04/05/2016
DALTON TRUMBO
FILM DE JAY ROACH
En 1947, Dalton Trumbo fait partie des scénaristes respectés à Hollywood : son talent et sa rapidité en font un collaborateur recherché. Mais, c'est à cette époque que le sénateur Joseph McCarthy et le Comité des activités antiaméricaines se lancent à la poursuite des artistes hollywoodiens liés de près ou de loin au parti communiste.
Dalton Trumbo et certains de ses amis font ou ont fait partie de ses sympathisants. Si certains se demandent s'il faut collaborer avec McCarthy, Trumbo, fervent supporteur de la liberté d'expression, s'y refuse catégoriquement. Ce qui pourrait mettre sa carrière en péril...
Critique
Par Cécile Mury, Télérama
Crépitement de machine à écrire. Bruits d'eau. Le scénariste Dalton Trumbo travaille dans sa baignoire. Clope au bec et lunettes sur le nez, trempant devant une planche en équilibre instable, surchargée de feuillets et de cendriers, il tape comme un forcené. C'est ainsi qu'on nous présente le grand homme, ainsi qu'on le reverra souvent : portrait de l'artiste en stakhanoviste tout-terrain, débordé, mais jamais noyé... Dalton Trumbo est une figure historique comme en raffole d'habitude Hollywood, un vrai résistant, prêt à (presque) tout sacrifier pour ses idées, un bourreau de travail opiniâtre, surdoué, et, en définitive, victorieux de ses adversaires et de l'adversité.
Il n'a qu'un seul défaut, qui explique sans doute pourquoi ce biopic intelligent arrive si tard (le « vrai » Trumbo est mort en 1976) : c'est la plus célèbre victime de la chasse aux sorcières, sombre période où, sous l'emprise du maccarthysme, le Tout-Hollywood des années 50 s'est transformé en marigot paranoïaque. Une foire au lynchage et aux trahisons que peu de films ont, jusqu'à présent, revisitée. Jay Roach, d'ordinaire versé dans des comédies grand public (Mon beau-père, mes parents et moi) et son scénariste, John McNamara, ont osé s'attaquer au sujet. Ils usent habilement des ficelles de la biographie (une tranche de vie privée, une tranche de reconstitution soignée) pour appuyer leur démonstration politique : dénoncer les symptômes et les conséquences d'une poussée de fièvre fascisante en pleine guerre froide.
Reconnu coupable d'appartenir au Parti communiste américain, Dalton Trumbo écopa de onze mois de prison et, inscrit sur la liste noire des « traîtres » de Hollywood, perdit le droit d'exercer son métier. Il dut travailler dans l'ombre, utilisant prête-noms et pseudonymes, embauchant au passage sa famille pour livrer ses scripts. Ironie suprême : durant sa clandestinité, la profession lui décerna deux oscars sans le savoir (pour les scénarios de Vacances romaines, de William Wyler, et Les clameurs se sont tues, d'Irving Rapper).
Dans la peau de cet homme exceptionnel, à la fois attachant et tyrannique, rusé et intègre, Bryan Cranston (Breaking bad) tient le rôle de sa vie. On irait voir le film rien que pour son charisme, son énergie, son élégance narquoise, jusqu'au bout de la moustache.
Autour de lui, ce drame, traité avec la fluidité, l'humour et l'éclat d'une comédie, ressuscite tout un monde où les célébrités échappent, comme par miracle, à l'habituel effet « musée Grévin ». On croise, côté ennemis, un John Wayne benêt et ultra conservateur, une Hedda Hopper (fameuse pasionaria de l'anticommunisme) toute en perversité doucereuse. Mais c'est dans le clan Trumbo qu'on trouve les plus beaux portraits : Edward G. Robinson, l'acteur blacklisté, forcé à la trahison, ou Kirk Douglas, qui, avec Spartacus, offre sa chance de réhabilitation au scénariste paria.
Paradoxalement, le plus poignant, le plus fort de tous ces personnages est celui qui n'a pas vraiment existé : un scénariste, combinaison imaginaire de tous ceux que l'hystérie maccarthyste a irrémédiablement détruits. Chacun de ces rôles est une aubaine pour les comédiens, servis par des répliques ciselées... et parfois authentiques. Comme cette phrase de Dalton Trumbo, lors d'un interrogatoire de la commission des activités antiaméricaines : « Il y a beaucoup de questions auxquelles il ne peut être répondu par oui ou non que par un imbécile ou un esclave. » — Cécile Mury
12:34 Publié dans Actualités, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dalton trumbo, film, jay roach | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
22/04/2016
Le frère du Che : « Votre président est socialiste, ah bon ? »
Un demi-siècle après la mort de Che Guevara, son frère Juan Martin milite pour perpétuer son héritage, et, derrière l’icône, dévoile l’homme dans un livre "Mon frère le Che" (Calmann-Lévy). A l’heure où Cuba se rapproche des USA, où des mouvements de jeunesse secouent l’Europe, le septuagénaire argentin défend encore l’esprit de la « revolucion ». Rencontre.
Pourquoi avoir mis tant de temps à parler publiquement du Che, votre frère aîné de 15 ans ?
Le processus a été long…Au départ, je ne voulais pas parler de mon frère. J’ai commencé à réfléchir après des conférences, la création d’une association, et après avoir rencontré Armelle Vincent ( NDLR : journaliste française qui a co-écrit le livre). Il s’est à la fois passé des choses dans mon for intérieur, et à l’extérieur, dans le monde. Les mouvements sociaux dernièrement à travers le monde m’ont fait réfléchir. C’était le moment de remettre le Che au cœur de la société ! Il y avait aussi la pression des compagnons du Che, ils me poussaient à parler…On me disait, notamment à Cuba, que j’étais égoïste de ne pas vouloir parler du Che.
Etait-il facile de s’attaquer à la fois au mythe et en même temps au grand frère ?
Ce n’est ni une biographie, ni un livre politique. La première chose, c’était de transformer le Che en Ernesto Guevara. Comme il est présenté comme un mythe, il n’aurait pas eu d’enfance, pas de famille, ce serait une statue, un Dieu. Certains ont souvent comparé les deux, beaucoup a été fait pour nuire à leur image, pour manipuler leur histoire et présenter un autre passé, moi je voulais remettre l’authentique contenu dans l’image. Celui du Che, hein, pas du Christ !
« Je ne veux pas que le mythe du Che se convertisse en religion »
Pourquoi l’esprit du Che a-t-il traversé les décennies ?
Il y a plusieurs raisons, mais fondamentalement son combat contre l’injustice, son désir de changer le monde, sa cohérence politique, une vision à long terme, sa vision de la solidarité. Pour lui, l’homme ne naissait pas méchant et destructeur. Les guerres ne sont pas le résultat de la folie des hommes, mais dépendent de la défense de certains intérêts. Il y a une vraie différence avec la religion : elle, parle de l’après, de l’au-delà, l’esprit du Che, c’est le concret, c’est la vie terrestre. Mais je ne veux pas que ce mythe du Che ne se convertisse non plus en religion, il faut le ramener à la terre !
Mais lorsqu’on voit le Che sur les tee-shirts du monde entier, son image dépasse tout ça ?
Moi qui étais commerçant de vins et de cigares havanes, de livres, et même de confiture, je peux dire qu’un commerçant vend ce qui se vend. Et le Che, ça fait vendre ! Celui qui le vend est un commerçant, mais celui qui le porte l’achète pour le symbole. Maradona, Mike Tyson, et Renaud que j’ai rencontré l’autre jour à la télévision française, le portent comme tatouage.
Dans les mouvements actuels, l’esprit du Che est-il présent ?
Le « Che » reste une référence, mais ce ne sont pas ses idées qui sont à la source de ces mouvements. C’est l’injustice, la situation, qui les fait naître. Lui va aider à approfondir les questions politique, économique, sociale. Un peu comme Robespierre avec la Révolution française. Parfois, il y a eu des Révolutions et ils se sont réapproprié l’esprit du Che après, comme chez les Soviétiques. C’est un référent au même titre que Lénine…
« On ne sait plus ce qu’est le socialisme »
Le Cuba de 2016, au moment où il s’ouvre vers les USA, vit-il encore sur les idées du Che ?
Le monde en général ne vit plus sur des principes socialistes aujourd’hui, ce sont les principes capitalistes qui dominent. Il reste quelques endroits rares, où il résiste. Le socialisme est donc dans une position de défense. Les Etats-Unis ont un objectif : transformer Cuba si possible en pays capitaliste. La position des Cubains, elle, est contradictoire : d’un côté, ils veulent continuer à résister, garder leur santé et leur école gratuites, de l’autre ils veulent accéder aux richesses, à la technologie, avoir des écrans plats, des iPods. Ça convient aux deux pays aujourd’hui de se rapprocher. Le système est déjà hybride. Le socialisme ne s’est pas stabilisé, il s’est effondré. On ne sait plus ce qu’est le socialisme. Votre président François Hollande est socialiste ? Ah bon ? Comme ci, comme ça (en français dans le texte). Les bénéfices générés par la production ne reviennent pas en bas, mais en haut, et c’est l’un des problèmes principaux du capitalisme. Sans compter que cette énorme productivité nuit à l’environnement, brise des vies humaines.
Gardez-vous l’âme d’un anti-capitaliste, et l’âme d’un révolutionnaire ?
Oui, définitivement, celle d’un anti-capitaliste. Le capitalisme ne fonctionne pas, produit une société injuste qui ne peut durer comme ça, on doit trouver une alternative qui rétablisse l’équilibre. Le socialisme soviétique ne marche pas, le communisme chinois non plus, les nouvelles générations doivent trouver une nouvelle voie. Quelle révolution peut-on encore espérer ? La Française ? La Russe ? Celle de Mao ? Elles ont toutes eu à se confronter au pouvoir avec plus ou moins de succès.
« Je n’ai pas vécu dans l'ombre du Che, il a plutôt été une lumière pour moi »
Des révolutions sont-elles encore possibles aujourd’hui ?
Ce système n’est pas possible pour une révolution. Mais le système tel qu’il existe aujourd’hui n’est plus bon. Même si je me dis marxiste, on ne peut appliquer aujourd’hui ce que Marx disait en 1948. Pareil pour la pensée léniniste. Il y a un cheminement à trouver qui peut passer par une révolution ! Mais ce n’est pas un seul pays qui peut aller dans cette voie-là, c’est l’humanité toute entière, car on a tous les mêmes intérêts aujourd’hui.
Si le Che vivait encore aujourd’hui…
…L’Amérique latine serait libre ! Moi, je ne suis pas le même qu’à l’âge de 20 ans, et le Che ne le serait pas non plus. Le Che était par exemple en désaccord avec Fidel sur le rapprochement avec l’Union soviétique. Il pensait que l’Union soviétique utilisait en fait les armes du capitalisme. Comme les pays communistes pensaient qu’ils allaient triompher du capitalisme, ils attendaient que ce système de l’ouest s’effondre. Ces derniers ne devaient pas emprunter ni l’un, ni l’autre, ou attendent qu’ils s’effondrent, mais choisir une troisième voie.
A-t-il été difficile pour vous de vivre dans l’ombre du Che ?
Non, ça n’a pas été une ombre, ça a été une lumière ! Pas seulement comme frère, mais comme référent, comme modèle. Et j’espère qu’il le restera pour les générations futures. Mais les éléments ne sont pas réunis aujourd’hui pour qu’on trouve un nouveau Che, ou une nouvelle Chea !
« Mon frère le Che » (éditions Calmann-Lévy) par Juan Martin Guevara avec Armelle Vincent
11:52 Publié dans Actualités, Connaissances, Livre, Société | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : mon frère le che, cuba | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
07/04/2016
« Pour une Primaire des idées » – Tribune collective
Elus du PS, d’EELV, du PCF ou de Nouvelle Donne, appellent dans cette tribune « à une primaire des idées » avant « une primaire des candidatures », via des débats organisés d’ici à l’été partout en France. « Sans quoi notre tentative démocratique ne sera pas à la hauteur des mouvements citoyens qui émergent en France », préviennent-ils.
« Nous sommes des électrices et électeurs. Nous voulons que la politique soit de nouveau faite par les citoyennes et les citoyens. Comme beaucoup d’entre nous recommencent déjà à le faire dans les rues et sur les places publiques de France.
Depuis quelques semaines, nous avons accepté de participer à un processus ouvert de toutes les forces politiques de la gauche et des écologistes, pour construire ensemble la primaire de gauche. Nous pensons que c’est le bon outil pour relever une gauche en lambeaux, pour sortir de l’ornière annoncée de 2017. Cette primaire a vocation à élire une candidate ou un candidat de gauche et à gagner l’élection présidentielle. Mais aussi, et surtout, à faire revivre les idées progressistes dans l’espace public.
Nous ne supportons pas les débats sur la réforme du droit du travail ou la déchéance de nationalité, tandis que la finance n’est toujours pas combattue et continue d’imposer sa loi. Les réels sujets ne sont toujours pas soulevés.
« Si nous ne pouvons pas nous rassembler sur le fond, le rassemblement autour d’une candidature à la présidentielle restera une illusion sans lendemain »
Un projet politique de gauche peut-il passer à côté de l’instauration d’une VIe République? Peut-il se retenir d’ouvrir le débat sur l’augmentation des salaires, un revenu de base et sur la réduction du temps de travail? Peut-il s’abstenir de protéger notre environnement et notre santé des pollutions? Peut-il retarder une vraie ambition de transition énergétique? Peut-il hésiter à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une priorité? Peut-il reculer devant le droit de vote des étrangers? Peut-il continuer de dissoudre nos libertés individuelles? Peut-il renoncer à mettre en place une loi forte contre les paradis fiscaux et pour la justice sociale?
Avant une primaire des candidatures, nous avons besoin d’une primaire des idées. Si nous ne pouvons pas nous rassembler avant tout sur le fond, le rassemblement autour d’une candidature à la présidentielle restera une illusion sans lendemain. Ces débats doivent d’abord exister partout dans le pays, sans quoi notre tentative démocratique ne sera pas à la hauteur des mouvements citoyens qui émergent en France pour pratiquer la politique sincèrement.
« Nous proposons que d’ici à l’été se tiennent à travers toute la France des débats ouverts »
L’essentiel est de fabriquer en commun. Comment y parvenir si nous ne sommes pas d’accord sur le minimum vital? Voilà pourquoi nous appelons à ce que la primaire soit imaginée, construite, alimentée par des citoyennes et des citoyens venus de tous horizons. Les électeurs et les électrices sont les meilleurs experts de leurs propres vies. Nous proposons donc que d’ici à l’été se tiennent à travers toute la France des débats ouverts pour leur permettre d’exprimer leurs préoccupations, leurs envies et leurs idées sur les sujets de leurs choix.
C’est de la richesse de ces débats que doit émerger un socle commun des exigences indispensables pour toute candidature, élaboré collectivement lors de ces assemblées citoyennes, capable d’offrir le cadre dans lequel il sera possible de penser un autre chemin ensemble. »
Les signataires :
Elliot Lepers et Nadia Ahmane, de la Primaire de gauche
Olivier Dartigolles et Isabelle de Almeida, dirigeants du PCF
Marine Tondelier et Julien Bayou, membres du Bureau exécutif d’EELV
Jérôme Guedj et Fanélie Carrey-Conte, membres du Bureau national du Parti socialiste
Nathalie Cayet et Pierre Larrouturou, membres du Bureau national de Nouvelle donne
09:25 Publié dans Actualités, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tribune, primaire à gauche | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |
03/04/2016
Konstantina Kouneva, Femme courage au Parlement européen
Bulgare immigrée en Grèce pour soigner son fils, cette élue de Syriza, ethnographe de formation, aura connu les petits boulots mal payés, le syndicalisme de combat et une agression à l’acide, avant, aujourd’hui, de siéger à Strasbourg. Portrait de l’eurodéputée Konstantina Kouneva.
Son sourire a résisté au jet d’acide qui lui brûla le visage, une nuit de décembre 2008. Et qui lui ravit à jamais la vue. Konstantina Kouneva était alors déléguée syndicale des femmes de ménage employées par une entreprise sous-traitante dans le métro d’Athènes. «À minuit passé, quand je rentrais du travail, j’ai vu un homme assis sur le pas de la porte, à l’entrée de mon immeuble. Il avait la tête baissée et le bras autour dans une position de souffrance. Je me suis naturellement baissée pour lui venir en aide. C’est sans doute ce qu’il attendait. L’individu s’est soudainement déployé et m’a aspergé le visage… la sensation de brûlure a été instantanée jusqu’au fond de la gorge et ma vue s’est brouillée. J’ai eu à peine le temps de reconnaître la silhouette qui me filait à moto de temps à autre quelques jours auparavant, puis tout est allé très vite…»
Konstantina Kouneva a été hospitalisée durant une année. Elle a subi une trentaine d’interventions chirurgicales sur le visage en sept ans. L’enquête autour de son agression criminelle n’a toujours pas abouti. C’est parce qu’elle avait gardé le souvenir du soutien permanent des militants de Syriza dans son combat syndical qu’elle a accepté d’en être la candidate aux élections européennes de 2014. Élue députée, elle est aujourd’hui en charge de nombreux dossiers dans le domaine social. Elle se livre sur un ton apaisant qui tranche avec son récit de vie accidentée.
Le combat d’une mère
Au commencement, il y a la peine d’une mère confrontée à la maladie de son enfant en bas âge, une affection cardiaque. Puis, très vite, l’envie et la force de se dresser contre la fatalité, de porter un défi aux épreuves, de changer le cours des choses, dans sa vie personnelle et jusque dans son travail. «Je suis née en Bulgarie, au bord du Danube, à la frontière avec la Roumanie, mes parents étaient des villageois, je viens d’un milieu de salariés, de petits employés», précise-t-elle dans une parenthèse. L’étudiante en histoire se passionne pour l’ethnographie et en fait son métier. Quelques années plus tard, la maman du petit garçon né en 1997 est contrainte de quitter son pays pour le soigner. «C’était une question de vie ou de mort. En 2001, il n’y avait pas, dans mon pays, la possibilité de traiter son cas dans de bonnes conditions», explique-t-elle. Konstantina trouve fort heureusement une piste. «Un Bulgare employé dans un hôpital d’Athènes était disposé à m’aider pour l’admission de mon fils.» Elle franchit le pas avec une maigre bourse.
Première épreuve : un tunnel d’attente dans l’angoisse. L’intervention chirurgicale est reportée par prudence, il faut patienter deux longues années. Vivre et surtout travailler à Athènes devient alors incontournable. Konstantina y déniche un job dans un supermarché. «Je travaillais de nuit pour pouvoir rester avec mon fils dans la journée, puis ma mère m’a rejointe en Grèce. À deux, on pouvait ainsi se relayer auprès de lui et rassembler l’argent pour son opération.» Une course contre la montre. Mère et fille triment dur. Le destin leur sourit pour un temps, mais pour un temps seulement.
Apprendre à lire le grec, s’informer, consulter..
L’enfant est sauvé. Reste cependant la contrainte de la convalescence sur les lieux au moment même où Konstantina est licenciée après deux années de travail au supermarché. «Par chance, ma mère était employée dans une entreprise de nettoyage du métro d’Athènes. Comme elle donnait satisfaction, elle a pu m’obtenir un entretien d’embauche pour un poste de femme de ménage.»
C’est alors le début d’une nouvelle bataille. Non plus contre les choses de la vie, le triste sort et la maladie, mais contre le harcèlement des chefaillons, la confiscation des droits et l’exploitation sans limites du travail. Konstantina, qui ose et ne recule pas, gagne la confiance de ses collègues. Elle est élue secrétaire générale du syndicat de personnel d’entretien et d’aides domestiques, et attaque sur tous les fronts. Elle s’inscrit à des cours de grec, se met à le parler couramment et surtout à le lire, pour prendre connaissance de la réglementation. Ordre des avocats, inspection du travail… l’élue s’informe, consulte, multiplie les contacts, ne laisse rien au hasard et, forcément, lève le voile sur des infractions, des atteintes à des droits élémentaires, des injustices. Un sombre tableau. «Pas de primes de pénibilité, le travail de nuit sous-payé, des pauses non respectées, tout juste destinées à réduire les heures payées et les cotisations quand elles étaient réglées. Les employées étaient assurées pour six heures seulement alors qu’elles en effectuaient douze, affectées à plusieurs missions et appointées pour une seule. Le travail au noir était chose courante et les retards de salaires très fréquents.» La direction de l’entreprise constate tout à coup l’émergence d’une syndicaliste qui prend sans cesse de l’envergure, sensibilise ses collègues, impulse des revendications, encourage la fronde… de femmes de ménage !
« Gare à toi si tu n’arrête pas »
Une machine se met aussitôt en branle, sournoisement actionnée. Les obstacles se dressent sur le chemin risqué de Konstantina. On tente avant tout de la couper de ses collègues. Certains d’entre eux détournent la tête pour ne pas la saluer devant les caméras sur le lieu de travail. Puis la pression monte d’un cran. Sa mère est licenciée sans motif. La conspiration ne fait plus de doute, qui se transforme très vite en menaces au bout du fil, puis de vive voix : «Gare à toi si tu n’arrêtes pas !» Dans la nuit du 22 au 23 décembre, un individu lui brûle le visage d’un jet d’acide, à l’entrée de son immeuble.
«Aujourd’hui, tout comme hier, j’ai tout simplement, et malgré tout, le sentiment d’être utile. C’est ma plus grande satisfaction», confie-t-elle en souriant.
11:23 Publié dans Connaissances, Histoire, International, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nadjib touaibia, konstantina kouneva, députée, parlement européen | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |