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21/11/2007

Carte judiciaire, « une terrible occasion manquée »

Justice . Le président de l’Union syndicale des magistrats, Bruno Thouzellier, déplore l’absence de cohérence et de concertation qui a présidé à l’élaboration de la réforme Dati.

b9d631418b878aebb5e8ac4e11d6608b.jpgAprès un mois de présentation houleuse, région par région, Rachida Dati a achevé vendredi son « tour de France » de la réforme de la carte judiciaire. Au final, le projet de la garde des Sceaux prévoit la suppression d’environ 200 juridictions (23 tribunaux de grande instance et 180 tribunaux d’instance) d’ici à 2010. Et continue de susciter un vent de colère sans précédent chez les élus locaux et les personnels de justice. Président de l’USM, Bruno Thouzellier se dit « consterné » par la méthode au forceps de la ministre.

Quel est votre sentiment alors que Rachida Dati vient de terminer la présentation de sa réforme ?

Bruno Thouzellier. Les magistrats vivent cela douloureusement.

Apparemment, l’objectif de Rachida Dati était de passer en force, très vite, afin de montrer à l’opinion publique qu’elle était capable de faire quelque chose. Mais c’est nous qui travaillons tous les jours dans les juridictions et c’est nous qui, à l’avenir, serons tenus responsables des conséquences de cette réforme déplorable ! Le chantier de la carte judiciaire méritait beaucoup mieux que cette précipitation, cet aveuglement et cette volonté d’avancer à tout prix. C’est une terrible occasion manquée…

Quelles vont en être les conséquences ?

Bruno Thouzellier. Difficile de le dire. La disparition de 180 tribunaux d’instance et de 23 TGI va profondément perturber le fonctionnement de tous les autres tribunaux. Il faudra des redéploiements de personnels, de mobiliers, des redistributions de compétences… Annoncer toutes ces suppressions, c’était facile. Les mettre en oeuvre le sera beaucoup moins. Et ce, d’autant plus qu’aucun budget spécifique ne semble avoir été prévu dans les crédits de la justice, votés jeudi dernier par l’Assemblée. Cette réforme va pourtant coûter beaucoup d’argent. Ensuite, elle aura des conséquences importantes pour le justiciable, notamment avec la disparition des tribunaux d’instance qui règlent tous les petits contentieux de la vie quotidienne. Mais les effets seront encore plus lourds pour les magistrats qui, dans certains cas de tutelle, par exemple, vont devoir faire des dizaines et des dizaines de kilomètres pour aller rencontrer les usagers. Je ne parle pas, enfin, des conséquences symboliques, pour les élus et la population, qui voient disparaître un tribunal de grande instance, bien souvent installé dans leur ville depuis plus d’un siècle.

Le ministère a-t-il cherché à recueillir votre avis ?

0837664954ed984159694752a0f2e6de.jpgBruno Thouzellier. Absolument pas. Jamais la Chancellerie n’a souhaité nous recevoir pour nous expliquer le plan de réforme et entendre notre position sur cette question. La concertation a été nulle. Aussi bien avec nous qu’avec les élus, les avocats ou les fonctionnaires. Franchement, je ne crois pas qu’il y ait un autre pays en Europe où l’on oserait réformer avec aussi peu de professionnalisme, de précision et de concertation. Et ce n’est pas rendre service aux Français et à la justice que de procéder comme cela. Même les esprits les plus modérés s’échauffent devant ce blocage du gouvernement.

Une réforme de la carte judiciaire était-elle nécessaire ?

Bruno Thouzellier. Oui, bien sûr. Mais une chose est de vouloir rationaliser la carte en faisant disparaître certains tribunaux d’instance en sous-activité ; une autre est de faire de la suppression des tribunaux le postulat central de la réforme ! Depuis 1958, la population française a augmenté de 20 millions d’habitants. Et à certains endroits, c’est de création de tribunaux dont on a besoin. Au-delà, cette réforme aurait pu être l’occasion de redistribuer les compétences des TGI, de se pencher sérieusement sur leur répartition et de redécouper les ressorts des cours d’appel. Un exemple : celle d’Aix-en-Provence couvre une zone gigantesque qui va jusqu’à Nice. Tout le monde admet aujourd’hui qu’elle est totalement trombosée.

N’aurait-il pas été plus intelligent de réfléchir à la scinder en deux ? Par ailleurs, pour les cours d’appel qui n’ont pas beaucoup de travail, n’aurait-il pas été plus constructif de leur rattacher quelques TGI supplémentaires, de façon à alléger les cours voisines ? Tout ce travail de réflexion aurait dû être fait. Mais il nécessitait plus que trois mois de marche forcée.

Comment allez-vous lutter contre cette réforme ?

Bruno Thouzellier. Je pense qu’il va y avoir, non pas un deuxième tour social, mais un deuxième tour « technique ». Lorsque les aberrations de cette réforme vont être confrontées à la réalité du terrain, on sera bien obligé d’amender les choses. Et à ce moment-là, nous, les magistrats, nous aurons notre mot à dire.

Entretien réalisé par Laurent Mouloud, l'Humanité

11:05 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice, catre judiciaire, USM, Thouzellier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

29/09/2007

Claude Hagège « La langue française est menacée »

fc59c700a2d6df38e5d0554ae8f2ff84.gifAssemblée . Examen du protocole de Londres, visant à supprimer l’obligation de traduire les brevets en français. Entretien avec le linguiste Claude Hagège, opposé à sa ratification.

En quoi le protocole de Londres menace-t-il la langue française ?

Claude Hagège. Jusqu’ici, tout brevet déposé par un étranger en France, pour être opposé à une contrefaçon ou à une imitation, devait être traduit en français. Les partisans du protocole prétendent que le français, placé à côté de l’allemand et de l’anglais, serait toujours défendu par le protocole. Or, étant donné le rapport des forces, la ratification du protocole signifierait que l’anglais se répandrait encore plus. En effet, l’obligation de traduction en français disparaîtrait. Aujourd’hui, il n’y a que 7 % de brevets déposés en français. Cette proportion passerait à 0 %…

Pourquoi est-ce un risque que « l’anglais se répande encore plus » ?

Claude Hagège. Le français serait éliminé de la langue scientifique de demain. En effet, un brevet est un texte constitué de deux parties, la description et la revendication. Le fait que ces deux parties du texte soient traduites en français permettait, avec la puissance de diffusion d’Internet, que le français soit une langue dans laquelle la science de demain s’exprime. Désormais, le français ne serait plus le vecteur de terminologies savantes et innovantes, qui s’expriment dans les brevets.

C’est un enjeu culturel ?

Claude Hagège. C’est un enjeu linguistique et culturel. Le président de la République s’est rendu récemment à Budapest où il a dit aux Hongrois l’importance de leur langue comme identité. La principale affirmation d’identité des pays d’Europe centrale, au XIXe siècle, était leur langue. Pourquoi cette parenthèse sur le président ? Parce que, si le protocole de Londres est adopté, l’identité même de la France, c’est-à-dire sa langue, est gravement menacée.

Pour le secrétaire d’État à la Francophonie Jean-Marie Bockel, le problème est ailleurs : la France ne produit pas assez de brevets. Que lui répondez-vous ?

Claude Hagège. D’après lui, la raison principale de ce nombre insuffisant de dépôts de brevet serait le coût de la traduction des brevets. C’est aussi l’argument du MEDEF. Or, pour les grandes entreprises qui dominent le MEDEF, cela ne coûte rien puisqu’elles se servent déjà de l’anglais. La raison du manque de dépôts de brevet, c’est l’insuffisance d’esprit d’invention et d’esprit commercial. Les PME n’ont pas cette culture. On devrait développer chez les enfants le goût de la découverte et, ensuite, une compétence pour la faire valoir.

Que faire pour conserver le rayonnement de la francophonie dans un contexte où l’anglais domine le milieu de la recherche et de l’innovation ?

Claude Hagège. Il faut commencer par cesser de mépriser les cinquante pays et régions qui appartiennent à l’Association internationale de la francophonie. Les mépriser, c’est ignorer que la France, sans la francophonie, est bien petite en Europe. Avec eux, la France est une puissance culturelle et économique considérable. On a été conscient de cela pendant longtemps, mais depuis les années 1990, en fait depuis la diffusion galopante de la pensée néolibérale, on ignore cette dimension. Or, en France la langue a toujours été une affaire politique. Voyez les mesures prises pendant la Révolution, par le comité de salut public, par la commune insurrectionnelle de Paris et par Robespierre… Désormais, la France est en train de devenir un pays dans lequel on est prêt à vendre sa langue. On n’y croit plus. Une grande partie de la droite et une non moins grande partie de la gauche ont des positions nouvelles qui ne s’inscrivent pas dans la tradition française. Résultat : on finit par ne plus avoir conscience de ce que signifie le fait d’avoir une conception politique de la langue.

C’est-à-dire ?

Claude Hagège. La francophonie apparaît comme la seule alternative à l’impérialisme de l’anglais, derrière lequel se profilent les États-Unis. Dans bien des cas, mondialisation signifie américanisation. À l’heure actuelle, l’Europe doit se concevoir de l’Atlantique à Vladivostok. Aujourd’hui, la Russie, c’est nous, c’est l’Europe, bien plus que les États-Unis. Ces zones qui composeraient cette Europe forte sont autant de contrepoids à la présence unique des États-Unis et à ce que l’anglais symbolise. À travers une grande Europe, la francophonie a tout à gagner à la diversité. Cette diversité est une réponse à l’unicité redoutable de l’anglais aujourd’hui.

Entretien réalisé par Vincent Defait

PS : Les parlementaires socialistes et UMP ont voté ce protocole.

10:33 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : français, protocole de Londres | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

28/09/2007

« La caricature d’un capitalisme pour enrichir quelques-uns »

Jean-Claude Sandrier, député PCF, est président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale.

François Fillon parle de « faillite » des finances publiques. Qu’en pensez-vous ?

3963a2a4a93a06c3bd70c13ce780cf9d.jpgJean-Claude Sandrier. Il y a une telle volonté d’en rajouter dans les cadeaux fiscaux aux plus riches et un tel acharnement à réduire les finances publiques chez les gouvernants qu’ils utilisent un argument qui condamne en fait leur politique, puisque si faillite il y a, c’est eux qui l’ont créée ! C’est le loup qui crie au loup. Pendant cinq ans, le gouvernement Raffarin-Sarkozy-Fillon, puis le gouvernement Villepin-Sarkozy n’ont cessé de réduire les recettes et de distribuer des cadeaux aux riches. Or, qu’observe-t-on ? La croissance était de 2,2 % il y a cinq ans, elle ne sera plus que de 1,8 % à la fin de 2007. Sarkozy-Fillon viennent d’en rajouter une louche de 14 milliards cet été, avec le paquet fiscal qui était un « pari sur la croissance » en comptant sur elle pour le financer. Mais les prévisions du gouvernement pour 2008 sont identiques à 2007. Cela montre qu’il ne croit pas à sa politique, comme il ne croit pas aux franchises médicales pour combler le déficit de la Sécu, désormais justifiées par la lutte contre la maladie d’Alzheimer… C’est une politique contradictoire et irresponsable, car dictée en fait par la volonté de sacrifier le progrès et la justice sociale pour favoriser la finance.

Que retenez-vous des orientations connues du budget 2008 ?

Jean-Claude Sandrier. Rien n’est prévu pour le pouvoir d’achat hormis le crédit d’impôt immobilier et la prime pour l’emploi qui se substitue au MEDEF en matière de rémunération du travail et encourage les bas salaires. Dans le chapitre du « soutien à l’innovation », on trouve l’extension du crédit d’« impôt recherche » sans aucun contrôle de la qualité de la recherche effectuée ni de créations d’emplois. Quant à « l’équité du système fiscal », cela consiste pour le gouvernement à instaurer un prélèvement libératoire sur les dividendes des actionnaires de 16 %. C’est un nouveau cadeau aux plus aisés, imposés aux plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu. Ce sera autant de manque à gagner à partir du budget 2009. Le gouvernement prévoit aussi de nouvelles exonérations d’ISF en « simplifiant » les dispositions votées l’an dernier pour les pactes d’actionnaires. Le gouvernement poursuit dans la même voie contre vents et marées. On est dans la caricature d’un capitalisme qui ne pense qu’à enrichir quelques-uns, au prix d’un recul social considérable avec la montée en flèche des inégalités et de la pauvreté.

A-t-on les moyens d’impulser une autre politique ?

Jean-Claude Sandrier. Nous vivons dans un monde où l’argent coule à flot, comme l’a dit Patrick Artus. La sphère financière pèse aujourd’hui trois fois plus que le PIB mondial. Cela produit une montée fulgurante de la finance depuis 1980 au détriment des capacités humaines. La Banque centrale européenne a injecté en trois jours l’équivalent du budget de la France pour soutenir des institutions bancaires privées ! Il est possible de prélever tout de suite 80 milliards d’euros supplémentaires pour satisfaire les besoins humains. En taxant les actifs financiers à 0,5 %, ce qui rapporterait 17 milliards. En faisant cotiser les revenus boursiers comme les salaires, ce qui ferait rentrer 13 milliards. En supprimant les 17 milliards d’exonérations de cotisations patronales. En annulant les 12 milliards au bénéfice exclusif des riches dans le paquet fiscal. En multipliant par deux l’ISF, ce qui rapporterait 4 milliards, et en réformant l’impôt sur le revenu dans le sens d’une plus grande progressivité, pour accroître son produit de 17 milliards.

Entretien réalisé par S. C.

17:20 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : budget 2008, Sandrier | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

14/09/2007

Bernard Thibault : « Le syndicalisme va être présent et visible »

2a8a68d38097bdc3d6d9d72f8f88f0fd.jpgRENTRÉE SOCIALE .Pour le secrétaire général de la CGT, certaines décisions du gouvernement promettent déjà des désillusions. Même si Nicolas Sarkozy tente de prendre les syndicats de vitesse, la mobilisation se construit de manière unitaire dans plusieurs secteurs

Après le vote du paquet fiscal, un sondage a montré que le gouvernement n’est pas très crédible aux yeux de l’opinion sur le pouvoir d’achat. Cela vous étonne-t-il ?

Bernard Thibault. Certaines décisions du gouvernement promettent déjà des désillusions. Je pense à l’évolution du pouvoir d’achat. On prépare l’opinion publique à une augmentation des prix dans la grande distribution. Les trois postes essentiels qui pèsent sur les budgets familiaux, le logement, le transport et la santé, sont en hausse. Mais les salaires ne suivent pas et le nouveau dispositif sur les heures supplémentaires ne changera rien pour le plus grand nombre. Nous venons de rencontrer le ministre de la Fonction publique. Il ne possède aucune marge de manoeuvre budgétaire pour satisfaire les revendications salariales. Dans le secteur privé, la ministre de l’Économie prépare une conférence qui devait, à l’origine, porter sur l’emploi et le revenu. Elle vient d’y ajouter le coût du travail. Cela signifie qu’une fois de plus, cette conférence cherchera à culpabiliser les salariés coûtant trop cher aux entreprises. Rien à l’horizon ne permet de dire que les choses vont s’améliorer. Il faut donc, dans chaque entreprise, créer les conditions pour agir et changer la situation.

La stratégie de Nicolas Sarkozy consiste à réformer de front et rapidement des pans entiers du contrat social. Cette frénésie de réformes ne vise-t-elle pas à prendre de court toute capacité de mobilisation sociale et syndicale ?

Bernard Thibault. On est dans les tout premiers jours de septembre. Je ne connais pas beaucoup d’années ou une mobilisation d’ampleur s’est exprimée en septembre. En général, les rendez-vous sociaux d’importance commencent en octobre. Il est vrai que cette rentrée n’est pas comparable aux précédentes. Au motif de vouloir changer bien des aspects de la société française, le président de la République s’empresse d’enfourcher les revendications du MEDEF. L’accélération du rythme des réformes vise à noyer les salariés sous un flot de mesures dont ils n’ont pas le temps de comprendre les conséquences. La CGT s’efforce de les informer très régulièrement. Nous comptons déjà plusieurs points d’appui sectoriels qui peuvent imposer au gouvernement de revoir ses positions. Les organisations syndicales de la fonction publique envisagent des actions unitaires. Une démarche similaire est en cours dans le secteur de l’énergie, avec deux niveaux de riposte, celle des personnels de GDF, Suez et EDF et celle des citoyens, car la privatisation de GDF est d’une portée qui vabien au-delà des seules conséquences sociales pour les personnels. Nous faisons circuler une pétition nationale. Un processus unitaire se précise aussi chez les cheminots sur une base revendicative large, puisque la loi sur le service minimum, qui restreint l’exercice du droit de grève, a été adoptée, qu’un plan de plusieurs milliers de suppressions d’emplois dans le fret ferroviaire s’installe au moment même où le gouvernement organise une conférence sur le développement durable et que leur régime de retraite est dans le collimateur. Un certain nombre d’initiatives locales commencent aussi à se dessiner. Tout cela me fait dire que le syndicalisme va être présent et visible dans la prochaine période.

Mais pouvez-vous échapper au calendrier que cherche à vous imposer le gouvernement et faire prendre en compte vos propres priorités ?

a2cc10b4ebc1777ce5380589422a1f94.jpgBernard Thibault. Nous sommes les premiers à attendre des réformes. Certaines sont de la responsabilité du gouvernement. Ce sont les contenus qui posent problème. Nous ne sommes pas naïfs. Nous rencontrons des ministres mais les annonces unilatérales continuent. Personne ne nous a demandé notre avis sur l’élargissement du travail du dimanche alors que le Conseil économique et social y est hostile. Pas de consultation avant d’annoncer la dépénalisation du droit des affaires que le président de la République a promis aux employeurs ! Saisir toutes les opportunités de porter nos revendications fait partie de notre rôle. Mais nous ne devons pas entretenir la confusion. Nous devons jouer la clarté, même si le gouvernement tente de nous prendre de vitesse ou de semer la confusion. Les syndicats doivent faire preuve de beaucoup de réactivité. Si les attentes des salariés ne sont pas entendues, nous devons créer les conditions de leur intervention. C’est l’orientation de la CGT. Nous remplissons nous aussi le calendrier. Nous appelons par exemple à une manifestation nationale le 13 octobre, à Paris, avec deux associations, la FNATH et l’ANDEVA, sur les conditions de travail et leurs conséquences sur la santé des salariés, le refus des franchises médicales, pour d’autres moyens de financement de la Sécu, pour faire reconnaître la pénibilité du travail par des départs en retraite.

La question du financement des régimes de retraite et celle d’une pénibilité qui aurait disparu sont les deux arguments avancés par le gouvernement pour remettre en cause les régimes spéciaux. Sont-ils valables, selon vous ?

Bernard Thibault. Ce gouvernement a profité du mois de juillet pour faire adopter des mesures qui bénéficient à ce que moi j’appelle les vrais privilégiés. Certains grands patrons bénéficient de parachutes dorés de millions d’euros et, aujourd’hui, on nous présente quelques milliers de salariés comme étant les privilégiés de la société française ! Ce gouvernement est quand même gonflé. Il a offert 15 milliards de cadeaux fiscaux à quelques milliers de familles aisées et il ose parler de justice sociale ! Rien ne justifie la précipitation avec laquelle il engage cette réforme. Elle est utilisée à des fins politiques. Si les cheminots sont ciblés, c’est par esprit de revanche et pour préparer une nouvelle étape, celle des sacrifices qui vont être demandés à tous les salariés sur les retraites, à l’occasion du rendez-vous de çoit que le mécontentement social risque de s’amplifier. Il est tenté de mettre de l’huile sur le feu pour les cheminots afin de masquer que sa politique aura des conséquences sociales négatives pour tous les salariés.

Vous avez vous-même, à plusieurs reprises, menacé le gouvernement d’un conflit dur en cas réforme des régimes spéciaux. Est-ce que vous vous faites comprendre de l’opinion publique ?

Bernard Thibault. Il faut rétablir des vérités. La CGT est pour l’égalité mais l’amalgame qu’opère le gouvernement sur les régimes spéciaux n’a aucun sens. Par exemple, il est faux de marteler l’idée que le régime des électriciens représente un fardeau pour la collectivité. Au contraire, il reverse au régime général. En revanche, il est vrai que, sans la solidarité nationale, les actifs des mines ne pourraient plus financer les retraites des mineurs, tout simplement parce que les mines ont fermé, qu’il n’y a plus assez de cotisants en activité. Les cheminots comptent aujourd’hui 320 000 retraités pour 166 000 actifs, du fait des réductions d’emplois. Les régimes spéciaux représentent 5 % des retraités et ils font partie du contrat social de chacune des professions concernées. Dire qu’il suffirait d’aligner ces régimes sur les autres pour qu’il n’y ait plus de problème de retraite est totalement faux. Nous voulons hausser les termes du débat. Dans l’approche du gouvernement, l’équité signifie nivellement pas le bas. Pourquoi s’arrêter à la retraite, pourquoi ne pas supprimer les CE puisque tout le monde n’en a pas ou la couverture complémentaire de santé ? Au nom d’une telle logique, il va nous être proposé de généraliser les contrats précaires, le CDI devenant un privilège exorbitant ! Notre conception de l’égalité est radicalement différente.

Mais est-ce possible, compte tenu du papy-boom, de continuer à financer les retraites avec le seul système par répartition ?

Bernard Thibault. Oui. La CGT lance une campagne pour préparer le rendez-vous de 2008. Si nous ne parvenons pas à reconstruire des règles de départs en retraite en consolidant le système par répartition, les solutions individuelles vont s’amplifier. Les jeunes intègrent déjà l’idée qu’ils n’auront pas droit à la retraite. La population âgée va progresser. Pour nous, le débat doit s’organiser autour d’un droit au départ à soixante ans. Compte tenu de la précarité du travail, il est de plus en plus difficile d’obtenir les trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. Mais on nous présente comme inéluctable un allongement de la durée de cotisation. Cela entraînerait une diminution drastique du niveau des pensions. Au contraire, il faut repenser la mécanique d’obtention de droits. Pour assumer un droit au départ à soixante ans des salariés, avec un niveau de pension convenable pour vivre, notre pays devrait consacrer, à l’horizon 2020, 3% du PIB au financement des retraites. Cela représente une progression de 0,2 % chaque année de la part des richesses produites consacrée à la retraite. Franchement, cela ne nous paraît pas être un choix de société aberrant. Car il s’agit bien de cela. Penser avoir droit à une nouvelle page de la vie après soixante ans, débarrassée des contraintes de la condition salariale, c’est un beau projet, non ?

Allez-vous, entre syndicats, parvenir à parler un peu plus d’une même voix ?

5eb478b450f95f2b1084f54161a9a159.jpgBernard Thibault. Je ne vois pas un seul syndicat applaudir à la multitude de sujets sur lesquels le gouvernement prétend avoir la vérité révélée. Les syndicats doivent faire respecter leur indépendance, notamment quand le politique cherche à leur imposer par avance des résultats de négociations. Il n’est pas normal que le président de la République se permette de prendre fait et cause pour la solution patronale alors que nous sommes en train de négocier sur le contrat de travail. Les employeurs veulent individualiser la relation du travail en laissant penser qu’un salarié et un patron sont deux parties égales. C’est un marché de dupe ! Rares sont les salariés qui sont en position de force vis à-vis d’un employeur. Nous, nous cherchons à obtenir une coresponsabilité des entreprises dans la reconnaissance des droits que les salariés obtiendraient individuellement dans leur parcours professionnel. C’est ce que nous appelons une sécurité sociale professionnelle.

Nicolas Sarkozy annonce un discours important sur les questions sociales mardi prochain. Vous avez un message à lui délivrer…

Bernard Thibault. Il aurait tort de continuer à opposer sa légitimité politique au débat nécessaire à tenir pour tout ce qui touche à l’évolution des droits sociaux, ce que l’on appelle la démocratie sociale. S’il ne prend pas conscience du besoin de dialogue et de négociation, on va vers des situations de blocage. Il devrait aussi cesser de considérer que l’entreprise est exclusivement incarnée par les seuls chefs d’entreprise. Les salariés ont une certaine expertise de leur métier et de leur entreprise. Ils ont un avis autorisé sur l’organisation du travail, sur ce qu’il convient ou non de faire pour assurer la pérennité de leur entreprise. Leur avis doit être respecté et pris en compte.

Entretien réalisé par Pierre Laurent et Paule Masson (l'Humanité)

19:00 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Bernard Thibault, retraites | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!