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20/03/2015

Emir Kusturica : "L'Ukraine, un remake de la Yougoslavie"

kusturica.jpgRencontrer le cinéaste franco-serbe, c’est l’assurance d’un entretien nourri par l’actualité, les questions de géopolitique internationale et les méfaits de la mondialisation capitaliste. Emir Kusturica, auteur d’un recueil de nouvelles paru le 7 janvier, « Étranger dans le mariage », n’est jamais avare de lumineuses digressions.

D’ordinaire, Emir Kusturica exploite sa fibre artistique dans la musique et le cinéma : le guitariste du No Smoking Orchestra est aussi le lauréat de deux palmes d’or pour « Papa est en voyage d’affaires » et « Underground ». Le cinéaste franco- serbe s’était déjà essayé à la littérature dans une autobiographie, « Où suis-je dans cette histoire ? ».
 
Il tente aujourd’hui une incursion dans la fiction avec « Étranger dans le mariage », un recueil de six nouvelles autour de la famille, de la guerre et de l’absurdité du quotidien dans la Yougoslavie des années 1970. Certes, les récits apparaissent très inégaux et la truculence de Kusturica, pourtant très cinématographique, peine à provoquer les mêmes émotions qu’à l’écran. Reste que s’il ne réussit pas tout à fait son passage à l’écrit, il demeure une voix singulière incontournable face au formatage des choses de l’esprit.
 
HD. Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer par le biais de la littérature ?
EMIR KUSTURICA. J’ai compris que je pouvais être créatif en réalisant mon film « Guernica » pendant mes études à l’école de cinéma de Prague. Depuis, ma créativité n’a jamais cessé. J’ai eu la chance de me trouver. Je peux mettre en place ma vie en rapport avec mes différents projets. Depuis mes premiers films, j’ai une bonne relation avec le public.
 
C’est probablement parce que je ne cherchais pas à communiquer mais à faire mes films. J’explore au plus profond mon histoire familiale. J’essaie d’aller vers l’obscurité. Mais cela tient d’abord à un désir. L’art est certes l’aboutissement d’une communication mais l’artiste ne communique pas avec le public mais avec son propre besoin de créer.
 
HD. Pour quelles raisons vos histoires sont-elles si personnelles ?
E. K. Je suis très lié au langage cinématographique du début des années 1970. Ce sont des années dorées pour le cinéma et l’art en général.
 
Les États-Unis, qui façonnent le monde militairement et artistiquement, étaient dans les années 1970 beaucoup plus libres qu’aujourd’hui. Après le Vietnam, il y a eu beaucoup de films sur la guerre perdue des Américains. Depuis, l’expression libre est devenue une expression contrôlée. Aujourd’hui, la NSA (Agence nationale de sécurité – NDLR) écoute tous les citoyens américains. C’est effrayant.
 
Dans les années 1970, l’Amérique parlait du fascisme, du nazisme. Souvenez-vous de « Cabaret », le film de Bob Fosse, de « Macadam Cowboy », de « Cinq pièces faciles ». Il y avait presque une philosophie existentialiste, parlant librement de la vie, de la défaite au Vietnam, écrivant des livres. Et puis patatras, au cinéma, George Lucas a commencé à recréer l’univers, Spielberg a fait ses « ET ».
 
La conception de Ronald Reagan de divertir l’esprit, en particulier des Américains pour les éloigner d’une position critique, et de transformer les films en pur divertissement l’a emporté. Les gens qui ont continué à faire ce qu’ils voulaient ont été marginalisés, leurs films peu ou mal diffusés. Aujourd’hui, nous en subissons toujours les conséquences. En Europe, le cinéma est davantage tourné vers le cinéma d’auteur. Mais la pression économique rend les auteurs de plus en plus politiquement corrects.
« L’UKRAINE MARQUE UN TOURNANT. LA RUSSIE N’ACCEPTE PLUS SON ENCERCLEMENT AVEC L’ÉLARGISSEMENT CONTINU DE L’OTAN. »
 
HD. que vous inspirent les événements en Ukraine ?
E. K. La guerre humanitaire est en))) fait une légalisation de la guerre. Wall Street dépend de la guerre. La valeur psychologique d’une action dépend de la manière dont vous êtes agressif dans certaines parties du monde. Plusieurs guerres, de tailles réduites, se déroulent un peu partout à travers la planète.
 
Désormais, l’option des conflits de basse intensité apparaît épuisée. Et l’Ukraine marque un tournant. La Russie n’accepte plus son encerclement avec l’élargissement continu de l’OTAN. L’idéologue américain Zbigniew Brzezinski a largement écrit sur « l’enjeu eurasien », capital à ses yeux, à savoir la maîtrise et la colonisation de la Russie et de l’espace ex-soviétique. L’Ukraine est donc une première étape vers ce démantèlement imaginé par Brzezinski.
 
HD. Ne vous rappelle-t-il pas ce qui s’est produit en ex-Yougoslavie ?
E. K. À Kiev, l’histoire des snipers qui ont ouvert le feu sur la place Maïdan ressemble de manière troublante aux événements de Sarajevo en 1992. Durant le siège de la ville, des tireurs isolés ont terrorisé les habitants et personne à Sarajevo ne savait d’où venaient ces snipers.
 
Exactement comme à Kiev. On ne sait toujours pas qui a ouvert le feu sur les manifestants et les forces de l’ordre (1). Aujourd’hui, une autre vérité que celle imposée par les médias apparaît. C’est ce que tentait de décrire mon film « Underground » : une autre réalité. Il a été réalisé en 1995. La vérité sur ces deux événements, les dirigeants la connaissent.
 
Ils en sont même parties prenantes et essaient de nous abuser en feignant d’être des imbéciles. Les grandes puissances jouent sur un échiquier où l’Ukraine et l’ex-Yougoslavie apparaissent comme des pions. Il s’agit d’une répétition d’un scénario qui s’est produit en Yougoslavie et a mené à son éclatement pour des enjeux similaires : l’extension de l’OTAN et de l’UE.
 
La construction de l’UE est responsable des deux drames. Afin de s’agrandir et accroître son influence, elle divise les États pour imposer sa loi à de petits territoires. Pour moi, ce qui est inacceptable, c’est que les gens s’en accommodent. Heureusement, il y a des instants d’espoir.
 
« LES ÉTATS-UNIS ET LE CAMP ATLANTISTE IMPOSENT LEUR VÉRITÉ ET SE COMPORTENT EN VAINQUEURS DE LA GUERRE FROIDE. »
 
L’arrivée au pouvoir des communistes en Grèce en fait partie. Leur victoire est historique et peut, comme en Amérique latine, porter un véritable élan. Ce phénomène se répétera dans les années qui viennent. La montée de l’extrême droite et des partis fascistes, voire nazis comme en Ukraine où ils sont au pouvoir, créera en face une résistance. Le clash est inévitable.
 
HD. L’hystérie de la presse à l’égard de la Russie et de Poutine vous rappelle le traitement médiatique à l’égard des Serbes durant la guerre de Yougoslavie ?
E. K. Cela a été le point de départ. En 1992, les divers acteurs ont mis en avant certains aspects pour créer une atmosphère favorisant un conflit. Ils ont ensuite légalisé une intervention au nom de l’aide humanitaire (2).
 
Toute possibilité de paix a été écartée et la Yougoslavie a été démembrée à leur guise, laissant Slobodan Milosevic pour seul responsable. Le Kosovo est un bel exemple de leur mensonge et de leur justice aléatoire. Ils ont soutenu la séparation de cette région au nom du droit des peuples mais la refusent à la Crimée ! Les États-Unis et le camp atlantiste imposent leur vérité car ils se comportent en vainqueurs de la guerre froide. Ils estiment avoir triomphé du marxisme et tué le communisme.
 
Tous les événements qui ont suivi la chute du mur de Berlin révèlent les fausses promesses faites à Mikhaïl Gorbatchev sur la non-extension de l’OTAN. Cela résume leur conception de la diplomatie pour assurer leur suprématie. L’extension de l’orbite euro-atlantique est impérative. Le siècle qui vient pour les États-Unis sera un tournant. L’accroissement de leur richesse et de leur influence dépend de leur domination du modèle libéral.
 
Ce modèle qu’ils ont imposé au reste de la planète à travers la mondialisation est fondé sur la compétition, l’exploitation et les inégalités. Cette compétition, les États-Unis ne pourront plus la remporter indéfiniment avec la montée de puissances émergentes. Devant cette phase de déclin, ils trichent. Mais ils n’avaient pas prévu que l’Eurasie se dresserait contre la domination de l’euro-atlantisme. La proximité géographique compte et la Russie et la Chine finiront par coopérer.
 
HD. Vous critiquez beaucoup le capitalisme, pourquoi alors avoir participé à une fête à Davos ?
E. K. J’étais à Davos pour une banque russe. J’avais besoin d’argent pour payer les musiciens de mon festival de Kunstendorf. On m’a donné beaucoup d’argent, avec lequel j’ai pu financer ce festival.
 
KUSTURICA EN CINQ FILMS
 
1985. « PaPa est en voyage D’affaires ». Pour son deuxième long métrage, le réalisateur, alors yougoslave, décroche sa première palme d’or, à seulement 31 ans.
1989. « Le temPs Des gitans ». il reçoit le prix de la mise en scène à Cannes.
1993. « arizona Dream ». Pour sa première expérience américaine, Emir Kusturica s’offre un casting de rêve (Johnny Depp, Jerry Lewis, faye Dunaway) et fait voler des poissons sur une chanson d’iggy Pop. il est récompensé par un ours d’argent à Berlin.
1995. « UnDergroUnD ». il obtient sa deuxième palme d’or avec cette fresque historico-familiale de la yougoslavie sur 50 ans, des années
1940 jusqu’à son éclatement dans les années 1990. Le film déclenche une polémique autour du caractère supposé proserbe de l’oeuvre.
1998. « CHat noir, CHat BLanC ». après avoir un temps songé à arrêter de tourner, Kusturica revient à la réalisation avec un film apaisé et décroche le lion d’argent du meilleur réalisateur à venise.
 
A Lire :
« ÉTRANGER DANS LE MARIAGE », D’EMIR KUSTURICA, TRADUIT DU SERBO-CROATE PAR ALAIN CAPPON. ÉDITIONS JC LATTÈS, 270 PAGES, 20 EUROS.

07/02/2015

Et si les femmes étaient l’avenir de l’Indonésie ?

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Le nouveau président Jokowi entend développer l’archipel en s’attaquant à la pauvreté, qui touche 43 % de la population. Il marque des points auprès du mouvement féministe, qui l’encourage à s’appuyer sur les femmes, principales victimes de l’inégale répartition des richesses.

Djakarta (Indonésie), envoyée spéciale.Mina Kaci, L'Humanité

Et si le nouveau président misait sur les femmes pour sortir l’Indonésie, riche de 250 millions d’habitants, de la grande pauvreté? Élu en juillet et investi le 20 octobre dernier, Joko Widodo, dit Jokowi, semble parier sur elles. Ne vient-il pas de leur réserver huit places au sein du gouvernement? Huit sur trente-quatre, ce n’est certes pas la parité, mais avec les fauteuils stratégiques qu’elles occupent, le chef de l’État marque des points auprès des militantes féministes.

Ainsi, Susi Pudjiastuti, la ministre de la Mer et de la Pêche. Un poste clé dans ce pays composé de 17 508 îles. Le plus vaste archipel du monde. Une femme charismatique, Susi Pudjiastuti. Son franc-parler séduit la population. « J’ai arrêté le lycée et me suis mise à travailler à l’âge de dix-sept ans, raconte-t-elle, dans son bureau de ministre. Je vendais des dessus-de-lit, des vêtements. Et, en 1996, j’ai créé ma propre entreprise d’importation de poissons. »
 
Fille de commerçants, dont la mère avait fui à l’âge de douze ans un mariage forcé, l’autodidacte, cheveux libres de toute attache, évoque sans animosité la « controverse » qui a suivi sa nomination au gouvernement. Certains n’hésitent pas à relever son « manque d’instruction » ou son célibat, elle la maman de trois enfants. D’autres estiment qu’il ne « suffit pas de savoir vendre du poisson pour connaître les problèmes maritimes ». Toujours cette condescendance et ce sexisme dont sont victimes les femmes politiques, quel que soit leur pays.
 
Pendant de longues années, l’Indonésie a détourné son regard de la mer, se privant ainsi d’une richesse à portée de main. Le gouvernement envisage de mettre fin à ce gaspillage en construisant des autoroutes maritimes et des ponts.
Il entend aussi réglementer cette industrie afin de freiner la corruption qui sévit dans l’ensemble de la société, ravagée par cette gangrène institutionnalisée. « La mer est essentielle pour la population, souligne la ministre. Or nous avons beaucoup trop de problèmes avec la pêche illégale. Ce qui fait que les travailleurs vivent en dessous du seuil de pauvreté, on doit redresser tout cela. »
 
Cette loi sur la mer intéresse particulièrement les féministes. Lesquelles y trouvent un moyen d’améliorer les conditions de vie des ouvrières. Dans son bureau de sénatrice, la présidente du groupe Femmes au Parlement, Gusti Kanjeng Ratu Hemas, précise : « Elle protège les pêcheurs et le résultat de leur travail. Les femmes sont très concernées, elles sont majoritaires dans les usines de conditionnement et dans le commerce de la pêche. »
 
PRÈS DE LA MOITIÉ DES HABITANTS VIT AVEC MOINS DE 2 DOLLARS PAR JOUR
Environ 30 % des femmes sont salariées, souvent avec des « payes anormalement basses » par rapport aux hommes, souligne Yulia Supardmo, journaliste à KompasVT. Mais elles sont beaucoup plus nombreuses à travailler au noir.
 
À Djakarta, on les voit dans chaque coin et recoin des quartiers populaires vendre des fruits, des légumes, du poisson ou encore du tissu. Elles sont bien visibles dans cette ville à l’architecture chaotique, envahie par des véhicules qui peuvent rester coincés jusqu’à quatre heures dans les embouteillages quotidiens.
 
Surpeuplée, avec 28 millions d’habitants, Djakarta s’intoxique à l’oxyde de carbone. Les quartiers chics qui abritent les gratte-ciel et centres commerciaux aux grandes marques ne peuvent dissimuler la pauvreté dans laquelle se débat 43 % de la population, en dépit d’une croissance soutenue depuis plusieurs années. L’inégale répartition des richesses produites avait été au centre de la campagne électorale du candidat Jokowi.
 
Issu et se revendiquant du peuple, le désormais président confirme sa volonté de s’attaquer à la grande misère dans ce pays pourtant admis dans le G20. Près de la moitié des habitants vit avec moins de 2 dollars par jour. La grande majorité d’entre eux a un visage féminin.
 
Un espoir souffle sur l’Indonésie. Les militantes engagées contre les discriminations sexistes, inscrites dans le marbre républicain, applaudissent des deux mains la loi sur la mer. Mais elles incitent aussi le gouvernement à aller plus loin s’il veut relever son défide développer et démocratiser le pays.
 
L’archipel surfe sur des courants modernistes et conservateurs qui s’affrontent particulièrement sur les droits des femmes. « Il est pour nous prioritaire de relever à 18 ans l’âge du mariage pour les filles. Il est actuellement à 16 ans, voire 13 dans certains villages, et de 19 ans pour les garçons », explique Listyowati, présidente de l’association Kalyanamitra.
 
Le mariage précoce induit souvent la déscolarisation des adolescentes.
 
Celles-ci sont les premières à être retirées de l’école quand les familles ne peuvent plus payer les fournitures et les tenues scolaires. « L’éducation est pourtant la clé pour l’autonomie des femmes », soutient Listyowati. Jeune femme aux cheveux cachés sous un foulard islamique, elle se dit « confiante » dans le président Jokowi. Surtout avec l’instauration d’une vraie couverture de santé, ainsi que des moyens pour la scolarité des enfants et des allocations familiales pour les plus démunis.
 
La victoire de Jokowi symbolise la vraie rupture avec la dictature. Le nouveau président est le premier à n’avoir aucun lien avec les décennies du général Suharto, renversé à l’issue d’un mouvement populaire en 1998. Jokowi veut solder le passé militaire, sanglant, et poursuivre le processus démocratique.
Sans enthousiasme excessif, les militantes, associatives ou politiques, observent avec empathie le nouveau président.
 
Elles estiment « encourageante » la nomination de huit femmes au gouvernement. Outre la Mer et la Pêche, elles occupent le ministère des Affaires étrangères, celui des Entreprises publiques ou encore celui des Forêts et Environnement. Mais les militantes souhaitent un soutien plus affirmé dans leur lutte pour une juste représentation des femmes dans les lieux de décision, comme l’Assemblée nationale ou le Sénat. Si 26 % d’entre elles siègent dans cette dernière instance, elles ne sont que 17 % au sein de la première.
En Indonésie, le mouvement des femmes a une longue tradition de lutte. Parmi les victimes du massacre, en 1965, de 500000 personnes, dont une grande majorité de communistes, figuraient de nombreuses féministes.
 
Dans les années quatre-vingt-dix, le mouvement a fait pression pour obtenir un quota de 30 % de candidates aux élections législatives. Octroyé en 2003, il a ensuite été décrété non conforme à la Constitution. Aujourd’hui, le débat est relancé. « On veut créer un réseau au niveau national et local », explique la présidente du groupe Femmes au Parlement. « Nous allons inciter les partis à placer les femmes en position éligible », souligne-t-elle.
 
De son côté, l’association Kalyanamitra encourage les villageoises et les habitantes des quartiers populaires à prendre la parole et le pouvoir au sein des assemblées locales. Un travail d’éducation très difficile, selon les militantes. « Chez les musulmans, les femmes ne sont pas censées être dirigeantes. La société est foncièrement patriarcale. On pense qu’elles doivent être derrière leur époux. Il y a une mauvaise interprétation de l’islam », analyse Listyowati, dont l’association comporte autant de dirigeantes musulmanes que chrétiennes.
 
L’Indonésie est un pays aux traditions musulmanes singulières, dues en partie à l’expansion de l’islam par le biais du commerce et non par l’occupation ou la force. L’islam n’est pas la religion d’État, alors que 86 % de la population est de cette confession.
 
L’archipel reconnaît cinq autres religions et la société semble vivre respectueusement cette pluralité. Il reste que, depuis la chute du régime Suharto, la réislamisation avance par vagues successives.
 
Aujourd’hui, 75 % des musulmanes portent le hidjab. Ce qui n’empêche pas les militantes voilées de l’association Kalyanamitra de refuser l’instauration de la charia dans leur pays, de se battre contre la polygamie ou les mariages précoces.
 
Surtout, elles s’opposent fermement à ce que la loi islamique sévissant dans la province d’Aceh soit « importée dans les autres régions », explique la présidente. « Là-bas, dit-elle, il est interdit à une femme de se promener avec un homme qui ne soit pas son père, son frère ou son mari. On leur interdit de sortir seules la nuit. »
 
Djakarta, ville aux mille mosquées, redoute la montée de l’islamisme, et ses lois particulières en direction du sexe féminin. Des tests de virginité pour les lycéennes, ou ceux exigés pour entrer dans la police sont autant de ballons d’essai.
 
Dans ce climat, les militantes de Kalyanamitra préfèrent cacher leur identité féministe tout en avançant leurs revendications. « Comme je porte le voile, je suis plus facilement acceptée et je peux aisément parler des droits des femmes », explique Listyowati.
 
Le président Jokowi est confronté à un second défi: maintenir son pays loin des groupes radicaux. Il peut compter sur une société majoritairement attachée au principe de séparation du politique et du religieux, sans que la République indonésienne ne soit un État laïque. Les électeurs au scrutin présidentiel ont d’ailleurs rejeté Prabowo Subianto, le candidat rival de Jokowi, qui prône un conservatisme religieux. L’archipel en pleine mutation vit un équilibre fragile.
 

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31/01/2015

Thierry Marx" Il n'existe pas de quartiers ni de personnes faits pour l'échec"

chefmarx_0.jpgLe chef milite pour valoriser la formation professionnelle et la cuisine de qualité, vectrice d’ascension sociale. Idée qu’il applique dans ses écoles de la seconde chance, Cuisine mode d’emploi(s). Thierry Marx : « Il n’existe pas de quartiers ni de personnes faits pour l’échec »

Vous êtes un chef atypique. En constatant que 54 000 emplois n’étaient pas pourvus en 2010 dans le milieu de la restauration, vous avez décidé d’ouvrir des formations gratuites destinées aux personnes au chômage et aux jeunes sans diplôme. Pourquoi ?

THIERRY MARX Avec cette formation, nous proposons l’apprentissage, en douze semaines, de 80 gestes de base et de 90 recettes. Et cela marche : nous avons 90 % de retour à l’emploi. Cette formation du personnel est essentielle pour la sauvegarde du métier de cuisinier. Si vous ne transmettez plus ce savoir-faire, il meurt tranquillement.

Pour cela, je développe trois principes essentiels qui sont rigueur, engagement et régularité. L’engagement est une posture, pas une simple signature qui engage un individu corvéable. Mon but est d’en faire des hommes libres.

Faire naître l’envie d’apprendre est au départ de tout. « Former les hommes, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », disait Aristophane (poète grec du Ve siècle avant J.-C. – NDLR).

Pour être un bon cuisinier, il faut la maîtrise du geste, du feu et du temps. Et tout commence par le respect du produit et de l’identité de chacun. Le client n’achète pas ce que fait un cuisinier mais pourquoi il le fait. Ce sont de belles et simples valeurs ouvrières que tout le monde est capable de comprendre. Les histoires de recettes, elles, sont des fantasmes de la gastronomie.

Vous défendez l’idée que la cuisine garde une fonction d’ascenseur social. Il n’existe plus beaucoup de secteurs où c’est encore le cas…

THIERRY MARX On a répété à l’envi, à toute ma génération, l’idée d’ascenseur social, qui n’a jamais existé. Dans nos cités, l’ascenseur était l’endroit le plus pourri, que nous ne prenions jamais. L’escalier social, lui, en revanche, existe.

La responsabilité d’un État est de faire en sorte que les marches soient au même niveau pour tous. Personne ne demande des passe-droits. Par ailleurs, force est de constater que l’abandon de la scolarité se fait parfois à douze ans, qu’officiellement le taux d’illettrisme est de 7 %. Pourquoi ?

Parce qu’à notre époque un illettré engendre un illettré. Or, du temps de mon grand-père, un illettré était embauché. De telles situations créent des quartiers qui deviennent des silos, sans perspectives, alors que ces mêmes quartiers regorgent de talents. Ces combats-là, primordiaux, sont environnementaux.

Quand vous laissez des quartiers vivre dans la frustration, des poches extrêmement dangereuses se forment, prêtes à écouter n’importe quel gourou.

Vous êtes probablement le parfait exemple de cette ascension sociale…

THIERRY MARX J’ai été un échec pour l’éducation nationale à treize ans, quand j’ai quitté mon collège parce ce que je n’étais pas bon. En maîtrisant le geste avec les compagnons du Devoir, j’ai été poussé à aller chercher la connaissance pour pouvoir lire correctement les recettes. Ma grand-mère me disait « les riches ont le savoir donc ils ont le pouvoir ». C’est une des premières choses que l’on devrait dire à ces jeunes. Il ne suffit pas juste de lever le poing.

Il faut s’instruire pour lutter avec les bons arguments contre des personnes qui essaient d’en exploiter d’autres. J’estime qu’il n’existe pas de quartiers ni de personnes faits pour l’échec. Amenons de l’excellence dans ces quartiers et ramenons-y la formation professionnelle.

Le citoyen n’est pas seulement un apporteur de bulletin de vote. Aujourd’hui, l’État citoyen et l’état du citoyen, c’est amener des propositions et être acteur de la société.

Est-ce la même démarche quand vous tentez de redonner une place dans la société à des détenus par le biais de cours de cuisine en prison ?

THIERRY MARX La France n’est pas une dictature. Les individus rentrent en prison et en ressortent. Dans l’idéal, meilleurs qu’en y arrivant. Je ne crois pas aux zones de non-droit. Regardons les plans d’une ville : les universités se trouvent toujours loin des prisons. Là aussi, dans ces lieux confinés, il faut amener de l’instruction.

Vous mettez par ailleurs en avant le principe d’« économie de qualité ». Par quoi commence-t-elle ?

THIERRY MARX Une entreprise comme la mienne, c’est 450 emplois non délocalisables. Le luxe n’est pas une insulte à la misère mais à la médiocrité.

Le low cost, littéralement « coût bas », a surtout été un « coup bas » pour les valeurs de l’artisanat. Laisser croire en permanence que le coût du travail impacte uniquement le coût de production, c’est faux. La théorie selon laquelle c’est bien parce que c’est moins cher et que tout le monde y a accès a permis de faire s’installer la médiocrité.

Se fournir chez un artisan boulanger permet de former deux apprentis et d’entretenir une filière. Il faut aider les personnes à sortir de leur extraction sociale pour qu’ils aient accès à la qualité. On fait l’inverse depuis les licenciements massifs des années 1970.

C’est à ce moment-là que nous aurions dû lancer des révisions sur la formation professionnelle. À la place, on a créé des emplois pour la précarité. En somme, des pansements sur des jambes de bois.

Des chefs et des combats
Entretien réalisé par Audrey Loussouarn
Mardi, 23 Décembre, 2014
L'Humanité
 
bio express
Thierry Marx grandit 
dans la cité 
du « 140 Ménilmontant » 
à Paris. Petit-fils d’un réfugié juif polonais communiste, il entre chez les compagnons du Devoir en 1978 et obtient un CAP pâtissier. Après un passage dans l’infanterie marine, puis chez les casques bleus, il deviendra commis de cuisine dans de prestigieux restaurants, chez Ledoyen, Taillevent et Robuchon.
 
Thierry Marx obtient sa seconde étoile en 2012, à son arrivée au Mandarin oriental de Paris. Il intervient en milieu carcéral depuis douze ans pour transmettre son savoir-faire et permet 
aux détenus, depuis 2012, de passer le baccalauréat professionnel restauration. La même année, il ouvre 
à Paris sa première école, Cuisine, mode d’emploi(s), formation gratuite pour devenir commis de cuisine, destinée aux jeunes sans diplôme et aux personnes en reconversion, 
qui débouche sur un certificat de qualification professionnelle. 
Deux nouvelles formations suivront : boulangerie 
et service en salle.
 
Pour retrouver le chemin du goût, mettons-nous, tout d’abord, au fait des bonnes adresses ! Thierry Marx connaît bien Paris, 
lui qui y est né. Il nous promène ici dans les rues de la capitale à la recherche des meilleurs produits. Marchés, épiceries, petits bistrots 
de quartier, bons restos… 
il y en a pour tous 
les goûts. Au milieu de 
ces cent adresses, le chef délivre vingt recettes de cuisine. Son tour d’horizon est sublimé par les photos de Mathilde de l’Ecotais.
 
Paris Marx. Éditions 
Flammarion, décembre 2014, 208 pages, 32 euros.

10:02 Publié dans Connaissances, Economie, Entretiens, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thierry marx, cuisinier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

02/01/2015

Algérie : la révolution des escaliers arc-en-ciel

escaliers.jpg

Depuis plusieurs mois, une frénésie créatrice a saisi les jeunes qui ont entrepris de repeindre les lieux publics dans plusieurs villes du pays. Une association de Tizi Ouzou, à l’est de la capitale, a repeint l’escalier d’un quartier populaire pour que les enfants jouent dans un environnement agréable.

Quel gosse n’a jamais rêvé d’un monde arc-en-ciel ?

Depuis plusieurs mois, en Algérie, une frénésie créatrice a saisi les jeunes qui ont entrepris de dissiper la grisaille de leurs quartiers en couvrant l’espace public de couleurs vives. Le berceau de cette « révolution des escaliers » se situe à Souk Ahras, dans l’est du pays, où une petite association, Nadhafa (Propreté), a décidé cet été de réagir à l’abandon des lieux communs, livrés à la saleté, défigurés par l’absence d’entretien.

Postées sur Internet, les photographies des escaliers multicolores ont soulevé l’enthousiasme et suscité des émules dans tout le pays. À Alger, à Tiaret, à Aïn Temouchent, à Blida, les fresques rivalisent d’inventivité, dessinant un mouvement citoyen d’un nouveau genre. Ici, à TiziOuzou, un « escalier piano » a pris corps, avec touches noires et blanches, croches et clés de sol échappées d’une portée.
Là, à Mascara, c’est un paon qui arbore une traîne rouge, vert et bleu, comme prêt à faire la roue. Dans la capitale, au seuil d’une école, un escalier remaquillé de pastels s’est changé en ludique table de multiplication. Les marches du Rialto, à Skikda, se sont transformées en vagues azurées sur lesquelles flotte un voilier.
Le peintre Ahmed Zahi a promis aux artistes en herbe d’apporter sa touche à ce paysage maritime avec un dauphin et un goéland. « Ville d’escaliers par excellence, Skikda ne pouvait passer à côté de cette fièvre colorée qui s’est emparée de plusieurs villes du pays. Les initiateurs, tous bénévoles, ont d’abord nettoyé les marches avant de passer à l’action, créant ainsi une belle ambiance au centre-ville et attirant les regards », rapporte le quotidien El Watan. Les compositions colorées semblent entrer en dialogue avec les noms des rues, chargés de poésie : Drouj El bahri (« escaliers de la brise »), Drouj El ghoula (« escaliers de l’ogresse »), Drouj El mouhal (« escaliers de l’impossible »).
 
Un ballon d’oxygène face aux carences de l’État
Encadrées par des associations de quartier ou complètement autogérées, ces initiatives convergentes, sur les réseaux sociaux, en communautés. Comme celles lancées par les groupes 7oumti (Mon quartier) et Algérie propre, qui veulent « essayer de sensibiliser les jeunes Algériens au respect de l’environnement et de l’espace dans lesquels ils vivent ».
 
Cette « révolution des escaliers » est, de fait, un ballon d’oxygène dans un pays où l’urbanisation accélérée et anarchique, les carences des services publics locaux et les déchets générés par l’essor de la société de consommation défigurent les paysages. « Nous sommes conscients des conséquences des négligences environnementales à long terme. La jeunesse algérienne ne manque ni de talent ni d’intelligence, mais juste un peu de volonté. En semant quelques graines d’espoir, nous souhaitons améliorer notre mode de vie. L’incivisme est la gangrène qui ronge nos rues et vole la beauté de nos villes », explique-t-on à l’ACT, une association locale de Tizi-Ouzou engagée dans ce mouvement, mais aussi dans la réhabilitation des espaces verts et la promotion du tri sélectif.
 
Dans l’élan, certains ont troqué les pinceaux contre des râteaux, pour nettoyer les plages, rendre vie aux fontaines publiques ou débarrasser les champs des affreux sacs en plastique dispersés par millions aux quatre vents. Cette année, Alger s’était placée parmi les dix agglomérations les moins vivables au monde dans le classement établi par The Economist. Sans que cela n’émeuve des autorités, locales ou nationales, toujours promptes à rejeter sur le peuple la responsabilité de la pollution et de la saleté. « Echaâb machi m’rabbi ou moussakh » (« La population est sale et mal éduquée »), c’est par cette sentence méprisante que les responsables politiques ont coutume d’éluder les critiques sur leurs propres défaillances.
L’an dernier, une enveloppe de 100 millions de dinars a été allouée, avec force publicité, au nettoyage et à « l’embellissement » de la Ville blanche… Sans effets visibles. « Il faut nettoyer le pays ! » avait clamé le premier ministre, Abdelmalek Sellal, en arrivant au pouvoir, en 2012. Sans conséquences. Sans plus rien attendre de l’État, les jeunes à l’origine de la « révolution des escaliers » se prennent en main, transformant sans moyens, avec un peu de peinture et beaucoup d’imagination leur cadre de vie quotidien.
 
Après les « drouj », les couleurs promettent de se déverser partout : sur les murs, sur le béton des échangeurs d’autoroutes, et même sur les antennes paraboliques qui rendent si tristes les façades des immeubles. À Tébessa, les élèves du collège Abi Moussa El Achaari, lassés d’étudier dans des salles de classe lugubres, ont redonné vie à leur lieu d’étude par la magie de quelques dessins. D’autres adolescents, déjà, les imitent, rivalisant de créativité.
 
Cette belle aventure collective nous remet en mémoire un poème de Bachir Hadj Ali, Rêves en désordre : « Je rêve d’îlots rieurs et de criques ombragées / Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit / Je rêve de villages blancs bleus sans trachome / Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux / Je rêve de protection pour les forêts convalescentes / Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies / Je rêve de vagues blondes éclaboussant les pylônes / Je rêve de derricks couleur de premier mai. »
 
 

10:22 Publié dans Arts, Connaissances, International | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : algérie, art, escalier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!