23/02/2018
Nucléaire : pourquoi les partisans de Mélenchon se trompent
Quelques arguments ici autour du nucléaire civil, alors que sont lancées plusieurs campagnes en France en faveur de la « sortie du nucléaire », notamment par les partisans de Mélenchon (FI, PG). Ces campagnes se font à coup de tracts, d’affiches (ci dessous une illustration) avec pour point d’orgue un « référendum » sur le sujet.
Les argumentaires « antinucléaires » que l’on peut lire sur ces tracts ou dans des livrets du « parfait militant » se contentent de jouer sur les peurs, et expédient en quelques lignes la difficile équation énergétique, équation qui doit pourtant tenir compte des besoins mondiaux, de l’épuisement des ressources, et du grave problème du réchauffement climatique et des pollutions en générales.
Aussi remarquons que ces campagnes émanent toutes de partis politiques ou organisations (PG, ELLV, Greenpeace…) qui consacrent pourtant de longs passages de leurs textes fondateurs sur la menace que fait peser le réchauffement climatique à toute l’humanité et l’urgence et la nécessité de le combattre.
Pourtant, il est contradictoire d’affirmer qu’il faut « sortir du nucléaire » en avançant l’argument de la dangerosité, tout en sachant que le GIEC reconnaît clairement que cette énergie sera un des leviers incontournables pour contrer le réchauffement climatique, et en même temps, répondre à une demande mondiale considérable pour 20501 afin de satisfaire au droit à l’énergie si vital pour des milliards d’être humains. Rappelons qu’un réchauffement global de +5°C prévu pour la fin de ce siècle si rien n’est fait, c’est une planète méconnaissable, et qui pourra difficilement nourrir les 10 milliards d’êtres humains qui s’y trouveront. Difficile de balayer cela d’un revers de main si on est un minimum progressiste et internationaliste.
Précisons un peu mieux les données du problème concernant le niveau de dangerosité du nucléaire mais aussi des autres activités industrielles en général :
L’accident nucléaire
Dans le domaine de l’énergie, le risque d’un accident nucléaire est l’argument le plus fort pour l’arrêt du nucléaire civil. C’est peut-être l’objection la plus sérieuse et la plus fondée à l’utilisation de cette énergie, cela est vrai. Et c’est un point qui revient systématiquement dans les débats, ce qui traduit une vraie préoccupation chez les citoyens.
Le risque qu’un accident majeur se produise en France existe bel et bien, même si sa probabilité est extrêmement faible. Là comme ailleurs, le risque zéro n’existe pas.
Est-ce que, pour autant, cet événement très rare qu’est l’accident majeur, avec des conséquences importantes, doit nous conduire à sortir du nucléaire en France ? Un tel raisonnement, bien que séduisant et somme toute assez confortable, nous conduit à une impasse, et nous amènera à répondre par la négative à cette question.
Tout d’abord, si, parce qu’il y a risque d’un accident, même très faible, il faut sortir du nucléaire, alors il va falloir faire la liste de tous les domaines où il y a des risques comparables, et en sortir aussi si on veut être cohérent et ne pas motiver une telle décision juste pour « surfer » sur une peur. (voir plus loin explication autour de l’accident de Fukushima)
Sortir de l’hydraulique ?
Prenons l’exemple de Grenoble. Cette agglomération est entourée de barrages qui, s’ils venaient à se rompre, produiraient une vague de boue et de débris de la hauteur d’un bâtiment de quatre étages et qui déferlerait sur la ville à près de 200 km/h (scénario catastrophe décrit dans le PPRI2 [Plan de prévention des risques d’inondation]). On disposerait de quelques minutes pour prévenir les 400 000 habitants de l’agglomération. Et cette vague emporterait tout, y compris des usines du secteur de la chimie, avec des produits hautement toxiques qui seraient disséminés.
Le bilan serait catastrophique : des dizaines de milliers de victimes et des vallées polluées à jamais. Bien sûr, on pourra objecter que, pour qu’un barrage se rompe, il faut qu’il y ait de gros défauts de conception et de construction. D’autre part, ce type de rupture donne des signes et prévient, le plus souvent, et donc on aura toujours le temps d’évacuer, et même de réparer le défaut ou de vider le barrage. Mais, comme pour le nucléaire, toutes ces objections ne réduisent pas le risque à zéro. Cela reste malgré tout possible. Alors, faut-il sortir de l’hydraulique ?
Sortir de la chimie ?
Des sites industriels à risque, classés Seveso, sont présents par centaines sur tout notre territoire. Ils touchent essentiellement le secteur de la chimie, crucial dans tous les aspects de nos vies. Sur le Rhône, il en existe qui peuvent déverser des poisons mortels et polluer le fleuve de façon irréversible pour des milliers d’années. Ce sont des scénarios catastrophes qui existent, qui sont très officiels et pris au sérieux par les préfectures. Dans le cas d’une explosion avec déversement de produits hautement toxiques, il y aura des victimes, mais aussi un environnement pollué pour des générations. Et insistons sur ceci : malgré toutes les précautions prises, le risque est réduit mais pas nul. Faut-il pour autant renoncer au secteur de la chimie ?
Arrêter les recherches en biochimie, sur les virus, les bactéries ?
Mettre au point de nouveaux vaccins, comprendre le fonctionnement des virus, faire reculer les maladies, n’est pas sans risque, car la dissémination des germes sur lesquels on travaille pourrait provoquer des catastrophes sanitaires à l’échelle planétaire – cela a inspiré de nombreux films « catastrophes » d’ailleurs. Pour réduire au minimum ces risques, les laboratoires dans lesquels ces recherches s’effectuent sont extrêmement surveillés, avec des protections et des mesures draconiennes. Il y a ainsi de multiples barrières de protection à franchir avant que les virus ne puissent sortir. C’est rassurant, mais, encore une fois, le risque n’est pas nul : il y a toujours une possibilité qu’un supervirus sorte et décime les populations. Ces laboratoires sont dits« P4 »3, il en existe deux en France et une bonne vingtaine dans le monde. Faut-il, au nom du risque d’une possible épidémie mondiale, abandonner pour autant ces recherches, et donc mettre un frein à tout progrès dans le domaine de la médecine ?
Sortir du pétrole, du gaz et du charbon ?
On peut en dire autant de la possible explosion d’un navire transportant du GNL (gaz naturel liquéfié) : une boule de feu de 1 km de diamètre pourrait se former lors d’une telle explosion en plein port (scénario très officiel qui sert de référence aux préfectures). On pourrait aussi parler du risque de marée noire, toujours réel : des millions de tonnes de pétrole avec, plus grave, les métaux lourds contenus dans ce pétrole polluant de façon irréversible des écosystèmes entiers. Nous avons vu également la pollution silencieuse du charbon, qui n’est pas un risque mais une réalité quotidienne. Et ces trois énergies émettent beaucoup de CO2. On pourrait donc aussi parler du risque climatique qui est une catastrophe globale qui pourrait être classée XXL pour ses conséquences en comparaison avec les risques industriels (des centaines de millions de victimes dans un proche avenir ?).
Au nom de tous ces risques, faut-il plutôt prioritairement sortir du pétrole, du gaz, du charbon ?
À partir de ces exemples, on comprend que si on généralise le raisonnement avec le nucléaire, il faudrait alors « sortir de tout », organiser des référendum sur la sortie de l’hydraulique, de la chimie, de la biologie, du gaz, du pétrole, du charbon, ce qui pose tout de même un gros problème.
Et si on reprend la logique de la carte de France imprimé par les partisans de Mélenchon : il n’y aurait plus de place en France où vivre:
Sortir du nucléaire pour entrer dans le charbon et le gaz…
Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que sortir de certains risques (par exemple le risque du nucléaire) c’est entrer dans d’autres risques majeurs, qui ne sont d’ailleurs plus vraiment de simples risques, mais des dangers avérés avec des conséquences certaines (les pollutions quotidiennes, le réchauffement climatique, la pénurie d’énergie…). En effet, aujourd’hui, et l’Allemagne le démontre à grande échelle, sortir du nucléaire implique forcément d’entrer dans le charbon et le gaz. Avec le cas allemand, la fable du nucléaire remplacé par de l’éolien et du photovoltaïque, le tout accompagné d’une diminution de la consommation, ne fait plus illusion : ce que les professionnels clament depuis des années finit par s’imposer comme une évidence. On se débarrasse du risque nucléaire pour mieux embrasser les conséquences du charbon et du gaz : les 5°C de réchauffement climatique d’ici 2100, les famines généralisées touchant des milliards d’êtres humains, sans compter l’ empoisonnement par les métaux lourds de la biosphère ainsi que l’acidification des océans .
Tous ces éléments doivent être débattus démocratiquement. Car, après tout, si les citoyens en ont conscience et qu’ils décident malgré tout de « préférer » les risques et pollutions quotidiennes liés aux énergies fossiles, et toutes leurs conséquences à l’échelle planétaire, plutôt que le risque nucléaire, c’est la démocratie qui s’exprime, et ce sera alors une décision légitime. Par contre, ce qui est illégitime, c’est de mettre en avant uniquement les risques du nucléaire, de faire peur en taisant les problèmes que posent les autres alternatives.
Amar Bellal
Amar Bellal, ingénieur de formation (INSA de Lyon), professeur agrégé de génie civil à l'IUT de Rennes, rédacteur en chef de la revue du PCF « Progressistes » et membre du Conseil national du PCF, auteur du livre « Environnement et énergie » (2016). Auteur de « Environnement et énergie, comprendre pour débattre et agir » aux éditions du « Temps des Cerises »
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POUR APPROFONDIR (pour ceux vraiment intéressés par le sujet) :
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Le nucléaire, ses pollutions et ses déchets : une spécificité particulière, par rapport aux autres activités industrielles ? Spécificité qui justifierait de bannir cette activité du champs humain ?
Il est ici fait référence aux pollutions dues aux trois accidents nucléaires et à la production des déchets hautement toxiques et à vie longue (plusieurs centaines de milliers d’années). C’est ce qui fait dire à certains que le nucléaire a une spécificité particulière et qu’il doit être banni des activités humaines.
Mais lorsqu’on compare ces pollutions à celles découlant d’autres accidents, notamment du secteur chimique, il n y a pas lieu de placer ce type de pollution comme un phénomène « à part ». L’accident de Bhopal4 ne nous a pas conduits, par exemple, à un débat pour « sortir de la chimie » et ni même à lancer l’idée d’un tribunal pour juger des « crimes de la chimie » ; cette attitude absurde prévaut pourtant lorsqu’il est question du nucléaire civil5. Bhopal a pourtant un bilan plus lourd, sur le plan sanitaire et humain, que tous les accidents nucléaires réunis. La réaction pour le cas de Bhopal a été autre : refonte des normes de sûreté, campagne contre le comportement des multinationales dans le tiers monde… c’est ce type de réaction qu’il faudrait avoir pour le nucléaire. De même, les 100 t de cyanure rejetées dans la biosphère par l’accident de Tianjin6 en août 2015 n’a pas déclenché la création d’un réseau « sortir de la chimie » ni le déroulement de manifestations un peu partout dans le monde.
Inutile de répéter que les déchets chimiques, rejetés quotidiennement par diverses activités industrielles, ont eux aussi une durée de vie infinie et contaminent toute la biosphère en fonctionnement normal (tous les jours, tous les ans). C’est alors bien plus grave que le nucléaire, activité où les rejets ne se font qu’en cas d’accident ! D’autre part, les volumes ne sont pas du tout identiques. Rappelons que la totalité des déchets nucléaires à vie longue, pour tout le parc nucléaire français, depuis sa création jusqu’à nos jours, a un volume de la taille d’une piscine olympique. Rappelons encore une fois que ces déchets sont confinés et maîtrisés : on se préoccupe de leur devenir, et c’est tout le débat autour du site de stockage Cigéo7 . Les déchets chimiques sont au contraire cent fois plus volumineux et sont, eux, tout simplement rejetés dans la nature.
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Sur l’accident de Fukushima et sur les enjeux de la sureté nucléaire.
Ce qui a entrainé un accident majeur à Fukushima, c’est la perte des systèmes de refroidissement du combustible. Deux scénarios principaux sont alors possibles dans le cas d’une perte de refroidissement, y compris de secours, du réacteur qui conduirait à la fusion du combustible à l’intérieur de l’enceinte de protection.
1. Si l’enceinte de protection remplit son rôle, alors la pollution restera confinée et les populations, après avoir été dans un premier temps évacuées, pourront retrouver leur domicile au bout de quelques jours. Une grosse frayeur, mais pas vraiment de catastrophe : c’est ce qui s’est passé pour l’accident de Three Mile Island (TMI, 1982). Notons que les réacteurs Français sont de ce type, car à l’origine ce sont des réacteurs de conception Etats-uniennes.
2. Si l’enceinte ne remplit pas son rôle, ou le remplit imparfaitement, ou, pis, si elle est inexistante (le cas de Tchernobyl), alors il y a rejet dans l’environnement et on peut s’attendre à des centaines de kilomètres carrés de terre polluée et inhabitable pendant des années, et à de nombreuses victimes si les mesures d’évacuation et de prise de pastilles d’iode n’ont pas été faites rapidement, dès les premiers signes de l’accident. C’est le scénario catastrophe que les autorités de sûreté de tous les pays cherchent à tout prix à éviter.
Il faut donc franchir plusieurs barrières pour en arriver à une catastrophe de type Fukushima : à la fois perte complète de refroidissement (avec des systèmes de secours défaillants) et enceinte qui ne confine pas efficacement la pollution.
En France, il existe une Autorité de sûreté nucléaire indépendante, qui a vraiment le pouvoir de faire arrêter un réacteur si ses prescriptions ne sont pas respectées. Elle a plusieurs fois arrêté le chantier de Flamanville, par exemple. Ajoutons qu’à chaque accident il y a un retour d’expérience.
Attardons-nous sur le cas de Fukushima. Lors de l’accident, l’opérateur japonais, Tepco, a dû procéder à des dégazages, en clair évacuer de l’air fortement pollué de l’intérieur du réacteur vers l’extérieur afin de diminuer la pression de l’enceinte. Si, avant d’évacuer cet air, on l’avait fait passer à travers des filtres à sable8, la pollution à Fukushima (due en partie à ces dégazages) aurait été fortement réduite, car les particules radioactives auraient été piégées par ce dispositif. D’autre part, tout le monde a vu à la télévision les explosions des toits en structures métalliques abritant l’enceinte de protection des réacteurs. Cela est dû à l’accumulation d’hydrogène dégagé à cause des fortes températures dans le réacteur. Avec un simple dispositif qui « piégerait » cet hydrogène, ces explosions auraient été évitées et n’auraient pas endommagé l’enceinte de protection.
Il se trouve que ces deux systèmes – filtres à sable et pièges à hydrogène – ne coûtent que quelques centaines de milliers d’euros, ce qui est, toutes proportions gardées, dérisoire. En France, toutes les centrales disposent de tels systèmes, et ce depuis… les années 1980 ! En effet, à la suite de l’accident de Three Mile Island, les autorités ont imposé de rajouter ces dispositifs sur tous les réacteurs français.
Alors, pourquoi Tepco, en plus de ne pas avoir pris suffisamment au sérieux les conséquences d’un tsunami – les groupes électrogènes de secours, parce que non protégés, ont été inondés par la vague du tsunami –, n’a pas investi dans de tels systèmes connus de tous les opérateurs mondiaux ? Est-ce dû au fait qu’il n’existe pas au Japon d’autorité de sûreté vraiment indépendante qui lui aurait imposé une telle mesure ? En effet, il faut savoir que c’était Tepco qui inspectait les sites de Tepco, avec tous les faux rapports d’inspection et les « arrangements » du fait de la confusion des rôles.
Ce long développement pour bien faire comprendre qu’il n’y a pas de fatalité. La sûreté, cela se construit, cela demande des moyens… et on apprend avec l’expérience. Mais il faut être clair et honnête : le risque nul n’existe pas pour autant, pas même avec des systèmes de sûreté les plus performants. On peut le réduire, et par exemple l’EPR9 est un nouveau réacteur qui divise par dix ce risque par rapport aux réacteurs actuels, mais il ne le réduit pas à zéro. Il subsistera toujours une probabilité qu’un tel événement provoque une catastrophe, y compris en France. Mais comme nous venons de le voir, des catastrophes comparables peuvent avoir lieu dans d’autres secteurs, ce qui nous conduit pas pour autant à prôner la sortie de l’hydraulique, de la chimie etc : la bataille est ailleurs, dans l’entreprise, dans les organisations du travail, dans l’exigence de service public etc…
119 milliards de tep à produire en 2050, voir la contribution du congrès, disponible dans ce blog : « contre l idéologie de la décroissance, pour un nouveau mode développement et l’émancipation de toute l’humanité » A. Bellal
2Document téléchargeable sur http://www.sassenage.fr/sites/default/files/webmaster/SEP...
4. Catastrophe industrielle survenu en Inde en 1984. Le décompte officiel fera état initialement de 3 598 morts, puis de 7 575 en octobre 1995. Les associations de victimes estiment à plus de 20 000 le nombre de décès causés par cet accident (http://www.bhopal.net).
5Un « tribunal d’opinion pour juger les crimes du nucléaire civil » a bien été lancé sous une forme de pétition. Il n y a curieusement pas d’équivalent aussi extrême pour le charbon ou le secteur de la chimie.
7Francis Sorin, « Cigéo : vers un stockage profond pour les déchets nucléaires de forte radioactivité », in Progressistes no 10, octobre-novembre-décembre 2015 (revue-progressistes.org).
8Le filtre à sable est un dispositif de sûreté qui n’est utilisé qu’en situation accidentelle grave. Il permet de décomprimer l’enceinte tout en retenant l’essentiel des produits radioactifs.
9EPR : réacteur pressurisé européen, (initialement European Pressurized Reactor, puis Evolutionary Power Reactor). Quatre réacteurs de type EPR sont en cours de construction dans le monde : un en Finlande, à Olkiluoto ; un en France, à Flamanville ; deux en Chine, à Taishan.
10:16 Publié dans Actualités, Connaissances, Planète | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nucléaire, insoumis, pcf, bellal | |
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19/01/2018
L'insolente croissance du Portugal inflige un camouflet au culte de l'austérité de Bruxelles
La réussite du modèle portugais ne vient pas des politiques de l'offre mais au contraire des politiques de la demande. Bruxelles est dans l'embarras.
Longtemps le modèle de référence en Europe a été le modèle allemand. Bruxelles en a fait régulièrement l'apologie, notamment en raison de l'exceptionnel excédent budgétaire allemand, de la dynamique de sa dette, de ses réformes permettant une exceptionnelle compétitivité. Bruxelles s'est souvent appuyé sur ce modèle pour faire pression sur les Etats.
Historiquement, ce modèle repose sur les réformes hétéroclites de l'épopée du Chancelier Schröder pour dépasser la crise des années 1990 en Allemagne. Réformes de l'assurance maladie, célèbres lois Hartz, accords de compétitivité dans les entreprises ont propulsé l'Allemagne vers l'idéal de l'économie de l'offre. L'abaissement des charges des entreprises et la hausse de la TVA ont déplacé la pression fiscale. En parallèle à cela, c'est tout le poids de l'Etat qui a été nettement diminué. Ce modèle qui repose finalement sur les entreprises, on le trouve en Autriche, aux Pays-Bas mais aussi... en Italie du Nord. Ces politiques pro-entreprises ont connu leur apogée en Europe entre 2005 et 2011, date à laquelle, en particulier, la croissance allemande a été maximale.
Mais qu'à cela ne tienne, l'Allemagne s'est essoufflée en 2013-2014 avec une croissance, certes, toujours positive. Un fait notable et loin d'être anodin, le taux de croissance du Portugal est passé au-dessus de celui de l'Allemagne en 2015-2016 et ce sera le cas probablement en 2017. Cependant, avec des excédents commerciaux qui inquiètent de plus en plus Bruxelles, l'Allemagne aujourd'hui interroge.
L'influence de l'Allemagne sur les politiques d'austérité en Europe a atteint ses limites. Car la locomotive de l'Europe ne roule désormais plus qu'à petite vitesse, en termes de croissance et d'exportations, un comble!
Pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d'abaissement de la protection sociale, pas de programme d'austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite. Au contraire.
Car pendant ce temps, le petit poucet de l'Europe, longtemps décrié par Bruxelles, vient bouleverser les grandes certitudes sur les bonnes politiques amères à mener en Europe. Il s'agit du Portugal. Il y a un peu plus d'un an en juillet 2016, la Commission européenne entamait une procédure pour "déficit excessif" contre le gouvernement de Lisbonne. Mais depuis, le Portugal a réduit son déficit à 2,1% en 2016 et devrait le ramener à 1,5% cette année quand on peine en France à passer en-dessous de la barre des 4%.
Après une période historique de privatisations forcées pour obtenir les prêts de la Troïka, c'est finalement la coalition de gauche entrée au pouvoir en 2015 qui allait inverser les choses, mettant Bruxelles dans un grand embarras.
Car le modèle économique portugais qui dépasse les taux de croissance allemand aujourd'hui est totalement contraire à celui prôné par Bruxelles. Depuis 2015, la croissance réelle du Portugal s'est nettement redressée après des années noires, celles de la Troïka, durant lesquelles les taux de croissance étaient même négatifs de 2011 à 2013. Aujourd'hui, les taux de croissance du Portugal dépassent ceux de l'Allemagne. Si le taux de chômage frôlait les 17% avec les politiques d'austérité en 2013, celui-ci a décru fortement depuis 2015 pour atteindre 8% en 2017 selon toute probabilité.
Une baisse remarquable, du jamais vu. Le Portugal bénéficie également d'une forte reprise de la consommation depuis 2 ans, jointe à un excédent de la balance des biens et services. Les investissements productifs en pourcentage du PIB se rapprochent même de ceux de l'Allemagne, c'est à dire 16,5% contre 20% pour l'Allemagne.
Avec une amélioration continue du capital humain, on observe également une belle chute des crédits au secteur privé quand l'épargne est en hausse constante depuis deux années. L'inflation quant à elle est totalement maîtrisée, même plus basse (1,3%) qu'en Allemagne (1,6% en 2016). Certes la dette portugaise avoisine les 146% contre 68% en Allemagne, mais elle diminue depuis deux ans.
Les politiques de demande ne sont donc pas systématiquement des politiques d'accroissement de l'endettement. Par ailleurs les taux d'intérêt à long terme se situent à 3,2% en 2016 contre 0,09% en Allemagne. En 2015 et 2016 ce sont les plus bas qu'ait connu le pays depuis 2010 avec la nouvelle coalition de gauche arrivée en 2015.
Le gouvernement n'a pas lésiné sur le plan de relance du pouvoir d'achat.
Car la réussite du modèle portugais ne provient pas vraiment des politiques de l'offre mais au contraire des politiques de demande: pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d'abaissement de la protection sociale, pas de programme d'austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite qui avait notamment gelé le salaire minimum et les pensions de retraite, augmenté les impôts et tout cela sans aucun effet notoire sur l'économie. Au contraire, on a assisté en parallèle à une hausse de la pauvreté.
Ici, rien de tel: le salaire minimum a été augmenté en 2016 puis en 2017. En parallèle à cela nous avons assisté à une baisse des cotisations employeurs de 23 à 22%. Enfin, le gouvernement n'a pas lésiné sur le plan de relance du pouvoir d'achat: hausse des retraites et allocations familiales, renforcement du droit du travail, baisse des impôts pour les salaires les plus modestes, arrêt net des privatisations... Pour clore le tout, le Portugal a compris qu'il ne servait plus à rien d'essayer de concurrencer les pays de l'est à bas coûts, donc, on est monté en gamme, dans l'industrie et dans le tourisme. Un point dont la France devrait s'inspirer: la montée en gamme du pays et des politiques de stimulation de la demande, conjointement à un simple abaissement des charges des entreprises.
11:17 Publié dans Actualités, Connaissances, Economie, International, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : portugal, économie, réussite, allemagne | |
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17/01/2018
Un roman à dévorer : Ravine l’Espérance
En ces week-ends d'hiver, on cherche souvent un bon bouquin à se mettre sous la dent. Avec le nouveau roman des éditions Quart Monde, vous ne serez pas déçus !
Ravine l’espérance raconte la vie dans un quartier très pauvre de Port au prince au travers des yeux de 6 personnages, une semaine avant le tremblement de Terre de 2010 qui a ravagé la capitale.
Les personnages sont issus de classes sociales très différentes, certains sont des habitants du quartier, d’autres sont de classes sociales aisées, l’un d’entre eux par exemple est un ingénieur qui travaille sur la réhabilitation du quartier. Les âges aussi sont très variés, il y a des adolescents, des jeunes et des adultes.
A travers leur récit, on découvre la vie dans le quartier, les difficultés mais aussi les joies. On s’horrifie de découvrir des profiteurs de la pauvreté et on s’émerveille devant ceux qui œuvrent pour leur quartier, pour leur pays convaincu qu’en partant de ceux qui vivent là-bas on peut changer les choses.
Si au début, il faut faire un effort pour entrer dans les histoires des personnages et comprendre les liens entre eux, on est très vite happé par l’intrigue, on dévore inlassablement les pages pour connaître la fin.
Ravine l’espérance est à mettre dans toutes les mains dès maintenant mais aussi comme cadeau de Noël.
C’est au courage, à la force de ce peuple que ce livre rend hommage, à travers une histoire unique, haletante, où les voix qui s’entremêlent nous guident dans un Port-au-Prince bouillonnant, au fil de cette semaine de janvier 2010, jusqu’au terrible tremblement de terre qui a englouti des centaines de milliers de vies.
Unique, ce livre l’est également dans son écriture : sept auteurs, dont six survivants et Jean-Michel Defromont, décident de ne pas se quitter avant d’être parvenus à rendre présents des dizaines de personnages dont ils sont si proches et qui sont, chacun à sa manière, des maîtres en résistance. Au bout de sept ans, leur livre est une formidable invitation à partager le quotidien de ce peuple capable de surmonter le pire sans jamais perdre l’espérance.
Cette semaine-là à Port-au-Prince
Jean-Michel Defromont, Louis-Adrien Delva, Kysly Joseph, Laura Nerline Laguerre, David Lockwood, Jacques Petidor et Jacqueline Plaisir
2017, Éd. Quart Monde, 400 p., 10 €
12:50 Publié dans Connaissances, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ravine, haiti, livre, quart lond | |
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10/01/2018
Une année 2017 dramatique pour les Palestiniens de Gaza
De Ziad Medoukh, professeur de français, habitant Gaza
Depuis plus de douze ans, et à la fin de chaque année, les habitants de la bande de Gaza espèrent un changement de leur situation marquée par la souffrance, le maintien du blocus israélien inhumain, la poursuite des attaques israéliennes contre leur prison à ciel ouvert, et son isolement comme région oubliée.
Depuis le retrait israélien de la bande de Gaza et l’évacuation des colonies israéliennes illégales en 2005, et depuis le début du blocus israélien imposé contre cette région isolée en 2006, la bande de Gaza vit une situation terrible à tous les niveaux, une situation qui rend la vie de deux millions d’habitants de pire en pire.
En onze ans, la population civile a subi trois offensives militaires israéliennes qui ont fait des milliers de morts et de milliers de blessés, sans oublier la destruction massive de toute une région.
Onze années se sont écoulées, mais c’est difficile pour nous Palestiniens de Gaza d’oublier la guerre, l’enfermement, la souffrance, les massacres et les crimes commis par cette armée d’occupation, contre nos femmes et nos enfants, contre nos maisons et nos écoles, contre nos usines et nos routes, contre notre volonté et notre résistance.
L’ année 2017, a connu la poursuite des événements tragiques pour les habitants de cette région enfermée et laissée à son sort, une région abandonnée par une communauté internationale officielle complice. Mais surtout n’a connu aucun changement sur le terrain, malgré quelques initiatives locales et régionales.
L’année 2017 pour les habitants de la bande de Gaza, a été marquée par les dix événements suivants :
1-Le maintien du blocus israélien inhumain imposé de façon illégale par les forces de l’occupation depuis plus de onze ans, et la fermeture permanente des passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur.
Concernant les passages commerciaux : Actuellement, par jour, 300 à 340 camions entrent à Gaza via le seul passage commercial ouvert cinq jours par semaine, ce passage se situe au sud de la bande de Gaza, mais la moitié de ces camions sont pour les organisations internationales et leurs projets de reconstruction d'écoles et de stations d’eau. Parmi ces camions, 4 ou 5 seulement contiennent des matériaux de construction notamment le ciment. Ce passage se ferme sous n’importe quel prétexte, par décision israélienne, sans prendre en considération les besoins énormes de la population civile, en augmentation permanente.
Gaza n’a droit qu’à 110 produits au lieu de 970 avant le blocus, quelques produits et médicaments n’entrent pas, ce qui a aggravé la situation. Selon les estimations des organisations internationales, la bande de Gaza a besoin de plus de 1300 camions par jour pour répondre aux besoins énormes d’une population en augmentation permanente. Sans oublier la liste de 90 produits toujours interdits d’entrer par ordre militaire israélien.
Cette fermeture a empêché la libre circulation des importations et des exportations des biens et produits de Gaza, en particulier les matières premières et les produits semi-finis.
Le gouvernement israélien refuse l’ouverture des passages d’une façon régulière et maintient son blocus sur Gaza. Les organisations internationales n’arrivent pas à faire pression sur ce gouvernement, et les Palestiniens de Gaza sont dans l’attente.
2-Les projets de reconstruction public ou privé sont au point faible, trois ans et demi après la fin de la dernière attaque sanglante contre Gaza en été 2014. le comité national de la reconstruction de Gaza a annoncé que seulement 50% de réparation pour les maisons touchées partiellement par les bombardements israéliens, qui ont été faites.
Seulement 75% de l’argent promis lors de la conférence sur la reconstruction de la bande de Gaza les 11 et 12 octobre 2014 au Caire.- 5.6 milliards dollars promis- est versé soit directement à l’autorité palestinienne qui se heurte à d’énormes difficultés pour mener des projets de reconstruction dans la bande de Gaza, qui réellement n’y exerce aucun pouvoir, à cause des mesures israéliennes d’une part et des divergences politiques entre les différents partis palestiniens d’autre part, soit aux organisations internationales qui s’intéressent surtout à distribuer des aides alimentaires aux sans-abris plutôt que de commencer la reconstruction des maisons détruites.
On est passé suite à cette situation catastrophique dans la bande de Gaza d’une économie familiale non-violente à une économie dépendante d’Israël et des organisations internationales.
3-La poursuite des incursions, bombardements, malgré une trêve respectée par les factions de Gaza, jamais par l’armée d’occupation israélienne. On compte plus de deux cent violations israéliennes en 2017 : 90 bombardements, 77 incursions dans différentes zones frontalière au sud, au centre, et au nord de la bande de Gaza, 120 attaques contre les pêcheurs et leurs bateaux de pêche. 73 palestiniens ont trouvé la mort à Gaza suite à ces attaques et bombardements.
4-L’échec des efforts de la réconciliation inter palestinienne, malgré la signature d’un accord qui a mis fin de la division entre les deux partis rivaux : le Fatah et le Hamas en octobre 2017, ce qu’a aggravé la souffrance des habitants de la bande de Gaza.
5-La dégradation de la situation économique, le taux de chômage dépasse les 67% de la population civile, mais le phénomène le plus dangereux est la hausse du chômage chez les jeunes de moins de 30 ans, qui atteint 75%, en 2017, plus de 50.000 personnes s’ajoutent au chômage.
- La pauvreté. 72% de la population de Gaza vit en dessous de seuil de pauvreté
-L’augmentation du nombre de personnes qui dépendent des organisations humanitaires. 80% des Palestiniens de Gaza vivent sur des aides alimentaires. Selon les sources du bureau des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens –UNRWA- dans la bande de Gaza, plus de 1000.000 personnes ont bénéficié du programme de l’aide alimentaire géré par le bureau en 2017, ce programme a élargi ses services pour cibler les citoyens et non seulement les réfugiés.
Sur le plan économique, la situation ne cesse de s’aggraver avec les conséquences dramatiques du blocus et de la dernière agression qui ont causé l’augmentation du chômage, et du niveau de pauvreté, sans oublier l’incapacité de bâtir une véritable économie dans la bande de Gaza.
L’économie de la bande de Gaza souffre d’une crise très grave due aux agressions israéliennes et au blocus. Cette situation empêche tout développement d'une économie en faillite qui ne trouve pas les ressources nécessaires pour sortir d'une crise qui touche tous les secteurs.
Pour beaucoup d’économistes, l’année 2017 est considérée comme la plus catastrophique pour l’économie palestinienne depuis 20 ans
6-La déclaration du président américains Trump sur la ville de Jérusalem en décembre 2017, avec une réaction palestinienne très intensive sur le terrain avec des manifestations populaires sur les frontières de Gaza, avec des morts et des blessés côté palestinien, ce qu’ajoute d’autres préoccupation à la population de Gaza.
8-Aucune solution est proposée pour les problèmes de la bande de Gaza, soit de deux gouvernements palestiniens, soit des organisations internationales, voir des pays voisins ou autres. Les problèmes d’eau, d’électricité, d’infrastructure, de chômage, de pauvreté, de précarité et reconstruction sont toujours présents.
La seule centrale électrique qui a été bombardée lors de la dernière agression, fonctionne avec seulement 30% de sa capacité, chaque foyer à Gaza a le droit de 4 à 6 heures de courant électrique par jour.
9-Concernant l’eau : Les dommages causés aux canalisations d’eau et d’assainissement ont été immenses En décembre 2017, plus de la moitié des Gazaouis n’avait plus aucun accès à l’eau.
10-Aucun changement, rien ne change, rien ne bouge, la vie est presque paralysée pour cette population civile. Et ça dure depuis longtemps, sans aucune réaction nationale, régionale ou internationale. Les citoyens de Gaza vivent le jour au jour, ils essayent de s’adapter, de tenir bon, mais surtout d’y exister.
Les questions qui se posent au début de cette nouvelle année :
Jusqu’à quand ce blocus israélien inhumain contre la population civile de la bande de Gaza ?
Jusqu’à quand la souffrance des Palestiniens de Gaza ?
Jusqu’à quand cet impunité d’Israël ?
Jusqu’à quand le silence international officiel ?
Et jusqu’à quand cette injustice ?
La population civile se bat quotidiennement pour survivre digne sur sa terre.
la situation stagne, rien ne bouge et les gens, sur place, attendent et attendent, ils attendent une ouverture, ils attendent la levée de ce blocus inhumain, ils attendent une vraie réaction internationale afin de mettre fin à l’impunité d’Israël et fin à leur souffrance, ils n’ont pas d'autre choix que d’attendre, ils attendent avec un courage et une volonté remarquables. Mais surtout avec un message simple et claire : ici notre terre, nous partirons pas.
Mais la vie continue, ses habitants s’adaptent et montrent une patience extraordinaire devant le silence complice d'une communauté internationale officielle impuissante.
En attendant, les Palestiniens de Gaza tiennent bon, persistent, patientent, résistent, mais surtout, ils continuent d’espérer en un lendemain meilleur, un lendemain de liberté, de paix, mais, avant tout, un lendemain de justice.
09:57 Publié dans Actualités, Connaissances, International | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : palestine, gaza, 2017 | |
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