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14/09/2007

Bernard Thibault : « Le syndicalisme va être présent et visible »

2a8a68d38097bdc3d6d9d72f8f88f0fd.jpgRENTRÉE SOCIALE .Pour le secrétaire général de la CGT, certaines décisions du gouvernement promettent déjà des désillusions. Même si Nicolas Sarkozy tente de prendre les syndicats de vitesse, la mobilisation se construit de manière unitaire dans plusieurs secteurs

Après le vote du paquet fiscal, un sondage a montré que le gouvernement n’est pas très crédible aux yeux de l’opinion sur le pouvoir d’achat. Cela vous étonne-t-il ?

Bernard Thibault. Certaines décisions du gouvernement promettent déjà des désillusions. Je pense à l’évolution du pouvoir d’achat. On prépare l’opinion publique à une augmentation des prix dans la grande distribution. Les trois postes essentiels qui pèsent sur les budgets familiaux, le logement, le transport et la santé, sont en hausse. Mais les salaires ne suivent pas et le nouveau dispositif sur les heures supplémentaires ne changera rien pour le plus grand nombre. Nous venons de rencontrer le ministre de la Fonction publique. Il ne possède aucune marge de manoeuvre budgétaire pour satisfaire les revendications salariales. Dans le secteur privé, la ministre de l’Économie prépare une conférence qui devait, à l’origine, porter sur l’emploi et le revenu. Elle vient d’y ajouter le coût du travail. Cela signifie qu’une fois de plus, cette conférence cherchera à culpabiliser les salariés coûtant trop cher aux entreprises. Rien à l’horizon ne permet de dire que les choses vont s’améliorer. Il faut donc, dans chaque entreprise, créer les conditions pour agir et changer la situation.

La stratégie de Nicolas Sarkozy consiste à réformer de front et rapidement des pans entiers du contrat social. Cette frénésie de réformes ne vise-t-elle pas à prendre de court toute capacité de mobilisation sociale et syndicale ?

Bernard Thibault. On est dans les tout premiers jours de septembre. Je ne connais pas beaucoup d’années ou une mobilisation d’ampleur s’est exprimée en septembre. En général, les rendez-vous sociaux d’importance commencent en octobre. Il est vrai que cette rentrée n’est pas comparable aux précédentes. Au motif de vouloir changer bien des aspects de la société française, le président de la République s’empresse d’enfourcher les revendications du MEDEF. L’accélération du rythme des réformes vise à noyer les salariés sous un flot de mesures dont ils n’ont pas le temps de comprendre les conséquences. La CGT s’efforce de les informer très régulièrement. Nous comptons déjà plusieurs points d’appui sectoriels qui peuvent imposer au gouvernement de revoir ses positions. Les organisations syndicales de la fonction publique envisagent des actions unitaires. Une démarche similaire est en cours dans le secteur de l’énergie, avec deux niveaux de riposte, celle des personnels de GDF, Suez et EDF et celle des citoyens, car la privatisation de GDF est d’une portée qui vabien au-delà des seules conséquences sociales pour les personnels. Nous faisons circuler une pétition nationale. Un processus unitaire se précise aussi chez les cheminots sur une base revendicative large, puisque la loi sur le service minimum, qui restreint l’exercice du droit de grève, a été adoptée, qu’un plan de plusieurs milliers de suppressions d’emplois dans le fret ferroviaire s’installe au moment même où le gouvernement organise une conférence sur le développement durable et que leur régime de retraite est dans le collimateur. Un certain nombre d’initiatives locales commencent aussi à se dessiner. Tout cela me fait dire que le syndicalisme va être présent et visible dans la prochaine période.

Mais pouvez-vous échapper au calendrier que cherche à vous imposer le gouvernement et faire prendre en compte vos propres priorités ?

a2cc10b4ebc1777ce5380589422a1f94.jpgBernard Thibault. Nous sommes les premiers à attendre des réformes. Certaines sont de la responsabilité du gouvernement. Ce sont les contenus qui posent problème. Nous ne sommes pas naïfs. Nous rencontrons des ministres mais les annonces unilatérales continuent. Personne ne nous a demandé notre avis sur l’élargissement du travail du dimanche alors que le Conseil économique et social y est hostile. Pas de consultation avant d’annoncer la dépénalisation du droit des affaires que le président de la République a promis aux employeurs ! Saisir toutes les opportunités de porter nos revendications fait partie de notre rôle. Mais nous ne devons pas entretenir la confusion. Nous devons jouer la clarté, même si le gouvernement tente de nous prendre de vitesse ou de semer la confusion. Les syndicats doivent faire preuve de beaucoup de réactivité. Si les attentes des salariés ne sont pas entendues, nous devons créer les conditions de leur intervention. C’est l’orientation de la CGT. Nous remplissons nous aussi le calendrier. Nous appelons par exemple à une manifestation nationale le 13 octobre, à Paris, avec deux associations, la FNATH et l’ANDEVA, sur les conditions de travail et leurs conséquences sur la santé des salariés, le refus des franchises médicales, pour d’autres moyens de financement de la Sécu, pour faire reconnaître la pénibilité du travail par des départs en retraite.

La question du financement des régimes de retraite et celle d’une pénibilité qui aurait disparu sont les deux arguments avancés par le gouvernement pour remettre en cause les régimes spéciaux. Sont-ils valables, selon vous ?

Bernard Thibault. Ce gouvernement a profité du mois de juillet pour faire adopter des mesures qui bénéficient à ce que moi j’appelle les vrais privilégiés. Certains grands patrons bénéficient de parachutes dorés de millions d’euros et, aujourd’hui, on nous présente quelques milliers de salariés comme étant les privilégiés de la société française ! Ce gouvernement est quand même gonflé. Il a offert 15 milliards de cadeaux fiscaux à quelques milliers de familles aisées et il ose parler de justice sociale ! Rien ne justifie la précipitation avec laquelle il engage cette réforme. Elle est utilisée à des fins politiques. Si les cheminots sont ciblés, c’est par esprit de revanche et pour préparer une nouvelle étape, celle des sacrifices qui vont être demandés à tous les salariés sur les retraites, à l’occasion du rendez-vous de çoit que le mécontentement social risque de s’amplifier. Il est tenté de mettre de l’huile sur le feu pour les cheminots afin de masquer que sa politique aura des conséquences sociales négatives pour tous les salariés.

Vous avez vous-même, à plusieurs reprises, menacé le gouvernement d’un conflit dur en cas réforme des régimes spéciaux. Est-ce que vous vous faites comprendre de l’opinion publique ?

Bernard Thibault. Il faut rétablir des vérités. La CGT est pour l’égalité mais l’amalgame qu’opère le gouvernement sur les régimes spéciaux n’a aucun sens. Par exemple, il est faux de marteler l’idée que le régime des électriciens représente un fardeau pour la collectivité. Au contraire, il reverse au régime général. En revanche, il est vrai que, sans la solidarité nationale, les actifs des mines ne pourraient plus financer les retraites des mineurs, tout simplement parce que les mines ont fermé, qu’il n’y a plus assez de cotisants en activité. Les cheminots comptent aujourd’hui 320 000 retraités pour 166 000 actifs, du fait des réductions d’emplois. Les régimes spéciaux représentent 5 % des retraités et ils font partie du contrat social de chacune des professions concernées. Dire qu’il suffirait d’aligner ces régimes sur les autres pour qu’il n’y ait plus de problème de retraite est totalement faux. Nous voulons hausser les termes du débat. Dans l’approche du gouvernement, l’équité signifie nivellement pas le bas. Pourquoi s’arrêter à la retraite, pourquoi ne pas supprimer les CE puisque tout le monde n’en a pas ou la couverture complémentaire de santé ? Au nom d’une telle logique, il va nous être proposé de généraliser les contrats précaires, le CDI devenant un privilège exorbitant ! Notre conception de l’égalité est radicalement différente.

Mais est-ce possible, compte tenu du papy-boom, de continuer à financer les retraites avec le seul système par répartition ?

Bernard Thibault. Oui. La CGT lance une campagne pour préparer le rendez-vous de 2008. Si nous ne parvenons pas à reconstruire des règles de départs en retraite en consolidant le système par répartition, les solutions individuelles vont s’amplifier. Les jeunes intègrent déjà l’idée qu’ils n’auront pas droit à la retraite. La population âgée va progresser. Pour nous, le débat doit s’organiser autour d’un droit au départ à soixante ans. Compte tenu de la précarité du travail, il est de plus en plus difficile d’obtenir les trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. Mais on nous présente comme inéluctable un allongement de la durée de cotisation. Cela entraînerait une diminution drastique du niveau des pensions. Au contraire, il faut repenser la mécanique d’obtention de droits. Pour assumer un droit au départ à soixante ans des salariés, avec un niveau de pension convenable pour vivre, notre pays devrait consacrer, à l’horizon 2020, 3% du PIB au financement des retraites. Cela représente une progression de 0,2 % chaque année de la part des richesses produites consacrée à la retraite. Franchement, cela ne nous paraît pas être un choix de société aberrant. Car il s’agit bien de cela. Penser avoir droit à une nouvelle page de la vie après soixante ans, débarrassée des contraintes de la condition salariale, c’est un beau projet, non ?

Allez-vous, entre syndicats, parvenir à parler un peu plus d’une même voix ?

5eb478b450f95f2b1084f54161a9a159.jpgBernard Thibault. Je ne vois pas un seul syndicat applaudir à la multitude de sujets sur lesquels le gouvernement prétend avoir la vérité révélée. Les syndicats doivent faire respecter leur indépendance, notamment quand le politique cherche à leur imposer par avance des résultats de négociations. Il n’est pas normal que le président de la République se permette de prendre fait et cause pour la solution patronale alors que nous sommes en train de négocier sur le contrat de travail. Les employeurs veulent individualiser la relation du travail en laissant penser qu’un salarié et un patron sont deux parties égales. C’est un marché de dupe ! Rares sont les salariés qui sont en position de force vis à-vis d’un employeur. Nous, nous cherchons à obtenir une coresponsabilité des entreprises dans la reconnaissance des droits que les salariés obtiendraient individuellement dans leur parcours professionnel. C’est ce que nous appelons une sécurité sociale professionnelle.

Nicolas Sarkozy annonce un discours important sur les questions sociales mardi prochain. Vous avez un message à lui délivrer…

Bernard Thibault. Il aurait tort de continuer à opposer sa légitimité politique au débat nécessaire à tenir pour tout ce qui touche à l’évolution des droits sociaux, ce que l’on appelle la démocratie sociale. S’il ne prend pas conscience du besoin de dialogue et de négociation, on va vers des situations de blocage. Il devrait aussi cesser de considérer que l’entreprise est exclusivement incarnée par les seuls chefs d’entreprise. Les salariés ont une certaine expertise de leur métier et de leur entreprise. Ils ont un avis autorisé sur l’organisation du travail, sur ce qu’il convient ou non de faire pour assurer la pérennité de leur entreprise. Leur avis doit être respecté et pris en compte.

Entretien réalisé par Pierre Laurent et Paule Masson (l'Humanité)

19:00 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Bernard Thibault, retraites | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

24/08/2007

Non aux franchises médicale,oui à la gratuité des soins .


En pleine période de congés, Nicolas Sarkozy justifie la mise en place d’une franchise médicale pour financer son plan cancer et Alzheimer. Entretien avec Isabelle Lorand, co-animatrice du collectif santé à la direction du PCF.

Le gouvernement veut instaurer une franchise médicale sur les soins et les médicaments. Pour le PCF il s’agit d’une mesure injuste et inefficace.

4f5373ad439d5a1e2e4b24959ab97c0d.jpgDe réformes en réformes, les dépenses de santé non remboursées n’ont cessé d’augmenter. On les estime à 240 euros en moyenne par personne et par an. Et jusqu’à 1 000 euros pour 900 000 d’entre nous (1). Le montant de la franchise - 50 euros par an et par foyer - peut paraître modeste. Chacun sait que ça, c’est au début… Mais si le choix a été de créer des franchises, plutôt que d’augmenter les forfaits, c’est que l’esprit même de la franchise est une rupture idéologique et politique. Jusqu’à présent il était admis que les dépenses de santé étaient prises en charge par la solidarité. Les forfaits étaient présentés comme des réponses transitoires au déficit de la sécu. Les franchises introduisent une dimension nouvelle par la création d’un « véritable octroi pour la santé ». Comment qualifier autrement cette mesure qui pose en principe de base le fait de payer, de ne pas être remboursé, pour accéder aux soins. Il s’agit d’une remise en cause du principe fondateur de la Sécurité sociale « Tous cotisent en fonction de leurs moyens. Et chacun en profite quelques soient ses besoins ». Et comme seules les assurances privées pourront rembourser les franchises, en filigrane, c’est ce marché qui se dessine.

Le financement des dépenses de santé reste cependant en débat ?

Les dépenses de santé augmenteront. Simplement parce que l’espérance de vie augmente, les moyens de soigner se développent…. C’est pourquoi les mesures qui visent à les réduire en « responsabilisant  » les malades ne peuvent pas marcher. D’abord il y a les recettes. Elles dépendent de la répartition des richesses de notre pays. Si on augmente les salaires, on relance l’emploi… si on taxait le capital financier… alors le trou de la sécu deviendrait un mauvais souvenir. Et puis, il y a ce qui fait l’état de santé d’une population : la prévention. Les conditions de vie, de travail, l’environnement, l’alimentation… sont les enjeux colossaux pour diminuer la fréquence du cancer, du diabète, de l’obésité et peut-être même de la maladie d’Alzheimer. Ce n’est évidemment pas la logique de la société actuelle. J’en suis sûre : le marché c’est ringard. La modernité c’est la gratuité dans la santé. Parce que l’évolution de la civilisation passe par l’investissement solidaire dans les activités indispensables à l’homme : école, culture, santé….

Avec de nombreuses organisations, le PCF est engagé dans l’action contre l’instauration de la franchise médicale. Quelles initiatives pour les semaines à venir ?

C’est grave, il faut tout faire pour mettre ce projet en échec. Pour réussir un rassemblement large est indispensable. Cela passe par tous les moyens qui permettent d’informer, de prendre la mesure de ce qui ce joue. Le PCF pour sa part est à l’initiative de nombreuses rencontres-débats. Cela passe aussi par l’unité de toutes les organisations, associations, syndicats… C’est le sens de la création d’un collectif national - constitué d’environ 40 organisations - qui appelle le 29 septembre à une journée contre les franchises. Ce collectif invite à une rencontre lors de la fête de l’Huma (2). Enfin, des personnalités ont lancé une pétition nationale (3) qui rassemble déjà plusieurs dizaines de milliers de signatures. Le PCF appelle tous ses adhérents à la signer. Les franchises médicales ne sont vraiment pas populaires. Ce combat peut être l’occasion de mettre un sérieux bâton dans les roues de Sarkozy et de sa politique.

Propos recueillis par
Patrice Falguier pour 20 Minutes.fr

12:05 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franchises, santé, PCF | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

07/08/2007

ENTRETIEN AVEC AVRAHAM BURG

Quand l'ancien président de la Knesset attaque le sionisme et compare Israël à L'Allemagne de 1933..."

A l’occasion de la parution du livre du député travailliste Avraham Burg

5d1a33ba7e12a889fdd0c1c0d66092b6.jpgAvraham Burg est le fils de Yossef Burg, qui fut l’un des leaders du PNR (Parti National-Religieux). Lui-même a continué la tradition familiale d’engagement dans la vie politique, mais il s’est dirigé vers le parti travailliste. La Kippa sur sa tête ne le gênait pas.

Mais Avraham (Avrom ainsi qu’on l’appelle) n’est pas bien dans sa peau. Il le dit et le publie dans un livre. Pour lui, le rêve sioniste s’est effondré. Il a renouvelé son passeport étranger, et prend une position défaitiste assez révoltante, digne d’un enfant de la bourgeoisie locale attiré par le monde Goy et ses attraits. Il prône une position d’extrême gauche, toute d’ouverture vers les Arabes, et est très actif en leur faveur.

Erets Israël, sa spiritualité et sa Tora ? Cela n’a jamais été son centre d’intérêt. Il restait le côté matériel de cette expérience : il est très conscient que dans ce domaine, d’autres nations réussissent beaucoup mieux… Les résultats sont très piteux, Avrom.

Quelques extraits d’une interview publiée dans Haarets sous le titre fort évocateur de « Quitter le ghetto sioniste » par Ari Shavit - texte repris du site www.upjf.org.

- Avrom Burg, j’ai lu votre nouveau livre, «Vaincre Hitler», comme une séparation d’avec le sionisme. Ai-je tort ? Êtes-vous encore sioniste ?

« Je suis un être humain, je suis un Juif et je suis un Israélien. Le sionisme a été l’instrument qui m’a fait passer de la condition juive à la condition israélienne. Je crois que c’est Ben-Gourion qui a dit : le mouvement sioniste est l’échafaudage utilisé pour la construction d’une maison, après la création de l’Etat sioniste, il devra être démonté. »

- Cela veut-il dire que vous ne considérez plus la notion d’Etat juif comme acceptable ?

« Elle ne peut plus marcher. Définir l’Etat d’Israël comme un Etat juif, c’est la clé de sa fin. Un Etat juif : c’est de l’explosif. C’est de la dynamite. »

- Devons-nous amender la Loi du Retour ?

« Nous devons entamer la discussion. La Loi du Retour est une loi apologétique. Elle est l’image inversée d’Hitler. Je ne veux pas qu’Hitler définisse mon identité. »

- L’Agence Juive doit-elle être dissoute ?

« Dans le passé, quand j’étais président de l’Agence Juive, j’ai suggéré de changer son nom d’Agence Juive pour la Terre d’Israël, en celui d’Agence Juive pour la Société israélienne. Il y a place pour des moyens philanthropiques. Mais au centre de son expérience, elle doit s’occuper de tous les citoyens d’Israël, y compris des Arabes. »

- Vous écrivez dans votre livre que, si le sionisme est un sionisme catastrophique, alors vous ne serez plus seulement post-sioniste, mais antisioniste. Et j’observe que, depuis les années 1940, l’élément catastrophique a été inséparable du sionisme. Il s’ensuit que vous êtes antisioniste.

« Quand j’étais enfant, j’étais un Juif, ou, dans le langage qui prévalait alors : un garçon juif. Je fréquentais un 'Héder [école juive]. J’étais éduqué par d’anciens étudiants de Yéchiva. Par la suite, durant la majeure partie de ma vie, j’ai été un Israélien. Le langage, les signes, les goûts, les lieux. Tout. Aujourd’hui, cela ne me suffit pas. Dans ma situation présente, je suis au-delà de l’Israélien. Des trois identités qui me composent – humaine, juive, et israélienne -, je perçois que l’élément israélien dépossède les deux autres. »

- Face à cela, votre attitude est conciliatrice et humaniste. Mais, outre cette approche, vous développez une attitude très dure à l’égard de l’israélité et des Israéliens. Vous dites des choses terribles à notre propos.

« Je pense que j’ai écrit un livre d’amour. L’amour fait mal. Si j’écrivais sur le Nicaragua, cela me serait égal. Mais je viens d’un lieu de terrible souffrance. Je vois mon amour se flétrir sous mes yeux. Je vois ma société, l’endroit où j’ai été élevé et mon foyer, en cours de destruction. »

- Amour ? Vous écrivez que les Israéliens ne comprennent que la force. Si quelqu’un s’aventurait à écrire que les Arabes ne comprennent que la force, ou que les Turcs ne comprennent que la force, il serait immédiatement condamné comme raciste. Vous dites qu’Israël est un ghetto sioniste, un lieu d’impérialisme et de brutalité, un pays qui ne croit qu’en lui-même.

a9ad46592675d92df6aa5da272b3be5b.jpg« L’occupation est une toute petite partie du problème. Israël est une société apeurée. Pour chercher la source de l’obsession de la force et l’éradiquer, il faut s’occuper des peurs. Et la méta-peur, la peur primordiale, ce sont les six millions de Juifs qui ont péri dans l’Holocauste. »

- C’est la thèse du livre. Vous n’êtes pas le premier à la proposer, mais vous la formulez de manière très intense. Nous sommes des estropiés psychiques, prétendez-vous. Nous sommes saisis par la terreur et la peur, et nous recourons à la force parce qu’Hitler nous a causé un profond dommage psychique.

« Oui. »

- Eh bien, je vous rétorque que votre description est faussée. Ce n’est pas comme si nous vivions en Islande, tout en imaginant que nous sommes environnés de nazis qui, en réalité, ont disparu il y a soixante ans. Nous sommes environnés de véritables menaces. Nous sommes un des pays les plus menacés au monde.

« Le véritable désaccord israélien, aujourd’hui, est entre ceux qui croient et ceux qui ont peur. La grande victoire de la droite israélienne dans le combat pour gagner l’âme politique israélienne réside dans la manière dont elle l’a presque totalement imprégnée d’une paranoïa sans limites. Je reconnais qu’il y a des difficultés. Mais sont-elles absolues ? Tout ennemi est-il Auschwitz ? Le 'Hamas est-il un fléau ? »

- Pendant que nous parlons, Ahmadinejad affirme que nos jours sont comptés. Il promet de nous éradiquer. Certes, il n’est pas Hitler, mais il n’est pas un mirage non plus. Il constitue une vraie menace. Il est le monde réel, un monde que vous voulez ignorer. Dans votre livre vous faites les questions et les réponses. Par exemple, vous écrivez : « Je sens très fort qu’il y a pas mal de chances qu’une future Knesset d’Israël… interdise les relations sexuelles avec des Arabes, recourre à des mesures administratives pour empêcher les Arabes d’employer des Juifs, des femmes et des ouvriers juifs, à des tâches de nettoyage… comme les Lois de Nuremberg… Tout cela se produira, et cela se produit déjà. » N’êtes-vous pas allé trop loin, Avrom ?

c5f09d46f43a2a3a955ba85552ae412b.jpg« Je pense que nous sommes une société qui, dans sa tête, vit par l’épée… Ce n’est pas fortuitement que je fais la comparaison avec l’Allemagne, parce que notre sentiment d’être obligés de vivre à la pointe de l’épée provient de l’Allemagne. Ce dont ils nous ont privés durant les 12 années de nazisme nécessite une très grande épée. Voyez la barrière. La barrière de séparation est une barrière contre la paranoïa. Et elle est née dans mon milieu. Dans mon école de pensée, avec mon ‘Hayim Ramon. Quelle est l’idée sous-jacente à cela ? Que je construirai un grand mur et que le problème sera résolu, parce que je ne les vois plus [les Palestiniens]. Vous savez, le parti travailliste a toujours vu le contexte historique et constitué une culture de dialogue, mais ici, nous avons une terrible étroitesse d’esprit. La barrière délimite physiquement la fin de l’Europe. Elle dit que c’est ici que finit l’Europe. Elle dit que vous êtes le bastion avancé de l’Europe et que la barrière vous sépare des barbares. Comme le mur romain. Comme la Muraille de Chine. Mais c’est extrêmement pathétique. Et c’est un acte de divorce d’avec la vision de l’intégration. Il y a quelque chose de très xénophobe dans ce processus. D’extrêmement fou. Et cela se produit précisément à une époque où l’Europe elle-même, et le monde avec elle, a progressé de manière extrêmement impressionnante en intégrant les leçons de l’Holocauste, et a provoqué une avancée majeure dans le comportement normatif des nations. »

La vérité, c’est que vous êtes un européiste notoire. Vous vivez à Nataf, mais vous êtes entièrement de Bruxelles [en tant que siège du Parlement européen]. Le prophète de Bruxelles.

«  Tout à fait. Tout à fait. Je considère l’Union européenne comme une utopie biblique. Je ne sais pas combien de temps cela tiendra, mais c’est stupéfiant. C’est entièrement juif. »

- Et cette admiration que vous exprimez envers l’Europe n’est pas accidentelle, parce que l’un des points fascinants de votre livre, c’est que le Sabra Avrom Burg tourne le dos à son identité de Sabra et se rallie très profondément à une sorte de romantisme yekke [allusion aux Juifs d’origine allemande, ainsi surnommés]. L’Israël sioniste donne, dans votre livre, l’impression d’être un vulgaire baron, tandis que la Communauté Juive allemande est l’idéal et le comble de la perfection.

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03/07/2007

LE BLAIRISME

23817993a84d9b5e3799539935f505ea.gif« Il serait suicidaire pour la gauche d’importer en France le blairisme »

par Philippe Marlière, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Londres.

Faisant ces derniers jours le bilan  des années Blair, les médias français parlaient de pragmatisme, de thatchérisme social, de modernisme, de social-démocratie… Qu’en pensez-vous ?

Philippe Marlière. En 1998, devant  les députés français, Tony Blair déclarait : « Il n’y a pas de politique économique de droite ou de gauche, mais des politiques économiques qui marchent et d’autres qui ne marchent pas. » Il affichait ainsi son soi-disant modernisme politique et sa volonté de rompre avec « le vieux travaillisme ».

Ce pragmatisme porté très haut a fait place à des choix beaucoup plus idéologiques.

En fait, le blairisme est resté sur les rails  du thatchérisme avec des correctifs à  la marge pour les plus pauvres, les familles monoparentales. Il a mis en place un filet  de sécurité pour ces catégories, mais n’a pas réduit les inégalités qui se sont au contraire largement accrues. Dans les services publics il n’a pas rompu avec le paradigme thatchérien. La rénovation des écoles,  des hôpitaux s’est faite en associant étroitement le privé à leur construction  et à leur gestion. Le choix de Blair et  de Brown d’accompagner et non de réguler la mondialisation a fait que Londres  et le Royaume-Uni sont devenus la plaque tournante d’une économie dérégulée, totalement flexible où seuls les plus riches peuvent s’en sortir. Un exemple :  la spéculation immobilière qui chasse  les classes moyennes des centres-villes.

Derrière ce pragmatisme de façade, Blair  a imposé des politiques rejetées non seulement par les syndicats, mais également par une grande partie des travaillistes,  les médias et aussi par le public. Ainsi,  la rénovation du métro de Londres a donné lieu à une longue bataille contre la gestion privée du service public.

Le maire,  Ken Livingstone, s’est opposé à  cette privatisation, mais Blair et Brown sont passés outre démontrant que  leur pragmatisme n’était qu’un slogan.

Tony Blair est-il social-démocrate ?

En France, à gauche, surtout à gauche  du PS, ce terme est synonyme de droite. C’est un raccourci. Pendant les Trente Glorieuses, la social-démocratie n’a pas été forcément droitière, y compris en Grande-Bretagne. Elle a proposé un mode de redistribution assez égalitaire. Ce n’est pas la politique qu’a suivie Blair. Avec lui, les ouvriers, les fonctionnaires et les classes moyennes du privé ont été laissés de côté.

Il est amusant de voir certains médias français parler d’un blairisme social,  alors qu’en réalité il a repris les recettes néolibérales du thatchérisme et privilégié les tenants du capitalisme financier. Non,  il a fait moins que le strict minimum. Après vingt ans de gouvernement ultralibéral, après les privatisations catastrophiques du thatchérisme, la population n’en pouvait plus du néolibéralisme et elle souhaitait  une réelle rénovation des services publics et davantage d’égalité. Elle n’attendait pas  la révolution mais une politique plus sociale-démocrate. Le blairisme n’a pas été à la mesure de cela. Blair a manqué d’audace alors qu’il s’appuyait sur  une majorité absolue.

Ce qui a caractérisé  son action, c’est un profond pessimisme social.

Tony Blair est-il de gauche ?

Philippe Marlière. Lorsqu’on est à la tête d’un gouvernement de gauche, fut-il hypercentriste, post-social-démocrate même, à quoi juge-t-on  sa réussite ? À l’aune d’un combat en faveur de la justice sociale. Dans ce domaine Blair a failli. Ce sont les riches qui ont prospéré sous le blairisme. Les autres catégories sociales ont eu beaucoup de mal.

En Grande-Bretagne, les classes moyennes « galèrent », ce qui fait que le blairisme est devenu très impopulaire parmi les salariés et les cols blancs.

Ce n’est donc pas seulement la guerre  en Irak qui explique la relative impopularité de Blair aujourd’hui…

Philippe Marlière. Vu de Grande-Bretagne, la guerre d’Irak n’explique qu’en partie cette impopularité. Elle est en effet un énorme fiasco, tout le monde  le reconnaît sauf Tony Blair. Elle a entraîné le décrochage de catégories qui étaient très blairistes. Ceux qu’on appelle en France  les « bobos ». Des gens aisés qui ne veulent pas de hausse des impôts, qui mettent  leurs enfants dans les écoles privées, mais qui sont progressistes sur les questions sociétales, d’environnement et de moeurs. Pour eux la guerre d’Irak, c’était trop.

À ceux qui affirment en France que Blair s’en est bien sorti exceptée sur l’Irak,  je dirais : Blair a échoué sur l’Irak et il a également échoué dans le domaine économique et social. Les résultats macroéconomiques sont peut-être corrects mais à qui a profité la croissance ?

Aux riches, pas au peuple.

c369a10ef148a318c9dd2265986de6ad.jpgSégolène Royal et Dominique Strauss-Kahn se sont à plusieurs reprises référés à Tony Blair. Y a-t-il une tentation blairiste au PS ?

Philippe Marlière. Incontestablement le Parti socialiste français et tous les partis qui siègent à Bruxelles dans le Parti socialiste européen (PSE) sont traversés par cette tentation. Il y a ceux qui pensent que Blair a fait le maximum. Vous avez cité Royal  et DSK, je suis d’accord. Mais il y a encore des socialistes qui pensent que le blairisme n’a rien à voir avec la gauche sociale-démocrate, qu’il est tombé du côté de la droite et qu’il faut donc le combattre. DSK a bien étudié le blairisme, il a des contacts étroits avec ses dignitaires, il pense que le socialisme à la française doit s’en inspirer, c’est son horizon, c’est idéologique. Quant à Royal, sa campagne peut être qualifiée de blairiste. Elle se situe même en deçà comme on l’a vu a posteriori avec sa critique des 35 heures et du SMIC (incroyable ! Même Blair a revalorisé le SMIC). Elle a aussi adopté du blairisme son versant sécuritaire. Il me semble que dans ces moments  de grande incertitude socio-économique, quand les plus défavorisés souffrent des restructurations, des délocalisations, d’un pouvoir d’achat rogné, un gouvernement de gauche devrait défendre ces catégories et non exacerber la dérégulation néolibérale en disant : soyez contents d’avoir un boulot même mal payé et flexible.

Aujourd’hui, l’opposition politique majeure n’est plus entre la gauche et la droite, mais c’est une opposition qui traverse les partis sociaux-démocrates et qui met face à face blairistes et progressistes.

Nicolas Sarkozy affiche lui aussi sa proximité avec Tony Blair…

Philippe Marlière. Que Nicolas Sarkozy se réfère à Blair sur le plan économique, approuve ses politiques sécuritaires et partage son admiration pour les États-Unis, c’est dans la logique des choses. C’est un fait connu ici, Blair souhaitait la victoire de Sarkozy. Entre les deux hommes, il existe une admiration et une sympathie mutuelle. Les politiques de Blair et les intentions déclarées de Sarkozy coïncident.

Quels enseignements tirez-vous du blairisme pour la gauche française ?

Philippe Marlière. Il a pu prospérer électoralement dans des conditions politiques particulières, après vingt ans de thatchérisme et de défaite en rase campagne de la gauche britannique, depuis la grève des mineurs jusqu’à la reprise en main du Parti travailliste par Neil Kinnock. Celui-ci avait préparé le terrain avec les purges des éléments de gauche du Parti travailliste, pas seulement les trotskistes, mais des sociaux-démocrates bon teint, qui ont été mis de côté progressivement en une dizaine d’années. Le mode de fonctionnement du parti est devenu plébiscitaire et a renforcé les pouvoirs du leader. Quand Blair en prend la tête en 1994, il n’a plus qu’à mettre en oeuvre sa politique. C’est un premier point important. Ensuite, il est arrivé au pouvoir alors que les conservateurs faisaient l’objet d’un rejet viscéral et qu’il y avait un grand espoir populaire pour le changement. Malgré les échecs des dernières années, malgré tout ce qu’on peut reprocher à la gauche, et au PS en particulier, la France reste culturellement, idéologiquement, beaucoup plus à gauche que la Grande-Bretagne. La thèse de la « droitisation » de la société française, défendue par certains, n’est pas démontrée. Tous les sondages qualitatifs montrent, à l’inverse, qu’il existe une forte attente sociale. C’est tout le génie stratégique de Sarkozy d’avoir fait voter en faveur d’une plate-forme néolibérale tout en ayant pris soin, le temps de la campagne électorale, de flatter l’électorat de gauche. Cela lui a permis de remporter une élection que la gauche aurait dû gagner. Il serait suicidaire pour cette dernière d’importer en France le blairisme et son pessimisme social, de promouvoir une politique qui viendrait décourager ce qui a au contraire besoin d’être réactivé : l’aspiration à davantage de solidarité et de justice sociale.

Entretien réalisé par Jacqueline Sellem pour l'Humanité