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25/02/2007

LADY CHATTERLEY

medium_lady.jpgPascale Ferran : « La joie pourrait être le manifeste du film »

Cinéma . Pascale Ferran réalise un Lady Chatterley magnifique d’intelligence et de sensualité. Un film d’amour virtuose à voir absolument.

Chef-d’oeuvre : le mot ne vient pas plus facilement sous la plume que le sentiment afférent ne vous saisit à l’issue d’une projection. On remonte dans l’histoire du cinéma et la raison résonne. On interroge ses propres impressions et la timidité s’insinue. Chef-d’oeuvre, pourtant, nous avons envie de conserver le terme tant le film de Pascale Ferran fait litière des clichés attachés au célèbre roman de D.H. Lawrence, tant la cinéaste fait écho à l’écrivain à hauteur de création, revivifiant la force de l’amour, sa subversion intrinsèque et cet état de joie qui transforme l’être humain au plus profond. Rencontre admirative.

Qu’est-ce qui, dans l’oeuvre de Lawrence, vous a frappée au point de provoquer un désir de cinéma dont l’intensité est palpable à l’écran ?

Pascale Ferran. J’ai découvert D. H. Lawrence relativement tard. Je ne l’ai pas lu adolescente et personne ne me l’avait signalé comme un auteur important. Ce sont les textes de Deleuze sur la littérature anglaise qui m’ont donné envie de le découvrir. Je ne l’ai pas fait par le biais des chefs-d’oeuvre mais par la bande. Concernant Lady Chatterley, ce qui m’a frappée d’emblée, c’est la profondeur de l’écart entre ce que je percevais du livre et les clichés qu’il véhicule. Comme si on en avait retenu à la fois une histoire de transgression sociale qui illustre aujourd’hui encore toute liaison d’une bourgeoise avec un plombier ou un maçon, et une histoire de cul. Or le roman est sidérant, notamment la seconde version (Lawrence en a écrit trois) que j’ai choisi d’interpréter. Ce Lady Chatterley et l’homme des bois, centré sur la relation entre Constance, lady Chatterley, et Parkin, le garde-chasse, est avant tout une incroyable, magnifique histoire d’amour. Elle raconte le processus d’apprentissage, d’apprivoisement, qui va amener deux personnes à construire une relation très puissante. À partir d’un attachement physique, ils vont parvenir à créer un monde dans lequel les classes sociales, les codes sociaux, les rapports entre hommes et femmes ne sont plus les mêmes. C’est l’amour comme un processus de possibilité d’une vérité intime. Il y a là la charge politique d’une utopie concrète.

Votre film atteint souvent la grâce, singulièrement dans les différentes scènes d’amour physique entre les deux personnages principaux. Dans une époque ou l’on dit volontiers que l’on peut tout montrer, ce qui n’évite pas les ellipses les plus puritaines, comment avez-vous abordé cette représentation ?

medium_pferran.jpgPascale Ferran. Il s’agit là aussi d’un processus, de strates où vont se mêler instincts et points de vue pour trouver les bons gestes, la forme de chaque détail du film. Si l’on atteint la grâce, c’est en surplus, comme un accident miraculeux. Le travail avec les comédiens était un enjeu crucial. Les scènes d’amour racontent chaque fois quelque chose de très important dans la relation des personnages. Chaque fois, ils en sortent transformés. Dans le livre, c’est décrit très précisément, avec cette crudité qui a fait scandale. J’ai modifié certaines scènes, j’en ai conservé d’autres. Surtout, les comédiens et moi avons travaillé plusieurs mois avant le tournage. Je n’imaginais rien de pire que se retrouver sur un plateau pour une scène d’amour et leur intimer : « Maintenant, allez-y. » Nous avons abordé ces scènes comme on le ferait de dialogues difficiles. Ces dialogues devaient émerger de la pensée. C’est un trajet qu’accomplissent les personnages. Quel type de sensations, de mémoire des corps peuvent faire que lproduise un « objet » qui va rejaillir sur l’autre ? Nous nous sommes livrés à un travail de recherche passionnant, un peu comme au théâtre. Il a créé de la confiance entre nous. Marina Hands et Jean-Louis Coulloc’h ont appris à se toucher peu à peu, comme des danseurs. Chacun de nous mettait un temps particulier à prononcer certains mots, ce qui est aussi le cas pour Constance et Parkin. Débarrassés du phénomène d’inspiration, nous pouvions arriver sur le tournage de ces séquences en ayant moins peur, en étant capables de nous jeter dans le présent. Nous pouvions ainsi espérer que la grâce advienne, in fine. Ces scènes sont les plus saturées de significations, ce qui permettait aussi d’envisager qu’elles soient réussies même si la grâce ne devait pas arriver. Il me semble que raconter cette histoire arrive pile dans l’histoire du cinéma, à trois ou quatre ans près. Il ne s’agit pas de la question de la transgression, mais d’un partage d’expérimentation entre spectateurs et personnages. Pour ce qui est de la nudité, de la sexualité, j’avais envie que les spectateurs ne soient pas placés dans le voyeurisme. Je voulais qu’eux aussi aient envie de courir nus sous la pluie dans ce geste enfantin et libérateur, le plus loin possible de l’image d’Épinal qui occulte le propos du livre.

Avez-vous dialogué avec le fantôme de Lawrence ?

Pascale Ferran. Nous avons beaucoup parlé. Je n’aurai pas adapté sa troisième version de Lady Chatterley, dans laquelle il fait beaucoup plus intervenir la révolution industrielle. Il s’y montre plus théorique, thématise beaucoup, commente énormément par la voix de ses personnages. C’est très symphonique et j’ai préféré le quatuor, la musique de chambre. Lady Chatterley et l’homme des bois n’est pas un objet clos, ce qui m’a donné le droit de me le réapproprier. J’ai croisé peu d’oeuvres littéraires qui donnent un tel sentiment de liberté. Il y a sept ou huit ans, j’avais essayé d’écrire un scénario mettant en scène un homme et une femme dans un huis clos qui commençait également par une attraction physique. Je n’y suis pas arrivée. C’est très difficile d’écrire ce type de récit en voulant parler à d’autres tout en se fondant sur sa propre histoire. Là, j’ai pu me dévoiler aussi profondément que possible tout en me cachant derrière le fait que ce n’est pas un scénario original.

À propos d’orchestration, comment le travail cinématographique s’est-il accompli ?

Pascale Ferran. Dans le cadre de cette alchimie nécessaire à la mise en scène, j’ai mis beaucoup d’énergie à trouver les personnes les plus justes à chaque endroit, comme pour partager les responsabilités. Nous étions une petite équipe sans la hiérarchie très forte, parfois presque militaire, du cinéma. Cela peut aboutir à une colonisation des lieux de tournage. Nous avons dans chaque registre essayé l’inverse. Par exemple, nous nous sommes beaucoup appuyés sur les gens du coin. Tout cela a été décisif pour le film. J’avais souvent le sentiment d’une sorte de dissolution de la notion d’auteur. J’étais très ouverte aux propositions de collaborateurs dont il me semblait qu’ils savaient sur le film des choses que j’ignorais. Je crois que ce climat d’atelier confortait mon impression de faire un film vivant.

La nature est très présente dans le film et on sent que vous prenez plaisir à la filmer. Que représente-t-elle à vos yeux de cinéaste ?

Pascale Ferran. J’adhère à tout ce qui, dans la notion de nature, participe de la joie et de la liberté. S’il s’agit, comme pour Lawrence, d’y ancrer la question des origines, je m’en méfie. Moi qui suis très citadine, je jardine depuis une dizaine d’années et je suis devenue très férue de botanique. J’ai donc été ravie de filmer la nature en conservant du livre cette double transformation des saisons et de ce que vivent les personnages, ces interactions qui ouvrent des horizons. On dit que l’amour rend bête. Je crois que l’amour ou l’amitié rendent intelligent. L’autre, par un mot, un geste, ouvre une porte. C’est ce que le film a essayé de capter.

La joie, vous voulez bien nous en parler ?

Pascale Ferran. La joie, ce pourrait être le manifeste du film. « Nous sommes dans un monde essentiellement tragique, refusons de le prendre au tragique. » Ce qui était vrai au sortir de la Grande Guerre lorsque Lawrence écrivait, dans les années vingt, je le ressens très fortement aujourd’hui. Je ressens donc également comme une nécessité absolue la tentative de proposer un récit qui dise que la joie est encore possible entre deux personnes et qu’elle ne fait qu’un avec ce processus de vérité intime et d’abandon à l’autre.

Entretien réalisé par Dominique Widemann, pour l'Humanité

CINQ OSCAR POUR LADY CHATTERLEY

A l’image de la consécration de L'Esquive en 2005, c’est de nouveau un film d’auteur qu’ont souhaité récompenser cette année les professionnels du cinéma français, en offrant à l’œuvre de Pascale Ferran Lady Chatterley cinq prix dont les prestigieux César du meilleur film et de la meilleure actrice pour Marina Hands.

13:10 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : césat, Lady Chatterlay, Pascal Ferran | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

09/02/2007

Marie George Buffet à l'écoute de l'Afrique

Nicolas Sarkozy s’était fait huer. Invitée par Aminata traoré, la candidate de la gauche populaire, chaleureusement accueillie au Mali, nous déclare : « La gauche a besoin d’un projet fort pour gagner. »

À l’issue d’une intense visite de vingt-quatre heures à Bamako, à l’invitation d’Aminata Traoré, Marie-George Buffet nous a accordé un entretien.

medium_MGBBamako.jpgLa journée a été très dense. À chaud, quelles sont vos premières impressions sur cette visite au Mali ?

Marie-George Buffet. Je n’ai pas rencontré une Afrique qui se plaint, mais une Afrique qui agit, qui construit et qui réclame une tout autre politique de coopération de la part de la France et de l’Union européenne. Les forces sociales africaines attendent une politique qui soit fondée sur la réponse à leurs projets, aux besoins exprimés par les Africains eux-mêmes, et non une politique qui leur imposent. La seconde leçon que je tire de ces rencontres, c’est qu’il ne peut y avoir de refonte conséquente de la politique de coopération sans détermination à refuser la fuite en avant libérale. Le Mali ne répondra pas à ses besoins alimentaires, ne diversifiera pas ses productions agricoles, ne sortira pas du tout-coton imposé par les puissances néocoloniales, sans que soient combattus les objectifs actuels de l’Organisation mondiale du commerce. Au-delà, on peut augmenter les fonds dédiés à la coopération et il faut le faire, on peut imposer leur transparence et c’est indispensable, mais la politique de coopération ne sera efficace pour les peuples concernés qu’à la condition de combattre les offensives libérales de la Banque mondiale, de l’OMC, de l’Union européenne, des gouvernements engagés dans ces choix.

S’est aussi exprimée une très grande colère à l’égard des propos de Nicolas Sarkozy...

Marie-George Buffet. Oui, je l’ai déjà rencontré dans d’autres pays, en Algérie notamment. La politique répressive contre l’immigration menée par le gouvernement soulève beaucoup d’émoi. On mesure à quel point elle est inhumaine quand on entend cette femme parler de son neveu qui est parti depuis des mois pour essayer d’aller dans un pays plus accueillant, et qui n’a plus aucune nouvelle, quand on entend ces femmes parler des milliers de jeunes Maliens morts en quelques années, noyés dans les mers, quand on écoute ces femmes qui ont essayé de faire ce voyage raconter les souffrances et les violences terribles subies. Et que disent tous ces témoignages ? Tant que la situation du pays ne s’améliorera pas, existera ce désir de partir pour vivre mieux. Oui, il y a de la colère contre la politique menée par la France en matière d’immigration et contre les politiques de coopération menées depuis des décennies.

Car tous l’ont dit : la priorité, c’est le développement...

Marie-George Buffet. Absolument. Les jeunes que nous avons rencontrés sont clairs : « Si on pouvait vivre ici, on vivrait ici, si on pouvait participer au développement de ce pays, on participerait au développement de ce pays. » Au lieu de parler de l’immigration comme un problème, parlons du développement de l’Afrique, et nous verrons que le débat sur les migrations retrouvera sa place, comme l’expression d’un besoin croissant d’échanges et de mobilités des populations. J’ai été frappée par cette dame qui disait : « Vous vous rendez compte, si on disait subitement à tous les Occidentaux : ’’Vous quittez l’Afrique.’’ Ce serait inimaginable, complètement inconséquent, et c’est pourtant exactement ce qu’on nous dit : ’’Partez de tous les pays où vous êtes venus’’. »

Au cours de cette journée, on avait parfois l’impression d’être en pleine campagne présidentielle ?

Marie-George Buffet. C’est impressionnant de voir à quel point ce qui va se passer en France compte ici. Tout le monde nous interroge, notamment sur la gauche. Pourquoi n’a-t-elle pas porté une autre politique de coopération avec l’Afrique ? Les Maliens savent qu’ils jouent aussi en partie leur avenir dans les choix politiques du gouvernement français. Il était donc impossible ici d’oublier les enjeux politiques débattus en France. Vous savez, quand j’entends les femmes maliennes me raconter l’échec de l’implantation d’une filature de coton pour cause de concurrence effrénée, me parler des tissus réimportés alors que 98 % du coton malien est exporté, j’ai l’impression d’entendre parler les ouvrières du textile dans notre pays. Nous sommes tous confrontés à la même mondialisation capitaliste, aux mêmes logiques libérales. Et j’entends partout la même question : peut-on encore mener une autre politique en France, au Mali, en Europe, en Afrique ? Je crois que les énergies existent pour cela, on le voit ici, au Mali, on le voit aussi chez nous en France. Mais il y a aussi des doutes, c’est évident. Je crois que ce qui manque le plus, c’est de mettre en débat un projet fort, et de construire la dynamique de rassemblement qui va le porter. Sans cela, les énergies sont coincées entre une droite de plus en plus arrogante et une gauche qui renonce et qui déçoit.

Vous pensez que l’élection présidentielle va se jouer là-dessus : la capacité ou non de la gauche de porter dans le débat un projet fort de changement ?

Marie-George Buffet. Oui, parce qu’après cinq ans d’une droite telle que nous l’avons eue, avec le terrible bilan qui est le sien, comment expliquer que les sondages donnent encore une gauche aussi largement minoritaire ? Je veux bien qu’on m’explique qu’il y a trop de candidats à gauche, mais quand on les ajoute tous les uns après les autres, cela donne 40 %. Alors qu’est-ce qui manque ? Je crois que c’est la dynamique autour d’un projet fort, qui engage la gauche sur un programme courageux et audacieux en termes de moyens pour le changement. Ce projet, j’ai le sentiment qu’il existe à travers tout ce que notre peuple a porté dans la bataille du « non », à travers toutes les batailles pour une autre mondialisation, à travers tout le travail réalisé par une force politique comme la mienne, le Parti communiste, à travers toute l’élaboration dans les collectifs antilibéraux avec l’apport d’autres sensibilités. Je le porte partout dans les rencontres, les débats. Cela va au-devant de très grandes attentes sur les propositions, sur les moyens pour les mettre en oeuvre. Oui, il existe dans ce pays une gauche de combat et de responsabilités.

Mais comment la rassembler en quelques semaines ?

Marie-George Buffet. En étant le porte-voix de toutes celles et de tous ceux qui ont l’impression d’être aujourd’hui ignorés par la politique française. Et en mettant en débat ce projet avec eux. Les gens se moquent des fichiers des RG ou du scooter du fils de tel ou tel candidat. Nous avons publié notre programme dans une petite brochure. Je vois que les gens la feuillettent, la lisent, la corrigent si nécessaire... Je veux que ce programme devienne le bien commun de tout le monde, la base d’une dynamique et d’un rassemblement victorieux.

Est-il encore possible de faire bouger le paysage électoral dans les deux mois qui restent ?

Marie-George Buffet. Oui, parce que cela répond vraiment à un besoin. Si ce rassemblement ne prend pas de la force, le penchant vers le moindre mal prendra le dessus. D’où l’enjeu de se rassembler maintenant, de se mobiliser sans attendre. Je vais plus loin : cette candidature, ce projet que je porte, c’est peut-être aujourd’hui la chance de gagner pour la gauche. Car on voit bien que la question ce n’est pas seulement est-ce que la gauche va réussir, mais est-ce qu’elle va gagner ?

Les journalistes me demandent parfois comment faire avec plusieurs candidatures antilibérales. Mais ce n’est plus cela le problème. Je refuse de m’enfermer dans le scénario d’une concurrence entre « petits candidats », pendant que l’on se résignerait à voir la gauche avec une candidature en quelque sorte « officielle » aller tout droit dans le mur. Je ne suis pas en train de me comparer, de me jauger par rapport à tel ou tel candidat, je m’adresse à l’ensemble des femmes et des hommes de gauche. Je leur dis, pour faire gagner la gauche, pour qu’elle change votre vie, c’est avec vous que je veux avoir ce dialogue, que je veux construire ce rassemblement. Ne nous laissons pas imposer un scénario qui mène à l’échec. Toute la gauche est concernée.

Entretien réalisé par Pierre Laurent, pour l'Humanité

10:25 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : MG BUFFET, PRESIDENTIELLE, AFRIQUE | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

06/02/2007

LES PARTIS POLITIQUES SONT-ILS DISQUALIFIES ?

medium_pcfimage.jpgLes partis politiques sont-ils disqualifiés ?

Raymond Huard est historien, auteur de l’Élection du président au suffrage universel dans le monde (1) et de la Naissance du parti politique en France (2). Entretien.

Rappel des faits

En présentant jeudi dernier sa candidature, José Bové déclarait : « Je ne suis pas le candidat d’un parti. Je ne suis pas un professionnel de la politique. » « C’est pourquoi je ne suis pas hors-sol », précisait-il dans un entretien le lendemain. José Bové tire de sa non-appartenance à un parti la légitimité de sa candidature et un atout pour rassembler. La plupart des candidats sont issus de partis et ont été désignés par eux et tous les candidats à l’élection présidentielle, loin de là, ne cherchent pas à s’en démarquer. Nicolas Sarkozy prétend cependant : « Je ne suis pas le candidat d’un système. » Une posture de campagne que son porte-parole Xavier Bertrand confirme : « Nicolas Sarkozy est un candidat hors système. »

 

Plusieurs candidats à l’élection présidentielle se présentent comme « hors parti » ou « hors système » et en font un argument électoral. Est-ce que cela signifie que les partis politiques seraient disqualifiés pour gouverner le pays ?

Raymond Huard. Regardons exactement quelle est la situation. La plupart des candidats à l’élection présidentielle ont commencé par recueillir les suffrages de leur parti. C’est vrai pour Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou, Dominique Voynet, Olivier Besancenot et Marie-George Buffet. Et même certains ont mené une véritable campagne pour obtenir ce soutien. Remarquons que ce phénomène s’est accentué depuis les débuts de l’élection présidentielle au suffrage universel. C’est donc une tendance forte. Et ceux qui se présentent comme fédérateurs hors parti, comme José Bové, fédèrent aussi des minorités de partis (minorité des Verts, de la LCR, du PCF...). Apparemment il ne néglige pas l’apport de ces minorités de partis.

Alors, ce fait reconnu qui est fondamental, il y a des candidats qui cherchent à élargir leur base au-delà des partis. Quand Sarkozy se dit « hors système », il flatte l’électorat de droite qui n’est en général pas très favorable aux partis. C’est dans ce cas un double langage. Mais il peut y avoir d’autres raisons : par exemple affirmer une certaine marge de liberté par rapport à son parti, ce qui peut s’admettre dans une élection au caractère très personnalisé. La démarche de Marie-George Buffet est encore différente : elle ne cache pas son appartenance au PCF, mais elle peut se réclamer aussi d’une légitimité conquise à la base dans les collectifs unitaires.

Mais cette posture recherchée par certains ne s’appuie-t-elle pas sur une crise des partis ?

Raymond Huard. L’élection présidentielle est une élection politique et il n’y a rien d’anormal à ce que les partis y jouent un rôle prépondérant. Qu’ils désignent les candidats. C’est dans ces partis qu’ils se sont fait connaître, qu’ils ont été testés et éprouvés. C’est une garantie de sérieux qui peut prémunir des emballements passagers de l’opinion sur une personnalité médiatique ou charismatique. Cette réalité n’est pas seulement française : dans la plupart des pays où existe une élection présidentielle au suffrage universel, Mexique, Chili, Brésil, Russie, dans bien des pays d’Afrique, où les partis sont très nombreux, se sont les partis qui présentent les candidats. Si on a une vision large, il n’y a jamais eu autant de partis dans le monde, et on ne voit pas tellement cette « crise des partis » dont on parle.

En France, l’élection présidentielle ne vient-elle pas modifier la vie des partis. Ne se transforment-ils pas en « partis de supporters » ?

Raymond Huard. Ça peut être vrai. Et cette sorte de captation par un candidat de son parti, n’existe que si le parti en question l’accepte et s’il y trouve son compte. Il n’empêche que le rôle des partis doit inévitablement continuer. Même si les partis n’ont pas le monopole de la représentation populaire, puisqu’il existe de nombreuses associations plus spécialisées dans des domaines divers (santé, logement, écologie...), les partis ont plusieurs spécificités qui rendent leur rôle indispensable. La première, c’est qu’ils doivent être à même d’apporter des réponses cohérentes à l’ensemble des problèmes qui se posent à un moment donné à une nation.

Deuxièmement, ces formations travaillent à tous les niveaux de responsabilité, local, communal, départemental, régional, national, européen, mondial. Et ils assurent leurs tâches de façon continue dans le temps, avec un suivi politique, et non l’espace d’une élection. La Constitution reconnaît ce rôle aux partis (article 4, « ils concourent à l’expression du suffrage... »). Pour l’élection présidentielle, l’obligation des 500 parrainages rend plus facile à un parti implanté dans tout le pays de se présenter.

Cette implantation est d’ailleurs le résultat d’efforts de longue durée, méritoires. Une campagne demande de l’argent, de la militance, que les partis sont mieux à même de fournir. Il faut enfin se rappeler que le président, pour gouverner, devra s’appuyer sur une majorité parlementaire qui lui sera fournie par des partis.

On présente souvent les « politiques » comme coupés des réalités. Les gens ne se sentent plus représentés par les partis ou dans les partis.

Raymond Huard. Il y a sûrement beaucoup de chose à changer dans les partis pour que les gens s’y reconnaissent. Mais ce qui a fait du mal, ce sont surtout les politiques qui ont été menées et qui n’ont pas répondu aux attentes. Ça demanderait un autre développement. Les partis ne sont pas parfaits, faut-il pour autant les remplacer et par quoi ? Des lobbies, des groupes de pression, des comités plus ou moins occultes ? Ou bien des mouvements aux structures plus lâches ? Mais est-ce que le fonctionnement de tels mouvements donne plus de garantie démocratique ou d’efficacité que celui des partis, avec leurs règles, leurs congrès... Personnellement, je ne pense pas qu’on puisse faire l’économie des partis. Ensuite leur forme, leur fonctionnement est l’affaire de chacune des organisations.

Est-ce que c’est toujours un terrain dangereux pour la démocratie de s’attaquer aux partis ?

Raymond Huard. S’il s’agit de critiquer les défauts des partis, de tel ou tel d’entre eux, c’est totalement légitime. Mais oui, il est dangereux de cultiver, comme on le fait si souvent, le dédain systématique vis-à-vis des partis et le dégoût de la politique. Les partis sont en France suffisamment nombreux pour que chacun puisse y trouver une sensibilité qui corresponde à la sienne. Quant aux « appareils » de ces partis, ils ont pour certains de l’importance, mais dans l’ensemble, ils ne sont pas tellement forts.

(1) 2003, aux éditions La Dispute, (2) 1996, aux Presses de Sciences-Po.

Propos recueillis par Olivier Mayer, l'Humanité

13:40 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : partis politiques, présidentielles, élections, PCF, PS, UMP | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

26/12/2006

A PROPOS DE LA VILLE NOUVELLE D'EVRY

medium_valls2.2.jpgPour la réussite de son projet urbain, le député et maire socialiste Manuel Valls fait le compte des faiblesses et des atouts d’une des premières villes nouvelles.

Quel est l’état de l’héritage d’une ville nouvelle ?

Manuel Valls. Il ne faut pas renier le passé. Évry est sortie de l’opération d’intérêt national le 1er janvier 2001 pour céder la place à une communauté d’agglomération. Évry est une ville qui a été pensée dans tous ses détails par des urbanistes, des architectes jeunes, modernes, qui imaginaient une ville idéale avec une présence, une force de l’État qune retrouve plus aujourd’hui, mais sans consulter beaucoup les citoyens, les habitants, ni les villes qui les entourent. C’était le fruit d’une volonté qui parfois manque en matière d’aménagement, et les villes nouvelles sont le dernier geste, fort, puissant, d’un État centralisateur, jacobin.

Depuis, la décentralisation est passée par là, les architectes et les urbanistes ont essentiellement réfléchi sur la question de la rénovation urbaine. Le bilan est contrasté car, comme beaucoup de villes de banlieue, avec des quartiers populaires, nous faisons face à l’insécurité, la violence, la paupérisation, la crise du logement, le départ des classes moyennes.

De ce point de vue là, il y a un échec. Ces villes se sont appauvries pour différentes raisons qui n’étaient pas dans les gènes du projet initial. Le choc pétrolier des années 1970, le type de financement du logement social, l’accession sociale à la propriété, les politiques migratoires..., ont conduit à une paupérisation d’un certain nombre de quartiers. Ici, dans un temps encore plus ramassé, avec une violence plus intense qu’ailleurs - je parle aussi de violence sociale -, la ségrégation territoriale, sociale et ethnique qui mine notre pacte républicain s’est faite en quelques années.

Le retournement de conjoncture a été très violent au début des années quatre-vingt-dix ; un quartier comme les Pyramides, qui accueillait des hauts fonctionnaires, des énarques, des architectes, des classes moyennes d’une manière générale, ce quartier idéal qui avait fait l’objet d’un des plus grands concours qui ait jamais eu lieu dans ce pays, même s’il reste encore de la mixité sociale avec des copropriétés et quelques pionniers, ce quartier s’est appauvri en quelques années. Alors que c’est un quartier de centre-ville. En même temps, ce qui constituait la richesse initiale de ces villes, la mixité, est resté une réalité. La ville a des équipements éducatifs, culturels, sociaux, des services publics nombreux et de qualité.

 Elle possède de nombreux espaces verts, des bâtiments de qualité. Il y a toujours les sièges des grandes entreprises installés il y a trente ans, le pôle universitaire, le Généthon... Les atouts principaux d’Évry, ce sont la jeunesse (un âge moyen de 26 ans) et la diversité de sa population. Le but du projet de ville est de faire vivre tout le monde ensemble. L’esprit pionnier, inventif, est toujours présent. C’est pour cette raison que les atouts l’emportent. Au moment où les grandes villes rejettent leurs catégories populaires, Évry peut retrouver un projet.

Vous insistez beaucoup sur la question de l’insécurité. La résolution de ce problème est-elle un préalable au projet de ville que vous présentez aux habitants ?

Manuel Valls. Évry a été victime de son image de « ville idéale ». Quand il y a eu le retournement, au début des années quatre-vingt-dix, quand les violences urbaines ont été à la une de l’actualité, elle est devenue progressivement synonyme de violence et d’insécurité. Aujourd’hui, la question de la violence colle à l’image, à l’identité même de la ville. La lutte contre la délinquance, l’insécurité sont forcément des priorités. Mais la question du pacte républicain est liée à la problématique des comportements. Cvrai que c’est une ville très jeune, qui vit en permanence son rapport à l’école, à l’éducation. Nous essayons de bâtir ici une petite république des bonnes manières, d’apprendre à vivre ensemble.

Le projet est bâti autour de la construction de plusieurs milliers de logements neufs pour attirer les classes moyennes. Est-ce que vous souhaitez changer la population ?

Manuel Valls. Quand j’ai été élu maire, en mars 2001, j’étais le quatrième maire en deux ans. Évry vivait une crise économique, sociale et politique. Il a fallu redonner confiance. Le statut de ville nouvelle créait de l’irresponsabilité. Les gens avaient le sentiment d’être abandonnés. Il fallait d’abord redonner confiance aux Évryens et ensuite leur proposer une rénovation urbaine, construire un vrai centre-ville : 1 200 logements, qui vont s’inscrire dans la construction de 3 000 à 4 000 logements notamment sur le centre urbain. Il ne s’agit pas de changer la population.

Nous sommes une ville populaire, de couches moyennes, mais je ne veux pas qu’Évry devienne une ville pauvre. Nous avons 43 % de logements sociaux, 27 % d’accession sociale à la propriété, et 6 % des Évryens vivent en foyer. Je suis très fier d’être maire d’une ville populaire. En même temps, il faut un équilibre, qu’on puisse offrir un parcours résidentiel diversifié dans la ville. Ces couches moyennes étaient présentes au début, nous voulons les retrouver. Je ne veux pas nier l’histoire de la ville nouvelle, je veux d’une certaine manière renouer avec le projet initial. Nous voulons en même temps conforter l’aspect populaire, aider les populations en difficulté et stopper la paupérisation, et redonner une vitalité à travers l’arrivée de nouvelles couches sociales.

Propos recueillis par J. M. pour l'Humanité

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