06/06/2013
Réchauffement climatique. "Des canicules plus fortes et plus récurrentes en France"
ENTRETIEN. Laurent Terray, chercheur au CERFACS (Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique) est le co-auteur d’un étude portant sur le réchauffement climatique. L’an dernier, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) faisait la relation entre scénarios climatiques et économiques. Cette fois ci, les prévisions incorporent des notions politiques.
Un an après le rapport du Giec qu’apporte de nouveau votre étude ?
Laurent Terray. Tout d’abord notre étude contrairement à celle du Giec s’est consacrée uniquement sur la France. Nous avons analysé des résultats du XXème siecle pour faire des prévisions sur le XXIème. L’évolution observée et l’évolution simulée sont très cohérentes.
Deuxièmement, notre étude est basée sur 25 modèles qui simulent l’évolution couplée des océans, de l’atmosphère, de la glace de mer. Ces modèles sont des outils mathématiques et des programmes informatiques qui simulent l’évolution physique de ces composantes. Les résultats sont basés sur des outils venant d’une trentaine de pays. Ce qui a été publié l’an dernier par nos collègues de Météo France était basé uniquement sur deux modèles de climat français.
Quelle a été votre méthode ?
Laurent Terray. Suivant les scénarios d’émission de gaz à effet de serre, les projections climatiques sont très différentes. De manière volontaire, on a mis en exergue le scénario le plus sévère mais c'est le scénario qui correspond au maintien des émissions d’aujourd’hui. Depuis une trentaine d’années, les émissions augmentent au rythme de 2 % par ans et dans les dix dernières années, nous sommes passé à une augmentation de 3% par an. Le scénario le plus sévère est basé justement sur le même rythme d’augmentation d’émissions de gaz.
Le scénario le plus sévère est donc le plus probable ?
Laurent Terray. On ne peut pas dire cela. On ne peut pas prévoir le futur en termes de comportement politiques, historiques, sociaux et environnementaux. Une prise de conscience va peut être avoir lieu. Mais, si on continue à émettre du gaz comme aujourd’hui, le réchauffement serait de 3 et 4 °C en moyenne à la fin du siècle et sera plus marqué en été qu’en hiver. Il y aura aussi une diminution significative des précipitations en été, particulièrement dans le sud de la France. En termes de météorologie, on peut s’attendre à des canicules plus fortes et plus récurrentes.
Le CERFACS a sept actionnaires dont Total et EADS. N’est-il pas paradoxal pour une étude qui redoute le réchauffement climatique d’être financé par un groupe qui pollue comme Total ?
Laurent Terray. On peut le considérer comme cela mais ce financement nous a permis justement de mener à bien cette étude. De nos jours, un chercheur passe autant de temps à aller chercher des contrats pour financer les recherches qu'à les réaliser. Donc je n’y vois pas de contradictions à partir du moment où cette recherche a été effectué de manière complètement libre. Si Greenpeace faisait des appels d’offres pour faire des recherches sur les changements climatiques, nous accepterions, mais ce n’est pas le cas. Je peux vous affirmer que nous avons souffert d’aucune contrainte.
Entretien publié par l'Humanité
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28/05/2013
La couleur d’origine / La vie d'Adèle : le point de vue de l'auteure : Julie Maroh
Voilà bientôt deux semaines que je repousse ma prise de parole quant à La vie d’Adèle. Et pour cause, étant l’auteure du livre adapté, je traverse un processus trop immense et intense pour être décrit correctement.
Ce n’est pas seulement à propos de ce que Kechiche a fait. C’est un processus à propos de l’idée de la répercussion de nos actes, d’écrire une ridicule histoire l’été de mes 19 ans et d’arriver à… « ça » aujourd’hui.
C’est un processus à propos de l’idée de prendre la parole et transmettre sur la Vie, l’Amour, l’Humanité en tant qu’artiste, de manière générale. C’est un processus à propos de moi-même et du chemin que j’ai choisi. Donc, oui… je suis traversée d’un sentiment indescriptible à propos de la répercussion. De se lever et de parler, et où cela peut mener.
Moi ce qui m’intéresse c’est la banalisation de l’homosexualité.
Je n’ai pas fait un livre pour prêcher des convaincu-e-s, je n’ai pas fait un livre uniquement pour les lesbiennes. Mon vœu était dès le départ d’attirer l’attention de celles et ceux qui:
- ne se doutaient pas
- se faisaient de fausses idées sans connaître
- me/nous détestaient
Je sais que certains sont dans un tout autre combat: garder cela hors-norme, subversif. Je ne dis pas que je ne suis pas prête à défendre cela. Je dis simplement que ce qui m’intéresse avant tout c’est que moi, celles/ceux que j’aime, et tous les autres, cessions d’être:
- insulté-e-s
- rejeté-e-s
- tabassé-e-s
- violé-e-s
- assassiné-e-s
Dans la rue, à l’école, au travail, en famille, en vacances, chez eux. En raison de nos différences.
Chacun aura pu interprété et s’identifier au livre à sa convenance. Je tenais toutefois à repréciser le point de départ. Il s’agissait également de raconter comment une rencontre se produit, comment cette histoire d’amour se construit, se déconstruit, et ce qu’il reste de l’amour éveillé ensemble, après une rupture, un deuil, une mort. C’est cela qui a intéressé Kechiche. Aucun de nous n’avait une intention militante, néanmoins j’ai très vite pris conscience après la parution du Bleu en 2010 que le simple fait de parler d’une minorité telle qu’elle soit participe à en défendre la cause (ou le contraire, selon.) et que cela nous dépasse complètement.
Le dégradé de la BD jusqu’au film
Kechiche et moi nous sommes rencontrés avant que j’accepte de lui céder les droits d’adaptation, c’était il y a plus de 2 ans. J’ai toujours eu beaucoup d’affection et d’admiration pour son travail. Mais surtout c’est la rencontre que nous avons eue qui m’a poussée à lui faire confiance. Je lui ai stipulé dès le départ que je ne voulais pas prendre part au projet, que c’était son film à lui. Peut-être est-ce ce qui l’a poussé à à me faire confiance en retour. Toujours est-il que nous nous sommes revus plusieurs fois. Je me souviens de l’exemplaire du Bleu qu’il avait sous le bras: il ne restait pas un cm2 de place dans les marges, tout était griffonné de ses notes. On a beaucoup parlé des personnages, d’amour, des douleurs, de la vie en somme. On a parlé de la perte du Grand Amour. J’avais perdu le mien l’année précédente. Lorsque je repense à la dernière partie de La vie d’Adèle, j’y retrouve tout le goût salé de la plaie.
Pour moi cette adaptation est une autre version / vision / réalité d’une même histoire. Aucune ne pourra annihiler l’autre. Ce qui est sorti de la pellicule de Kechiche me rappelle ces cailloux qui nous mutilent la chair lorsqu’on tombe et qu’on se râpe sur le bitume.
C’est un film purement kéchichien, avec des personnages typiques de son univers cinématographique. En conséquence son héroïne principale a un caractère très éloigné de la mienne, c’est vrai. Mais ce qu’il a développé est cohérent, justifié et fluide. C’est un coup de maître.
N’allez pas le voir en espérant y ressentir ce qui vous a traversés à la lecture du Bleu. Vous y reconnaîtrez des tonalités, mais vous y trouverez aussi autre chose.
Avant que je ne vois le film à Paris, on m’avait tellement prévenue à coups de « C’est librement adapté hein, ohlala c’est très très librement adapté », je me voyais déjà vivre un enfer… Chez Quat’Sous Films se trouvait tout le découpage des scènes filmées, épinglé au mur en petites étiquettes. J’ai battu des paupières en constatant que les deux-tiers suivaient clairement le cheminement du scénario du livre, je pouvais même en reconnaître le choix des plans, des décors, etc.
Comme certains le savent déjà, beaucoup trop d’heures ont été tournées, et Kechiche a taillé dans le tas. Pourtant, étant l’auteure du Bleu j’y retrouve toujours beaucoup du livre. C’est le cœur battant que j’en reconnais tout mon Nord natal tel que j’avais tenté de le retranscrire en images, enfin « réel ». Et suite à l’introduction de ma déclaration ici je vous laisse imaginer tout ce que j’ai pu ressentir en voyant défiler les plans, scènes, dialogues, jusqu’aux physiques des acteurs et actrices, similaires à la bande dessinée.
Donc quoi que vous entendiez ou lisiez dans les médias (qui cherchent souvent à aller à l’essentiel et peuvent facilement occulter certaines choses) je réaffirme ici que oui, La vie d’Adèle est l’adaptation d’une bande dessinée, et il n’y a rien de mal à le dire.
Quant au cul
Quant au cul… Oui, quant au cul… Puisqu’il est beaucoup évoqué dans la bouche de celles et ceux qui parlent du film… Il est d’abord utile de clarifier que sur les trois heures du film, ces scènes n’occupent que quelques minutes. Si on en parle tant c’est en raison du parti pris du réalisateur.
Je considère que Kechiche et moi avons un traitement esthétique opposé, peut-être complémentaire. La façon dont il a choisi de tourner ces scènes est cohérente avec le reste de ce qu’il a créé. Certes ça me semble très éloigné de mon propre procédé de création et de représentation. Mais je me trouverais vraiment stupide de rejeter quelque chose sous prétexte que c’est différent de la vision que je m’en fais.
Ça c’est en tant qu’auteure. Maintenant, en tant que lesbienne…
Il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau: des lesbiennes.
Je ne connais pas les sources d’information du réalisateur et des actrices (qui jusqu’à preuve du contraire sont tous hétéros), et je n’ai pas été consultée en amont. Peut-être y’a t’il eu quelqu’un pour leur mimer grossièrement avec les mains les positions possibles, et/ou pour leur visionner un porn dit lesbien (malheureusement il est rarement à l’attention des lesbiennes). Parce que – excepté quelques passages – c’est ce que ça m’évoque: un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui m’a mise très mal à l’aise. Surtout quand, au milieu d’une salle de cinéma, tout le monde pouffe de rire. Les hérétonormé-e-s parce qu’ils/elles ne comprennent pas et trouvent la scène ridicule. Les homos et autres transidentités parce que ça n’est pas crédible et qu’ils/elles trouvent tout autant la scène ridicule. Les seuls qu’on n’entend pas rire ce sont les éventuels mecs qui sont trop occupés à se rincer l’œil devant l’incarnation de l’un de leurs fantasmes.
Je comprends l’intention de Kechiche de filmer la jouissance. Sa manière de filmer ces scènes est à mon sens directement liée à une autre, où plusieurs personnages discutent du mythe de l’orgasme féminin, qui… serait mystique et bien supérieur à celui de l’homme. Mais voilà, sacraliser encore une fois la femme d’une telle manière je trouve cela dangereux.
En tant que spectatrice féministe et lesbienne, je ne peux donc pas suivre la direction prise par Kechiche sur ces sujets.
Mais j’attends aussi de voir ce que d’autres femmes en penseront, ce n’est ici que ma position toute personnelle.
Quoi qu’il en soit je ne vois pas le film comme une trahison. La notion de trahison dans le cadre de l’adaptation d’une œuvre est à revoir, selon moi. Car j’ai perdu le contrôle sur mon livre dès l’instant où je l’ai donné à lire. C’est un objet destiné à être manipulé, ressenti, interprété.
Kechiche est passé par le même processus que tout autre lecteur, chacun y a pénétré et s’y est identifié de manière unique. En tant qu’auteure je perds totalement le contrôle sur cela, et il ne me serait jamais venu à l’idée d’attendre de Kechiche d’aller dans une direction ou une autre avec ce film, parce qu’il s’est approprié – humainement, émotionnellement – un récit qui ne m’appartient déjà plus dès l’instant où il figure dans les rayons d’une librairie.
La palme
Cette conclusion cannoise est évidemment magnifique, à couper le souffle.
Comme évoqué dans mon introduction, tout ce qui me traverse ces jours-ci est tellement fou et démesuré que je ne saurais vous le retranscrire.
Je reste absolument comblée, ébahie, reconnaissante du cours des évènements.
Cette nuit j’ai réalisé que c’était la première fois dans l’histoire du cinéma qu’une bande dessinée avait inspiré un film Palme d’Or, et cette idée me laisse pétrifiée. C’est beaucoup à porter.
Je tiens à remercier tous ceux qui se sont montrés étonnés, choqués, écœurés que Kechiche n’ait pas eu un mot pour moi à la réception de cette Palme. Je ne doute pas qu’il avait de bonnes raisons de ne pas le faire, tout comme il en avait certainement de ne pas me rendre visible sur le tapis rouge à Cannes alors que j’avais traversé la France pour me joindre à eux, de ne pas me recevoir – même une heure – sur le tournage du film, de n’avoir délégué personne pour me tenir informée du déroulement de la prod’ entre juin 2012 et avril 2013, ou pour n’avoir jamais répondu à mes messages depuis 2011. Mais à ceux qui ont vivement réagi, je tiens à dire que je n’en garde pas d’amertume.
Il ne l’a pas déclaré devant les caméras, mais le soir de la projection officielle de Cannes il y avait quelques témoins pour l’entendre me dire « Merci, c’est toi le point de départ » en me serrant la main très fort.
Pour en savoir plus sur le film, vous pouvez télécharger son dossier de presse
Et concernant le porn lesbien, un petit lien
L’ombre du tournage -> http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2013/05/...
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26/05/2013
LA VIE D'ADELE : PALME D'OR AU FESTIVAL DE CANNES : UNE OEUVRE MAGISTRALE
Palme d'or Festival de Cannes 2013. Après l’Esquive, la Graine et le Mulet ou Vénus noire, Abdellatif Kechiche présente, La Vie d’Adèle, une œuvre magistrale et offre la découverte d’une jeune actrice extraordinaire, Adèle Exarchopoulos.
La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche. France, 2 h 55. Compétition. Dans la Vie de Marianne, Marivaux écrit, à la première personne et d’une plume intensément libre, l’histoire de son héroïne, d’une femme dans son époque. On connaît la prédilection d’Abdellatif Kechiche pour les grands textes qui parlent au monde, sa volonté artistique réitérée d’en insuffler la puissance à des personnages qui, par une réappropriation commune, la porteront au présent de la société. Ici, Adèle (Adèle Exarchopoulos), lycéenne qui festoie de littérature, dévore livres et bolognaises des repas familiaux avec un égal plaisir des sens.
À l’âge où les mouvements du cœur et du corps débordent, Adèle cherche à s’orienter au plus intime entre réfractions du regard des autres, carrefour des possibles et voies de traverse. Kechiche installe sa classe de bacheliers en y circulant à l’envi, scrute à fleur de peau les frémissements dont le mystère peut tout soudain s’éclairer de fulgurances comme de sensibles flammèches sur les pas d’Antigone, s’évader dans le recoin obtus d’un silence. Comme eux, ses plans basculent en un instant de la haute tragédie aux conversations de filles sur le dernier qui passe. C’est cru, drôle, source de jubilatoires remémorations. Adèle est d’emblée nimbée d’une grâce cinématographique que le cinéaste va tenir près de trois heures d’écran, au fil du récit d’une passion d’amour et de désamour sublimement charnelle. Invitée par les enseignants à méditer sur le coup de foudre et ses représentations littéraires, Adèle en sera frappée au coin de la rue.
Déconcertée par la spirale de ses désirs
Au bleu sourd de la chevelure d’Emma (Léa Seydoux) répondent en frottement d’étincelles les fleurettes de l’écharpe d’Adèle. Abdellatif Kechiche s’est inspiré d’une bande dessinée de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude. De la couleur et du récit, il restituera l’essence, s’en emparant à sa manière singulière. Il excelle encore dans les scènes de groupe, bars de femmes où Adèle et Emma lieront leurs approches, réunions d’amis et repas de famille dont il sait inventer les effets de langages et de visages comme s’il s’agissait d’un répertoire qu’il se contenterait d’enregistrer.
Premier extrait de La vie d'Adèle :
Premiers pas fragiles d’Adèle, déconcertée par la spirale de ses désirs. Elle tombe en amour en même temps qu’elle semble surgir à la lumière depuis un abîme de cruelles incertitudes. Premier baiser solaire dans un parc que tout enchante avant la fournaise de l’étreinte. Kechiche et deux comédiennes abandonnées à leur art la représentent comme jamais, passions de femmes dans la durée du filmage et la violence de l’élan, chorégraphie de corps qui s’affirment et s’abolissent dans l’autre, sauvagerie magnifique de la jouissance. À cette scène de sexe plein cadre, deux autres feront écho, amoindrissant subtilement leur intensité. Les présentations aux familles respectives des deux jeunes femmes donneront lieu à deux dîners où tout sera dit en mets et gestes de leurs différences sociales. Chez Emma, son homosexualité pas plus que son cursus aux beaux-arts ne soulève de préoccupation. Les parents d’Adèle, bien plus modestes, ne conçoivent ni l’un ni l’autre. De là viendra la chute, frayant peu à peu sa percée dans une histoire de couple et de désunion telle qu’elle peut résonner en chaque spectateur. L’intime, en plans très serrés sur la palette infinie de ses expressions, se conjugue ainsi à l’universel que sculptent les choix plastiques, membres rompus de plaisir rejoignant presque l’abstraction à l’instar d’une toile de Francis Bacon. Emma peint. Adèle suit sa vocation d’institutrice et de nombreux retours de séquences caressantes substitueront aux amours mortes l’attendrissement des tout petits. Adèle écrit son histoire à la première personne, libre et franche. Elle ne s’aliène qu’à la toute-puissance amoureuse et se fie à sa seule boussole.
Deuxième extrait :
Publié par le journal l'Humanité
"La Vie d'Adèle" : les mots bleus de Kechiche par lemondefr
Débat autour d’un tournage qui n’a pas tourné rond
Envoyée spéciale de l'Humanité MJS. Dans un communiqué envoyé à toutes les rédactions, le Spiac CGT dénonce les difficiles conditions de tournage du film d’Abdellatif Kechiche, présenté à Cannes en compétition : « Journées de travail de seize heures, déclarées huit », ainsi que des « horaires de travail anarchiques ou modifiés au dernier moment, avec convocations par téléphone pendant les jours de repos ou durant la nuit ; renégociations des contrats en milieu de tournage, qui contraignent les techniciens à travailler les samedis sans être payés ; modification du plan de travail au jour le jour. »
Le syndicat des techniciens pointe la responsabilité de la région Nord-Pas-de-Calais en tant que collectivité territoriale coproductrice du film (« nous nous demandons si l’institution régionale n’est pas en train d’apporter sa caution à ce type de pratiques et de comportements », écrit-il), ainsi que celle des autres coproducteurs, Quat’Sous Films, Wild Bunch, Vincent Maraval et Brahim Chioua, ces derniers s’étant par ailleurs opposés au syndicat sur la question de l’extension de la convention collective.
Pour le Spiac CGT, cette « affaire » révèle l’urgence de l’application d’une convention collective pour que cessent de telles méthodes.
20:03 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma français, festival de cannes 2013, professionels du cinéma, conditions de travail, intermittents, abdellatif kechiche, spiac, palme d'or | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
24/05/2013
Vive la banqueroute !, par Thomas Morel, François Ruffin (et al.)
Elle est bien bonne, celle-là : un livre sur l’économie française écrit par des non-spécialistes, sous l’égide des éditions Fakir ! Il est vrai que les spécialistes sérieux, du style Attali, Baverez, Beytout, Dessertine, Minc (Jacques Marseille est mort) ne se trompent jamais. Pas plus de trois fois par quinzaine, en tout cas.
Autour de Thomas Morel et François Ruffin (qui, de surcroît, osent nous gratifier d’un long entretien avec Frédéric Lordon), on trouve deux étudiants en master, un infirmier au chômage, un apprenti menuisier, une prof d’histoire et un jeune en service civique. Que du pas beau monde, donc, mais qui nous offre un livre furieusement iconoclaste et qui donne à réfléchir.
En étudiant quelques épisodes de violente banqueroute vécus par la France (de Philippe le Bel à De Gaulle), cette fine équipe nous dit tout simplement que, face à la faillite, immédiate ou à venir, l’État français a toujours fait ce qu’il voulait, qu’il a changé d’orthodoxie comme d’autres de chaussettes, et que pour se sortir des mauvaises passes où il s’était lui-même engagé, il a fait payer les riches, c’est-à-dire ceux qu’il avait enrichis auparavant. L’État prenait l’argent là où il était vraiment.
En compagnie de Frédéric Lordon, nos auteurs nous font observer que, pour la période récente, le libéralisme a créé le chômage de masse alors que l’économie dirigée des Trente Glorieuses avait engendré une croissance annuelle de 5% et garanti le quasi plein emploi. Ce qui signifie, en d’autres termes, que le fou, c’est l’Autre, celui qui a le « courage » de plier devant la finance, de dégraisser à qui mieux-mieux, de tuer des emplois, de faire disparaître des pans entiers de l’économie, de faire payer la dette aux travailleurs en déréglementant . Ce n’est pas « l’irréaliste » qui prétend tenir tête au capitalisme financier.
Il fut un temps où les dirigeants politiques ne passaient pas leur temps à trembloter en voulant à tout prix rassurer les marchés qui leur faisaient quotidiennement du chantage à la dette. Une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (sérieux !) où le mot réforme signifiait progrès et non régression sociale. Il fut même un temps (en 1936) où un ministre des Finances pouvait déclarer – même si cela, pour finir, ne porta pas trop à conséquence – « Les banques, je les ferme, les banquiers, je les enferme ! ».
Sacré Philippe le Bel !
Sous son règne, la France connaît de sérieux désordres monétaires (dévaluations, réévaluations), ce qui ne l’empêche pas d’être à l’apogée de sa puissance médiévale. Le Bel est le contraire d’un Maastrichtien : son royaume est centralisé, géré d’une main de fer. Il condamne et brûle les Templiers, qu’il appelle les « banquiers de l’Occident » et prend l’argent là où il est vraiment, dans les caisses de l’Église, à la grande douleur du pape qui n’y peut mais. « TINA » (il n’y a pas d’autre solution), il n'en a pas entendu parler. Le respect à l’égard des créanciers, il en a encore moins cure que Mélenchon.
Pour que les Français mangent de la poule au pot tous les dimanches sous Henri IV, il faut faire le ménage. Ce dont se charge le ministre Sully qui débusque les fraudes, les contrats pourris, qui divise par quatre les taux d’intérêt, qui, globalement, réduit les rentes de 40%. Cela ne suffit pas car le roi doit 3,5 millions de livres au duc de Toscane. Il épouse sa fille, Marie de Médicis qui apporte en dot l’effacement de la dot. Une idée pour Hollande (qui n’est pas marié) ?
Mazarin pille l’État.
Il posséde 8 700 000 livres, soit 79 tonnes d’argent, ou 5,4 tonnes d’or. Louis XIV hésite à l’attaquer de front. C’est tout un ordre qui vacillerait. Le 15 septembre 1661, Colbert s’attaque à tous les rentiers du Royaume en décidant de racheter leurs créances à un prix dérisoire. Les bourgeois se révoltent. Les meneurs sont menottés et embastillés. Le roi réduit les rentes de 70%. Le successeur de Colbert frappe ensuite les riches d’un « impôt du dixième ».
Necker, le pragmatique.
Le ministre des Finances de Louis XVI est Jacques Necker, un banquier suisse qui aime l’argent (il possède 7 millions de livres en 1776). Il est également proche des philosophes. Il se dit pragmatique, « moelleux et flexible » mais se veut l’apôtre de l’interventionnisme économique de l’État. En 1775, il publie son Essai sur la législation et le commerce de grains, dans lequel il dénonce la liberté de ce commerce.
Le livre paraît au moment où le ministre Turgot (qui avait libéralisé le commerce des grains) – et non Necker, à qui les auteurs attribuent à tort cette responsabilité – doit faire face à la guerre des farines. Les mauvaises récoltes conduisent à des émeutes et à favoriser les demandes de réglementation des prix des grains. Dans son Éloge de Colbert, il critique la propriété qui n’est pas un droit naturel mais une « loi des hommes » fondée sur un « traité de force et de contrainte ». Au ministère, il fonctionnarise les finances : à la place des officiers inamovibles et rémunérés sur commission sont installés des employés révocables et percevant un traitement fixe.
En 1789, la France compte, dit-on, « deux mille riches ». On décide de n’en taxer qu’un seul, l’Église, dont le patrimoine est évalué à trois milliards de livres. C’est l’abbé Talleyrand qui va nationaliser les biens du clergé ! N’empêche qu’en 1796, 45 milliards d’assignats, qui ne valent rien, circulent dans le pays. Entre temps, Robespierre aura chuté, entre autres pour avoir voulu défendre les rentes viagères.
Raymond Poincaré, le "sauveur" de droite.
En 1926, tout baigne, sauf que l’État est à sec et que la Banque de France, qui n’est pas nationalisée, refuse de prêter le moindre sou. Le franc s’écrase face à la livre sterling. La dette publique s’élève à 300 milliards de francs. Le Parlement ne veut pas léser les rentiers, et l’Allemagne, qui devait payer, ne paye pas. Raymond Poincaré, homme de droite, va réduire de 80% la fortune des rentiers. Il qualifiera de « stabilisation » cette dépréciation de 80% du franc. Dont il sera pour l’histoire et à jamais « le Sauveur ». (My foot !).
Entre 1944 et 1948, la classe ouvrière a le vent en poupe. Les employeurs ne peuvent résister aux demandes hausse des salaires. La dette s’élève à 269% du PNB. La monnaie est dévaluée cinq fois de 1944 à 1948. Une période de vie chère et de travail assuré est, dit-on, préférable à une période de vie bon marché et de chômage. De Gaulle est pour, ainsi que son conseiller, l’orthodoxe du libéralisme Jacques Rueff qui accepte ce keynésianisme comme un moindre mal. Il sera, cela dit, l’un des fondateurs de la Société du Mont-Pèlerin en 1947, financée par de grands patrons suisses.
En 1958, De Gaulle retourne sa veste.
Au nom de la « vérité et de la sévérité » qui, seules peuvent garantir la prospérité. « Tant que je serai là, la parité du franc ne changera pas », proclame-t-il. Cette politique De Gaulle-Pinay-Rueff permettra à la France d’appliquer le traité de Rome. Certains patrons, comme Jacques Riboud, prônent une politique keynésienne de plein emploi et de croissance rapide. Mais en 1979, Raymond Barre fait du franc fort une contrainte européenne, en créant le Système monétaire européen et en arrimant notre monnaie au mark. À partir de 1983, la gauche poursuit sur cette lancée. En dix ans, la barre des trois millions de chômeurs est franchie. La dette publique double de 1981 à 1995. Au nom de la santé de la monnaie (une devise forte profite à ceux qui ont de l’argent), des millions d’existences sont sacrifiées. Les rentiers et les « capitalistes oisifs » ont remporté la guerre des classes.
En dormant.
Amiens: Fakir Éditions, 2013.
20:14 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, Economie, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thomas morel et françois ruffin, la banqueroute, neker, turgot, poincaré | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |