique ou charismatique. Cette réalité n’est pas seulement française : dans la plupart des pays où existe une élection présidentielle au suffrage universel, Mexique, Chili, Brésil, Russie, dans bien des pays d’Afrique, où les partis sont très nombreux, se sont les partis qui présentent les candidats. Si on a une vision large, il n’y a jamais eu autant de partis dans le monde, et on ne voit pas tellement cette « crise des partis » dont on parle.
En France, l’élection présidentielle ne vient-elle pas modifier la vie des partis. Ne se transforment-ils pas en « partis de supporters » ?
Raymond Huard. Ça peut être vrai. Et cette sorte de captation par un candidat de son parti, n’existe que si le parti en question l’accepte et s’il y trouve son compte. Il n’empêche que le rôle des partis doit inévitablement continuer. Même si les partis n’ont pas le monopole de la représentation populaire, puisqu’il existe de nombreuses associations plus spécialisées dans des domaines divers (santé, logement, écologie...), les partis ont plusieurs spécificités qui rendent leur rôle indispensable. La première, c’est qu’ils doivent être à même d’apporter des réponses cohérentes à l’ensemble des problèmes qui se posent à un moment donné à une nation.
Deuxièmement, ces formations travaillent à tous les niveaux de responsabilité, local, communal, départemental, régional, national, européen, mondial. Et ils assurent leurs tâches de façon continue dans le temps, avec un suivi politique, et non l’espace d’une élection. La Constitution reconnaît ce rôle aux partis (article 4, « ils concourent à l’expression du suffrage... »). Pour l’élection présidentielle, l’obligation des 500 parrainages rend plus facile à un parti implanté dans tout le pays de se présenter.
Cette implantation est d’ailleurs le résultat d’efforts de longue durée, méritoires. Une campagne demande de l’argent, de la militance, que les partis sont mieux à même de fournir. Il faut enfin se rappeler que le président, pour gouverner, devra s’appuyer sur une majorité parlementaire qui lui sera fournie par des partis.
On présente souvent les « politiques » comme coupés des réalités. Les gens ne se sentent plus représentés par les partis ou dans les partis.
Raymond Huard. Il y a sûrement beaucoup de chose à changer dans les partis pour que les gens s’y reconnaissent. Mais ce qui a fait du mal, ce sont surtout les politiques qui ont été menées et qui n’ont pas répondu aux attentes. Ça demanderait un autre développement. Les partis ne sont pas parfaits, faut-il pour autant les remplacer et par quoi ? Des lobbies, des groupes de pression, des comités plus ou moins occultes ? Ou bien des mouvements aux structures plus lâches ? Mais est-ce que le fonctionnement de tels mouvements donne plus de garantie démocratique ou d’efficacité que celui des partis, avec leurs règles, leurs congrès... Personnellement, je ne pense pas qu’on puisse faire l’économie des partis. Ensuite leur forme, leur fonctionnement est l’affaire de chacune des organisations.
Est-ce que c’est toujours un terrain dangereux pour la démocratie de s’attaquer aux partis ?
Raymond Huard. S’il s’agit de critiquer les défauts des partis, de tel ou tel d’entre eux, c’est totalement légitime. Mais oui, il est dangereux de cultiver, comme on le fait si souvent, le dédain systématique vis-à-vis des partis et le dégoût de la politique. Les partis sont en France suffisamment nombreux pour que chacun puisse y trouver une sensibilité qui corresponde à la sienne. Quant aux « appareils » de ces partis, ils ont pour certains de l’importance, mais dans l’ensemble, ils ne sont pas tellement forts.
(1) 2003, aux éditions La Dispute, (2) 1996, aux Presses de Sciences-Po.
Propos recueillis par Olivier Mayer, l'Humanité
13:40 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : partis politiques, présidentielles, élections, PCF, PS, UMP | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
24/11/2006
MG BUFFET VEUT RASSEMBLER
Quelle appréciation portez-vous sur la situation créée à gauche par la désignation de Ségolène Royal ?
Marie-George Buffet. La candidature de Ségolène Royal porte des propositions marquées par un renoncement à changer profondément les choses. Assouplir la carte scolaire au lieu de donner les moyens d’une école de la réussite. Inventer des jurys citoyens au lieu d’aborder de front la question d’une VIe République. On pourrait multiplier les exemples. Vers quelle politique irions-nous ? Une politique sociale-libérale qui n’engagerait pas les grandes réformes sans lesquelles aucun changement n’est possible : une nouvelle politique fiscale pour donner les moyens à la recherche, à la culture et à l’école, l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, de nouveaux droits pour les salariés, la réforme du financement de la protection sociale... Cette candidature donne de nouvelles responsabilités au Parti communiste, mais également à tous ceux et celles qui veulent créer les conditions d’une nouvelle majorité à gauche. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer un appel à tous les hommes et toutes les femmes de gauche : rejoignons-nous sans attendre, construisons ensemble une autre voie à gauche apte à battre la droite et réussir à gauche.
Face à la politique de la droite et aux projets de Nicolas Sarkozy, un élargissement du rassemblement antilibéral est-il possible ?
Marie-George Buffet. Je le crois. La volonté de battre la droite est très forte. Et comment en serait-il autrement ? Son bilan est terrible. La carte des licenciements publiée récemment par l’Humanité, je la vis concrètement dans mes déplacements. On pourrait évoquer aussi la situation de l’hôpital public, de l’école... La droite doit payer la note pour son bilan. Il ne faut pas laisser les clés de la République à Nicolas Sarkozy. Sa droite est dangereuse au plan social, au plan de la démocratie, au plan international.
Mais ces millions d’hommes et de femmes qui veulent battre la droite, ils veulent que la gauche agisse contre les délocalisations, la précarité, l’insécurité. Ce sont ces questions que m’ont posées les ouvrières d’Aubade ou de Marie Surgelés avec qui je discutais dimanche dans la Vienne. Ce qu’ils veulent gagner, c’est le SMIC à 1 500 euros tout de suite, l’augmentation des salaires et des minima sociaux, une sécurité sociale universelle, des moyens pour l’école, une grande loi contre les violences faites aux femmes, une sécurité d’emploi et formation, un grand secteur public assurant le droit à l’énergie pour tous, un service public du logement... Ils veulent simplement une politique de gauche. Mais pour gagner cela, il faut un programme cohérent qui affronte les logiques libérales. C’est à cela que nous avons travaillé dans les collectifs unitaires. Ce programme est encore à enrichir, mais d’ores et déjà il faut le faire connaître. Il peut redonner espoir en une autre politique et faire grandir ce rassemblement.
Quelle ambition fixez-vous à ce rassemblement ? Y mettez-vous des frontières ?
Marie-George Buffet. Si je disais à l’une ou l’un de ces salariés rencontrés dimanche, si je disais aux familles en attente d’un logement que notre rassemblement n’aspire qu’à témoigner du bien-fondé de nos propositions ou à faire émerger une union de la gauche de la gauche, elles diraient : « Dans quel monde vit-elle ? Ne voit-elle pas l’urgence de battre la droite ? » Notre rassemblement doit clairement viser une majorité populaire pour constituer un gouvernement. Ne mettons donc aucune frontière ! Des hommes et des femmes de gauche ne se retrouvent pas dans le terme « antilibéral ». Je leur dis tout simplement : « Si vous pensez que la gauche a encore vocation à changer la vie, qu’elle peut, en rendant le pouvoir au peuple, se donner les moyens de s’en prendre aux grandes fortunes, au pouvoir divin des actionnaires ou au productivisme ravageur pour l’avenir de la planète, vous avez toutes les raisons de converger avec ceux qui sont déjà dans le rassemblement antilibéral. Nous nous sommes retrouvés, majoritaires autour du "non" de gauche, dans la lutte contre le CPE, contre les lois répressives, pour aider les enfants menacés d’expulsion, ou auparavant dans les luttes pour l’école, pour la laïcité... On peut converger et former cette majorité. On peut gagner en 2007. »
Les collectifs ont accompli beaucoup de travail. Reste la candidature. Certains estiment que votre qualité de dirigeante du PCF serait un obstacle au rassemblement. Que leur répondez-vous ?...
Marie-George Buffet. Il y a deux aspects. D’abord, la dirigeante : si je devais porter la candidature, je m’attacherais à ce que la diversité de notre rassemblement s’exprime pleinement, avec la volonté que les porte-parole constituent bien une équipe, et je n’exercerais plus mes responsabilités de secrétaire nationale.
L’autre aspect concerne mon appartenance au Parti communiste. Les partis sont nécessaires à la démocratie. Et le PCF est un lieu où des hommes et des femmes privés de parole (une femme, dans une réunion à Stains, me disait : « J’ai l’impression d’être gommée de la vie publique ») peuvent réfléchir ensemble, prendre des initiatives et des responsabilités. Si des partis confisquent le pouvoir, le PCF ne cesse, par ses actes, de montrer, depuis plusieurs années, dans les luttes, dans le combat pour le rejet de la constitution européenne, qu’il est un artisan acharné du rassemblement. Et il a toujours été utile à ce rassemblement. Aujourd’hui encore, il est le seul grand parti à avoir signé l’appel unitaire pour des candidatures antilibérales. Il en garantit, par sa présence, le caractère durable. Et ses militantes et militants, ses milliers d’élus sont pleinement engagés à faire vivre, avec d’autres, les collectifs unitaires.
On accuse aussi parfois les communistes de faire nombre dans les collectifs unitaires locaux et d’en créer pour qu’ils appuient votre candidature...
Marie-George Buffet. C’est ridicule. Ce qui est vraiment important, c’est que la dynamique prend corps. Elle se nourrit de l’investissement quotidien d’hommes et de femmes toujours plus nombreux dans leur diversité, parmi lesquels des communistes, évidemment. Et l’on devrait craindre cet envahissement populaire ? Ce serait quand même paradoxal pour une démarche qui se veut populaire et citoyenne ! Devrait-on avoir peur du collectif que j’ai rencontré récemment, devant le dépôt RATP de Saint-Denis ? Il y avait là des hommes et des femmes, communistes et non communistes. Leur collectif regroupe plus de 110 personnes. C’est de cet ancrage populaire dont on a besoin pour enclencher la dynamique. On en aura besoin dans la campagne. Mais au-delà, si demain nous sommes majoritaires, croyez-vous que l’on n’aura pas besoin de lieux où ces hommes et ses femmes pourront se retrouver et intervenir ? La démocratie doit jouer, sur la candidature comme sur les autres questions, celles du programme ou de l’orientation.
Vous avez rendu possible lors de la campagne référendaire que des hommes et des femmes, provenant de l’arc de toute la gauche, se retrouvent sur les mêmes estrades. Pensez-vous que le climat d’aujourd’hui rappelle celui qui a précédé la victoire du « non » ?
Marie-George Buffet. Les meetings rassemblent des foules très importantes, mais on n’y est pas encore. De nombreux hommes et femmes de gauche qui étaient sur les estrades ou dans les salles pendant la campagne du « non » ne sont pas encore avec nous. Il faut aller beaucoup plus loin, c’est le sens de mon appel. Chaque force doit pouvoir prendre ses propres initiatives pour mettre au pot commun ses points forts et ses atouts. C’est pourquoi le PCF, dans les quartiers et les entreprises, multiplie les initiatives, sur le pouvoir d’achat, avec les assises pour l’emploi...
À trois semaines des 9 et 10 décembre, date de la réunion nationale qui doit faire remonter les avis des collectifs locaux, quel est votre état d’esprit ? Êtes-vous confiante, inquiète, déterminée ?
Marie-George Buffet. Sereine. Si nous évitons les tensions et les anathèmes, nous ne nous ferons pas piéger par cette monarchie présidentielle. Aucune des candidatures en présence ne fait l’unanimité. Et c’est normal. Et si l’on devait procéder par élimination, on finirait par aller chercher le plus petit dénominateur commun. Ce qui signifierait que nous n’aurions plus d’ambition pour le rassemblement antilibéral. Même en équipe, être candidat, cela demande un énorme engagement. La droite ne nous fera aucun cadeau. Il faudra contrer les arguments, être sur le terrain tous les jours, tous ensemble, avec bien sûr une responsabilité supplémentaire pour le ou la candidate. Demandons-nous qui peut nous permettre de rassembler le plus largement, ceux et celles qui sont dans les collectifs, mais, bien au-delà, toutes les sensibilités de la gauche. Notre candidature devra surtout absolument parler à ces hommes et à ces femmes, et ils sont nombreux, que la droite précarise dans leur vie, l’emploi, le logement, l’éducation des enfants, la capacité à se soigner et à vivre dignement sa retraite. Pour ma part, je sens dans toutes mes rencontres que rien n’est encore joué : le bipartisme n’a pas encore refermé le couvercle sur les espoirs de changement. On peut bousculer le paysage politique. Si par millions, on conjugue nos énergies, comme en 2005, on peut gagner. Il y a urgence à faire du neuf à gauche. C’est le combat, l’ambition que je porte pour 2007.
Entretien réalisé par Jean-Paul Piérot
09:50 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : MG BUFFET, PCF, PRESIDENTIELLES | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |