Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/08/2019

Dans l’Amapa, l’or fait couler le sang

Bresil Amapa.jpg

Droits humains. Au Brésil, un chef waiapi est violemment tué par des garimpeiros lors d’une rixe dans son village. L’affaire reflète le drame qui se joue dans la région.

Ce 23 juillet, dans la jungle de l’Amapa, au nord du Brésil, s’élèvent des cris de détresse. Le corps criblé de coups de couteau d’Emyra Waiapi, cacique waiapi, éminent chef autochtone, vient d’être retrouvé sur les bords de la rivière. Quelques heures plus tôt, son village a été pris d’assaut par des garimpeiros, chercheurs d’or traîne-misère armés jusqu’aux dents.

Voilà deux semaines que le drame s’est produit et l’affaire demeure à ce jour non élucidée, sans version officielle. La Funai, la Fondation nationale de l’Indien, a bien confirmé la présence des orpailleurs et le décès du cacique. Mais l’enquête lancée par la police fédérale dans la foulée du crime semble au point mort.

Une chose est pourtant sûre : la disparition du chef indien a provoqué l’émoi de la communauté waiapi et de toute l’autochtonie, bien au-delà des frontières brésiliennes. L’assassinat d’Emyra Waiapi dénote une rare violence physique et symbolique. « Tout notre peuple est en détresse. Dans notre culture, le chef a une importance capitale, explique Waiapi Ichi Kouyouli, jeune militante des droits indigènes en Guyane. Sa perte est une vraie tragédie. Il guide le village, et sans lui la communauté n’est rien. » L’acte perpétré par les miniers brésiliens « est d’autant plus brutal qu’il a visé le cœur de notre façon de faire société », poursuit-elle.

La forêt éventrée pour les besoins d’une ruée vers l’or

Le meurtre est si marquant qu’il fait des remous jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. Le président Jair Bolsonaro, à plus de 2000 km de là, commente par le déni. Aucun « indice fort » ne permet d’incriminer directement les garimpeiros, affirme-t-il. En riposte, la haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, intime « au gouvernement brésilien d’agir avec fermeté pour stopper l’invasion des territoires indigènes et pour leur assurer l’exercice pacifique de leurs droits sur leurs terres ».

Si l’affaire contrarie les instances internationales, c’est que « par ses discours à répétition, le président brésilien encourage l’impunité des miniers illégaux, estime Geneviève Garrigos, responsable Amériques de l’ONG Amnesty International France. Reste aux indigènes de se débrouiller seuls pour protéger leurs terres ».

Le chef de l’État, d’ailleurs, n’en est pas à son coup d’essai. « Dommage que la cavalerie brésilienne ne soit pas aussi efficace que les Américains, qui ont exterminé les Indiens », regrettait-il, dans le Correio Braziliense, le 12 avril 1998, bien avant d’arriver au pouvoir. Depuis, ses déclarations ont été à l’avenant. La multiplication de garimpeiros dans l’Amapa « est une occasion pour lui de soumettre les peuples autochtones au progrès à marche forcée, tout en satisfaisant ses projets de développement de l’agrobusiness, reprend la spécialiste. Ce climat politique extrême a eu raison d’une vingtaine d’années sans heurt dans la région des Waiapi ».

Et pour cause, les convoitises industrielles sur les richesses minières de la Renca imposent une pression permanente. Voilà plusieurs dizaines d’années que le bruit des machines d’exploration minière est venu troubler la quiétude de la tribu pacifique. Et la forêt se voit peu à peu éventrée pour les besoins d’une ruée vers l’or d’un nouveau genre. Travailleurs précaires issus de la grande misère brésilienne y affluent des quatre coins du pays afin de toucher du doigt ce rêve de fortune. Mais une fois sur place, les garimpeiros eux aussi sont soumis à l’impitoyable réalité du trafic, frappés par la violence, les traitements inhumains, la pollution, les viols et les meurtres. L’Amazonie est devenue peu à peu le théâtre d’une tragédie humaine qui oppose des peuples prêts à tous pour survivre.

Les orpailleurs s’emparent des terres par les armes

Dans le quotidien waiapi, les intrusions ponctuelles sur les terres ancestrales ont fait place, au fil des ans, aux menaces de mort à l’encontre des chefs indigènes. S’ajoute à cela le harcèlement juridique du lobby minier. « Le terrain du droit est une lutte à part entière, étaye Geneviève Garrigos. Il faut du temps, de l’argent, et un nombre de déplacements important. Cela suppose de laisser des terres menacées sans protection durant le temps d’un procès. » Depuis peu, s’ajoutent ces orpailleurs galvanisés qui prennent peu à peu les lieux par la force armée, dans l’indifférence politique.

Écologique, le drame l’est également. Les Waiapi sont « les gardiens d’un patrimoine naturel global, celui de nos forêts primaires et de leur biodiversité », rappelle encore la militante des droits humains. L’Amazonie reste peu ou prou un poumon vert du monde, et abrite 20 % des eaux douces de la planète. « Si rien ne se dresse face aux ambitions des monstres industriels, on ne peut que redouter le pire. » Les associations évoquent une déforestation dont le taux a déjà doublé depuis 2018, ainsi qu’une pollution au mercure des eaux et des sols sans précédent.

« L’escalade de la violence est imminente, comme nous en avons déjà alerté les autorités locales », avertit Geneviève Garrigos. Les Waiapi résisteront jusqu’au bout pour préserver leurs terres ancestrales, même au péril de leur vie, assure-t-elle, l’attachement à la terre va au-delà de la propriété. Elle est le socle de leur culture, leur spiritualité, leur façon globale de voir et comprendre le monde. Pour eux, il n’y a pas de vie ailleurs. « De toute manière, pour aller où ? » interroge la militante des droits de l’homme.

20:05 Publié dans International, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brésil, amazonie | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

20/06/2019

Ginette, ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau : "La haine de l’autre conduit à ça"

deportation.jpg

Ginette Kolinka est âgée aujourd'hui de 94 ans. Elle témoigne inlassablement auprès des jeunes en tant qu'ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau.

Vous descendez à peine du train que vous prenez souvent toute seule pour sillonner la France. Comment allez-vous ?

Je vais très bien et je le dois à tous ces déplacements. Ils me stimulent ! Bien sûr, j’ai mal aux jambes, aux mains, mes doigts se déforment… Mais si je promets d’aller quelque part, ce n’est pas ça qui va me faire changer d’avis. Je remercie les gens qui m’invitent.

Je ne me rends pas compte que je suis vieille. De temps en temps, je me dis "94 ans, quand même !", ça commence à se sentir quand je monte les escaliers. Quand on me tient le bras, ça me fait drôle, je suis tellement indépendante.

Pourquoi continuer à témoigner sans cesse ? N’est-ce pas lassant à force ?

J’ai commencé tard, il y a vingt ans. Certains témoignaient déjà depuis les années 80 et je leur disais "mais tu n’en as pas marre ?". En fait, non, je n’en ai pas marre. J’ai été prise dans un engrenage qui prend de plus en plus d’ampleur car nous sommes de moins en moins. Je revis ce que je raconte, ce n’est pas monotone et je continuerai tant que je pourrai.

Moi, c’est le hasard qui a voulu que je me lance dans ces témoignages. J’ai remplacé une camarade qui devait partir à Auschwitz avec des classes et qui était malade.

Je raconte pour que plus jamais des choses comme ça ne se produisent. Je dis attention, c’est la haine de l’autre qui conduit à ça. Il faut accepter les autres sans qu’ils soient comme nous. Même s’ils n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion. Nous sommes tous des humains. Mon message, c’est la tolérance.

Que pense votre famille de tous ces voyages et de tous ces témoignages ?

Je ne leur demande pas la permission ! Pour eux, je suis trop vieille pour faire tout ça. Avec eux, comme avec mes amis, ou même mon mari, je n’ai jamais pu en parler. Je n’y arrivais pas. Je suis quand même retournée là-bas en famille, il y a quelques années. Jamais je n’aurais demandé à mon fils de m’y accompagner. Il y a trois ou quatre ans, en novembre, il m’appelle et me dit : "Nous sommes tous libres, on y va tous ensemble." ça me gênait un peu. Comment j’allais faire, comment j’allais leur en parler ? Quand j’y vais pour accompagner des classes, je suis comme un petit toutou. Là, faire la guide me gênait. Mon fils n’a voulu voir que les endroits où j’avais vécu.

Que ressentez-vous quand vous retournez sur place ?

À Birkenau, on ne voit rien. Pas une seule trace alors qu’il y a eu six millions de morts. Il y a quelques bornes, même pas en français, donc je ne sais pas ce qu’elles racontent.

À Auschwitz, les salles avec les montagnes de cheveux, de chaussures… C’est du voyeurisme, pour que les gens s’apitoient. Mais tout est cuit, gris. Si on met un doigt dedans, tout part en poussière. Des objets comme les chaussures s’abîment moins. Qu’est-ce que ça deviendra ? Qu’est-ce qu’il en restera ?

À Compiègne, il y a des bornes avec un visage qui sort et qui raconte. Le président de mon association (*) aimerait la même chose à Auschwitz-Birkenau. Mais il y a bagarre entre Pologne et Europe. Les Polonais veulent l’argent de l’Europe, mais souhaitent tout décider seuls. ça pose problème.

Aujourd’hui, la montée des populismes en Europe, à nouveau, vous inquiète-t-elle ?

Ça fait peur, oui. Les gens qui votent pour l’extrême droite, ce n’est pas, pour la plupart, parce qu’ils en ont les idées. Mais ils ne savent plus pour qui voter. Ils se disent "on va essayer". Mais, ce n’est pas une robe qu’on essaie et qu’on laisse. C’est dangereux. C’est une tendance. Mais, il faut espérer qu’au pied du mur, les gens changent d’avis. ça dépend de nous aussi. Il faut se bouger.

Pourquoi ce livre maintenant ?

Je n’y suis pour rien. On m’invite moi sur les plateaux télé, on me félicite, mais on devrait inviter Marion Ruggiéri, la journaliste qui a écrit. Elle a fait le livre, j’en suis le sujet. Cette jeune journaliste avait écrit un article pour Elle. Elle m’a rappelée il y a quelques mois en me disant "il me reste quelques signes – en langage journalistique des notes. J’aimerais faire quelque chose encore".

Elle a sorti ce livre, très court, très précis, pas romancé. C’est un livre vivant. Quand on le commence, on a envie de poursuivre. Elle va corriger quelques petites erreurs que seuls les déportés peuvent identifier, pour la réédition. Un autre avait été écrit par Philippe Dana, il parle aussi de ma famille. Aujourd’hui, je ne sais pas d’où vient cet engouement sur ma personne. D’autres copines témoignent et me font un peu la gueule !

"Je ne sais pas comment on a tenu. La chance"

Pour finir la dédicace de ses livres, l’ancienne déportée d’Auschwitz-Birkenau signe "Ginette 78 599" avec un petit signe en forme de triangle, son numéro de matricule tatoué par les nazis sur son bras. "J’ai caché ce numéro pendant longtemps. Pas par honte, mais je ne voulais pas qu’on me pose de question. Je me voyais être opérée et en profiter pour demander au chirurgien de me l’enlever. Je n’aurais pas osé de moi-même aller le faire enlever. Mais, je mettais toujours des manches longues. Et à la piscine, je mettais un pansement dessus.

Un jour, une cliente sur un marché, l’aperçoit et me dit : “Tiens vous avez gagné à la loterie, je vais copier votre numéro pour le jouer”. Je me suis dit que des gens n’étaient donc pas au courant. Comment peut-on ne pas savoir aujourd’hui ?"

Ginette Kolinka a été arrêtée à Avignon, alors qu’elle rentrait déjeuner le 13 mars 1944. Elle a été enfermée aux Baumettes puis à Drancy avant d’être envoyée, avec son père, son frère Gilbert (les deux seront gazés dès l’arrivée dans le camp) et son neveu Jojo, par le convoi 71, à Auschwitz-Birkenau, persuadée de partir pour un camp de travail.

"Aucune parole ne peut décrire ce qu’on a vécu, ça paraît tellement incroyable. Comment peut-on nous croire ? On me parle de courage et de volonté. Moi, j’étais froussarde. Je ne sais pas comment on a tenu. La chance. Il fallait être inconsciente comme j’étais. Un robot qui ne pense pas. J’étais devenue comme ça. Ils nous ont transformés en bétail tout de suite. Mon cerveau ne travaillait plus du tout."

Ginette Kolinka finit par être évacuée, le 30 octobre 1944, vers Bergen-Belsen. Elle sera transférée à Raguhn et à Theresienstadt avant le retour à Paris, via Lyon, le 6 juin 1945. 
Elle retrouve sa mère et ses sœurs qui avaient regagné Paris.

Philippe Dana, “Ginette Kolinka : une famille française dans l’histoire”, Paris, Kero,  2016, 217 p. et  Ginette Kolinka, avec Marion Ruggiéri, “Retour à Birkenau”, Paris, Grasset, 2019, 112 p.

Quelles sont vos activités quand vous ne témoignez pas ?

J’aime bien blaguer. On s’imagine que parce que je suis une ancienne déportée, je pleure tout le temps. Mais pas du tout. Je me marre maintenant.

Et puis je vais à la salle de gym. Pas un cours pour senior, un vrai. Vous croyez que j’ai de si belles fesses pourquoi ? ! Bien sûr, je ne fais pas le grand écart mais j’aime ça. J’aime bien manger, même si cuisiner est une horreur. Quand je recevais, je l’ai fait un temps, mais je n’aimais pas ça. Par contre, le salé, le sucré. Je me régale de pain, de beurre et de fromage. J’aime la vie en fait. Et la vie m’aime. J’ai de la chance. Mon plaisir, c’est la vie. Hier, je me suis couchée à 3 h du matin. Je me suis levée à cinq pour aller prendre le train. Parce que mon plaisir, c’est venir rencontrer les gens.

(*) L’association pour laquelle témoigne Ginette Kolinka est l’Union des déportés d’Auschwitz. Elle ne compte plus que 91 survivants.

05/06/2019

RECIT DU FIEF DE MARINE LE PEN A HENIN BEAUMONT : MENACES, INJURES, INTOX

henin beaumont.jpgMenaces, injures, intox : 120 jours à Hénin-Beaumont, le récit de Claire Audhuy !

De janvier à mai 2017, Claire Audhuy a vécu à Hénin-Beaumont, une ville du Pas-de-Calais gouvernée par le Rassemblement National. Dans le spectacle né de cette expérience, elle relate le quotidien d’une gouvernance violente, des intimidations, fake news et de la censure. Stand-up drôle et grinçant, 120 jours à Hénin-Beaumont propose une étrange alchimie entre l’indignation et le rire devant l’absurde. Pour Rue89 Strasbourg, Claire Audhuy revient sur cette la genèse de ce spectacle.

Rue89 Strasbourg : Comment une artiste strasbourgeoise s’est retrouvée à Hénin-Beaumont, dans le nord de la France ?

Claire Audhuy : « Nous étions jeunes quand nous avons créé Rodéo d’âme. Nous sommes une association, comme la plupart des compagnies de théâtre. Notre spécificité c’est l’écriture du réel, et puis nous éditons. Ce sont des textes sur des sujets engagés et actuels. Ce n’est pas facile de trouver un éditeur qui vous suive quand on parle de la Shoah, du conflit israélo-palestinien, de l’Algérie, de la prison, même du Front National comme ici.

J’ai répondu à un appel à résidence, lancé notamment par l’agglomération d’Hénin-Carvin, et soutenu par plusieurs ministères dont celui de l’Éducation. Ils cherchaient un auteur pour quatre mois à Hénin-Beaumont, de janvier à mai 2017, c’est-à-dire pile pendant la période des élections présidentielles 2017. Et comme Hénin-Beaumont a été choisi comme le nouveau fief du Front National, c’est là que Marine Le Pen se met en scène.

Ce spectacle, c’est un récit d’expérience. On pourrait dire que c’est une conférence gesticulée. Ma particularité c’est de travailler en immersion, pour vivre, ressentir et partager le quotidien des gens. On peut rapprocher ça du théâtre documentaire. D’habitude nous ne sommes pas reconnus comme faisant de l’humour, nos sujets sont trop graves. Mais parfois nous cherchons le rire pour faire entendre une parole inaudible. Nous travaillons avec mon mari, le journaliste Baptiste Cogitore. Il crée des documents photos et vidéos. Les autres documents ce sont tous les entretiens que je mène, les rencontres que je fais et les paroles que je peux retranscrire.

Le cœur de votre spectacle c’est le Steevy Show, une parodie du conseil municipal présidé par Steeve Briois, maire d’Hénin-beaumont, député européen et vice-président du Rassemblement National. Qu’est-ce que ces réunions ont de si spectaculaires et de si drôle ?

Quand je suis allé à son conseil municipal… non, ce n’est pas un conseil municipal : c’est une arène de cirque ou un numéro de claquettes. Il est capable de couper les micros des opposants quand ça lui chante. Les élus de l’opposition ne peuvent pas terminer leurs propos. Et s’ils ont la malheureuse idée d’achever quand même leur phrase, pour défendre leur position, le public, qui a été chauffé au préalable, hurle « ta gueule la poissonnière ».

Quand Steeve Briois adresse la parole à Marine Tondelier (élue Europe Écologie Les Verts), il est capable de dire « vous êtes un roquet de l’espèce hystérique ». Quand on parle d’Eugène Binaisse, ancien maire d’Hénin-Beaumont, on pourrait l’appeler monsieur Binaisse, ou monsieur le conseiller municipal, mais on l’appelle « le vieux qui pue la pisse ». Là, c’était lors d’une réunion préalable du conseil municipal… Il y a des procès tout le temps, et ça coûte très cher à Hénin-Beaumont. Ils ont essayé de porter plainte contre moi, deux fois . La première fois, c’était avec le motif « artiste non-neutre ».

Et c’est un motif valable pour porter plainte ?

Non. Le procureur a classé sans suite évidemment. La deuxième fois où ils ont essayé c’était pour « détournement d‘argent public ».

Sur quels faits ?

Ah mais non, là vous posez déjà trop de questions. Ce fut bien sûr classé sans suite, mais qu’est-ce qui se passe dans l’esprit des gens à Hénin-Beaumont ? Les gens en entendent parler, ça finit même dans le journal. Dans La Voix du Nord, on lit que le Front National porte plainte contre Claire Audhuy pour détournement d’argent public. Les parents de mes élèves à Hénin-Beaumont venaient me voir pour m’en parler. Je devais leur expliquer, mais les gens se méfient, il n’y a pas de fumée sans feu, etc.

« Quelle est la différence entre Marine Tondelier et une bière ? »

En plein milieu du conseil municipal, Bruno Bilde, l’adjoint au maire, interrompt les discussions pour raconter une blague. « Quelle est la différence entre Marine Tondelier et une bière ? La bière elle au moins est sûre de faire 3% ».

Là, vous avez oublié de rire. Dans le Steevy Show on ne sait pas s’il faut rire ou non, mais on rit de l’absurdité. Tenez, une autre blague de Bruno Bilde sur Facebook : « À quoi sert La Voix du Nord ? À se torcher et à faire un bon feu ».

Le Steevy Show c’est le moment où je donne à entendre comment Steeve Briois et son équipe parlent des gens. On distribue au public un trombinoscope et vous devez deviner de qui on parle, un peu comme Questions pour un champion. J’ai plein de personnages et si vous devinez juste, j’offre des cadeaux tricolores !

Cela fait deux ans que ce spectacle tourne, et il a été vu par des habitants d’Hénin-Beaumont. Comment ont-il réagi ?

Il n’y a pas de malentendu avec les habitants de Hénin-Beaumont. Quand j’y vais c’est tellement chaleureux et tellement convivial, je n’arrive pas à répondre à toutes les invitations. Par contre, c’est aussi délicat pour les habitants d’apprécier mes spectacles. Il y a une dame qui est venue me voir en mars quand je suis retourné à Hénin-Beaumont, et elle m’a dit “Je suis courageuse vous avez vu, je suis venue. Les deux dernières fois que je suis venue vous voir je suis arrivé en voiture et je suis repartie à pied.” La première fois elle s’était fait crever les pneus et la deuxième fois casser le pare-brise. Quand vous allez à un spectacle de Claire Audhuy, ça peut vous arriver. C’est arrivé plusieurs fois. Là, ils montrent les dents.

J’aime jouer nos spectacles notamment devant des jeunes, des lycéens, des collégiens. Ils n’ont pas choisi d’être là, ils viennent en groupe, avec l’école par exemple. Ce ne sont pas des adultes déjà convaincus. J’aime aller à la rencontre de gens qui ne viennent pas juste se gargariser. Rodéo d’âme veut créer un débat et brasser les cartes, et qui plus est pour la jeunesse en train de se forger son horizon.

« À Hénin-Beaumont, il n’y a pas un seul Français de souche »

Hénin-Beaumont, c’est le bassin minier. Pour les mines, on a appelé de la main d’œuvre des quatre coins de l’Europe et même d’Afrique. C’est un melting-pot, il y a 29 langues qui sont parlées. Les gens d’Hénin-Beaumont, il n’y en a pas un qui n’a pas un grand-père ou arrière-grand-père qui vient d’un autre pays. Ça, c’est la réalité du bassin minier : un brassage culturel énorme. Là il y a déjà un premier malentendu. Comment dans l’équipe du FN des gens peuvent-ils voter en toute amnésie pour une “ville sans migrants” alors que leurs propres grands-parents sont arrivés en tant que migrants ?

Les électeurs sont issus de ce brassage culturel. Il n’y a pas de “Français de souche”. Qui a créé cette expression et pour souligner quoi ? C’est juste pour faire se sentir certains moins français que d’autres. Ça n’a pas d’autre signification.

C’est étonnant que dans un tel contexte vous ayez été en mesure de faire une résidence d’artiste dans cette ville.

C’est la communauté de communes qui a choisi de me proposer la résidence, et comme Hénin-Beaumont est la plus grande des treize communes c’est là que je suis allée. Donc Steeve Briois n’avait pas le pouvoir de s’y opposer et il a dû en faire une jaunisse. Quand je suis arrivé, rapidement, le FN a appelé pour m’empêcher de travailler avec les écoles, les médiathèques, le théâtre et toutes les structures municipales.

Ce n’est jamais direct. Mais les gens s’auto-censurent par peur de se faire crever les pneus de leur bagnole. Tout ça, on l’a vécu. C’est de l’intimidation, mais personne ne sait qui fait cela, évidemment.

De telles violences sont étonnantes. Au niveau des forces de l’ordre à Hénin-Beaumont, y a-t-il une accointance avec la municipalité ?

Ah mais c’est extraordinaire, énorme. Au conseil municipal, il y a Robocop : un policier municipal vient siéger en uniforme. Je n’ai jamais eu de contrôle de police dans ma vie, sauf à Hénin-Beaumont. Plusieurs fois par jour. Alors je disais « Vous venez de me contrôler il y a cinq minutes ! » Et le policier disait « refus d’obtempérer ! »

« Quand je colle des affiches, je ne m’attarde pas dans le secteur… »

Ils m’arrêtent dans la rue tous les dix mètres. Ce n’est pas illégal, mais abusif. Il a des jours où je ne pouvais plus marcher. Le jour des élections présidentielles, ils m’ont accusé de vouloir « entraver le bon déroulé du vote de Marine Le Pen » parce que j’étais dans la rue à ce moment-là. Ils sont extraordinaires, mais ils sont aussi méchants. Je me suis faite suivre, mon courrier a été volé… Quand je colle mes. affiches à Hénin-Beaumont, je ne m’attarde pas dans le secteur. Et elles sont arrachées dans les 15-20 minutes

Je voulais faire tourner ma pièce “Les Migrantes” à Hénin-Beaumont, ce n’était pas possible. J’ai offert mon livre à la médiathèque mais ils ne l’ont pas mis dans leurs rayonnages, ou bien des mois après sa parution… J’ai bien vu que les habitants n’allaient pas pouvoir connaitre cette pièce de théâtre documentaire où je donne la parole à huit femmes exilées. Avec un ami graphiste, j’ai sélectionné des extraits et j’ai en ai fait des affiches que j’ai collées sur les panneaux d’affichage libre. Et elles étaient arrachées immédiatement.

« Ma commune sans migrants »

En octobre 2016, quelques mois avant mon arrivé donc, Steeve Briois venait de se fendre d’un texte intitulé « Ma commune sans migrants ». Une charte qui a été adoptée par la Ville. Faites appel à vos souvenirs. Une ville sans ou un monde meilleur sans quelqu’un, ça vous évoque quoi ? C’est donc un texte adopté à 29 voix sur 35 et moi j’arrive avec ma pièce Les Migrantes dans une commune sans migrants…

Quelles sont les pouvoirs que donnent de ce texte ?

C’est une charte qui permet tout. Par exemple, il y avait une association caritative depuis vingt ans qui donnait des vêtements et repas aux nécessiteux. Ils avaient un petit local mis à disposition à Hénin-Beaumont, comme pour la plupart des associations. La municipalité les a convoqués parce qu’ils ont distribué des repas et des vêtements sans demander les cartes d’identité des gens, donc ils ont potentiellement aidé des migrants. La mairie a donc décidé d’estimer le coût de la location du local à 200€ par mois, et leur a exigé un paiement rétroactif de 40 000€ pour les 20 dernières années. Ils ont rendu les clés deux jours après. Voilà comment, sous couvert de cette charte, la mairie peut expulser des associations caritatives qui aident les plus nécessiteux. On s’en fout que ce soient des Français ou non, pour donner de la soupe et des pulls !

Comment la population réagit à ces décisions de la municipalité ?

La population était très chaleureuse. Mais comme partout ailleurs c’est une petite ville qui se vide, les gens ne votent pas plus qu’ailleurs. Et il y a un battage médiatique. Le journal municipal est un tract pour le FN. Quand il y a eu les résultats des législatives, ils ont donné les résultats. Il y a eu le résultat de Marine Tondelier et ils ont indiqué qu’elle était candidate « EELV / La voix du Nord ». C’est pour faire croire qu’il y a des accointances entre les politiques et les journaux. Ils disent que, je cite : « les socialopes sont tous les amis des merdias et des journalchiasses ». Tout est fake news sur fake news. Ils ont fait venir Sophie Fessard au conseil municipal.

Je ne la connais pas…

C’est normal. C’est une soi-disant victime de l’attentat de Nice. Elle arrive en fauteuil roulant au conseil municipal, alors on pleurniche parce qu’elle est rescapée. Et juste après on débat de faire armer ou non les policiers municipaux. Vous vous doutez bien que l’extrême-droite est pour. L’opposition s’insurge et dénonce une manipulation par les émotions. Pourquoi une victime de Nice vient à Hénin-Beaumont parler des armes ? Sophie Fessard dit “si les policiers municipaux avaient été armés je serais debout et mon mari ne serait pas mort”. Mais cette personne n’est pas victime et elle n’est pas paraplégique. La Voix du Nord l’a découvert une semaine après. C’est le niveau de fake news qu’il sont capables de faire.

La bonne blague des « poux marocains »

Un matin, dans la cour de l’école, il n’est pas encore 8h, je croise des mamans qui discutent de la meilleure façon d’éliminer les poux. L’une parle de shampoing, l’autre dit qu’il faut raser directement les cheveux. Et une troisième maman les alerte : “Ça va être beaucoup plus compliqué les filles. Cette année c’est les fameux poux marocains, ils sont beaucoup plus coriaces…”

Quand Nicolas Bay (député européen RN) parle des réfugiés il dit “les prétendus réfugiés”. La presse est sous pression, l’opposition est humiliée, l’information est manipulée, c’est ça la réalité. Alors oui, avec le Steevie Show je me marre, sauf que tout est documenté et sourcé.

Avec toutes ces pressions, ces quatre mois de résidence ont dû être éprouvants.

Je suis allé au collège pour travailler avec des élèves, puisque qu’il ne dépend pas de la municipalité. On a préparé une pièce, « Bienvenue à Hénin-Beaumont », pour donner la parole à des élèves primo-arrivants et des élèves français du collège. Il y a eu tellement de pression sur le proviseur, des menaces et des coups de fil, qu’il a fallu censurer des passages entiers du texte.

Et si l’intimidation ne suffit pas, il reste la pression judiciaire. Un maximum de procès qui coûtent un maximum de pognon à la Ville, c’est la réalité. Hénin-Beaumont s’en sort parce qu’il y a plein de dotations de l’État, du Département, etc. Et ça sert notamment à payer tous les procès qu’ils intentent. Moi j’ai un avocat maintenant, qui a vu la pièce, qui relit mes livres…

Ils ont envoyé une lettre au procureur en disant « Claire Audhuy nous suit, elle était présente à la commémoration de la journée de la Déportation, à la commémoration de la fin de la guerre d’Algérie ». Des journées publiques, il faut le rappeler. J’ai reçu une lettre retraçant mes déplacements, pour me faire comprendre qu’ils savent ce que je fais, où je vais, avec qui je travaille… Mais je savais qu’ils m’avaient suivie, j’avais juste à me retourner.

C’est un climat de désinformation et de manipulation assez stupéfiant. Comment expliquez-vous l’existence de tels débordements et abus ?

À Hénin-Beaumont, vous voyez exactement comment ça peut se passer si le Rassemblement National gouvernait en France : il n’y a plus de liberté de la presse, il y a de l’humiliation, de la censure, les artistes sont muselés, les livres ne circulent pas. Oui, il y a des panneaux d’affichage libres à Hénin-Beaumont mais en quinze minutes, tu te fais recouvrir. Et si tu veux enlever leurs affiches, tu te fous des bouts de verre dans les doigts car ils mélangent du verre dans leur colle.

Une revanche sur les communistes

C’est leur ville modèle, la France entière les regarde, Marine Le Pen y vient. Pour eux c’est un symbole. Ils ont pris cette terre aux communistes et aux socialistes. Ils n’ont rien à faire à Hénin-Beaumont. Cette terre est à gauche, ce sont des frères qui étaient dans la mine. Pour le RN c’est une super vengeance. Ils font peur à tout le monde, ils mentent, ils manipulent. L’opposition politique n’en peut plus d’insultes et de diffamations.

Dans notre texte, il y a aussi tous les témoignages de primo-arrivants qui vivent à Hénin-Beaumont et ceux d’anciens mineurs. Avant le spectacle, je m’amuse à accueillir les gens avec ma tenue du Steevy Show, en bleu marine et avec des accessoires tricolores. Les gens chantent, applaudissent, jouent le jeu, se lèvent. C’est drôle, mais il y a de la conscientisation politique dans ce spectacle. On dénonce le populisme et la manipulation. On les dérange parce qu’on raconte. »

https://www.rue89strasbourg.com/menaces-injures-intox-120...

07/03/2019

« La poésie est hors saison, comme un vrai mois de mai »

Le Printemps des poètes 2019.jpgÀ l’occasion du Printemps des poètes 2019 (du 9 au 25 mars), qui a cette année pour thème « La beauté », Serge Pey abat son jeu, constitué d’un grand nombre de cartes brûlantes.

Il est plusieurs façons de se dire ou d’être poète…

serge pey Nous sommes dans un immense carnaval. Surtout ne pas se dire poète, au nom d’une poésie arrêtée et qui imite un langage qui ne bouge plus. La définition du poète est un mouvement permanent, et il est difficile de juger un concept qui recopie ou décalque un mouvement du passé. Mais par ce geste, qui redéfinit le mot poète, on se revendique paradoxalement, mais absolument comme tel. Être poète, c’est revendiquer une intelligence amoureuse.

Il fait être voyageur, dans les mots, marcheur de l’âme, explorateur d’inconnu. Alors oui, en ce sens je suis poète, car j’essaie de mettre en sacrifice tous les aspects du langage unis à la vie. Car, sans ce mouvement de mise à mort provisoire entre justement cette vie et ce langage, le concept même de poète est immobilisé et on assiste à sa mort. Le poète doit réinventer sa liaison à la vie et au langage d’une manière permanente.

Les poètes d’aujourd’hui doivent devenir des êtres témoignant du monde qui les entoure : l’amour, la lutte des peuples, les trous dans les étoiles, les dialogues avec l’invisible. C’est aussi avoir le courage d’une parole singulière contre le bruit dominant. C’est encore écrire des poèmes à contre-courant de la mode et des styles.

Continuer incessamment le sacrifice du langage pour arriver à une parole-pensée jamais entendue. C’est aussi défendre les poètes contre la fausse poésie des bons sentiments et les illusions du langage pourri des médias toxiques. Être poète, c’est savoir aussi être un écrivain public. Mettre son poème au service des opprimés que les pouvoirs réduisent en esclavage. C’est lutter avec ses mots contre le mensonge. Cette menterie qui collabore à la destruction du langage. Nous sommes ainsi obligés, d’une manière permanente, à reconstruire ce langage contre les mercenaires de l’obscurité qui détruisent la vérité.

Chez vous, il y va de l’engagement du corps tout entier…

serge pey La poésie est un morceau de corps pris dans la langue. La langue fait partie du corps et donc la poésie est un corps à part entière. La poésie est la publication de nos corps invisibles, de ces nombreux corps qui cohabitent en nous, ou dans l’ombre de nous-même.

C’est aussi le corps de l’autre, mort ou amoureux. Si la poésie est un corps, il passe dans l’écriture. Nous sommes des êtres de parole, et la poésie est cette extrémité. Il ne faut pas confondre l’oralisation de la poésie avec une corpo-caporalisation scénique. C’est surtout le conflit entre écriture et parole que la poésie incarne et résout. Un poème se récite, mais toute écriture est une oralité qu’il faut entendre même si elle est muette. L’écriture reste la manifestation des oralités qu’on n’entend pas, et qu’on aimerait faire entendre, ou la manifestation des oralités possibles et infinies contenues dans une écriture. La poésie ne se réduit pas à un récitatif, elle est toujours la mise en rituel d’un sacrifice ou d’un travail sur le langage.

Donner de la voix n’est cependant pas la condition d’un rapport au corps. Un poète muet peut être oral, car l’oralité a une infinité de possibilités de se manifester. La poésie est un gueuloir, mais également un murmure et une confidence. La voix ne fait pas un poème, elle est une manière de l’écrire sur un autre support que la page de papier ou le mur. Dire un poème à voix haute est une manière d’écrire dans l’oreille de l’autre. Il faut crier la poésie pour faire exister le monde, car le monde dit des choses à voix haute que beaucoup de gens disent tout bas. Parfois, un poème est la voix d’une liberté. Un engagement radical contre les poètes à gages qui n’ont de poète que leurs noms.

N’est-ce pas question de rythme ?

serge pey La poésie est un rythme. L’être humain à l’image du cosmos est un rythmeur. Réduire la poésie à une pulsation ou à un tempo, c’est omettre qu’elle est une pensée : une manière de penser avec l’immensité du corps et de l’esprit dans toutes ses contradictions. Elle n’est pas uniquement une séduction dansée, même si elle danse. Beaucoup de textes rythmés et rimés n’ont rien à voir avec la poésie.

Ils sont des singeries de poèmes, réduisant la poésie à ses rimes finales ou à quelques allitérations. Elle n’est que la vieillerie ressuscitée de siècles passés, prenant pour modèle ce qui se dit à l’école, souvent par facilité pédagogique. Il ne faut pas confondre la cadence avec un poème, car un jour on pourrait confondre une marche militaire avec de la poésie. Lorsque je disais mes poèmes avec Allen Ginsberg, c’est ce rythme que je pratiquais. Celui de la mélopée, proche parfois de la transe. Je me souviens encore les poèmes accompagnés par Marcel Azzola ou maintenant avec Bernard Lubat, Beñat Achiary, ou encore avec la guitare de Kiko Ruiz, c’est à chaque fois un nouveau monde qui s’ouvre dans l’espace du poème.

Que dire sur la beauté, thème de ce Printemps des poètes ?

serge pey Le mot beauté accolé à celui de poésie est pour un poète inimaginable. Mais il est volontaire, je pense, pour les organisateurs du Printemps des poètes, qui veulent donner à réfléchir sur ces concepts. Ce thème est aussi passe-partout que le nom de Printemps. Non, la poésie n’est pas belle, et ne se fait pas uniquement à cette saison sur un banc public. La poésie n’est pas une saison, elle est hors saison, comme un vrai mois de mai. On le sait, le beau peut être le laid. La beauté n’a rien à voir avec la poésie. C’est un lieu commun de l’idéologie dominante pédagogiste qui veut que la beauté soit liée à la poésie.

En poésie, c’est souvent le laid qui est montré comme Maïakovski nous l’apprend, ou Neruda ou Hikmet. S’il y a beauté, c’est dans sa transmission, dans la manière de tracer le chemin des mots afin que la vie puisse se regarder dans un miroir. Réduire la poésie à la beauté, c’est ne plus faire de poésie. La poésie est un acte de vie, qui peut aussi bien englober la vie des morts que des vivants. Elle est un lieu de résurrection. Radicalement un acte de vie. Notre beauté n’est pas belle. Surtout aujourd’hui.

Faire ce Printemps des poètes au nom de la beauté, c’est insister sur le fait que la beauté n’existe pas, ou paradoxalement qu’il faut défendre l’idée d’une redéfinition de la beauté contre la destruction capitaliste du monde. S’il y a une beauté à revendiquer, c’est celle d’un acte d’amour où l’on peut confondre les deux noms. La libération aussi peut être une beauté, une révolution, la mise en amour de deux mots. Après Rimbaud, il faut dire encore que cette beauté est amère, et qu’il est nécessaire de l’injurier, comme celle qui détruit aujourd’hui notre monde et notre humanité. Contre la beauté fabriquée du capitalisme destructeur, il faut opposer notre beauté et notre mystique du langage que nos ennemis prennent pour de la laideur.

Entre autres œuvres de Serge Pey : Mathématique générale de l’infini (Gallimard), Occupation des cimetières (Jacques Brémond), le Carnaval des poètes (Flammarion). Il est aussi présent dans l’anthologie du Castor astral à paraître.