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22/09/2019

Nucléaire et climat pour les nuls

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D’après une enquête IPSOS 75% des personnes se déclarant le plus hostiles à l’électricité nucléaire croient que les centrales nucléaires contribuent « beaucoup » à l’effet de serre alors que scientifiquement c'est archi faux et que c'est exactement le contraire.

Produire son électricité avec des centrales nucléaires présente un bilan très contrasté d’avantages et d’inconvénients. D’un côté la nécessité de maîtriser le risque d’une perte de contrôle des réacteurs, la difficile gestion des déchets radioactifs, et pour ceux qui ne fabriquent pas eux-mêmes réacteurs et combustibles une dépendance absolue vis à vis des fournisseurs. De l’autre une électricité abondante et pilotable, aux coûts qui peuvent être très compétitifs… ou non en fonction des situations. Une grande économie de matières premières et d’espace. Des centrales pratiquement dénuées d’émissions de particules ou de gaz nocives pour la santé et l’environnement. Une balance à jauger en fonction des besoins et caractéristiques des pays et systèmes électriques, ce qui peut aboutir à dire oui ou non à cette technologie.

outefois, un aspect de l’énergie nucléaire semble sans contestation possible : le fait qu’il permette l’accès à une électricité à très faible impact sur le climat – comparable, voire meilleure au MWh produit, à l’éolien, au solaire ou à l’hydraulique. Un avantage massif, au regard du charbon et du gaz, source de près de 70% de l’électricité mondiale et dont la combustion émet du CO2, le gaz à effet de serre n°1 des émissions anthropiques provoquant le changement climatique en cours. Dans les scénarios énergétiques, ceux examinés par le GIEC ou d’autres experts, le nucléaire fait donc partie des mix électriques envisagés pour atténuer la menace climatique.

L’ignorance des hostiles

Mais cet aspect est-il un fait connu, partagé, permettant un débat public informé sur le sujet ? Une étude sociologique réalisée par IPSOS pour le compte d’EDF depuis 2012 chaque année semble montrer que non. Dans une mesure pour le moins alarmante pour qui souhaite une décision citoyenne sur le sujet énergétique. A partir d’une enquête réalisée par internet (1), confirmant les ordres de grandeurs d’autres études, il est permis d’affirmer que l’ignorance règne plus que la connaissance de ce fait. Que nos concitoyens sont victimes d’une grande tromperie qui pèse sur leur réflexion.

L’ignorance est massive, puisque si l’on additionne les « beaucoup » (44%) et les « un peu » (34%), on frôle les 80% des sondés attribuant aux centrales nucléaires une responsabilité dans l’élévation de la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre, et donc dans le changement climatique. Même une vision optimiste – pour l’état des connaissances de nos concitoyens – parvient quand même à constater que près de la moitié de la population se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Je crois donc je sais

l’un des résultats les plus frappant de l’enquête est la dépendance à l’opinion de la diffusion d’une connaissance pourtant robuste, celle qui explique pourquoi le système électrique français est « décarboné » à près de 90%. Un peu comme la situation américaine où le vote Démocrate ou Républicain permet de prédire votre opinion sur la cause ou la réalité du changement climatique. L’enquête relie la position la plus hostile à l’usage de l’électricité d’origine nucléaire avec l’ignorance la plus massive : 75% des sondés se déclarant « tout à fait contre » l’utilisation du nucléaire croient que les centrales nucléaires contribuent « beaucoup » à l’effet de serre. La seule option de politique énergétique qui rassemble des personnes majoritairement informées de la véritable liaison entre nucléaire et climat est celle qui se déclare « tout à fait pour » cette source d’électricité. Les opinions moins tranchées se distribuent entre ces deux extrêmes.

Un psycho-sociologue y verrait une magnifique illustration du « biais de confirmation » qui encourage les individus à écarter toute information susceptible de mettre en cause leur croyance. Si l’on croit que l’énergie nucléaire, c’est mauvais, alors il faut qu’elle soit mauvaise aussi pour le climat… que l’on veut préserver.

Le souci climatique est très fort

Ce n’est pas par négligence du dossier climatique que les sondés en arrivent à partager massivement cette ignorance d’une des caractéristiques principales de l’électricité d’origine nucléaire. Ils sont en effet plus de 90% à considérer le changement climatique comme « très préoccupant » ou « assez préoccupant ». Plus encore : ils sont près de 90% à considérer que pour choisir les énergies à utiliser « lutter contre le changement climatique » est soit « très important » (49%) soit « plutôt important ». On pourrait donc s’attendre à ce que nos concitoyens fassent l’effort nécessaire pour comprendre l’origine première du problème – l’émission massive de gaz à effet de serre issus de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz. Et donc se rendre compte de ce qu’une centrale nucléaire ne fait pas partie du problème mais, éventuellement, de sa solution.

Il convient toutefois de noter que cette enquête, après d’autres, confirme que la population française n’est pas dans l’unanimité à ce sujet. Une grosse majorité affirme, en accord avec les climatologues, que nous vivons un changement climatique anthropique, causé par l’homme, mais ils ne sont que 67% en 2017 (et n’étaient que seulement 55% en 2012).

Plus on est jeune et plus on ignore

L’analyse du détail par tranche de population fait percevoir une dégradation de la culture scientifique inversement proportionnelle… à l’âge. Plus on est jeune et plus on se trompe. Entre 18 et 24 ans, 63% de la population est persuadée du caractère climaticide des centrales nucléaires. Et encore 55% des 25 à 34 ans. Curieusement, les jeunes sont aussi plus massivement convaincus que les vieux (75% des moins de 25 ans contre 50% des plus de 65 ans) du caractère anthropique du changement climatique. Autrement dit, la préoccupation climatique ne conduit absolument pas à la connaissance de la physique du climat, laquelle nous dit qu’une centrale nucléaire n’est pas une cause du changement climatique.

Les femmes se distinguent mal, avec un score de 57% persuadées que les centrales nucléaires émettent « beaucoup » de gaz à effet de serre, mais c’est là un résultat qui trouve sa source dans… l’hostilité qu’elles marquent puisqu’elles sont 51% à se déclarer tout à fait  contre ou contre leur utilisation, alors que seuls 39% des hommes sont dans ce cas.

Le bilan des « pour/contre » l’utilisation du nucléaire pour l’électricité est proche du match nul, avec 46% de contre contre 42% de pour. Les raisons invoquées par les uns et les autres pour choisir les énergies à utiliser sont diverses : emplois, protection de l’environnement, santé publique, coût… et lutter contre le changement climatique. Mais peut-on considérer que cette dernière raison est envisagée à bon escient lorsque tant de citoyens se trompent aussi lourdement sur la relation entre centrales nucléaires et émissions de gaz à effet de serre ? Le graphique ci-dessus montre en effet que les citoyens les plus soucieux de lutter contre le changement climatique sont également les plus opposés au nucléaire. Une opinion qui serait tout à fait respectable si elle ne s’accompagnait pas d’une ignorance largement partagée sur la véritable relation entre nucléaire et climat.

Blog le Monde

18/09/2019

Nedjma ou la chronique des années de plomb : Papicha

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Dans l’Algérie des années 1990, quatre étudiantes se trouvent confrontées à la montée de l’islamisme. Premier film de Mounia Meddour.

En 2011, Mounia Meddour réalisait un documentaire, le Cinéma algérien, un nouveau souffle, dans lequel elle se penchait sur la jeune génération de cinéastes qui émerge dans son pays. Ce « nouveau souffle », il semble qu’elle l’incarne elle-même avec son premier long métrage, présenté dans la section Un certain regard, tant Papicha est une ode à l’espoir, au combat, à la dignité et à la femme algérienne. Les papichas, littéralement, ce sont les jolies filles. Une façon de désigner ces jeunes femmes d’Alger pétillantes, effrontées et fières.

Nous sommes à Alger dans les années 1990. À la cité universitaire, deux étudiantes sortent dans la nuit, montent dans un taxi, changent de vêtements, se maquillent et se rendent dans une boîte de nuit. La plus délurée des deux, c’est Nedjma (extraordinaire Lyna Khoudri). Un prénom que la réalisatrice n’a sans doute pas choisi au hasard.

Il signifie « étoile », mais évoque le livre éponyme de Kateb Yacine. Au retour de boîte, un barrage de police campe le décor sécuritaire dans lequel vont évoluer Nedjma et ses copines de fac, Wassila (Shirine Boutella), Samira (Amira Hilda Douaouda) et Kahina (Zahra Doumandji). Elles ont la vie plein les yeux et comptent bien réaliser leurs rêves. Sans doute avec un brin de naïveté, refusant, au départ, de voir la réalité. Celle-ci va pourtant s’imposer. Durement.

Alors que Nedjma est tout entière à la préparation d’un défilé de mode qu’elle veut absolument organiser à partir du haïk, le tissu traditionnel qui couvre les femmes, deux événements vont surgir. D’abord, ce sont des affiches placardées sur les murs de la cité universitaire, qui incitent les femmes au port du hijab « avant que ce ne soit un linceul qui vous recouvre », comme le crache un islamiste dont le mouvement ne cesse de grandir. Autre drame, plus fort encore. Linda, la sœur de Nedjma, est abattue devant la maison de sa mère, comme l’a été Tahar Djaout dont elle lit un ouvrage. Pour la jeune styliste, le temps de la résistance et de la révolte est arrivé. Un long chemin vers la liberté, comme le disait Nelson Mandela.

Les hommes n’ont pas vraiment le beau rôle

Mounia Meddour s’est appuyée sur ses souvenirs personnels pour cette histoire d’une grande profondeur. Le récit dramatique n’en prend que plus de force. Elle suit au plus près les personnages. Les gros plans sur les visages sont remarquables. Elle filme ces femmes avec une tendresse et une sensualité non dissimulées. La scène où le corps de Linda est lavé avant d’être enroulé dans le linceul est toute en retenue sensible. La caméra effleure, caresse comme un hommage. Papicha évite les écueils manichéens avec intelligence.

Nedjma n’est pas contre la religion mais l’utilisation qui en est faite. Samara est la seule voilée des quatre, c’est pourtant elle qui va insister pour que le défilé de mode se déroule. Un mot enfin sur les hommes, qui n’ont pas vraiment le beau rôle. Mais comment pourrait-il en être autrement entre l’un qui veut quitter l’Algérie mais explique à Nedjma que, après leur mariage, sa vie à elle, ce sera lui, et l’autre qui tabasse Wassila et voudrait la contraindre à l’obéissance ? Deux facettes, séculaire et religieuse, du même regard paternaliste et machiste sur les femmes. À l’heure des grandes manifestations en Algérie, de l’espoir d’une deuxième république, ce retour sur les années de plomb s’avère nécessaire pour une société algérienne en pleine mutation.

Papicha, de Mounia Meddour, France, Algérie, Belgique, Qatar, 1 h 45

19:02 Publié dans Cinéma, International, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : papicha, mounia meddour | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

08/08/2019

Dans l’Amapa, l’or fait couler le sang

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Droits humains. Au Brésil, un chef waiapi est violemment tué par des garimpeiros lors d’une rixe dans son village. L’affaire reflète le drame qui se joue dans la région.

Ce 23 juillet, dans la jungle de l’Amapa, au nord du Brésil, s’élèvent des cris de détresse. Le corps criblé de coups de couteau d’Emyra Waiapi, cacique waiapi, éminent chef autochtone, vient d’être retrouvé sur les bords de la rivière. Quelques heures plus tôt, son village a été pris d’assaut par des garimpeiros, chercheurs d’or traîne-misère armés jusqu’aux dents.

Voilà deux semaines que le drame s’est produit et l’affaire demeure à ce jour non élucidée, sans version officielle. La Funai, la Fondation nationale de l’Indien, a bien confirmé la présence des orpailleurs et le décès du cacique. Mais l’enquête lancée par la police fédérale dans la foulée du crime semble au point mort.

Une chose est pourtant sûre : la disparition du chef indien a provoqué l’émoi de la communauté waiapi et de toute l’autochtonie, bien au-delà des frontières brésiliennes. L’assassinat d’Emyra Waiapi dénote une rare violence physique et symbolique. « Tout notre peuple est en détresse. Dans notre culture, le chef a une importance capitale, explique Waiapi Ichi Kouyouli, jeune militante des droits indigènes en Guyane. Sa perte est une vraie tragédie. Il guide le village, et sans lui la communauté n’est rien. » L’acte perpétré par les miniers brésiliens « est d’autant plus brutal qu’il a visé le cœur de notre façon de faire société », poursuit-elle.

La forêt éventrée pour les besoins d’une ruée vers l’or

Le meurtre est si marquant qu’il fait des remous jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. Le président Jair Bolsonaro, à plus de 2000 km de là, commente par le déni. Aucun « indice fort » ne permet d’incriminer directement les garimpeiros, affirme-t-il. En riposte, la haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, intime « au gouvernement brésilien d’agir avec fermeté pour stopper l’invasion des territoires indigènes et pour leur assurer l’exercice pacifique de leurs droits sur leurs terres ».

Si l’affaire contrarie les instances internationales, c’est que « par ses discours à répétition, le président brésilien encourage l’impunité des miniers illégaux, estime Geneviève Garrigos, responsable Amériques de l’ONG Amnesty International France. Reste aux indigènes de se débrouiller seuls pour protéger leurs terres ».

Le chef de l’État, d’ailleurs, n’en est pas à son coup d’essai. « Dommage que la cavalerie brésilienne ne soit pas aussi efficace que les Américains, qui ont exterminé les Indiens », regrettait-il, dans le Correio Braziliense, le 12 avril 1998, bien avant d’arriver au pouvoir. Depuis, ses déclarations ont été à l’avenant. La multiplication de garimpeiros dans l’Amapa « est une occasion pour lui de soumettre les peuples autochtones au progrès à marche forcée, tout en satisfaisant ses projets de développement de l’agrobusiness, reprend la spécialiste. Ce climat politique extrême a eu raison d’une vingtaine d’années sans heurt dans la région des Waiapi ».

Et pour cause, les convoitises industrielles sur les richesses minières de la Renca imposent une pression permanente. Voilà plusieurs dizaines d’années que le bruit des machines d’exploration minière est venu troubler la quiétude de la tribu pacifique. Et la forêt se voit peu à peu éventrée pour les besoins d’une ruée vers l’or d’un nouveau genre. Travailleurs précaires issus de la grande misère brésilienne y affluent des quatre coins du pays afin de toucher du doigt ce rêve de fortune. Mais une fois sur place, les garimpeiros eux aussi sont soumis à l’impitoyable réalité du trafic, frappés par la violence, les traitements inhumains, la pollution, les viols et les meurtres. L’Amazonie est devenue peu à peu le théâtre d’une tragédie humaine qui oppose des peuples prêts à tous pour survivre.

Les orpailleurs s’emparent des terres par les armes

Dans le quotidien waiapi, les intrusions ponctuelles sur les terres ancestrales ont fait place, au fil des ans, aux menaces de mort à l’encontre des chefs indigènes. S’ajoute à cela le harcèlement juridique du lobby minier. « Le terrain du droit est une lutte à part entière, étaye Geneviève Garrigos. Il faut du temps, de l’argent, et un nombre de déplacements important. Cela suppose de laisser des terres menacées sans protection durant le temps d’un procès. » Depuis peu, s’ajoutent ces orpailleurs galvanisés qui prennent peu à peu les lieux par la force armée, dans l’indifférence politique.

Écologique, le drame l’est également. Les Waiapi sont « les gardiens d’un patrimoine naturel global, celui de nos forêts primaires et de leur biodiversité », rappelle encore la militante des droits humains. L’Amazonie reste peu ou prou un poumon vert du monde, et abrite 20 % des eaux douces de la planète. « Si rien ne se dresse face aux ambitions des monstres industriels, on ne peut que redouter le pire. » Les associations évoquent une déforestation dont le taux a déjà doublé depuis 2018, ainsi qu’une pollution au mercure des eaux et des sols sans précédent.

« L’escalade de la violence est imminente, comme nous en avons déjà alerté les autorités locales », avertit Geneviève Garrigos. Les Waiapi résisteront jusqu’au bout pour préserver leurs terres ancestrales, même au péril de leur vie, assure-t-elle, l’attachement à la terre va au-delà de la propriété. Elle est le socle de leur culture, leur spiritualité, leur façon globale de voir et comprendre le monde. Pour eux, il n’y a pas de vie ailleurs. « De toute manière, pour aller où ? » interroge la militante des droits de l’homme.

20:05 Publié dans International, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brésil, amazonie | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

20/06/2019

Ginette, ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau : "La haine de l’autre conduit à ça"

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Ginette Kolinka est âgée aujourd'hui de 94 ans. Elle témoigne inlassablement auprès des jeunes en tant qu'ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau.

Vous descendez à peine du train que vous prenez souvent toute seule pour sillonner la France. Comment allez-vous ?

Je vais très bien et je le dois à tous ces déplacements. Ils me stimulent ! Bien sûr, j’ai mal aux jambes, aux mains, mes doigts se déforment… Mais si je promets d’aller quelque part, ce n’est pas ça qui va me faire changer d’avis. Je remercie les gens qui m’invitent.

Je ne me rends pas compte que je suis vieille. De temps en temps, je me dis "94 ans, quand même !", ça commence à se sentir quand je monte les escaliers. Quand on me tient le bras, ça me fait drôle, je suis tellement indépendante.

Pourquoi continuer à témoigner sans cesse ? N’est-ce pas lassant à force ?

J’ai commencé tard, il y a vingt ans. Certains témoignaient déjà depuis les années 80 et je leur disais "mais tu n’en as pas marre ?". En fait, non, je n’en ai pas marre. J’ai été prise dans un engrenage qui prend de plus en plus d’ampleur car nous sommes de moins en moins. Je revis ce que je raconte, ce n’est pas monotone et je continuerai tant que je pourrai.

Moi, c’est le hasard qui a voulu que je me lance dans ces témoignages. J’ai remplacé une camarade qui devait partir à Auschwitz avec des classes et qui était malade.

Je raconte pour que plus jamais des choses comme ça ne se produisent. Je dis attention, c’est la haine de l’autre qui conduit à ça. Il faut accepter les autres sans qu’ils soient comme nous. Même s’ils n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion. Nous sommes tous des humains. Mon message, c’est la tolérance.

Que pense votre famille de tous ces voyages et de tous ces témoignages ?

Je ne leur demande pas la permission ! Pour eux, je suis trop vieille pour faire tout ça. Avec eux, comme avec mes amis, ou même mon mari, je n’ai jamais pu en parler. Je n’y arrivais pas. Je suis quand même retournée là-bas en famille, il y a quelques années. Jamais je n’aurais demandé à mon fils de m’y accompagner. Il y a trois ou quatre ans, en novembre, il m’appelle et me dit : "Nous sommes tous libres, on y va tous ensemble." ça me gênait un peu. Comment j’allais faire, comment j’allais leur en parler ? Quand j’y vais pour accompagner des classes, je suis comme un petit toutou. Là, faire la guide me gênait. Mon fils n’a voulu voir que les endroits où j’avais vécu.

Que ressentez-vous quand vous retournez sur place ?

À Birkenau, on ne voit rien. Pas une seule trace alors qu’il y a eu six millions de morts. Il y a quelques bornes, même pas en français, donc je ne sais pas ce qu’elles racontent.

À Auschwitz, les salles avec les montagnes de cheveux, de chaussures… C’est du voyeurisme, pour que les gens s’apitoient. Mais tout est cuit, gris. Si on met un doigt dedans, tout part en poussière. Des objets comme les chaussures s’abîment moins. Qu’est-ce que ça deviendra ? Qu’est-ce qu’il en restera ?

À Compiègne, il y a des bornes avec un visage qui sort et qui raconte. Le président de mon association (*) aimerait la même chose à Auschwitz-Birkenau. Mais il y a bagarre entre Pologne et Europe. Les Polonais veulent l’argent de l’Europe, mais souhaitent tout décider seuls. ça pose problème.

Aujourd’hui, la montée des populismes en Europe, à nouveau, vous inquiète-t-elle ?

Ça fait peur, oui. Les gens qui votent pour l’extrême droite, ce n’est pas, pour la plupart, parce qu’ils en ont les idées. Mais ils ne savent plus pour qui voter. Ils se disent "on va essayer". Mais, ce n’est pas une robe qu’on essaie et qu’on laisse. C’est dangereux. C’est une tendance. Mais, il faut espérer qu’au pied du mur, les gens changent d’avis. ça dépend de nous aussi. Il faut se bouger.

Pourquoi ce livre maintenant ?

Je n’y suis pour rien. On m’invite moi sur les plateaux télé, on me félicite, mais on devrait inviter Marion Ruggiéri, la journaliste qui a écrit. Elle a fait le livre, j’en suis le sujet. Cette jeune journaliste avait écrit un article pour Elle. Elle m’a rappelée il y a quelques mois en me disant "il me reste quelques signes – en langage journalistique des notes. J’aimerais faire quelque chose encore".

Elle a sorti ce livre, très court, très précis, pas romancé. C’est un livre vivant. Quand on le commence, on a envie de poursuivre. Elle va corriger quelques petites erreurs que seuls les déportés peuvent identifier, pour la réédition. Un autre avait été écrit par Philippe Dana, il parle aussi de ma famille. Aujourd’hui, je ne sais pas d’où vient cet engouement sur ma personne. D’autres copines témoignent et me font un peu la gueule !

"Je ne sais pas comment on a tenu. La chance"

Pour finir la dédicace de ses livres, l’ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau signe "Ginette 78 599" avec un petit signe en forme de triangle, son numéro de matricule tatoué par les nazis sur son bras. "J’ai caché ce numéro pendant longtemps. Pas par honte, mais je ne voulais pas qu’on me pose de question. Je me voyais être opérée et en profiter pour demander au chirurgien de me l’enlever. Je n’aurais pas osé de moi-même aller le faire enlever. Mais, je mettais toujours des manches longues. Et à la piscine, je mettais un pansement dessus.

Un jour, une cliente sur un marché, l’aperçoit et me dit : “Tiens vous avez gagné à la loterie, je vais copier votre numéro pour le jouer”. Je me suis dit que des gens n’étaient donc pas au courant. Comment peut-on ne pas savoir aujourd’hui ?"

Ginette Kolinka a été arrêtée à Avignon, alors qu’elle rentrait déjeuner le 13 mars 1944. Elle a été enfermée aux Baumettes puis à Drancy avant d’être envoyée, avec son père, son frère Gilbert (les deux seront gazés dès l’arrivée dans le camp) et son neveu Jojo, par le convoi 71, à Auschwitz-Birkenau, persuadée de partir pour un camp de travail.

"Aucune parole ne peut décrire ce qu’on a vécu, ça paraît tellement incroyable. Comment peut-on nous croire ? On me parle de courage et de volonté. Moi, j’étais froussarde. Je ne sais pas comment on a tenu. La chance. Il fallait être inconsciente comme j’étais. Un robot qui ne pense pas. J’étais devenue comme ça. Ils nous ont transformés en bétail tout de suite. Mon cerveau ne travaillait plus du tout."

Ginette Kolinka finit par être évacuée, le 30 octobre 1944, vers Bergen-Belsen. Elle sera transférée à Raguhn et à Theresienstadt avant le retour à Paris, via Lyon, le 6 juin 1945. 
Elle retrouve sa mère et ses sœurs qui avaient regagné Paris.

Philippe Dana, “Ginette Kolinka : une famille française dans l’histoire”, Paris, Kero,  2016, 217 p. et  Ginette Kolinka, avec Marion Ruggiéri, “Retour à Birkenau”, Paris, Grasset, 2019, 112 p.

Quelles sont vos activités quand vous ne témoignez pas ?

J’aime bien blaguer. On s’imagine que parce que je suis une ancienne déportée, je pleure tout le temps. Mais pas du tout. Je me marre maintenant.

Et puis je vais à la salle de gym. Pas un cours pour senior, un vrai. Vous croyez que j’ai de si belles fesses pourquoi ? ! Bien sûr, je ne fais pas le grand écart mais j’aime ça. J’aime bien manger, même si cuisiner est une horreur. Quand je recevais, je l’ai fait un temps, mais je n’aimais pas ça. Par contre, le salé, le sucré. Je me régale de pain, de beurre et de fromage. J’aime la vie en fait. Et la vie m’aime. J’ai de la chance. Mon plaisir, c’est la vie. Hier, je me suis couchée à 3 h du matin. Je me suis levée à cinq pour aller prendre le train. Parce que mon plaisir, c’est venir rencontrer les gens.

(*) L’association pour laquelle témoigne Ginette Kolinka est l’Union des déportés d’Auschwitz. Elle ne compte plus que 91 survivants.