08/11/2020
Le sénateur communiste Eric Bocquet propose une taxe exceptionnelle pour contraindre Amazon à la solidarité avec les commerces de proximité
Vous avez proposé cette semaine au gouvernement une taxe exceptionnelle sur Amazon. Quel serait son objectif ?
Eric Bocquet : Il s’agit d’alimenter un fonds d’aide d’urgence aux commerces de proximité impactés par la pandémie. Car, à l’inverse de ces derniers, les grands groupes du numérique bénéficient du confinement, notamment Amazon s’agissant de la distribution de marchandises, les livres, mais pas seulement.
Les résultats d’Amazon sont absolument astronomiques cette année : 73 % de valorisation boursière depuis janvier 2020, pour atteindre les 1 650 milliards de dollars, l’équivalent du PIB de la Russie. Au premier trimestre, ses rentes ont augmenté de 26 %.
L’idée est donc d’instaurer un principe de vases communicants. Une régulation est nécessaire : il faut solliciter la minorité de grands gagnants de cette pandémie pour soutenir la majorité de ceux qui en sont les perdants. Concrètement, il serait aisé pour l’État d’évaluer le chiffre d’affaires d’Amazon, puisqu’il paie la TVA. Il ne resterait qu’à définir un taux et une assiette pour mettre en œuvre cette contribution de solidarité que nous proposons.
La mobilisation s’accroît contre l’implantation de nouveaux entrepôts notamment dans le Grand Est. Quelle est l’ampleur de la distorsion par rapport au commerce de proximité ?
Eric Bocquet : Le deuxième scandale est fiscal : les trois quarts des bénéfices d’Amazon ne sont soumis à aucune imposition parce que l’entreprise a implanté deux filiales au Luxembourg.
Le tout, évidemment, avec l’accord bienveillant de ce pays qui pratique, au cœur de l’Europe, la concurrence fiscale à l’extrême. Amazon a d’ailleurs été désigné par les spécialistes comme l’entreprise du numérique qui a la politique fiscale la plus agressive. Comme l’Union européenne (UE) ne veut pas se mettre d’accord sur la taxation des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon - NDLR) et laisse chacun jouer son propre plan fiscal, on est de fait dans une logique de compétition pour attirer les capitaux, les grands groupes en proposant des montages scandaleux qui créent une distorsion incroyable.
L’hypocrisie de l’UE touche à son comble avec beaucoup de discours sur cette question ou celle de la taxation des transactions financières, mais jamais rien qui avance. Le prétexte est toujours le même : ce serait trop compliqué. Les règles du jeu doivent changer, en particulier celle de l’unanimité. Sans remettre en cause la souveraineté fiscale des États, une majorité d’entre eux devrait pouvoir imposer des règles justes et équitables y compris aux multinationales.
Il est plus que tant d’ouvrir le chantier de l’harmonisation fiscale, sans lequel la règle de la concurrence libre et non faussée restera de mise. Le résultat est là : les financiers sont gagnants, les États et les peuples, eux, sont perdants.
Le gouvernement répond qu’il travaille à une taxe Gafa au niveau européen, qui, à défaut d’accord, serait instaurée en France. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, est même allé jusqu’à les considérer comme « des adversaires des États ». Pourquoi cela ne vous paraît pas suffisant ?
Eric Bocquet : Il ne faudrait pas s’arrêter au discours. Les prises de position volontaristes de Bruno Le Maire, nous les avons déjà entendues : on allait voir ce qu’on allait voir. Mais quand l’Allemagne dit non et que les États-Unis menacent de rétorsions les exportations françaises, on capitule. L’OCDE n’y arrive pas, le G20 non plus, l’UE ne veut pas y arriver.
Depuis 10-15 ans on nous raconte les mêmes sornettes et la situation s’aggrave. Il faut engager le rapport de force. L’opinion – le consommateur, le contribuable, l’électeur – doit s’emparer de ces sujets parce qu’on ne fera pas bouger les États sans volonté populaire forte d’avancer vers la justice fiscale. L’UE, et ses 500 millions d’habitants, n’est pas une petite entité dans le monde. Si elle décide d’entrer unie dans cette bagarre qu’est l‘économie, elle peut peser mais encore faut-il vouloir mener ce combat ensemble et dans l’intérêt général.
Je suis en revanche d’accord avec Bruno Le Maire lorsqu’il dit que ces grands groupes sont dangereux pour les États. Amazon investit dans la santé, Google s’intéresse à l’éducation… Ces groupes-là ont la puissance financière de beaucoup de pays, l’étape politique suivante est un monde où les affaires de 7 milliards d’humains sont gérées en direct – et sans impôts – par une centaine de multinationales en fonction, bien sûr, de leurs intérêts et non pas de l’intérêt général. C’est un enjeu politique et démocratique de fond.
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27/09/2020
Pourquoi le quinquennat est devenue la pire idée de la Ve République
C’est une des pires réformes de l’histoire constitutionnelle contemporaine qui a fêté ses 20 ans, jeudi. Le 24 septembre 2000, les électeurs français étaient invités aux urnes pour répondre à la question suivante : « Approuvez-vous le projet de loi constitutionnelle fixant la durée du mandat du président de la République à cinq ans ? » La suite est connue : une large victoire du oui, à 73 %, mais surtout une très forte abstention, à 69,8 %. Il aura donc suffi d’environ 7,4 millions de voix (sur 39 millions d’inscrits) pour que la Ve République change de visage et bascule un peu plus dans l’hyperprésidentialisation.
Le pouvoir de l’Assemblée a fini dans le cercueil.
Loué comme une manière d’adapter le rôle du président à une temporalité politique qui s’accélère, le quinquennat produit son hypertrophie. Car, derrière le passage au mandat de cinq ans, il y avait surtout un autre projet politique : l’inversion du calendrier électoral, pour que les élections législatives se tiennent dans la foulée de la présidentielle, actée par une loi de 2001. La présidentielle devient l’élection nationale qui conditionne tous les autres scrutins. Le but : enterrer toute cohabitation avec une majorité parlementaire élue sur le nom du vainqueur. Mais, dans la manœuvre, c’est surtout le pouvoir de l’Assemblée qui finit dans le cercueil.
Une abstention majoritaire
Le quinquennat aurait certes pu accoucher de tout autre chose, si le calendrier avait été maintenu. Des législatives à mi-mandat permettraient, par exemple, de sanctionner ou d’avaliser la politique du président. « La réforme de 2000 seule ne suffit pas à expliquer l’évolution du régime. La clé de l’hyperprésidentialisation, c’est l’inversion du calendrier électoral, confirme Lauréline Fontaine, constitutionnaliste à la Sorbonne Nouvelle-Paris-III. Le président a son nez partout, dès lors que les calendriers législatif et présidentiel se confondent. » Une omniprésence présidentielle encore plus frappante sous Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, qui en ont fait une marque de fabrique. Cela n’a pas échappé aux détracteurs de la Ve République. Les critiques répétées contre le régime, qu’elles soient portées par les promoteurs d’une VIe République davantage parlementariste ou par les gilets jaunes, à travers le référendum d’initiative citoyenne, vont dans le sens d’un rééquilibrage des institutions.
« Péché originel »
À l’origine du « péché originel », le premier ministre Lionel Jospin, alors en cohabitation avec Jacques Chirac. Le contexte penche en sa faveur : 71 % des Français, lassés des cohabitations, sont favorables au quinquennat, selon un sondage de l’été 1999. Le chef de l’État finit par plier et prend l’initiative d’un référendum, pour donner l’impression que Lionel Jospin a eu le dernier mot sur ce dossier. Pourtant le président redoute que cela renforce la présidentialisation du régime. En porte-à-faux, le PCF fait campagne sur le thème de « l’abstention critique et active », selon la formule du secrétaire national de l’époque, Robert Hue.
Si l’abstention s’est en effet avérée majoritaire, la réforme, elle, a produit ses effets délétères. « S’il fallait légiférer à nouveau, la première chose à faire serait de remettre les législatives au cœur de la vie politique française, au-delà de la question de la durée du mandat », juge la sénatrice PCF Éliane Assassi.
16:08 Publié dans Connaissances, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : présients, législatives | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
19/05/2020
Appel. Au coeur de la crise, construisons l’avenir
Dans une longue tribune collective, 150 personnalités du monde politique, associatif, syndical et culturel appellent à " préparer l’avenir ". " Nous ne sommes pas condamnés à subir ! " assurent-elles. Elles proposent qu’un grand événement, une " convention du monde commun ", réunisse dans les prochains mois " toutes les énergies disponibles ".
Premiers signataires* :
16:04 Publié dans Actualités, Point de vue, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : appel, gauche, avenir | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
09/04/2020
L'INVISIBLE : Le contre-journal de confinement de Maryam Madjidi
Prix Goncourt du premier roman pour « Marx et la poupée », professeur de français pour mineurs étrangers isolés, Maryam Madjidi raconte une histoire qui illustre, entre grandeur et lâcheté, comment la période met l’humanité à nu.
Je vous écris pour vous raconter une histoire. Une histoire simple qui s’est passée le 31 mars 2020.
C’est l’histoire d’une femme âgée de 60 ans qui travaille dans un Ehpad à Bagnolet. Elle est infirmière.
Chaque jour, elle se lève tôt, prend sa voiture et va au travail. Là-bas, elle soulage la douleur des personnes âgées dépendantes. En ce moment, il s’agit plus de soulager la douleur mentale de ces personnes vulnérables que leur douleur physique.
Souvent quand elle entre dans une chambre, la personne alitée à la peau ridée et au corps frêle lui demande doucement de lui prendre la main. L’infirmière hésite un instant mais ne peut refuser une telle demande. Elle a le cœur qui se serre et s’approche du lit. Elle enlève son gant, et prend cette main dans la sienne. Elle rassure, soulage, panse avec un seul remède : son humanité.
Ensuite elle va scrupuleusement se laver les mains et remet ses gants pour retourner travailler. Elle sourit derrière son masque. On le voit à ses yeux qui se plissent légèrement et se mouillent d’émotion.
Les résidents de cet Ehpad ne reçoivent plus de visites depuis environ un mois. Ces personnes sont totalement isolées, confinées dans leur chambre individuelle, dans une solitude et une détresse qui grandit jour après jour.
Une solitude pire que le virus
Depuis le début de la pandémie, il y a eu une quinzaine de morts atteints du Covid-19 dans cet établissement.
Ces morts ne sont même pas comptabilisés. On ne les compte pas. Ils ne comptent pas. Ils ne comptaient pas avant. Ils sont les invisibles de cette société.
Mais l’infirmière qui les accompagne dans cette dernière étape de la vie connaît chaque visage, retient chaque nom, appelle chaque famille, trouve toujours quelques mots doux à leur dire.
Elle fait son travail. C’est tout.
D’ailleurs, depuis quelques semaines, elle ne travaille plus en Ehpad mais dans une morgue à retardement. Les couloirs de cet établissement sont des couloirs où la mort plane dans chaque chambre, s’allonge dans chaque lit et attend patiemment en caressant les cheveux blancs d’une tête qu’elle fauchera méthodiquement un peu plus tard.
Elle ne se plaint pas. Elle ne l’a jamais fait. Elle fait son travail. C’est tout. Elle le fait depuis des années. Les conditions n’ont jamais été bonnes. Mais le travail doit être accompli avec la plus grande douceur, la plus grande compassion, la plus grande vigilance.
Elle n’est pas une héroïne. Elle est une infirmière en Ehpad en Seine-Saint-Denis. Elle ne supporte pas le mot « héroïsme ».
Un jour de repos, mardi 31 mars 2020, l’infirmière sort de chez elle pour faire ses courses. Elle pense à mille choses dans sa tête. Elle pense à ses parents dans un autre pays durement frappé aussi par la pandémie. Elle pense à ses petits-enfants et à cet avenir inquiétant que nous leur avons fabriqué à coups d’aveuglement, de cupidité et d’ignorance. Elle pense à ces résidents et au nombre de décès qu’elle va découvrir en retournant au travail jeudi. Elle est prise d’un vertige en pensant au nombre de morts en Italie, en Espagne, en France, tous ces chiffres qui grossissent les rangs de la mort dans le monde entier. Elle imagine Azraël, l’ange de la mort, particulièrement affairé en ce moment, débordé par tous les morts qu’il faut enlever à la vie. Elle n’aurait jamais imaginé une crise sanitaire de cette ampleur en France. La France, ce pays qu’elle a choisi comme refuge en 1986, ne lui assure plus la protection dont elle a besoin aujourd’hui, non plus comme réfugiée politique (elle ne l’est plus depuis longtemps) mais simplement comme infirmière, simplement comme citoyenne.
Elle oublie même qu’elle est en train de marcher sur un trottoir. Elle oublie de mettre un pied devant l’autre. Et elle tombe.
Elle tombe sur le trottoir, se déchire le jean et saigne du genou.
Devant elle, sur le même trottoir, avant qu’elle ne tombe, elle avait vu deux hommes qui marchaient et une femme derrière elle également.
Après sa chute, les deux hommes et la femme ont couru sur le trottoir d’en face et ont déguerpi, la laissant seule, par terre, avec ses courses étalées sur le sol et son genou qui saigne.
Madame, vous allez bien ?
Elle a éclaté en sanglots. Elle a pleuré non pas parce qu’elle avait mal à son genou. Elle n’a même pas senti la douleur. Elle a pleuré parce que personne n’est venu vers elle, même en se tenant à distance, la distance sociale, la distance de sécurité, juste pour lui poser à 1,50 m de distance sociale, 1,50 m de distance de sécurité, cette simple question : madame, vous allez bien ?
Non, ils ont fui. Ils ont fui parce qu’ils ont eu peur. Ils ont fui parce que la peur les rend inhumains.
L’infirmière s’est relevée. Elle a ramassé ses courses. Elle est rentrée chez elle.
Puisque aujourd’hui les premiers de cordée sont devenus invisibles et parfaitement inutiles à la nation, puisque aujourd’hui toutes celles et ceux que le gouvernement méprise maintiennent debout ce pays, alors je te nomme toi, l’infirmière de Seine-Saint-Denis, pour te faire sortir de l’ombre : Mithra Madjidi, ma mère.
Mercredi 1er avril 2020
10:11 Publié dans Histoire, Point de vue, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |