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07/04/2015

Expo Vélasquez. De l’infant Felipe au pape, un troublant regard

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"Vénus au miroir" (1647-1651). Londres, National Gallery, huile sur toile, 122,5 sur 177 centimètres.
Photo : National Gallery of London
 
Au Grand Palais, à Paris, La Réunion des musées nationaux consacre une exposition remarquable à celui que Manet avait appelé 
le peintre des peintres et à ses contemporains, avec lesquels il n’y a pas photo.

On se gardera de dire que Vélasquez a remarquablement peint les enfants, ce qui prêterait à une regrettable équivoque avec les innombrables mièvreries qui caractérisent le genre.Il s’agit de bien autre chose.

Ainsi du portrait en pied du petit prince Felipe Prosper, peint vers 1659, alors qu’il est âgé de deux ans. Vélasquez est au sommet de son art, il a soixante ans et n’a plus qu’une année à vivre. Le petit prince ne vivra que quelques mois de plus. Est-ce donc cela qui nous retient dans ce tableau, cette pâleur, ces yeux candides mais troublants tant ils ont de vérité.

Derrière, dans l’ombre, il y a cette porte entrouverte vers une autre lumière, celle peut-être déjà que l’on voit dans les Ménines, avec la silhouette d’un homme en noir dans l’embrasure. Vélasquez pouvait-il pressentir la mort prématurée de l’enfant royal que l’on disait fragile, ou bien est-ce le sentiment de l’imminence de la sienne qui passe dans son regard, on ne sait, mais c’est là. Vélasquez est l’un des plus grands portraitistes de toute l’histoire de la peinture et sans doute le premier à aller aussi près de la vérité des êtres.

C’est là ce que l’on peut retenir d’abord de l’exposition exceptionnelle qui est consacrée au Grand Palais à Paris au plus grand des peintres espagnols, avec Goya, cela va de soi. Bien sûr, on regrettera l’absence des Ménines (1656), où le peintre, entouré de l’infante Marguerite, de chiens et de bouffons, nous fait face, comme s’il nous peignait sur la grande toile qui est devant lui, alors que dans le miroir au fond de cette boîte, ou de cette caverne, se reflète le couple royal qu’il est donc censé peindre, à notre place même. Mais ce n’est pas le lieu ici de commenter plus longuement cette toile, d’autres l’ont fait amplement et ce n’est pas fini.

Le baroque fait l’actualité à Paris

Disons simplement qu’elle nous manque quand bien même on comprend que le musée du Prado ait du mal à s’en séparer, comme le Louvre de la Joconde, et qu’en outre ses ­dimensions la rendent sans doute difficilement transportable.

Nous manquent aussi les Lances ou la Reddition de Breda (1635), dont il y aurait tant à dire. En revanche, prêté par la National Gallery, la Vénus au miroir (vers 1647-1651), l’un des chefs-d’œuvre absolus de la peinture occidentale, est bien là, comme le Portrait du pape Innocent X (1650), dont Francis Bacon fera la matrice de sa série de papes hurlants. Mais il faut sans doute faire un rapide détour par l’époque. Le XVIIe siècle et donc le ­baroque qui, singulièrement, fait l’actualité à Paris avec l’expo du Petit Palais sur les bas-fonds de Rome, et une autre, dès la ­semaine prochaine, au musée Jacquemart-André, intitulée « De Giotto à Caravage ».

Le baroque, c’est d’abord l’injonction faite aux artistes par le concile de Trente de rapprocher dans leurs sujets la ­religion du peuple et c’est, du même coup, l’entrée du peuple dans la peinture. C’est sans doute aussi, dans la logique même de la ­peinture, telle qu’elle apparaît déjà dans les Flandres avec Bruegel et d’autres, la force progressive du réel dans la négation des dogmes et des conventions. Regardons déjà, du tout jeune Vélasquez âgé de dix-neuf ans le visage de jeune fille de son Immaculée Conception.

­Regardons, dix ans plus tard, le Christ chez Marthe et Marie, où les deux femmes sont au premier plan. Quelle simplicité, quelle vérité, quelle grandeur du quotidien. Alors, il est bien vrai que Vélasquez sera le peintre du roi, le premier artiste de la cour, honoré de son vivant par Philippe IV dont on dit que c’est lui-même qui aurait tracé la croix rouge de chevalier sur l’orgueilleuse figure du peintre des Ménines. Mais quelle humilité, et surtout quelle humanité quand Vélasquez va vers le visage de l’autre, que ce soit parce qu’il le comprend ou parce qu’il l’interroge, qu’il s’agisse du pape, du portrait en pied d’un homme en noir, sans aucun décor, dont Manet saura se souvenir, de ces portraits d’hommes ou de femmes à nous désormais inconnus mais qui furent de la pensée, de la foi, de la cruauté…

Dans les Lances, à gauche du tableau, un soldat parmi d’autres tourne son visage vers nous. Vélasquez lui-même. Comme le couple royal, nous sommes devant lui et peints.

Du 25 mars au 13 juillet, 
Grand Palais, Paris 8e. Catalogue édité 
par La Réunion des musées nationaux 
et du Musée du Louvre. 410 pages, 50 euros.
 
Maurice Ulrich, L'Humanité
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05/04/2015

Un coup de vieux dans la mâchoire !

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Ce fragment de mâchoire inférieure avec cinq dents présente à la fois des ressemblances avec l’australopithèque et les premières espèces du genre Homo. Depuis des décennies, les paléontologues cherchent en Afrique des traces des origines de la lignée Homo, estimée entre 2,5 et 3 millions d’années, dont fait partie l’homme moderne… C’est chose faite !

Datant d’il y a 2,8 millions d’années, soit 400 000 ans de plus que le plus vieux fossile connu du genre Homo, un fragment de mâchoire inférieure avec cinq dents a été découvert par Chalachew Seyoum, de l’université d’Arizona, dans la région de l’Afar, au nord-est de l’Éthiopie. Une zone connue pour ses nombreux restes d’hominidés déjà mis au jour, parmi lesquels ceux de la célèbre australopithèque Lucy, datant d’il y a environ 3,2 millions d’années. « La mise au jour de cette mâchoire inférieure aide à réduire le fossé, dans l’évolution, entre l’australopithèque et les premières espèces du genre Homo comme l’erectus ou l’habilis », expliquent les paléontologues, dont les travaux paraissent mercredi dans la revue américaine Science. « Ce fossile est un excellent exemple d’une transition des espèces dans une période clé de l’évolution humaine », ajoutent-ils.

Même s’ils admettent ne pas être en mesure de dire avec cette seule mâchoire s’il s’agit ou non d’une nouvelle espèce du genre Homo qui aurait abouti en évoluant à l’Homo sapiens. Car la mandibule présente à la fois des ressemblances avec celle d’Australopithecus afarensis, l’espèce dont fait partie Lucy, notamment la forme fuyante du menton, mais aussi des attributs plus « modernes » du genre Homo, comme la proportion globale de la mâchoire, les molaires fines et les prémolaires symétriques.

Comprendre la transition des australopithèques vers le genre Homo

Pour dater le fossile, des géologues de l’université de Pennsylvanie ont analysé les roches volcaniques qui l’entouraient. Leurs analyses d’isotopes radioactifs ont permis d’établir un âge d’environ 2,8 millions d’années. L’objectif des paléoanthropologues demeure le même : comprendre la transition des australopithèques vers le genre Homo.

Une hypothèse courante est celle d’un changement de climat qui aurait entraîné une aridification de l’environnement et favorisé les espèces moins arboricoles. Une théorie en partie soutenue par une autre étude, publiée dans Science cette semaine, qui met en évidence un changement climatique il y a 2,8 millions d’années dans la même région d’Éthiopie où a été trouvée la mâchoire. « Mais il est encore trop tôt pour dire si ce changement climatique est responsable de l’émergence du genre Homo, il nous faudra avant cela examiner un plus grand nombre de fossiles d’hominidés, que nous continuons à rechercher dans cette région », précise Kaye Reed, professeure à l’université d’Arizona, coauteure de cette étude.

Anna Musso, L'Humanité

19:39 Publié dans Connaissances | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : machoire, préhistoire | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

20/03/2015

Emir Kusturica : "L'Ukraine, un remake de la Yougoslavie"

kusturica.jpgRencontrer le cinéaste franco-serbe, c’est l’assurance d’un entretien nourri par l’actualité, les questions de géopolitique internationale et les méfaits de la mondialisation capitaliste. Emir Kusturica, auteur d’un recueil de nouvelles paru le 7 janvier, « Étranger dans le mariage », n’est jamais avare de lumineuses digressions.

D’ordinaire, Emir Kusturica exploite sa fibre artistique dans la musique et le cinéma : le guitariste du No Smoking Orchestra est aussi le lauréat de deux palmes d’or pour « Papa est en voyage d’affaires » et « Underground ». Le cinéaste franco- serbe s’était déjà essayé à la littérature dans une autobiographie, « Où suis-je dans cette histoire ? ».
 
Il tente aujourd’hui une incursion dans la fiction avec « Étranger dans le mariage », un recueil de six nouvelles autour de la famille, de la guerre et de l’absurdité du quotidien dans la Yougoslavie des années 1970. Certes, les récits apparaissent très inégaux et la truculence de Kusturica, pourtant très cinématographique, peine à provoquer les mêmes émotions qu’à l’écran. Reste que s’il ne réussit pas tout à fait son passage à l’écrit, il demeure une voix singulière incontournable face au formatage des choses de l’esprit.
 
HD. Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer par le biais de la littérature ?
EMIR KUSTURICA. J’ai compris que je pouvais être créatif en réalisant mon film « Guernica » pendant mes études à l’école de cinéma de Prague. Depuis, ma créativité n’a jamais cessé. J’ai eu la chance de me trouver. Je peux mettre en place ma vie en rapport avec mes différents projets. Depuis mes premiers films, j’ai une bonne relation avec le public.
 
C’est probablement parce que je ne cherchais pas à communiquer mais à faire mes films. J’explore au plus profond mon histoire familiale. J’essaie d’aller vers l’obscurité. Mais cela tient d’abord à un désir. L’art est certes l’aboutissement d’une communication mais l’artiste ne communique pas avec le public mais avec son propre besoin de créer.
 
HD. Pour quelles raisons vos histoires sont-elles si personnelles ?
E. K. Je suis très lié au langage cinématographique du début des années 1970. Ce sont des années dorées pour le cinéma et l’art en général.
 
Les États-Unis, qui façonnent le monde militairement et artistiquement, étaient dans les années 1970 beaucoup plus libres qu’aujourd’hui. Après le Vietnam, il y a eu beaucoup de films sur la guerre perdue des Américains. Depuis, l’expression libre est devenue une expression contrôlée. Aujourd’hui, la NSA (Agence nationale de sécurité – NDLR) écoute tous les citoyens américains. C’est effrayant.
 
Dans les années 1970, l’Amérique parlait du fascisme, du nazisme. Souvenez-vous de « Cabaret », le film de Bob Fosse, de « Macadam Cowboy », de « Cinq pièces faciles ». Il y avait presque une philosophie existentialiste, parlant librement de la vie, de la défaite au Vietnam, écrivant des livres. Et puis patatras, au cinéma, George Lucas a commencé à recréer l’univers, Spielberg a fait ses « ET ».
 
La conception de Ronald Reagan de divertir l’esprit, en particulier des Américains pour les éloigner d’une position critique, et de transformer les films en pur divertissement l’a emporté. Les gens qui ont continué à faire ce qu’ils voulaient ont été marginalisés, leurs films peu ou mal diffusés. Aujourd’hui, nous en subissons toujours les conséquences. En Europe, le cinéma est davantage tourné vers le cinéma d’auteur. Mais la pression économique rend les auteurs de plus en plus politiquement corrects.
« L’UKRAINE MARQUE UN TOURNANT. LA RUSSIE N’ACCEPTE PLUS SON ENCERCLEMENT AVEC L’ÉLARGISSEMENT CONTINU DE L’OTAN. »
 
HD. que vous inspirent les événements en Ukraine ?
E. K. La guerre humanitaire est en))) fait une légalisation de la guerre. Wall Street dépend de la guerre. La valeur psychologique d’une action dépend de la manière dont vous êtes agressif dans certaines parties du monde. Plusieurs guerres, de tailles réduites, se déroulent un peu partout à travers la planète.
 
Désormais, l’option des conflits de basse intensité apparaît épuisée. Et l’Ukraine marque un tournant. La Russie n’accepte plus son encerclement avec l’élargissement continu de l’OTAN. L’idéologue américain Zbigniew Brzezinski a largement écrit sur « l’enjeu eurasien », capital à ses yeux, à savoir la maîtrise et la colonisation de la Russie et de l’espace ex-soviétique. L’Ukraine est donc une première étape vers ce démantèlement imaginé par Brzezinski.
 
HD. Ne vous rappelle-t-il pas ce qui s’est produit en ex-Yougoslavie ?
E. K. À Kiev, l’histoire des snipers qui ont ouvert le feu sur la place Maïdan ressemble de manière troublante aux événements de Sarajevo en 1992. Durant le siège de la ville, des tireurs isolés ont terrorisé les habitants et personne à Sarajevo ne savait d’où venaient ces snipers.
 
Exactement comme à Kiev. On ne sait toujours pas qui a ouvert le feu sur les manifestants et les forces de l’ordre (1). Aujourd’hui, une autre vérité que celle imposée par les médias apparaît. C’est ce que tentait de décrire mon film « Underground » : une autre réalité. Il a été réalisé en 1995. La vérité sur ces deux événements, les dirigeants la connaissent.
 
Ils en sont même parties prenantes et essaient de nous abuser en feignant d’être des imbéciles. Les grandes puissances jouent sur un échiquier où l’Ukraine et l’ex-Yougoslavie apparaissent comme des pions. Il s’agit d’une répétition d’un scénario qui s’est produit en Yougoslavie et a mené à son éclatement pour des enjeux similaires : l’extension de l’OTAN et de l’UE.
 
La construction de l’UE est responsable des deux drames. Afin de s’agrandir et accroître son influence, elle divise les États pour imposer sa loi à de petits territoires. Pour moi, ce qui est inacceptable, c’est que les gens s’en accommodent. Heureusement, il y a des instants d’espoir.
 
« LES ÉTATS-UNIS ET LE CAMP ATLANTISTE IMPOSENT LEUR VÉRITÉ ET SE COMPORTENT EN VAINQUEURS DE LA GUERRE FROIDE. »
 
L’arrivée au pouvoir des communistes en Grèce en fait partie. Leur victoire est historique et peut, comme en Amérique latine, porter un véritable élan. Ce phénomène se répétera dans les années qui viennent. La montée de l’extrême droite et des partis fascistes, voire nazis comme en Ukraine où ils sont au pouvoir, créera en face une résistance. Le clash est inévitable.
 
HD. L’hystérie de la presse à l’égard de la Russie et de Poutine vous rappelle le traitement médiatique à l’égard des Serbes durant la guerre de Yougoslavie ?
E. K. Cela a été le point de départ. En 1992, les divers acteurs ont mis en avant certains aspects pour créer une atmosphère favorisant un conflit. Ils ont ensuite légalisé une intervention au nom de l’aide humanitaire (2).
 
Toute possibilité de paix a été écartée et la Yougoslavie a été démembrée à leur guise, laissant Slobodan Milosevic pour seul responsable. Le Kosovo est un bel exemple de leur mensonge et de leur justice aléatoire. Ils ont soutenu la séparation de cette région au nom du droit des peuples mais la refusent à la Crimée ! Les États-Unis et le camp atlantiste imposent leur vérité car ils se comportent en vainqueurs de la guerre froide. Ils estiment avoir triomphé du marxisme et tué le communisme.
 
Tous les événements qui ont suivi la chute du mur de Berlin révèlent les fausses promesses faites à Mikhaïl Gorbatchev sur la non-extension de l’OTAN. Cela résume leur conception de la diplomatie pour assurer leur suprématie. L’extension de l’orbite euro-atlantique est impérative. Le siècle qui vient pour les États-Unis sera un tournant. L’accroissement de leur richesse et de leur influence dépend de leur domination du modèle libéral.
 
Ce modèle qu’ils ont imposé au reste de la planète à travers la mondialisation est fondé sur la compétition, l’exploitation et les inégalités. Cette compétition, les États-Unis ne pourront plus la remporter indéfiniment avec la montée de puissances émergentes. Devant cette phase de déclin, ils trichent. Mais ils n’avaient pas prévu que l’Eurasie se dresserait contre la domination de l’euro-atlantisme. La proximité géographique compte et la Russie et la Chine finiront par coopérer.
 
HD. Vous critiquez beaucoup le capitalisme, pourquoi alors avoir participé à une fête à Davos ?
E. K. J’étais à Davos pour une banque russe. J’avais besoin d’argent pour payer les musiciens de mon festival de Kunstendorf. On m’a donné beaucoup d’argent, avec lequel j’ai pu financer ce festival.
 
KUSTURICA EN CINQ FILMS
 
1985. « PaPa est en voyage D’affaires ». Pour son deuxième long métrage, le réalisateur, alors yougoslave, décroche sa première palme d’or, à seulement 31 ans.
1989. « Le temPs Des gitans ». il reçoit le prix de la mise en scène à Cannes.
1993. « arizona Dream ». Pour sa première expérience américaine, Emir Kusturica s’offre un casting de rêve (Johnny Depp, Jerry Lewis, faye Dunaway) et fait voler des poissons sur une chanson d’iggy Pop. il est récompensé par un ours d’argent à Berlin.
1995. « UnDergroUnD ». il obtient sa deuxième palme d’or avec cette fresque historico-familiale de la yougoslavie sur 50 ans, des années
1940 jusqu’à son éclatement dans les années 1990. Le film déclenche une polémique autour du caractère supposé proserbe de l’oeuvre.
1998. « CHat noir, CHat BLanC ». après avoir un temps songé à arrêter de tourner, Kusturica revient à la réalisation avec un film apaisé et décroche le lion d’argent du meilleur réalisateur à venise.
 
A Lire :
« ÉTRANGER DANS LE MARIAGE », D’EMIR KUSTURICA, TRADUIT DU SERBO-CROATE PAR ALAIN CAPPON. ÉDITIONS JC LATTÈS, 270 PAGES, 20 EUROS.

07/02/2015

Et si les femmes étaient l’avenir de l’Indonésie ?

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Le nouveau président Jokowi entend développer l’archipel en s’attaquant à la pauvreté, qui touche 43 % de la population. Il marque des points auprès du mouvement féministe, qui l’encourage à s’appuyer sur les femmes, principales victimes de l’inégale répartition des richesses.

Djakarta (Indonésie), envoyée spéciale.Mina Kaci, L'Humanité

Et si le nouveau président misait sur les femmes pour sortir l’Indonésie, riche de 250 millions d’habitants, de la grande pauvreté? Élu en juillet et investi le 20 octobre dernier, Joko Widodo, dit Jokowi, semble parier sur elles. Ne vient-il pas de leur réserver huit places au sein du gouvernement? Huit sur trente-quatre, ce n’est certes pas la parité, mais avec les fauteuils stratégiques qu’elles occupent, le chef de l’État marque des points auprès des militantes féministes.

Ainsi, Susi Pudjiastuti, la ministre de la Mer et de la Pêche. Un poste clé dans ce pays composé de 17 508 îles. Le plus vaste archipel du monde. Une femme charismatique, Susi Pudjiastuti. Son franc-parler séduit la population. « J’ai arrêté le lycée et me suis mise à travailler à l’âge de dix-sept ans, raconte-t-elle, dans son bureau de ministre. Je vendais des dessus-de-lit, des vêtements. Et, en 1996, j’ai créé ma propre entreprise d’importation de poissons. »
 
Fille de commerçants, dont la mère avait fui à l’âge de douze ans un mariage forcé, l’autodidacte, cheveux libres de toute attache, évoque sans animosité la « controverse » qui a suivi sa nomination au gouvernement. Certains n’hésitent pas à relever son « manque d’instruction » ou son célibat, elle la maman de trois enfants. D’autres estiment qu’il ne « suffit pas de savoir vendre du poisson pour connaître les problèmes maritimes ». Toujours cette condescendance et ce sexisme dont sont victimes les femmes politiques, quel que soit leur pays.
 
Pendant de longues années, l’Indonésie a détourné son regard de la mer, se privant ainsi d’une richesse à portée de main. Le gouvernement envisage de mettre fin à ce gaspillage en construisant des autoroutes maritimes et des ponts.
Il entend aussi réglementer cette industrie afin de freiner la corruption qui sévit dans l’ensemble de la société, ravagée par cette gangrène institutionnalisée. « La mer est essentielle pour la population, souligne la ministre. Or nous avons beaucoup trop de problèmes avec la pêche illégale. Ce qui fait que les travailleurs vivent en dessous du seuil de pauvreté, on doit redresser tout cela. »
 
Cette loi sur la mer intéresse particulièrement les féministes. Lesquelles y trouvent un moyen d’améliorer les conditions de vie des ouvrières. Dans son bureau de sénatrice, la présidente du groupe Femmes au Parlement, Gusti Kanjeng Ratu Hemas, précise : « Elle protège les pêcheurs et le résultat de leur travail. Les femmes sont très concernées, elles sont majoritaires dans les usines de conditionnement et dans le commerce de la pêche. »
 
PRÈS DE LA MOITIÉ DES HABITANTS VIT AVEC MOINS DE 2 DOLLARS PAR JOUR
Environ 30 % des femmes sont salariées, souvent avec des « payes anormalement basses » par rapport aux hommes, souligne Yulia Supardmo, journaliste à KompasVT. Mais elles sont beaucoup plus nombreuses à travailler au noir.
 
À Djakarta, on les voit dans chaque coin et recoin des quartiers populaires vendre des fruits, des légumes, du poisson ou encore du tissu. Elles sont bien visibles dans cette ville à l’architecture chaotique, envahie par des véhicules qui peuvent rester coincés jusqu’à quatre heures dans les embouteillages quotidiens.
 
Surpeuplée, avec 28 millions d’habitants, Djakarta s’intoxique à l’oxyde de carbone. Les quartiers chics qui abritent les gratte-ciel et centres commerciaux aux grandes marques ne peuvent dissimuler la pauvreté dans laquelle se débat 43 % de la population, en dépit d’une croissance soutenue depuis plusieurs années. L’inégale répartition des richesses produites avait été au centre de la campagne électorale du candidat Jokowi.
 
Issu et se revendiquant du peuple, le désormais président confirme sa volonté de s’attaquer à la grande misère dans ce pays pourtant admis dans le G20. Près de la moitié des habitants vit avec moins de 2 dollars par jour. La grande majorité d’entre eux a un visage féminin.
 
Un espoir souffle sur l’Indonésie. Les militantes engagées contre les discriminations sexistes, inscrites dans le marbre républicain, applaudissent des deux mains la loi sur la mer. Mais elles incitent aussi le gouvernement à aller plus loin s’il veut relever son défide développer et démocratiser le pays.
 
L’archipel surfe sur des courants modernistes et conservateurs qui s’affrontent particulièrement sur les droits des femmes. « Il est pour nous prioritaire de relever à 18 ans l’âge du mariage pour les filles. Il est actuellement à 16 ans, voire 13 dans certains villages, et de 19 ans pour les garçons », explique Listyowati, présidente de l’association Kalyanamitra.
 
Le mariage précoce induit souvent la déscolarisation des adolescentes.
 
Celles-ci sont les premières à être retirées de l’école quand les familles ne peuvent plus payer les fournitures et les tenues scolaires. « L’éducation est pourtant la clé pour l’autonomie des femmes », soutient Listyowati. Jeune femme aux cheveux cachés sous un foulard islamique, elle se dit « confiante » dans le président Jokowi. Surtout avec l’instauration d’une vraie couverture de santé, ainsi que des moyens pour la scolarité des enfants et des allocations familiales pour les plus démunis.
 
La victoire de Jokowi symbolise la vraie rupture avec la dictature. Le nouveau président est le premier à n’avoir aucun lien avec les décennies du général Suharto, renversé à l’issue d’un mouvement populaire en 1998. Jokowi veut solder le passé militaire, sanglant, et poursuivre le processus démocratique.
Sans enthousiasme excessif, les militantes, associatives ou politiques, observent avec empathie le nouveau président.
 
Elles estiment « encourageante » la nomination de huit femmes au gouvernement. Outre la Mer et la Pêche, elles occupent le ministère des Affaires étrangères, celui des Entreprises publiques ou encore celui des Forêts et Environnement. Mais les militantes souhaitent un soutien plus affirmé dans leur lutte pour une juste représentation des femmes dans les lieux de décision, comme l’Assemblée nationale ou le Sénat. Si 26 % d’entre elles siègent dans cette dernière instance, elles ne sont que 17 % au sein de la première.
En Indonésie, le mouvement des femmes a une longue tradition de lutte. Parmi les victimes du massacre, en 1965, de 500000 personnes, dont une grande majorité de communistes, figuraient de nombreuses féministes.
 
Dans les années quatre-vingt-dix, le mouvement a fait pression pour obtenir un quota de 30 % de candidates aux élections législatives. Octroyé en 2003, il a ensuite été décrété non conforme à la Constitution. Aujourd’hui, le débat est relancé. « On veut créer un réseau au niveau national et local », explique la présidente du groupe Femmes au Parlement. « Nous allons inciter les partis à placer les femmes en position éligible », souligne-t-elle.
 
De son côté, l’association Kalyanamitra encourage les villageoises et les habitantes des quartiers populaires à prendre la parole et le pouvoir au sein des assemblées locales. Un travail d’éducation très difficile, selon les militantes. « Chez les musulmans, les femmes ne sont pas censées être dirigeantes. La société est foncièrement patriarcale. On pense qu’elles doivent être derrière leur époux. Il y a une mauvaise interprétation de l’islam », analyse Listyowati, dont l’association comporte autant de dirigeantes musulmanes que chrétiennes.
 
L’Indonésie est un pays aux traditions musulmanes singulières, dues en partie à l’expansion de l’islam par le biais du commerce et non par l’occupation ou la force. L’islam n’est pas la religion d’État, alors que 86 % de la population est de cette confession.
 
L’archipel reconnaît cinq autres religions et la société semble vivre respectueusement cette pluralité. Il reste que, depuis la chute du régime Suharto, la réislamisation avance par vagues successives.
 
Aujourd’hui, 75 % des musulmanes portent le hidjab. Ce qui n’empêche pas les militantes voilées de l’association Kalyanamitra de refuser l’instauration de la charia dans leur pays, de se battre contre la polygamie ou les mariages précoces.
 
Surtout, elles s’opposent fermement à ce que la loi islamique sévissant dans la province d’Aceh soit « importée dans les autres régions », explique la présidente. « Là-bas, dit-elle, il est interdit à une femme de se promener avec un homme qui ne soit pas son père, son frère ou son mari. On leur interdit de sortir seules la nuit. »
 
Djakarta, ville aux mille mosquées, redoute la montée de l’islamisme, et ses lois particulières en direction du sexe féminin. Des tests de virginité pour les lycéennes, ou ceux exigés pour entrer dans la police sont autant de ballons d’essai.
 
Dans ce climat, les militantes de Kalyanamitra préfèrent cacher leur identité féministe tout en avançant leurs revendications. « Comme je porte le voile, je suis plus facilement acceptée et je peux aisément parler des droits des femmes », explique Listyowati.
 
Le président Jokowi est confronté à un second défi: maintenir son pays loin des groupes radicaux. Il peut compter sur une société majoritairement attachée au principe de séparation du politique et du religieux, sans que la République indonésienne ne soit un État laïque. Les électeurs au scrutin présidentiel ont d’ailleurs rejeté Prabowo Subianto, le candidat rival de Jokowi, qui prône un conservatisme religieux. L’archipel en pleine mutation vit un équilibre fragile.
 

13:04 Publié dans Connaissances, International, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : indonésie, femmes | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!