24/11/2006
MG BUFFET VEUT RASSEMBLER
Quelle appréciation portez-vous sur la situation créée à gauche par la désignation de Ségolène Royal ?
Marie-George Buffet. La candidature de Ségolène Royal porte des propositions marquées par un renoncement à changer profondément les choses. Assouplir la carte scolaire au lieu de donner les moyens d’une école de la réussite. Inventer des jurys citoyens au lieu d’aborder de front la question d’une VIe République. On pourrait multiplier les exemples. Vers quelle politique irions-nous ? Une politique sociale-libérale qui n’engagerait pas les grandes réformes sans lesquelles aucun changement n’est possible : une nouvelle politique fiscale pour donner les moyens à la recherche, à la culture et à l’école, l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, de nouveaux droits pour les salariés, la réforme du financement de la protection sociale... Cette candidature donne de nouvelles responsabilités au Parti communiste, mais également à tous ceux et celles qui veulent créer les conditions d’une nouvelle majorité à gauche. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer un appel à tous les hommes et toutes les femmes de gauche : rejoignons-nous sans attendre, construisons ensemble une autre voie à gauche apte à battre la droite et réussir à gauche.
Face à la politique de la droite et aux projets de Nicolas Sarkozy, un élargissement du rassemblement antilibéral est-il possible ?
Marie-George Buffet. Je le crois. La volonté de battre la droite est très forte. Et comment en serait-il autrement ? Son bilan est terrible. La carte des licenciements publiée récemment par l’Humanité, je la vis concrètement dans mes déplacements. On pourrait évoquer aussi la situation de l’hôpital public, de l’école... La droite doit payer la note pour son bilan. Il ne faut pas laisser les clés de la République à Nicolas Sarkozy. Sa droite est dangereuse au plan social, au plan de la démocratie, au plan international.
Mais ces millions d’hommes et de femmes qui veulent battre la droite, ils veulent que la gauche agisse contre les délocalisations, la précarité, l’insécurité. Ce sont ces questions que m’ont posées les ouvrières d’Aubade ou de Marie Surgelés avec qui je discutais dimanche dans la Vienne. Ce qu’ils veulent gagner, c’est le SMIC à 1 500 euros tout de suite, l’augmentation des salaires et des minima sociaux, une sécurité sociale universelle, des moyens pour l’école, une grande loi contre les violences faites aux femmes, une sécurité d’emploi et formation, un grand secteur public assurant le droit à l’énergie pour tous, un service public du logement... Ils veulent simplement une politique de gauche. Mais pour gagner cela, il faut un programme cohérent qui affronte les logiques libérales. C’est à cela que nous avons travaillé dans les collectifs unitaires. Ce programme est encore à enrichir, mais d’ores et déjà il faut le faire connaître. Il peut redonner espoir en une autre politique et faire grandir ce rassemblement.
Quelle ambition fixez-vous à ce rassemblement ? Y mettez-vous des frontières ?
Marie-George Buffet. Si je disais à l’une ou l’un de ces salariés rencontrés dimanche, si je disais aux familles en attente d’un logement que notre rassemblement n’aspire qu’à témoigner du bien-fondé de nos propositions ou à faire émerger une union de la gauche de la gauche, elles diraient : « Dans quel monde vit-elle ? Ne voit-elle pas l’urgence de battre la droite ? » Notre rassemblement doit clairement viser une majorité populaire pour constituer un gouvernement. Ne mettons donc aucune frontière ! Des hommes et des femmes de gauche ne se retrouvent pas dans le terme « antilibéral ». Je leur dis tout simplement : « Si vous pensez que la gauche a encore vocation à changer la vie, qu’elle peut, en rendant le pouvoir au peuple, se donner les moyens de s’en prendre aux grandes fortunes, au pouvoir divin des actionnaires ou au productivisme ravageur pour l’avenir de la planète, vous avez toutes les raisons de converger avec ceux qui sont déjà dans le rassemblement antilibéral. Nous nous sommes retrouvés, majoritaires autour du "non" de gauche, dans la lutte contre le CPE, contre les lois répressives, pour aider les enfants menacés d’expulsion, ou auparavant dans les luttes pour l’école, pour la laïcité... On peut converger et former cette majorité. On peut gagner en 2007. »
Les collectifs ont accompli beaucoup de travail. Reste la candidature. Certains estiment que votre qualité de dirigeante du PCF serait un obstacle au rassemblement. Que leur répondez-vous ?...
Marie-George Buffet. Il y a deux aspects. D’abord, la dirigeante : si je devais porter la candidature, je m’attacherais à ce que la diversité de notre rassemblement s’exprime pleinement, avec la volonté que les porte-parole constituent bien une équipe, et je n’exercerais plus mes responsabilités de secrétaire nationale.
L’autre aspect concerne mon appartenance au Parti communiste. Les partis sont nécessaires à la démocratie. Et le PCF est un lieu où des hommes et des femmes privés de parole (une femme, dans une réunion à Stains, me disait : « J’ai l’impression d’être gommée de la vie publique ») peuvent réfléchir ensemble, prendre des initiatives et des responsabilités. Si des partis confisquent le pouvoir, le PCF ne cesse, par ses actes, de montrer, depuis plusieurs années, dans les luttes, dans le combat pour le rejet de la constitution européenne, qu’il est un artisan acharné du rassemblement. Et il a toujours été utile à ce rassemblement. Aujourd’hui encore, il est le seul grand parti à avoir signé l’appel unitaire pour des candidatures antilibérales. Il en garantit, par sa présence, le caractère durable. Et ses militantes et militants, ses milliers d’élus sont pleinement engagés à faire vivre, avec d’autres, les collectifs unitaires.
On accuse aussi parfois les communistes de faire nombre dans les collectifs unitaires locaux et d’en créer pour qu’ils appuient votre candidature...
Marie-George Buffet. C’est ridicule. Ce qui est vraiment important, c’est que la dynamique prend corps. Elle se nourrit de l’investissement quotidien d’hommes et de femmes toujours plus nombreux dans leur diversité, parmi lesquels des communistes, évidemment. Et l’on devrait craindre cet envahissement populaire ? Ce serait quand même paradoxal pour une démarche qui se veut populaire et citoyenne ! Devrait-on avoir peur du collectif que j’ai rencontré récemment, devant le dépôt RATP de Saint-Denis ? Il y avait là des hommes et des femmes, communistes et non communistes. Leur collectif regroupe plus de 110 personnes. C’est de cet ancrage populaire dont on a besoin pour enclencher la dynamique. On en aura besoin dans la campagne. Mais au-delà, si demain nous sommes majoritaires, croyez-vous que l’on n’aura pas besoin de lieux où ces hommes et ses femmes pourront se retrouver et intervenir ? La démocratie doit jouer, sur la candidature comme sur les autres questions, celles du programme ou de l’orientation.
Vous avez rendu possible lors de la campagne référendaire que des hommes et des femmes, provenant de l’arc de toute la gauche, se retrouvent sur les mêmes estrades. Pensez-vous que le climat d’aujourd’hui rappelle celui qui a précédé la victoire du « non » ?
Marie-George Buffet. Les meetings rassemblent des foules très importantes, mais on n’y est pas encore. De nombreux hommes et femmes de gauche qui étaient sur les estrades ou dans les salles pendant la campagne du « non » ne sont pas encore avec nous. Il faut aller beaucoup plus loin, c’est le sens de mon appel. Chaque force doit pouvoir prendre ses propres initiatives pour mettre au pot commun ses points forts et ses atouts. C’est pourquoi le PCF, dans les quartiers et les entreprises, multiplie les initiatives, sur le pouvoir d’achat, avec les assises pour l’emploi...
À trois semaines des 9 et 10 décembre, date de la réunion nationale qui doit faire remonter les avis des collectifs locaux, quel est votre état d’esprit ? Êtes-vous confiante, inquiète, déterminée ?
Marie-George Buffet. Sereine. Si nous évitons les tensions et les anathèmes, nous ne nous ferons pas piéger par cette monarchie présidentielle. Aucune des candidatures en présence ne fait l’unanimité. Et c’est normal. Et si l’on devait procéder par élimination, on finirait par aller chercher le plus petit dénominateur commun. Ce qui signifierait que nous n’aurions plus d’ambition pour le rassemblement antilibéral. Même en équipe, être candidat, cela demande un énorme engagement. La droite ne nous fera aucun cadeau. Il faudra contrer les arguments, être sur le terrain tous les jours, tous ensemble, avec bien sûr une responsabilité supplémentaire pour le ou la candidate. Demandons-nous qui peut nous permettre de rassembler le plus largement, ceux et celles qui sont dans les collectifs, mais, bien au-delà, toutes les sensibilités de la gauche. Notre candidature devra surtout absolument parler à ces hommes et à ces femmes, et ils sont nombreux, que la droite précarise dans leur vie, l’emploi, le logement, l’éducation des enfants, la capacité à se soigner et à vivre dignement sa retraite. Pour ma part, je sens dans toutes mes rencontres que rien n’est encore joué : le bipartisme n’a pas encore refermé le couvercle sur les espoirs de changement. On peut bousculer le paysage politique. Si par millions, on conjugue nos énergies, comme en 2005, on peut gagner. Il y a urgence à faire du neuf à gauche. C’est le combat, l’ambition que je porte pour 2007.
Entretien réalisé par Jean-Paul Piérot
09:50 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : MG BUFFET, PCF, PRESIDENTIELLES | |
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13/10/2006
RENAUD PARLE
Renaud. Rouge Sang, c’est aussi RS & RS, le titre d’une autre chanson qui sont les initiales communes à ma femme et à moi. C’était amusant comme coïncidence. Avec « rouge sang », je voulais évoquer le sang animal et humain, comme je l’exprime dans la chanson éponyme. C’est le rouge des révolutions, du drapeau, de la colère. Pour moi, le rouge est le symbole de la gauche, associé aujourd’hui au rose, au vert, et parfois au noir. Et il y a le sang qui coule, versé par les barbares de tout poil, le sang humain ou animal.
Comment avez-vous vécu certaines critiques qui ont accompagné la sortie votre album ?
Renaud. Globalement la presse populaire est pleine d’éloges, à savoir les quotidiens de province. La critique des journaux populaires nationaux comme le Parisien, Paris Match, est également plutôt louangeuse.
C’est la presse bo-bo nationale, mais essentiellement parisienne - le Nouvel Obs, Télérama, Marianne, Libé, les Inrockuptibles, le Point et le Monde...- qui m’a assassiné. Avec des arguments parfois qui frisent la diffamation, l’insulte, la calomnie.
Un côté procès ?
Renaud. Un côté procès stalinien, un vrai procès d’intention. J’y vois comme un paradoxe que ces critiques là me reprochent d’avoir perdu toute légitimité auprès des couches populaires, de la jeunesse, de la banlieue. Qui, d’eux ou de moi, a perdu cette audience populaire ? Àmon avis, c’est plutôt eux. Est-ce que les jeunes, les couches populaires des banlieues de Montceau-les-Mines ou du Creusot, écoutent plutôt Renaud, ou achètent-ils les Inrockuptibles, le Monde ou le Nouvel Obs ? On connaît la réponse...
Tout cela est tellement excessif. J’ai l’impression que les critiques des journaux qui m’ont assassiné ont pris ma chanson les Bobos, une chanson fantaisiste - comme une attaque contre eux-mêmes. Ils culpabilisent tellement de se sentir bo-bo qu’ils ont cru que je les visais. Ils me reprochent de vouloir être le défenseur de la veuve et de l’orphelin, ils me reprochent la constance de mes colères, de mes engagements, de mes convictions que je défends depuis quaranteans, depuis 1968 et même avant !
Je le fais parfois avec naïveté, paradoxe, contradiction, mais toujours avec le coeur à gauche. Je suis toujours autant révolté par l’injustice, la barbarie, la tyrannie, l’oppression, le monde capitaliste, l’économie de marché, la mondialisation. Je suis toujours autant révolté par cette économie néolibérale dont on crève, qui surproduit toujours plus et gaspille, tout cela au détriment des pays du tiers-Monde, de l’Afrique, de l’Asie. Aujourd’hui, la lutte des classes, c’est les banlieues contre les villes, le Nord contre le Sud, les pauvres contre les riches... Protester contre cela, même avec naïveté, des mots un peu clichés comme dans la chanson J’ai retrouvé mon flingue, montre combien, eux, ont renoncé. Alors ils culpabilisent et ils m’en veulent.
Vous avez changé, mais vous dites pourtant dans une de vos chansons : « Je sais que j'écrirai toujours comme un acte de résistance »...
Renaud. La chanson, les arts, la littérature, la culture doivent être des moyens d’éveil, de connaissance, de prise de conscience, de refus de la barbarie du monde. La chanson, de ce point de vue, est essentielle. Plus que tout autre art, elle peut être un drapeau et doit être parfois un tambour de guerre. Les mots sont des armes de destruction massive. Je sais à quel point je me suis construit par rapport à mon éducation, notamment à travers des chansons de mon enfance, les chansons de Brassens, de Dylan...
Avec ses chansons, Johnny Clegg a fait davantage pour la libération de Nelson Mandela et la fin de l’apartheid que bien des résolutions de l’ONU, restées lettres mortes. Je ne dis pas qu’une chanson peut changer le monde, mais elle doit être un cri, un acte de résistance. C’est valable pour la chanson « engagée », un mot un peu galvaudé, mais aussi pour la chanson sentimentale. L’amour est une valeur subversive dans ce monde de commerce. Ça procure de l’émotion aux gens, donc de l’humanité. Ça peut les changer, les rendre meilleurs.
Et parallèlement, une chanson « engagée » est aussi une chanson d’amour : l’amour de la liberté, de la justice...
Entretien Victor Hache, pour l'Humanité
10:45 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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Les bobos
On les appelle bourgeois bohêmes
Ou bien bobos pour les intimes
Dans les chanson d'Vincent Delerm
On les retrouve à chaque rime

Ils sont une nouvelle classe
Après les bourges et les prolos
Pas loin des beaufs, quoique plus classe
Je vais vous en dresser le tableau
Sont un peu artistes c'est déjà ça
Mais leur passion c'est leur boulot
Dans l'informatique, les médias
Sont fier d'payer beaucoup d'impôts
Les bobos, les bobos
Les bobos, les bobos
Ils vivent dans les beaux quartiers
ou en banlieue mais dans un loft
Ateliers d'artistes branchés,
Bien plus tendance que l'avenue Foch
ont des enfants bien élevés,
qui ont lu le Petit Prince à 6 ans
Qui vont dans des écoles privées
Privées de racaille, je me comprends
ils fument un joint de temps en temps,
font leurs courses dans les marchés bios
Roulent en {x4}4, mais l'plus souvent,
préfèrent s'déplacer à vélo
Les bobos, les bobos
Les bobos, les bobos
Ils lisent Houellebecq ou philippe Djian,
Les Inrocks et Télérama,
Leur livre de chevet c'est surand
Près du catalogue Ikea.
Ils aiment les restos japonais et le cinéma coréen
passent leurs vacances au cap Ferret
La côte d'azur, franchement ça craint
Ils regardent surtout ARTE
Canal plus, c'est pour les blaireaux
Sauf pour les matchs du PSG
et d'temps en temps un p'tit porno
Les bobos, les bobos
Les bobos, les bobos
Ils écoutent sur leur chaîne hi fi
France-info toute la journée
Alain Bashung Françoise Hardy
Et forcement Gérard Manset
Ils aiment Desproges sans même savoir
que Desproges les détestait
Bedos et Jean Marie Bigard,
même s'ils ont honte de l'avouer
Ils aiment Jack Lang et Sarkozy
Mais votent toujours Ecolo
Ils adorent le Maire de Paris,
Ardisson et son pote Marco
Les bobos, les bobos
Les bobos, les bobos
La femme se fringue chez Diesel
Et l'homme a des prix chez Kenzo
Pour leur cachemire toujours nickel
Zadig & Voltaire je dis bravo
Ils fréquentent beaucoup les musées,
les galeries d'art, les vieux bistrots
boivent de la manzana glacée en écoutant Manu chao
Ma plume est un peu assassine
Pour ces gens que je n'aime pas trop
par certains côtés, j'imagine...
Que j'fais aussi partie du lot
Les bobos, les bobos
Les bobos, les bobos
10:30 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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23/09/2006
« Le libre marché ne fonctionne pas »
Économie . Le prix Nobel nord-américain Joseph E. Stiglitz nous a accordé une interview lors de son passage à Paris. Dans son nouveau livre (1), il appelle à de nouvelles régulations du marché.
Pourquoi écrire un nouveau livre sur le thème de la mondialisation ? Y a-t-il eu des changements depuis votre dernier ouvrage ?
Joseph E. Stiglitz. Beaucoup de choses ont évolué, comme le nouveau rôle de l’Inde et de la Chine. 2,4 milliards d’habitants se sont intégrés à l’économie mondiale. L’impact est énorme. La perception de la mondialisation a aussi changé. Aujourd’hui, même le FMI reconnaît l’instabilité créée par les marchés de capitaux même si sa politique ne change pas. S’ils reconnaissent, depuis les négociations de l’OMC en 2001 à Doha, que les cycles commerciaux précédents ont nui au développement, les cycles suivants ont toutefois été des échecs. Le commerce international doit changer d’orientation car il est injuste et ne fonctionne pas.
Les fonds d’investissement deviennent très puissants. Ils entrent et sortent très vite du capital des entreprises, créant beaucoup d’instabilité. Ils semblent incontrôlables...
Joseph E. Stiglitz. Nous sommes de nombreux économistes à nous en inquiéter. Le marché financier ne considère que le court terme. On ouvre les pays à des capitaux qui entrent et qui sortent sans contrôle. Certains disent que cela impose une discipline.
Or, pour qu’une discipline soit bonne, elle doit s’inquiéter de la croissance à long terme et non de ceux qui ne pensent qu’aux vingt-quatre prochaines heures. C’est en fait une critique de la libéralisation des marchés financiers.Quid de l’ownership society (« société de la propriété ») prônée par Bush ?
Joseph E. Stiglitz. Au nom de ce modèle, finalement, la croissance aux États-Unis ne concerne que ceux qui sont en haut de l’échelle. Durant les cinq dernières années, même les classes moyennes se sont appauvries. La plupart des États-Uniens aujourd’hui vivent moins bien qu’il y a cinq ans. Le gouvernement des États-Unis a favorisé les classes élevées de la société tout en diminuant les revenus des classes les plus pauvres. Ce n’est certainement pas un modèle à suivre. Les gens se demandent parfois comment les États-Unis peuvent afficher une telle croissance. Mais la situation dans le pays a empiré !Vous savez qu’il y a un débat en France à ce sujet...
Joseph E. Stiglitz. Comme le dit un proverbe anglais, « on peut tromper quelques personnes durant quelque temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps » ! On peut effectivement, pendant quelques années, affirmer que tout va bien, que la situation va s’améliorer, qu’il faut être patient. Pourtant, aux États-Unis, cela fait trente ans que les salaires des moins favorisés ne cessent de décroître. Les bas salaires aujourd’hui sont de 30 % inférieurs à ce qu’ils étaient il y a trente ans ! On disait avant que les enfants auraient une vie meilleure que celle de leurs parents. C’est le contraire. Aux États-Unis, il y a le « rêve américain » tant décrit par Horatio Alger : n’importe qui, quels que soient ses moyens, peut réussir dans la vie et devenir riche, et même devenir président. Les statistiques montrent plutôt que ce n’est pas possible. Bush ne vient pas d’un milieu pauvre, à la différence de Truman qui est une exception. Le mythe s’étiole !
Que vous inspire la situation de l’immobilier ?
Joseph E. Stiglitz. Depuis quelques années, les États-Unis font usage de politiques monétaires très particulières : des taux d’intérêt bas permettent aux gens de refinancer la valeur de leur maison pour financer leur consommation. Ainsi, l’année dernière, les propriétaires de maisons ont épargné de façon négative.
Ils consommaient plus que leurs revenus.Cette situation ne peut pas durer...
Est-ce la même chose dans l’ensemble des États-Unis ?
Joseph E. Stiglitz. Oui en effet, les foyers sont de plus en plus endettés, leur passif augmente mais pas leur actif. Le gouvernement des États-Unis s’endette aussi de plus en plus ; il perd beaucoup d’argent en Irak et en réduisant les taxes des riches. Cette fragilité de l’économie nord-américaine est inquiétante. Nous ne savons pas si un miracle pourrait sauver l’économie.
Que pensez-vous du débat actuel en France sur la privatisation des services publics, notamment de l’énergie ?
Joseph E. Stiglitz. La réponse varie selon les pays. Aux États-Unis, il y a eu une déréglementation qui a mené au désastre dans la majorité des cas. La privatisation du service public de l’énergie a provoqué une augmentation considérable du coût pour les consommateurs, des coupures d’électricité.
Plusieurs sociétés privées productrices d’électricité ont fait faillite et le gouvernement a dû les renflouer. La privatisation du secteur de l’énergie a été une vraie catastrophe. On peut aussi se réfugier derrière l’argument selon lequel la privatisation peut marcher si elle est bien faite, et elle a été mal faite, ce qui est vrai. Mais de manière générale, si le service public de l’énergie n’a pas de problème, pourquoi le privatiser ?
Comme dit un proverbe états-unien, « si ce n’est pas cassé, pourquoi le réparer ? » En France, il existe un système efficace. Le système français de l’énergie est si bon qu’on se gratte la tête et qu’on se dit que cela devient plutôt une question idéologique.
Il y a même pire ! La France a une industrie nucléaire très fiable. Il faut tout de même s’inquiéter. Si une société privée l’achète, elle n’investira pas suffisamment dans la sécurité, car cela n’est pas rentable à court terme.
(1) Joseph E. Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, éd. Fayard, 2006.
Extrait d'un entretien réalisé par Jacques Coubard et Sébastien Ganet pour le journal l'Humanité. Traduction par Hervé Fuyet et Peggy Cantave Fuyet
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