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04/05/2025

L'inde et le monde

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Dans la période de profondes transformations qui s’annonce, on peut se demander quelle pourra être la contribution de ce géant qu’est l’Inde au monde de demain.

par Ismaël Dupont, Constantin Lopez, et Adrien Montbroussous

À une époque où la Chine connaît des hausses de salaires importantes et où croissent les tensions géopolitiques entre cette dernière et les États-Unis, qui la voient comme une « menace existentielle » pour leur sécurité nationale, des voix s’élèvent, dans les milieux d’affaires, pour se demander si l’Inde ne pourrait pas devenir une « nouvelle Chine » (voir par exemple les études de BNP-Paribas consacrées au sujet).

L’Inde, avec ses énormes réserves de main-d’œuvre bon marché sous-employée, son marché intérieur prometteur, et ses compétences dans le secteur des services, de l’informatique, de l’industrie pharmaceutique… serait ainsi amenée à devenir le nouvel Eldorado du capital transnational et à remplacer la Chine comme atelier du monde et moteur de la croissance mondiale. Pour autant, si l’Inde connaît un essor économique important, il existe un consensus pour dire qu’elle n’est clairement pas en mesure de se substituer à la Chine pour l’instant.

« Si l’Inde connaît un essor économique important, il existe un consensus pour dire qu’elle n’est clairement pas en mesure de se substituer à la Chine pour l’instant. »

Loin de reproduire le modèle chinois, l’Inde suit une voie qui lui est propre. L’objectif de ce dossier est de donner des éléments sur la façon dont l’Inde se développe et dont elle s’insère dans un ordre international en pleine transformation – de plus en plus multipolaire –, contribuant ainsi en retour à la structuration d’un monde nouveau.

Un développement entravé

Inde2.jpgL’Inde est depuis 2023 le pays le plus peuplé au monde, avec près de 1,5 milliard d’habitants. Malgré une natalité désormais en dessous du seuil de renouvellement des générations, le pays, en pleine transition démographique, voit sa population augmenter de 16 millions d’habitants (soit 1 %) par an. On estime ainsi que l’Inde bénéficiera jusqu’à 2044 d’un « dividende démographique » (augmentation du ratio actifs/dépendants). Pour autant, afin de bénéficier de cette opportunité, l’Inde devra créer suffisamment d’emplois de qualité et produire en quantité suffisante des biens et des services indispensables (alimentation, logement, éducation, transports…).

C’est là où le bât blesse : l’Inde possède de nombreuses faiblesses qui entravent sa capacité à créer ces emplois et qui perpétuent le sous-développement.

Il convient en premier lieu de mentionner le rôle délétère joué par les inégalités économiques, en particulier à la campagne. L’Inde reste un pays majoritairement rural, avec 45 % de la main-d’œuvre employée dans l’agriculture (cette dernière ne générant que 15 % du PIB). Or, il existe toujours dans les campagnes indiennes d’énormes inégalités d’accès aux ressources productives, à commencer par la terre.

L’incapacité (ou l’absence de volonté réelle) des autorités indiennes de mener à terme une réforme agraire redistributive, pourtant identifiée comme absolument stratégique par les autorités postindépendance – mais combattue dans les faits par les classes possédantes et leurs relais politiques – a contribué à la stagnation du pouvoir d’achat des masses rurales, freinant l’essor du marché intérieur et l’industrialisation.

« l’Inde possède de nombreuses faiblesses qui entravent sa capacité à créer des emplois et qui perpétuent le sous-développement. »

Ces inégalités économiques, combinées avec d’importantes inégalités territoriales, de caste et de genre, constituent probablement la faiblesse la plus profonde du modèle de développement indien. On en retrouve une autre illustration en ce qui concerne l’accès à l’éducation. Alors que la Chine (et, plus globalement, l’ensemble des pays ayant réussi leur décollage industriel après la Seconde Guerre mondiale) a d’abord mis l’accent sur l’enseignement primaire, l’Inde a favorisé sans commune mesure l’enseignement supérieur. En conséquence, l’Inde a su former un grand nombre de diplômés d’élite et d’ingénieurs (dont une part substantielle s’expatrie), mais peine toujours à fournir à l’industrie une main-d’œuvre dotée d’un niveau de qualification suffisant.

 

L’appel au capital étranger

Incapable de « compter sur ses propres forces », l’Inde a choisi depuis les années 1990 d’appuyer son développement sur le capital étranger et a opéré un tournant vers le néolibéralisme. Pour autant, cette stratégie n’a pas permis de compenser les faiblesses de l’économie indienne et a même aggravé certaines de ses fractures. La néolibéralisation a contribué à accentuer les inégalités, en concentrant davantage la propriété de la terre dans les mains d’une infime fraction de propriétaires, à travers des mécanismes d’accumulation par dépossession ou via le démantèlement ou l’affaiblissement des protections garanties aux petits agriculteurs. Des centaines de zones économiques spéciales ont été mises en place pour développer l’industrie. Créant un environnement normatif et fiscal extrêmement favorable aux intérêts capitalistes, ces zones n’ont pas permis d’accroître la part de l’industrie dans le PIB. Elles ont en revanche favorisé la régression des droits sociaux et se sont accompagnées de modes de gestion autoritaires et répressifs.

L’appel au capital étranger n’a ainsi pas permis l’essor industriel tant attendu. Le manque d’infrastructures et de main-d’œuvre qualifiée notamment freine les investissements des entreprises étrangères. Les entreprises qui quittent la Chine pour s’installer ailleurs lui préfèrent bien souvent d’autres pays, tels que le Vietnam. Malgré un niveau des salaires extrêmement faible, l’Inde ne peut pour l’instant prétendre rivaliser avec la Chine en termes de compétitivité dans bien des domaines. Quand bien même cela serait le cas, l’objectif du grand capital transnational ne saurait être de développer l’Inde. Seule une politique volontariste et globale, combinant toutes les facettes du problème (sociales, économiques, politiques et environnementales) pourrait lui permettre de tirer profit de ces investissements étrangers à long terme pour se développer.

Pour l’instant, l’appel au grand capital transnational semble plutôt avoir empiré les conditions de vie des travailleurs indiens et plongé le pays dans une course au moins-disant social et environnemental.

Arrivé au pouvoir en 2014, Narendra Modi a poursuivi la stratégie consistant à accroître l’attractivité du pays, tout en favorisant, dans une optique protectionniste ou « néomercantiliste », de grands groupes privés nationaux engrangeant des profits faramineux, le tout à grand renfort de fonds publics. L’ambition affichée de Modi est de rendre l’Inde davantage autosuffisante (« Atmanirbhar Bharat »), particulièrement dans le domaine industriel (programme « Make in India » lancé en grande pompe en 2014…). Néanmoins, les résultats obtenus semblent largement en deçà des ambitions.

Alors que la planification a officiellement pris fin en 2017, l’intervention de l’État se réoriente de manière à favoriser l’accumulation du capital privé, à travers des investissements massifs dans les infrastructures physiques et numériques, la commande publique, la politique fiscale, les réformes visant à améliorer le « climat des affaires »… Malgré la débauche des moyens mis en œuvre, on n’observe pas d’accélération du développement de l’industrie.

Si les investissements publics ont permis de stimuler la croissance sans provoquer une explosion de la vulnérabilité externe, la dette publique s’est stabilisée à un niveau relativement élevé (80 % du PIB), tandis que l’État sabre dans des dépenses sociales qui restent terriblement insuffisantes, notamment dans la santé et l’éducation.

Ambiguïtés indiennes

Dans la période de profondes transformations qui s’annonce, on peut se demander quelle pourra être la contribution de ce géant qu’est l’Inde au monde de demain. Cela, dans le domaine de l’ordre international, mais aussi en ce qui concerne son propre « modèle », concernant tout de même un cinquième des habitants de la planète, et toujours susceptible d’être observé, sinon imité.

« Actuellement, l’appel au grand capital transnational semble plutôt avoir empiré les conditions de vie des travailleurs indiens et plongé le pays dans une course au moins-disant social et environnemental. »

Membre des BRICS, l’Inde contribue à l’émergence d’un monde multipolaire. Elle pratique une stratégie dite du « multi-alignement », jouant ses propres intérêts de façon opportuniste. Puissance nucléaire, elle possède une autonomie stratégique importante lorsqu’on la compare à d’autres pays du Sud, et bénéficie d’une relative tolérance des puissances occidentales.

Elle est capable de coopérer avec les États-Unis sur nombre de sujets. En même temps, elle a su contourner les « sanctions » occidentales dirigées contre la Russie (dont elle dépend pour son armement et son gaz) suite à la guerre en Ukraine, en achetant massivement du pétrole russe sans paiement en dollars. De même, elle coopère avec la Chine dans le domaine de l’antiterrorisme, tout en participant à la stratégie d’endiguement antichinoise promue par les États-Unis.

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Sur le plan de son modèle interne, l’Inde n’est pas non plus dénuée d’ambiguïtés. Si elle reste formellement une démocratie, son système politique est fragilisé par divers maux : clientélisme, corruption, incapacité à faire exécuter la loi (le système des castes, en principe aboli, est toujours en vigueur dans les faits…) et à assurer le respect des droits fondamentaux des populations. L’exclusivisme ethnique promu par les nationalistes hindous adeptes de l’hindutva – dont Narendra Modi est le fer de lance – appuyé sur des milices violentes, constitue une menace sérieuse pour l’État de droit. Pour autant, l’exacerbation des tensions intercommunautaires ne parvient pas à masquer totalement les clivages de classe.

L’opposition aux politiques antisociales du gouvernement central se manifeste parfois de façon fulgurante, comme ce fut le cas en 2020 lors du Kisan Andolan (lutte des agriculteurs victorieuse de 2020-2021 contre les Farm Bills). Dans l’est du pays, la rébellion naxalite (maoïste), dont une des principales revendications est la réforme agraire, est toujours présente (quoiqu’affaiblie). Par ailleurs, certains États (Kerala, Bengale occidental, Tripura) ont connu des épisodes de gestion communistes, avec des succès à souligner dans les domaines sanitaires, sociaux et culturels.

N’en doutons pas, l’Inde ne saurait se résumer à Mittal et Modi. Elle est aussi une terre qui regorge de forces de transformation internes poussant vers une remise en cause d’un capitalisme perpétuant le sous-développement du pays.

Ismaël Dupont, Constantin Lopez et Adrien Montbroussous sont membres du comité de rédaction de Cause commune. Ils ont coordonné ce dossier.

Cause commune n° 43 • mars/avril 2025

 

11:30 Publié dans Actualités, Connaissances, International, Planète | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

25/04/2025

« le Parti pris du travail », Fabien Roussel

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À contre-pied des libéraux, le secrétaire national du PCF défend, dans son livre le Parti pris du travail, un projet émancipateur : travailler moins pour travailler tous, se former afin de produire mieux, intervenir dans les choix de gestion en vue de se libérer de la finance. Une contribution au débat à gauche.

 

Ouvrir des usines plutôt que les fermer. Unir le peuple plutôt que le diviser. Tel est le credo que défend le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, qui publie ce jeudi 24 avril son troisième livre, le Parti pris du travail (le Cherche Midi). Il faut redonner du sens à ce dernier « en l’associant à des mots comme « émancipation », « bonheur », « dignité », « fraternité », « égalité » », écrit-il, là où le système économique « ne parle que de « rentabilité », de « subordination » et d’« obéissance » ».

L’ouvrage expose donc une vision du travail bien différente de la « valeur travail » mise en avant par les libéraux, à l’image d’un François Bayrou, premier ministre qui, le 15 avril, assénait que « les Français ne travaillent pas assez ». Selon le dirigeant du PCF, il faut au contraire organiser la diminution du temps de travail, en le partageant avec tous. En outre, l’emploi doit s’accompagner de droits, notamment afin d’intervenir dans la gestion des entreprises. Il insiste également pour que les droits des salariés, notamment syndicaux, soient étendus aux travailleurs ubérisés.

Avec ce livre, Fabien Roussel reprend le flambeau des précédentes campagnes présidentielle et européenne du PCF : celui de la nouvelle industrialisation du pays. Il déplore, à plusieurs reprises, « la perte de souveraineté dans de nombreux domaines », qui soumet la France à des puissances étrangères. Si cela peut paraître consensuel, il se veut plus clivant quand il dit que cela rend le pays dépendant « de la finance ».

Comment reprendre le pouvoir sur celle-ci est au cœur de la réflexion des communistes. C’est l’une des conditions pour mettre fin à « la spirale de la désindustrialisation », que l’auteur décrit dans les premières pages qui sonnent comme un cri d’alarme. Il invite à de gigantesques investissements en vue de restaurer l’appareil industriel et doubler la production d’énergie non carbonée d’ici à 2050.

S’il faut taxer les plus riches, cela ne suffira pas pour cet effort. « Les sommes à investir sont trop importantes », prévient Fabien Roussel, qui appelle à utiliser les dépôts bancaires (1 300 milliards d’euros pour les banques publiques, 6 000 pour les établissements privés). Il propose d’ailleurs la nationalisation de la Société générale ou du Crédit lyonnais, et la création d’un fonds pour l’industrie.

Le travail comme « ciment » de l’union

L’autre enjeu du livre est de mettre en avant l’objectif qui doit être au cœur de la gauche selon Fabien Roussel. Ici, la question stratégique de l’union entre partis de gauche n’est pas abordée : la priorité est donnée à « l’union du peuple de France » dont Fabien Roussel pense que le travail peut être le « ciment ».

Aussi appelle-t-il à combattre les oppositions factices, nourries par la droite et l’extrême droite, entre Français et immigrés, entre différentes professions, entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas. Il précise ainsi qu’il « est impossible de vivre avec 565,342 euros par mois », ajoutant : « C’est ce que je réponds à ceux qui m’expliquent que les bénéficiaires du RSA vivent mieux que les travailleurs. »

L’une des idées phares du livre est d’ailleurs la « fin progressive » du RSA qu’il considère comme une « politique de reniement », un « système » qui maintient les allocataires en « situation d’exclusion » et les invite à se taire. Au contraire, il faut garantir à chacun un emploi ou une formation dans le cadre d’une nouvelle Sécurité sociale. Cela doit permettre une mobilité professionnelle choisie grâce à une sécurité de revenus.

À la gauche de construire une conscience de classe

Ce livre se veut surtout un appel au peuple de France à reprendre en main son destin. Cela passe par une prise de conscience de classe. Celle-ci « ne se décrète pas. Elle se construit », souligne Fabien Roussel, qui insiste pour cela sur le rôle actuel des syndicats et du PCF. « Cela devrait être celui de toute la gauche, en plaçant la question sociale au cœur de son projet », écrit-il.

C’est là l’une des rares mentions au reste du Nouveau Front populaire qu’il lui arrive d’égratigner, avec quelques critiques contre le mandat de François Hollande, mais aussi contre la France insoumise qui, selon lui, « donne le sentiment de rechercher le chaos » et de vouloir dominer la gauche ou de chercher des alliances communautaristes.

D’autres thèmes sont abordés : la critique de l’attitude des riches et des actionnaires, la justice sociale, la politique internationale. Le Parti pris du travail est une exposition des thèmes dont Fabien Roussel pense qu’ils sont indispensables à la gauche en vue de gagner dans les années à venir. Avec l’envie d’en débattre.

19:49 Publié dans Actualités, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fabien roussel | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

15/04/2025

Henri Peña-Ruiz : "Lutter contre le racisme antimusulman, oui ; le nommer islamophobie, NON"

Islamisme, racisme

Alors que des députés LFI proposent une commission d’enquête sur l’ « islamophobie », le débat s’enflamme autour du sens même du mot qui, sous prétexte de prévenir les discriminations envers les musulmans tend à empêcher toute critique du dogme. Confusion entre rejet de la religion et haine des croyants, risques pour la liberté d’expression : l’enjeu est ici de clarifier le combat contre le racisme pour mieux le rendre efficace, estime le philosophe Henri Peña-Ruiz, auteur du « Dictionnaire amoureux de la laïcité » (Plon).

Le mercredi 9 avril, des députés de la France insoumise ont déposé un projet de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête portant sur l’islamophobie. Il s’agirait « d’évaluer l'inaction de la France dans les réponses apportées pour lutter contre l'islamophobie et les phénomènes antimusulmans », et « le rôle des médias dans la construction de stéréotypes négatifs à l’égard de l’Islam ».

Si une telle démarche vise à développer la lutte contre le racisme dont sont victimes les personnes musulmanes comme telles, elle a du sens. Mais le terme islamophobie est très mal choisi, car il désigne le seul rejet de la religion musulmane, et non celui de ses fidèles. L’invention de ce terme fut d’ailleurs destinée à proscrire toute critique de l’Islam. En 2006 c’est ce que rappelait Jean Ferrat en exprimant son désaccord total avec Mouloud Aounit, secrétaire du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), qui voulait faire de la critique de l’islam un racisme et poursuivre en justice les caricatures reprises par Charlie.

À LIRE AUSSI : Henri Peňa-Ruiz : "Non, Emmanuel Macron n'est pas un héritier des idées politiques de Victor Hugo"

Voici à ce sujet la mise au point lumineuse du rédacteur en chef de Charlie Hebdo, le regretté Stéphane Charbonnier. Le 5 janvier 2015, deux jours avant l’attaque terroriste contre Charlie, il donnait à son éditeur une Lettre ouverte où il remettait en question la notion d’islamophobie en ces termes : « Non, vraiment, le terme « islamophobie » est mal choisi s’il doit nommer la haine que certains tarés ont des musulmans. Et il n’est pas seulement mal choisi, il est dangereux. Si on l’aborde d’un point de vue purement étymologique, l’islamophobie devrait désigner « la peur de l’islam ». Or les inventeurs, promoteurs et utilisateurs de ce terme l’emploient pour dénoncer la haine à l’égard des musulmans. Il est curieux que ce ne soit pas « musulmanophobie » et, plus largement, « racisme » qui l’aient emporté sur « islamophobie», non ? ». La mise au point de Charb est remarquable de simplicité et de clarté, et elle est une référence essentielle pour la lutte contre le racisme.

Insistons. La lutte contre le racisme a besoin de clarté et c’est lui rendre un bien mauvais service que de qualifier de raciste ce qui ne l’est pas. Est raciste le rejet des personnes comme telles, du fait de leur origine ou de leur religion, entre autres. Mais la critique voire la satire d’une religion ou de toute autre conviction spirituelle comme l'humanisme athée ou agnostique, n’a rien de raciste. La catholicophobie n’est pas un racisme, pas plus que la judaismophobie, car elles visent des croyances religieuses. L’athéophobie n’est pas non plus un délit. En revanche la judéophobie et la musulmanophobie, qui visent des personnes ou des peuples, sont des racismes effectifs et par conséquent des délits. Pour toute personne de bonne foi, il est clair que la distinction soulignée entre le rejet d’une conviction spirituelle et le rejet d’une personne ou d’un peuple (musulmanophobie ou arabophobie) est essentielle. C’est pourquoi on ne peut mettre sur le même plan l’islamophobie et l’antisémitisme.

À LIRE AUSSI : Henri Peňa-Ruiz : "Dix ans après, soyons fidèles à 'Charlie' et à la mémoire de son courage !"

Qu’est-ce donc qui est respectable ? C’est la personne en sa liberté de croire, et pas sa croyance. Sauf à rétablir le délit de blasphème. Distinguons avoir et être. On a une religion, mais on n’est pas sa religion, même si par ferveur on s’identifie à elle. Les athées peuvent-ils exiger le respect de l’athéisme, les catholiques le respect de leur religion et traîner en justice quiconque s’y refuse ? Alors pourquoi faire une exception pour une religion particulière ? Prétendre, par compassion mal placée, qu’un être humain ne peut avoir aucune distance à l’égard de sa conviction, c’est une forme de condescendance. Il faut admettre que tout être humain est capable de distance à soi, sauf si l’on fatalise le fanatisme. « Ne confondons pas la peau et la chemise » (Montaigne).

Bref, rejeter et combattre le racisme est essentiel, mais la liberté d’expression doit rester entière, pourvu qu’elle évite l’injure ou l’insulte adressées à la personne comme telle. À rebours du différentialisme raciste de l’extrême droite, je considère que la laïcité n’a pas à hiérarchiser les convictions, qu’elles soient religieuses ou non. Si le Rassemblement National se prétend laïque il doit dénoncer la Loi Debré qui instaure le financement sur fonds publics des écoles privées religieuses, catholiques pour la plupart, et le Concordat qui sévit en Alsace-Moselle aux frais de toute la République. Mais sa démarche identitaire l’en empêche. Sa laïcité à géométrie variable est donc un leurre.

Reste que le racisme en acte peut prendre des formes abjectes, qu’il convient de débusquer et de combattre par la loi, et fermement. Outre l’injure raciste, que la loi réprime, la discrimination raciale à l’embauche ou au logement fait partie de ces formes abjectes. Bref la clarté et l’efficacité de la lutte contre le racisme doivent éviter toute notion ambiguë.

20:50 Publié dans Cactus | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : islamisme, racisme | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

10/04/2025

Histoire hallucinante des vaches abandonnées sur une île pendant 130 ans !

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Une population de bovins abandonnés sur l’île Amsterdam au XIXe siècle a réussi à survivre et à s’adapter à un environnement extrême, devenant un exemple rare de féralisation. Leur étude génétique a révélé une histoire évolutive unique, mais ces animaux ont été entièrement éradiqués en 2010, soulevant des questions éthiques et scientifiques sur la conservation de la biodiversité domestique.

Par les auteurs Laurence Flori, Directrice de recherche, animale, UMR SELMET, Inrae ; Mathieu Gautier, chercheur en statistique et évolutive des populations, Inrae ; Tom Druet, Directeur de recherche au FRS-FNRS, Université de Liège ; François Colas, Inspecteur de santé publique , retraité ; Thierry Micol, Chef de service LPO. 

L'étude génétique de cette population a permis de répondre à de nombreuses questions : D'où venaient ces vaches ? Comment ont-elles pu survivre et s'établir sur une île a priori hostile ? Mais elle en soulève d'autres. Était-il par exemple nécessaire d'éradiquer ces bovins redevenus sauvages en 2010 ?

Certains espaces naturels préservés accueillent des populations animales étonnantes, capables de s'adapter à des contextes inattendus. Un exemple intriguant en témoigne celui d'une population de bovins retournés à l'état sauvage (processus appelé féralisation), après avoir été abandonnés sur l'île subantarctique Amsterdam, au sud de l'océan Indien, sur laquelle ils ont vécu en toute jusqu'en 2010.

Une île inhospitalière balayée par les vents

Située à 4 440 km au sud-est de Madagascar et comparable en taille à Noirmoutier, cette île est soumise à un climat océanique tempéré, balayée par des vents constants et parfois violents, et exposée à des précipitations fréquentes, notamment l'. Elle est également dépourvue de points d'abreuvement permanents, ce qui la rend à première vue incompatible avec la survie d'un troupeau de bovins. La seule présence humaine y est assurée par la base scientifique Martin-de-Viviès, établie en 1949.

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L'île la plus isolée du monde en proie aux flammes : une biodiversité unique en péril et les scientifiques obligés de fuir !

Depuis 2006, l'île Amsterdam fait partie de la réserve naturelle nationale des australes et françaises (TAAF), un sanctuaire de , inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

D'après les documents historiques, quelques bovins y auraient été probablement abandonnés à la fin du XIXe siècle. Contre toute attente, ces animaux ont non seulement survécu mais également prospéré, leur population atteignant près de 2 000 animaux en quelques décennies. Mais d'où provenaient ces animaux, et comment ont-ils pu s'établir sur l'île et s'adapter à un environnement à première vue inhospitalier, en redevenant sauvages ? C'est l'histoire singulière de cette population bovine que nous avons retracée à partir de l'étude du de 18 animaux, extrait d'échantillons prélevés lors de deux campagnes d'étude remontant à 1992 et 2006.

Vache de l’île Amsterdam. © François Colas, Fourni par l'auteur
 
Vache de l’île Amsterdam. © François Colas, Fourni par l'auteur

Quand la génétique éclaire l’histoire

En analysant les différences entre les génomes de ces animaux, nous avons tout d'abord mis en évidence une diminution significative, mais brève de la taille de la population vers la fin du XIXe siècle. Ce résultat réfute l'hypothèse d'une présence plus ancienne de bovins laissés sur l'île par des . Il confirme en revanche le scénario historique le plus consensuel, selon lequel cinq ou six bovins auraient été abandonnés sur l'île en 1871 par un fermier, nommé Heurtin, et sa famille, originaires de La Réunion. Partis avec quelques animaux pour s'installer sur l'île, la mettre en culture et entamer une activité d'élevage, ils n'y sont finalement restés que quelques mois. Ils ont été contraints de retourner à La Réunion par les conditions climatiques difficiles, les problèmes d'adaptation et l'isolement, en laissant les bovins derrière eux.

Une poignée d'animaux fondateurs a ainsi été à l'origine de la population, entraînant une forte augmentation de la chez leurs descendants. Cette augmentation est souvent associée à une accumulation dans le génome de mutations délétères responsables de dysfonctionnements biologiques et de . Mais elle peut aussi parfois permettre au contraire leur élimination, un phénomène connu sous le nom de purge. De manière surprenante, nous n'avons observé aucun de ces deux cas de figure. Les 2 000 descendants obtenus en quelques générations semblaient en effet en bonne santé. De plus, notre analyse, qui a mis en évidence une réduction modérée de la diversité génétique, n'a pas détecté d'élimination significative des mutations délétères, mettant d'autant plus en la singularité de cette population.

Des origines ayant favorisé l’établissement des bovins sur l’île

La caractérisation génétique des animaux a également révélé qu'ils semblaient descendre de deux populations bovines bien distinctes de taurins européens génétiquement proches d'animaux actuels de race jersiaise (env. 75 %) et de zébus originaires de l'océan Indien (env. 25 %). Ces résultats confirment que les bovins introduits sur l'île avaient probablement été sélectionnés par Heurtin parmi les races présentes à l'époque sur l'île de La Réunion, qui comprenaient des animaux proches des jersiais actuels, susceptibles de s'être croisés avec des races locales, notamment des zébus de la région.

Cette spécificité est probablement à l'origine du succès de l'établissement de cette population dans cet environnement inhospitalier. C'est ce que révèlent nos résultats qui mettent en évidence une préadaptation de leurs ancêtres taurins européens aux conditions climatiques de l'île. Les animaux introduits n'ont, semble-t-il, pas été confrontés à un défi bioclimatique important, les conditions climatiques du berceau des bovins jersiais, l'île de Jersey (dans la Manche), étant en effet relativement proches de celles de l'île Amsterdam.

Vaches de l’île Amsterdam. © François Colas. Fourni par l'auteur
 
Vaches de l’île Amsterdam. © François Colas. Fourni par l'auteur

Des mécanismes adaptatifs principalement liés au système nerveux

La découverte de leurs origines nous a également permis de réfuter les hypothèses émises par certains scientifiques, selon lesquelles ces bovins auraient vu leur taille diminuer dans ce nouvel environnement pour s'adapter aux ressources limitées de l'île, un phénomène connu sous le nom de .

Source Futura

12:00 Publié dans Actualités, Connaissances, Planète, Science | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vaches, ile | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!