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28/12/2007

« La spiritualité est irréductible à la religion »

Henri Pena-Ruiz, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris et professeur agrégé de philosophie, décrypte les ressorts du discours de Latran prononcé par Nicolas Sarkozy.

da95c0fa142c8f08343744359740c40f.jpgDurant la campagne présidentielle, le candidat Sarkozy n’a eu de cesse de revendiquer son appartenance religieuse : « Je suis de culture catholique, de tradition catholique et de confession catholique », déclarait-il en novembre 2004, à la veille de la parution de son livre la République, les religions et l’espérance. Jeudi 20 décembre, Nicolas Sarkozy s’est rendu au Vatican pour sa première visite officielle au pape Benoît XVI. Sa rencontre avec le chef suprême de l’Église catholique romaine a été l’occasion pour le président de la République laïque de « redire son respect et son attachement à la question spirituelle », que le chef de l’État a « toujours considérée » comme étant « au coeur de la vie de nos concitoyens ». Fait « unique chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran », Nicolas Sarkozy y a tenu un discours inquiétant pour la laïcité.

Qu’est-ce qui vous a frappé dans le discours de Nicolas Sarkozy, qui déclare, parlant de la visite du pape en France l’an prochain : « Je suis comptable de tous les espoirs que cette perspective suscite chez mes concitoyens catholiques » ?

Henri Pena-Ruiz. Le premier choc, c’est le non-respect de la déontologie, de la part d’un président de la République qui se déclare « président de tous les Français » mais qui, ostensiblement, accorde un privilège public de reconnaissance à ceux des Français qui sont croyants. Cela veut dire que les athées ou les agnostiques sont moins bons que les autres, qu’ils n’ont pas bien compris ce qu’est la vie, n’ont pas choisi la bonne spiritualité ? C’est très choquant du point de vue de la citoyenneté. L’exigence qui incombe à un président de la République, certes élu par une majorité des Français, est de les représenter tous. Nicolas Sarkozy ne le fait pas.

La deuxième chose, c’est une transgression de la limite privé-public. Le croyant Nicolas Sarkozy est tout à fait libre de croire, et personne ne lui conteste cela. Mais il n’a pas à ériger sa croyance personnelle en référence obligatoire de toute la France, de toute la République. C’est une faute grave du point de vue de la déontologie politique : le président ne respecte pas l’exigence d’universalité, de représentativité de tous les Français.

C’est ce qui apparaît dans le passage où le chef de l’État évoque sa « conviction profonde » d’une « frontière entre la foi et la non-croyance », qui ne serait pas « entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas » mais « traverse(rait) chacun de nous » ?

42c3a0dce98cd3fa15eb9d305d0d51e5.gifHenri Pena-Ruiz. Le problème avec Nicolas Sarkozy c’est justement que ce qu’il appelle sa « conviction profonde » est érigé en voie officielle de la France. Visiblement il est incapable de tracer la ligne de démarcation entre ce que personnellement il croit et ses fonctions de président de la République. À cet égard, son attitude tranche avec cellede ses prédécesseurs : jamais le général de Gaulle, François Mitterrand ou même Jacques Chirac n’ont confondu leurs croyances personnelles et leurs fonctions officielles. Dans une République, les personnes qui représentent la nation, à un titre ou un autre, doivent observer un devoir de réserve. Professeur dans un établissement public, je n’ai pas à faire état de mes croyances personnelles dans l’exercice de mes fonctions. Ce qui s’applique aux enseignants, aux fonctionnaires, doit s’appliquer au premier magistrat de la République.

La « République laïque » a-t-elle vraiment « sous-estimé l’importance de l’aspiration spirituelle », comme le pense Nicolas Sarkozy ?

Henri Pena-Ruiz. Il alimente une confusion constante entre spiritualité et religion. La spiritualité, c’est la vie de l’esprit, la vie de la conscience humaine qui s’affranchit de l’immédiat. Elle est irréductible à la religion. La religion est une forme de spiritualité parfaitement respectable, mais il y en a d’autres. Un artiste qui crée des oeuvres qui dépassent les limites du vécu immédiat, de l’utilité immédiate, fait oeuvre spirituelle. Un savant qui élucide les lois du réel ou un philosophe qui réfléchit sur les principes de la lucidité et de la sagesse font aussi oeuvre spirituelle.

À entendre Nicolas Sarkozy, il n’y aurait de spiritualité que religieuse, puisqu’à aucun moment il ne cite d’autre forme. Il alimente également la confusion entre religion et pouvoir spirituel. Si la religion est respectable, c’est en tant que démarche spirituelle, pas en tant que credo obligé, imposé par le pouvoir temporel. Il fait vivre une confusion que l’émancipation laïque avait brisée, entre la libre spiritualité et le privilège public, officiel, de la religion.

N’existe-t-il pas un risque, lorsque le président d’une République laïque souligne la « désaffection des paroisses rurales », le « désert spirituel des banlieues », la « disparition des patronages », de le voir confier à la religion un rôle de régulateur social ?

Henri Pena-Ruiz. Le « désert spirituel des banlieues » instille l’idée que l’on peut avoir une politique sociale catastrophique, par la disparition des services publics, par le retrait de l’État de ses fonctions sociales de production d’égalité, etc. ; à condition de confier à la religion un rôle de lien social. De « supplément d’âme d’un monde sans âme », comme disait Marx. On reconnaît là cette idéologie très typique qui associe l’ultralibéralisme et le complément caritatif. Mais les banlieues n’ont pas besoin de plus de religion, de plus de charité, elles ont besoin d’une véritable politique de promotion de l’égalité sociale.

Ce qui ne veut pas dire égalitarisme, mais renforcement de la présence de l’État. On sait que le projet européen actuel prévoit la concurrence privée de tous les services publics, ce qui sera une dénaturation, car lorsqu’un service public n’est plus assujetti qu’à l’impératif de compétitivité économique, sa finalité sociale est reléguée au second plan. Comme on a par ailleurs une mondialisation capitaliste tout à fait indifférente à l’humanité, la seule solution qui restera sera « le supplément d’âme d’un monde sans âme », l’aspiration à l’infini : dans le monde fini, vous êtes malheureux, dans le monde infini, vous serez heureux. C’est la réapparition, très naïve, de la fonction qui était dévolue à la religion dans les sociétés traditionnelles, de compensation par la référence à un au-delà après la vie temporelle. C’est un retour à une formule éculée. Alors que la religion pourrait être une forme d’interrogation sur la condition humaine, qui interviendrait sur la base d’une vie accomplie. Que les hommes, une fois assurée leur dignité dans la vie concrète, temporelle, se tournent librement vers la religion comme réflexion sur la finitude humaine, c’est très respectable.

De la même façon, d’autres peuvent conclure, comme Albert Camus ou Jean-Paul Sartre, à l’humanisme athée, où, tout en étant conscient de sa finitude, l’homme produit quelque chose qui le dépasse. Avec Nicolas Sarkozy, on n’est pas du tout dans cette perspective. On est dans l’idée bushienne, ou thatchérienne, d’une religion qui joue un rôle d’intégration sociale. On n’a pas à déléguer la paix des banlieues à l’intervention des responsables religieux locaux. La paix des banlieues se construit par la justice sociale, le développement des services publics, la construction de logements sociaux, le désenclavement des cités… Ce n’est pas du tout la direction que l’on prend.

C’est une constante chez lui : Nicolas Sarkozy a une fois de plus adapté son discours à l’auditoire.

Henri Pena-Ruiz. Absolument. Mais là il dit des choses scandaleuses, choquantes à tous égards.

Sarkozy parle du respect des racines chrétiennes de la France et évoque pêle-mêle l’art, les traditions populaires, l’activité intellectuelle… Il ne cite d’ailleurs que des intellectuels catholiques. C’est scandaleusement discriminatoire : on passe sous silence Sartre, Camus, etc. Monsieur Sarkozy réécrit singulièrement l’histoire. Je pense par exemple à ce héros que fut le jeune communiste athée Guy Môquet, qui n’hésita pas à engager sa vie pour défendre la liberté de notre pays. Il doit se retourner dans sa tombe d’entendre Nicolas Sarkozy dire que, quand on ne croit pas en Dieu, on n’a pas d’espérance, parce qu’on ne s’adosse pas à une perspective de l’infini. Alors que Guy Môquet avait des valeurs, était capable de dépasser l’immédiateté de sa condition de jeune homme pour penser le devenir de l’humanité. Ce qu’il dit aujourd’hui est insultant pour Guy Môquet comme pour toutes les personnes qui agissent dans notre monde pour plus d’humanité et de justice, mais qui ne croient pas en Dieu. D’un seul coup, ils se retrouvent relégués à la condition d’hommes n’ayant pas compris ce qui est bon, ce qui est important pour la spiritualité. C’est très choquant, politiquement et moralement.

Un passage du discours de Latran fait écho à celui de Constantine, dans lequel Nicolas Sarkozy ne voit les civilisationsqu’à travers le filtre de leurs religions dominantes : le Maghreb c’est l’islam, l’Europe c’est la chrétienté. À Latran, il reprend à son compte la possibilité d’un « choc des civilisations ». Y voyez-vous une dérive ?

Henri Pena-Ruiz. On est en pleine confusion idéologique. Ce qui est dramatique, c’est qu’il reprend à son compte la thèse de Samuel P. Huntington, auteur de The Clash of Civilizations (le Choc des civilisations - NDLR), de façon communautariste, en réduisant les civilisations à leurs religions dominantes. Mais la civilisation française, ce n’est pas seulement les racines chrétiennes. Qu’est-ce qui a permis de déboucher sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le 26 août 1789 ?

La philosophie des Lumières.

Or elle véhicule la thèse du droit naturel, qui vient du droit romain, distinguant res privata et res publica. Ce droit vient de la philosophie stoïcienne préchrétienne. Les idéaux de la modernité, comme la démocratie, inventée en Grèce au VIe siècle avant Jésus-Christ, ne viennent pas du christianisme. Mais il est une composante de notre identité française ?

Henri Pena-Ruiz. Évidemment que le christianisme a joué un rôle dans le développement de l’Occident ! Pas seulement positif d’ailleurs. C’est en Occident qu’on a inventé le thème du peuple déicide créant l’antisémitisme, la notion d’hérésie et les bûchers de l’Inquisition, l’index des livres interdits… Giordano Bruno brûlé vif en place de Rome en 1600, Galilée obligé de se rétracter sur le mouvement de la Terre en 1632 sous peine d’être condamné à mort, les 3 500 protestants massacrés à Paris lors de la nuit de la Saint-Barthélémy, les assassinats légaux du chevalier de La Barre, de Callas…

Se placer uniquement du point de vue des catholiques est donc une erreur.

Henri Pena-Ruiz. Tout ce qui est partiel est partial. C’est une lecture à sens unique de l’histoire de parler de « souffrance des catholiques » et de passer sous silence les violences innombrables de 1 500 ans, non pas de catholicisme, mais de pouvoir temporel de l’Église. On ne compte pas le nombre de victimes du cléricalisme politique.Les vraies violences sont là.

En 1864 encore, dans le Syllabus, le pape Grégoire XVI lance l’anathème contre la liberté de conscience et les droits de l’homme…

 Peut-on parler de « souffrance des catholiques » à propos de la loi du 9 décembre 1905 instaurant la séparation de l’Église et de l’État ?

f34690785cdf128db96d2600dfe80d8c.gifHenri Pena-Ruiz. C’est invraisemblable ! D’abord cette loi a été faite par des gens qui n’étaient pas forcément athées : Jean Jaurès, Aristide Briant ou Ferdinand Buisson ont certes évolué vers la libre-pensée, mais même chez Jaurès il y a des accents quasiment déistes dans certains textes. La seule « violence » a été la neutralisation des édifices publics, c’est-à-dire qu’on a enlevé les crucifix des palais de justice, des mairies… C’est une façon pour la République de dire que la croyance n’engage que les croyants et que ses symboles doivent être communs à tous les hommes.

Les historiens, de quelque bord que ce soit, sont d’accord pour reconnaître que cette loi a été équitable et généreuse. On a même laissé à la disposition des croyants leurs lieux de culte alors qu’ils étaient propriété de l’État ! On n’attendait aucun loyer pour la jouissance de ces lieux, alors que les municipalités sont chargées de les entretenir lorsqu’ils existaient avant 1905. En principe, si l’Église veut construire un nouveau lieu, c’est à elle de le financer.

Ce discours, et les écrits précédents de Nicolas Sarkozy, montre-t-il que la loi de 1905 pourrait, sinon être réécrite, du moins être aménagée ? Est-ce la fin de la laïcité à la française ?

Henri Pena-Ruiz. Le risque est présent, malgré la réaffirmation par Nicolas Sarkozy de son souci de ne pas y toucher. On ne peut pas être complètement rassuré par cette affirmation, dans la mesure où l’ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes, Nicolas Sarkozy, avait mis sur pied et approuvé les conclusions de la commission Machelon, qui propose une révision de la loi, pudiquement baptisée « toilettage ». Si on réécrit l’article 2, ce n’est pas un toilettage, c’est une destruction : l’État ne doit pas subventionner la construction de lieux de culte. Or Nicolas Sarkozy, qui ne cesse de dire qu’il veut redonner plus d’importance publique à la religion, a des projets qui reviennent constamment, comme le financement de la construction de mosquées, au motif que les musulmans n’ont pas assez de lieux de culte. Mais si on le fait pour une religion, il faudra le faire pour toutes les autres, au nom du principe d’égalité républicaine. La vraie solution est sociale.

Toutes les personnes issues de l’immigration maghrébine ou turque, celles qui comptent le plus de musulmans, doivent jouir de la plénitude de leurs droits sociaux. Si les biens publics (santé, culture, logement…) leur sont accessibles, sans discrimination, les croyants, faisant des économies sur ces budgets, que l’État assumerait, pourraient d’autant plus librement se cotiser pour financer leurs lieux de culte.

Selon une enquête conjointe du CEVIPOF et de Sciences Po, seulement 17 % des personnes se reconnaissant dans l’islam pratiquent dans des lieux de culte. Faut-il financer uniquement cette minorité ?

Entretien réalisé par Grégory Marin, pour l'Humanité

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21/11/2007

Carte judiciaire, « une terrible occasion manquée »

Justice . Le président de l’Union syndicale des magistrats, Bruno Thouzellier, déplore l’absence de cohérence et de concertation qui a présidé à l’élaboration de la réforme Dati.

b9d631418b878aebb5e8ac4e11d6608b.jpgAprès un mois de présentation houleuse, région par région, Rachida Dati a achevé vendredi son « tour de France » de la réforme de la carte judiciaire. Au final, le projet de la garde des Sceaux prévoit la suppression d’environ 200 juridictions (23 tribunaux de grande instance et 180 tribunaux d’instance) d’ici à 2010. Et continue de susciter un vent de colère sans précédent chez les élus locaux et les personnels de justice. Président de l’USM, Bruno Thouzellier se dit « consterné » par la méthode au forceps de la ministre.

Quel est votre sentiment alors que Rachida Dati vient de terminer la présentation de sa réforme ?

Bruno Thouzellier. Les magistrats vivent cela douloureusement.

Apparemment, l’objectif de Rachida Dati était de passer en force, très vite, afin de montrer à l’opinion publique qu’elle était capable de faire quelque chose. Mais c’est nous qui travaillons tous les jours dans les juridictions et c’est nous qui, à l’avenir, serons tenus responsables des conséquences de cette réforme déplorable ! Le chantier de la carte judiciaire méritait beaucoup mieux que cette précipitation, cet aveuglement et cette volonté d’avancer à tout prix. C’est une terrible occasion manquée…

Quelles vont en être les conséquences ?

Bruno Thouzellier. Difficile de le dire. La disparition de 180 tribunaux d’instance et de 23 TGI va profondément perturber le fonctionnement de tous les autres tribunaux. Il faudra des redéploiements de personnels, de mobiliers, des redistributions de compétences… Annoncer toutes ces suppressions, c’était facile. Les mettre en oeuvre le sera beaucoup moins. Et ce, d’autant plus qu’aucun budget spécifique ne semble avoir été prévu dans les crédits de la justice, votés jeudi dernier par l’Assemblée. Cette réforme va pourtant coûter beaucoup d’argent. Ensuite, elle aura des conséquences importantes pour le justiciable, notamment avec la disparition des tribunaux d’instance qui règlent tous les petits contentieux de la vie quotidienne. Mais les effets seront encore plus lourds pour les magistrats qui, dans certains cas de tutelle, par exemple, vont devoir faire des dizaines et des dizaines de kilomètres pour aller rencontrer les usagers. Je ne parle pas, enfin, des conséquences symboliques, pour les élus et la population, qui voient disparaître un tribunal de grande instance, bien souvent installé dans leur ville depuis plus d’un siècle.

Le ministère a-t-il cherché à recueillir votre avis ?

0837664954ed984159694752a0f2e6de.jpgBruno Thouzellier. Absolument pas. Jamais la Chancellerie n’a souhaité nous recevoir pour nous expliquer le plan de réforme et entendre notre position sur cette question. La concertation a été nulle. Aussi bien avec nous qu’avec les élus, les avocats ou les fonctionnaires. Franchement, je ne crois pas qu’il y ait un autre pays en Europe où l’on oserait réformer avec aussi peu de professionnalisme, de précision et de concertation. Et ce n’est pas rendre service aux Français et à la justice que de procéder comme cela. Même les esprits les plus modérés s’échauffent devant ce blocage du gouvernement.

Une réforme de la carte judiciaire était-elle nécessaire ?

Bruno Thouzellier. Oui, bien sûr. Mais une chose est de vouloir rationaliser la carte en faisant disparaître certains tribunaux d’instance en sous-activité ; une autre est de faire de la suppression des tribunaux le postulat central de la réforme ! Depuis 1958, la population française a augmenté de 20 millions d’habitants. Et à certains endroits, c’est de création de tribunaux dont on a besoin. Au-delà, cette réforme aurait pu être l’occasion de redistribuer les compétences des TGI, de se pencher sérieusement sur leur répartition et de redécouper les ressorts des cours d’appel. Un exemple : celle d’Aix-en-Provence couvre une zone gigantesque qui va jusqu’à Nice. Tout le monde admet aujourd’hui qu’elle est totalement trombosée.

N’aurait-il pas été plus intelligent de réfléchir à la scinder en deux ? Par ailleurs, pour les cours d’appel qui n’ont pas beaucoup de travail, n’aurait-il pas été plus constructif de leur rattacher quelques TGI supplémentaires, de façon à alléger les cours voisines ? Tout ce travail de réflexion aurait dû être fait. Mais il nécessitait plus que trois mois de marche forcée.

Comment allez-vous lutter contre cette réforme ?

Bruno Thouzellier. Je pense qu’il va y avoir, non pas un deuxième tour social, mais un deuxième tour « technique ». Lorsque les aberrations de cette réforme vont être confrontées à la réalité du terrain, on sera bien obligé d’amender les choses. Et à ce moment-là, nous, les magistrats, nous aurons notre mot à dire.

Entretien réalisé par Laurent Mouloud, l'Humanité

11:05 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice, catre judiciaire, USM, Thouzellier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

29/09/2007

Claude Hagège « La langue française est menacée »

fc59c700a2d6df38e5d0554ae8f2ff84.gifAssemblée . Examen du protocole de Londres, visant à supprimer l’obligation de traduire les brevets en français. Entretien avec le linguiste Claude Hagège, opposé à sa ratification.

En quoi le protocole de Londres menace-t-il la langue française ?

Claude Hagège. Jusqu’ici, tout brevet déposé par un étranger en France, pour être opposé à une contrefaçon ou à une imitation, devait être traduit en français. Les partisans du protocole prétendent que le français, placé à côté de l’allemand et de l’anglais, serait toujours défendu par le protocole. Or, étant donné le rapport des forces, la ratification du protocole signifierait que l’anglais se répandrait encore plus. En effet, l’obligation de traduction en français disparaîtrait. Aujourd’hui, il n’y a que 7 % de brevets déposés en français. Cette proportion passerait à 0 %…

Pourquoi est-ce un risque que « l’anglais se répande encore plus » ?

Claude Hagège. Le français serait éliminé de la langue scientifique de demain. En effet, un brevet est un texte constitué de deux parties, la description et la revendication. Le fait que ces deux parties du texte soient traduites en français permettait, avec la puissance de diffusion d’Internet, que le français soit une langue dans laquelle la science de demain s’exprime. Désormais, le français ne serait plus le vecteur de terminologies savantes et innovantes, qui s’expriment dans les brevets.

C’est un enjeu culturel ?

Claude Hagège. C’est un enjeu linguistique et culturel. Le président de la République s’est rendu récemment à Budapest où il a dit aux Hongrois l’importance de leur langue comme identité. La principale affirmation d’identité des pays d’Europe centrale, au XIXe siècle, était leur langue. Pourquoi cette parenthèse sur le président ? Parce que, si le protocole de Londres est adopté, l’identité même de la France, c’est-à-dire sa langue, est gravement menacée.

Pour le secrétaire d’État à la Francophonie Jean-Marie Bockel, le problème est ailleurs : la France ne produit pas assez de brevets. Que lui répondez-vous ?

Claude Hagège. D’après lui, la raison principale de ce nombre insuffisant de dépôts de brevet serait le coût de la traduction des brevets. C’est aussi l’argument du MEDEF. Or, pour les grandes entreprises qui dominent le MEDEF, cela ne coûte rien puisqu’elles se servent déjà de l’anglais. La raison du manque de dépôts de brevet, c’est l’insuffisance d’esprit d’invention et d’esprit commercial. Les PME n’ont pas cette culture. On devrait développer chez les enfants le goût de la découverte et, ensuite, une compétence pour la faire valoir.

Que faire pour conserver le rayonnement de la francophonie dans un contexte où l’anglais domine le milieu de la recherche et de l’innovation ?

Claude Hagège. Il faut commencer par cesser de mépriser les cinquante pays et régions qui appartiennent à l’Association internationale de la francophonie. Les mépriser, c’est ignorer que la France, sans la francophonie, est bien petite en Europe. Avec eux, la France est une puissance culturelle et économique considérable. On a été conscient de cela pendant longtemps, mais depuis les années 1990, en fait depuis la diffusion galopante de la pensée néolibérale, on ignore cette dimension. Or, en France la langue a toujours été une affaire politique. Voyez les mesures prises pendant la Révolution, par le comité de salut public, par la commune insurrectionnelle de Paris et par Robespierre… Désormais, la France est en train de devenir un pays dans lequel on est prêt à vendre sa langue. On n’y croit plus. Une grande partie de la droite et une non moins grande partie de la gauche ont des positions nouvelles qui ne s’inscrivent pas dans la tradition française. Résultat : on finit par ne plus avoir conscience de ce que signifie le fait d’avoir une conception politique de la langue.

C’est-à-dire ?

Claude Hagège. La francophonie apparaît comme la seule alternative à l’impérialisme de l’anglais, derrière lequel se profilent les États-Unis. Dans bien des cas, mondialisation signifie américanisation. À l’heure actuelle, l’Europe doit se concevoir de l’Atlantique à Vladivostok. Aujourd’hui, la Russie, c’est nous, c’est l’Europe, bien plus que les États-Unis. Ces zones qui composeraient cette Europe forte sont autant de contrepoids à la présence unique des États-Unis et à ce que l’anglais symbolise. À travers une grande Europe, la francophonie a tout à gagner à la diversité. Cette diversité est une réponse à l’unicité redoutable de l’anglais aujourd’hui.

Entretien réalisé par Vincent Defait

PS : Les parlementaires socialistes et UMP ont voté ce protocole.

10:33 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : français, protocole de Londres | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

28/09/2007

« La caricature d’un capitalisme pour enrichir quelques-uns »

Jean-Claude Sandrier, député PCF, est président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale.

François Fillon parle de « faillite » des finances publiques. Qu’en pensez-vous ?

3963a2a4a93a06c3bd70c13ce780cf9d.jpgJean-Claude Sandrier. Il y a une telle volonté d’en rajouter dans les cadeaux fiscaux aux plus riches et un tel acharnement à réduire les finances publiques chez les gouvernants qu’ils utilisent un argument qui condamne en fait leur politique, puisque si faillite il y a, c’est eux qui l’ont créée ! C’est le loup qui crie au loup. Pendant cinq ans, le gouvernement Raffarin-Sarkozy-Fillon, puis le gouvernement Villepin-Sarkozy n’ont cessé de réduire les recettes et de distribuer des cadeaux aux riches. Or, qu’observe-t-on ? La croissance était de 2,2 % il y a cinq ans, elle ne sera plus que de 1,8 % à la fin de 2007. Sarkozy-Fillon viennent d’en rajouter une louche de 14 milliards cet été, avec le paquet fiscal qui était un « pari sur la croissance » en comptant sur elle pour le financer. Mais les prévisions du gouvernement pour 2008 sont identiques à 2007. Cela montre qu’il ne croit pas à sa politique, comme il ne croit pas aux franchises médicales pour combler le déficit de la Sécu, désormais justifiées par la lutte contre la maladie d’Alzheimer… C’est une politique contradictoire et irresponsable, car dictée en fait par la volonté de sacrifier le progrès et la justice sociale pour favoriser la finance.

Que retenez-vous des orientations connues du budget 2008 ?

Jean-Claude Sandrier. Rien n’est prévu pour le pouvoir d’achat hormis le crédit d’impôt immobilier et la prime pour l’emploi qui se substitue au MEDEF en matière de rémunération du travail et encourage les bas salaires. Dans le chapitre du « soutien à l’innovation », on trouve l’extension du crédit d’« impôt recherche » sans aucun contrôle de la qualité de la recherche effectuée ni de créations d’emplois. Quant à « l’équité du système fiscal », cela consiste pour le gouvernement à instaurer un prélèvement libératoire sur les dividendes des actionnaires de 16 %. C’est un nouveau cadeau aux plus aisés, imposés aux plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu. Ce sera autant de manque à gagner à partir du budget 2009. Le gouvernement prévoit aussi de nouvelles exonérations d’ISF en « simplifiant » les dispositions votées l’an dernier pour les pactes d’actionnaires. Le gouvernement poursuit dans la même voie contre vents et marées. On est dans la caricature d’un capitalisme qui ne pense qu’à enrichir quelques-uns, au prix d’un recul social considérable avec la montée en flèche des inégalités et de la pauvreté.

A-t-on les moyens d’impulser une autre politique ?

Jean-Claude Sandrier. Nous vivons dans un monde où l’argent coule à flot, comme l’a dit Patrick Artus. La sphère financière pèse aujourd’hui trois fois plus que le PIB mondial. Cela produit une montée fulgurante de la finance depuis 1980 au détriment des capacités humaines. La Banque centrale européenne a injecté en trois jours l’équivalent du budget de la France pour soutenir des institutions bancaires privées ! Il est possible de prélever tout de suite 80 milliards d’euros supplémentaires pour satisfaire les besoins humains. En taxant les actifs financiers à 0,5 %, ce qui rapporterait 17 milliards. En faisant cotiser les revenus boursiers comme les salaires, ce qui ferait rentrer 13 milliards. En supprimant les 17 milliards d’exonérations de cotisations patronales. En annulant les 12 milliards au bénéfice exclusif des riches dans le paquet fiscal. En multipliant par deux l’ISF, ce qui rapporterait 4 milliards, et en réformant l’impôt sur le revenu dans le sens d’une plus grande progressivité, pour accroître son produit de 17 milliards.

Entretien réalisé par S. C.

17:20 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : budget 2008, Sandrier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!