Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/10/2014

La lutte des classes au corps-à-corps

mademoiselle julie,liv ullmann,d’august strindberg,humanité

Colin Farrell et Jessica Chastain interprètent un couple gouverné par les rapports sociaux de domination.

Photo : Pretty pictures
Liv Ullmann livre une puissante adaptation cinématographique de la pièce d’August Strindberg "Mademoiselle Julie".

August Strindberg, dramaturge suédois, écrit à la fin du XIXe siècle l’une des pièces les plus marquantes de son répertoire, une « tragédie naturaliste » montée depuis par une pléthore de metteurs en scène.

À leur nombre, Liv Ullmann, qui se voue de longue date à la mise en scène de théâtre et adapte cette fois l’œuvre au cinéma. Et c’est un saisissement d’intelligence artistique, le fruit d’une détermination de créatrice à hauteur de celle de l’auteur.

L’action se déroule ici tout entière dans un château d’Irlande, texte en anglais oblige, durant la nuit de la Saint-Jean.

À ces trois unités qu’impose la règle théâtrale, Liv Ullmann désobéit en les devançant d’un prologue qui fait retour sur l’enfance de Julie, petite fille qui file au travers de l’opulence de son domaine. À sa solitude d’alors, sa première apparition en jeune femme renverra l’écho d’une présence étrange et crue, la disharmonie d’une maigreur hantée d’un éclat fané qui parvient encore à retenir quelque lumière à la façon d’un flacon à liqueur à l’inquiétant contenu.

Mademoiselle Julie (Jessica Chastain) semble surgir de l’inconnu dans la cuisine du château paternel où tout va se jouer. Royaume des domestiques qu’elle dérange de plein droit, mêlant à la morgue de son lignage comme une avidité de pauvresse à l’échange humain, une pâle tristesse.

En allégorie du pouvoir aristocratique, les bottes d’un père que l’on ne verra jamais. John, son valet (Colin Farrell), s’emploie à les cirer avec la maîtrise revendiquée de l’absolue servitude.

Il en porte de semblables qu’il saura faire claquer dans les moments d’exaspération d’une condition sociale qui le révulse depuis toujours, mais aussi quand, dans le duel mortifère qui va l’unir un temps à Julie, il la contraindra à en rabattre sous l’empire de sa virilité.

Les enjeux de la pièce 
sont incarnés avec brio

Lutte des classes et lutte des sexes, les enjeux de la pièce sont incarnés avec brio. Aux deux personnages principaux s’ajoute celui de Kathleen, la cuisinière (Samantha Morton) à laquelle John est fiancé. Falote dans la pièce, Liv Ullmann choisit de lui donner de la consistance.

Kathleen tentera d’ordonnancer un chaos qu’elle ne peut empêcher, vivant rappel à un ordre social immuable pour qui s’anoblit de foi religieuse. Sinon, pas de figuration, ni de personnages secondaires, toute l’attention restant concentrée sur le drame, la multiplicité de ses facettes et la force expressive qui les mettra à nu sans déboucher jamais sur une vision d’ensemble univoque.

Nuit de la Saint-Jean, nuit d’ivresse et de vérités, célébration païenne de la fécondité, autorisation transitoire de quête des oracles. C’est au néant que mademoiselle Julie va se donner, scellant son avenir par l’entremise de John.

Il est né pauvre, a grandi avec une froide colère d’ascension qui l’a propulsé dans l’appropriation des codes et connaissances de la caste qu’il envie. Julie ne ressent que le vide qui l’habite, le rêve de chute qui l’angoisse et l’aimante. Elle va la première provoquer John, que son intrusion choque et tente. Elle pourrait être l’instrument de son évasion vers des sphères où il estime avoir sa place. Il pourrait être, pour elle, celui d’un avilissement suicidaire qu’elle ignore désirer.

Ils vont s’étriller, se cingler, entreprendre et achever une danse de séduction et de mépris, d’érotisme et de souillures, de fracas à mots touchants et d’insultantes retenues. Classes en lutte, femmes sans place, la terrible modernité de la pièce, son mécanisme extraordinaire de sens jailli de ce que l’on n’appelait pas encore l’inconscient, sont offerts à notre perception contemporaine avec toutes les nuances que conjuguent mise en scène, filmage et adresse de grands acteurs.

Liv Ullman, du théâtre au cinéma
Quoique norvégienne, Liv Ullmann est née à Tokyo, où son père travaille comme ingénieur des mines. La famille émigre ensuite au
Canada puis aux États-Unis pour échapper à la guerre. Sa première carrière est au théâtre. Liv Ullmann réalise aussi plusieurs films, elle obtient une certaine reconnaissance avec Sofie et un succès en Norvège avec l’adaptation d’une trilogie romanesque de l’écrivain
prix Nobel Sigrid Undset, Kristin Lavransdatte
 
 

30/09/2014

Guerre à Gaza : Des témoins accablent Israël

gaza4.jpg

Crimes de guerre, crimes contre l’humanité... Le tableau dressé par le tribunal Russell montre qu’Israël n’a pas respecté le droit international.
 
Bruxelles (Belgique), envoyé spécial. L’opération « Bordure protectrice », qui a tué cet été quelque 2 500 citoyens gazaouis et fait plus de 10 000 blessés, dont 3 312 enfants et 2 120 femmes, a été largement au coeur du débat de cette session extraordinaire du tribunal Russell. Créé en 2009 sous le parrainage de l’ancien diplomate Stéphane Hessel (qui fut déporté dans un camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale), ce rassemblement de citoyens tente depuis lors de sensibiliser les opinions publiques sur les violations du droit international en Palestine. Composé de juristes internationaux, la cour analyse depuis cinq ans plusieurs aspects de la situation : la complicité des multinationales occidentales, la responsabilité de l’Union européenne, des États- Unis et des Nations unies, ainsi que la situation d’apartheid provoquée par la politique israélienne à Gaza. La session extraordinaire de mercredi et jeudi, qui se tenait à Bruxelles, est allée encore plus loin, examinant pour la première fois les potentialités de crime de génocide commis par Israël à Gaza cet été.
 
L’horreur de ces cinquante jours
 
Dans le cadre ouaté du Albert Hall, les témoins qui se sont succédé à la barre, ont rappelé l’horreur de ces cinquante jours. Mohammed Omer, par exemple, journaliste palestinien – seul parmi les quatre Gazaouis invités par le tribunal à avoir pu sortir de Palestine à la seule grâce de son passeport néerlandais – a relaté certains des crimes commis par l’armée israélienne, dont des exécutions sommaires et des humiliations. Le cas de l’imam d’un quartier sud de Gaza, Khalil Al Najjar, cinquante-cinq ans, est édifiant. L’homme est tranquillement assis chez lui lorsque des tanks tirent sur des maisons voisines. Il décide de sortir. Devant femmes et enfants, des soldats l’obligent à se déshabiller et lui demandent d’aller nu à la mosquée pour lancer non pas un appel à la prière mais demander à l’ensemble des jeunes hommes de la zone de sortir en toute sécurité. « Bien entendu ces jeunes-là ont été faits prisonniers », explique le journaliste, « utilisés comme boucliers humains et pour certains torturés ».
 
Le témoignage d’Eran Efrati, ancien sergent de l’armée israélienne et ex-directeur du groupe de recherche Breaking the silence, composé d’anciens vétérans, continue de donner la nausée. L’ex-soldat raconte, vidéo à l’appui, l’histoire de Salem Shamaly, un jeune Gazaoui de vingt ans. « C’était le lendemain de l’intrusion de Tsahal dans Shujaiyya avec des M-13 américains, raconte Eran. Ce jeune et d’autres venaient s’enquérir des familles alentour. » Sur la vidéo, une première balle touche le jeune homme sur le flanc gauche, qui s’écroule dans les gravats. Il tente de se relever. Deux autres tirs secs résonnent et l’achèvent. Après enquête, Eran Efrati obtient le témoignage de soldats. « En réalité, le sniper a demandé par deux fois à son officier l’autorisation de tirer. Par deux fois l’officier a donné son autorisation alors qu’il n’y avait aucun danger. Mais tout cela n’a rien d’extraordinaire », prévient l’exsergent, « car Tsahal n’a qu’un but : terroriser les habitants de Gaza pour briser toute résistance... Et croyez moi d’autres attaques auront lieu bientôt ».
 
Une technique que Michaël Mansfield, membre du jury et professeur de droit à Londres, explique par la doctrine de la Dahyia utilisée par Israël depuis 2006 : « Il s’agit en réalité de punir de manière disproportionnée une population civile pour les actes commis par la résistance intérieure. Ce qui est un crime. Israël ne combat pas un État mais un peuple enfermé. La loi internationale le dit en tant que tel. Imaginez 700 tonnes de munitions lâchées sur un petit territoire comme Gaza. » Autre membre du jury, l’avocate Vandana Shiva accuse franchement Israël : « Ce que nous avons vu lors de ces témoignages n’est pas un acte de guerre, mais de vengeance. Des écoles des Nations unies attaquées, 220 usines endommagées sur 300, soit 70 % de l’industrie.
 
La quasi-totalité des fermes détruites. Tout ceci porte un nom, c’est un crime contre l’humanité. » Destructions d’hôpitaux et attaques d’ambulances et de personnel de santé sont aussi évoquées par le chirurgien norvégien Mads Gilbert. « C’est la quatrième fois en huit ans que je me retrouve sous les bombes. Mais je tiens à dire que je n’ai pas vu la moindre roquette envoyée depuis un hôpital ou une clinique durant toute cette période. »
 
Des attaques qu’ignore voire encourage de plus en plus la population israélienne. David Sheen, journaliste au quotidien israélien Haaretz, explique comment le travail de sape de l’extrême droite religieuse a pénétré les esprits des Israéliens qui n’hésitent plus à afficher leur haine sur les réseaux sociaux. « Ils sont encouragés », explique le journaliste. « Ayelet Shaked, du parti du foyer juif et membre de la Knesset, a dit un jour : “Derrière chaque terroriste se tiennent des douzaines d’hommes et de femmes. (...) Ils sont tous des combattants ennemis et ils devraient mourir. Ceci concerne aussi les mères de ces martyrs. Elles devraient donc subir le même sort que leurs fils.”. » Sans commentaire.
 
gaza,crimes de guerre,tribunalAprès la session du tribunal, jurés comme témoins sont allés jeudi après-midi au Parlement européen, à l’invitation du groupe de la Gauche unitaire européenne, afin de rendre compte de leurs travaux, dans le but de sensibiliser députés et États membres. Comme le rappelle la juriste française Agnès Bertrand-Sanz, ces derniers ne sont pas loin, par leur politique de l’autruche, d’être complices de ces massacres.

- See more at: http://www.humanite.fr/guerre-gaza-des-temoins-accablent-...

21/09/2014

Ceci n’est pas un tableau d’Edward Hopper

hopper1.jpg

Shirley. Visions of Reality, de Gustav Deutsch. Autriche. 1 h 32

Voyage dans la peinture d’Edward Hopper, le film du cinéaste et architecte 
Gustav Deutsch nous absorbe vraiment à l’intérieur des toiles. Un étonnement enchanteur.

Les tableaux d’Edward Hopper requièrent au plus haut point la personne du spectateur, exigeant sa déambulation.

Ce n’est pas la manière de peindre mais l’essence même de sa démarche picturale qui vous place en voyeur. Force est ensuite d’en enjamber le seuil sous l’impératif de la projection. Puis, l’on reprend sa place initiale, poches emplies d’impalpable, à la façon d’un voleur qui n’aurait rien soutiré, ni dérangé. Qui n’a rêvé la voix des personnages de ses toiles habitées, la mise en mouvement de leur immobilité, quelques fragments de leurs motifs.

Ce fantasme dont la puissance peut nous fixer longtemps au sol, Gustav Deutsch nous offre le loisir, non de le réaliser, ce qui en confinerait l’espace, mais de lui offrir comme un nouveau limon d’imaginaire et de réflexion. Il a choisi treize tableaux dont il a reconstitué décors, lumières, costumes et accessoires.

Neuf ans de travail. Surtout, il a inventé un personnage féminin, Shirley (Stéphanie Cumming), s’emparant de toutes les possibilités ouvertes par Hopper, de tout ce que le peintre ne montre pas.

Dans la première pièce où se tient Shirley, les premiers mots de sa voix intérieure insultaient « l’affreuse lumière » de la chambre d’hôtel parisienne qu’elle a hâte de quitter. Les premiers plans montraient un compartiment de train, des sièges étrangement disposés et la jeune femme se détachant de l’un d’eux en amorce de l’histoire, la sienne, qu’elle va de toile en toile raconter.

Cette femme étant engagée, en art comme en politique, la trame en sera inextricablement tissée à celle du monde. À l’instar d’un roman de Dos Passos, les nouvelles nous en parviennent par bribes radiophoniques, le 28 août de chaque année de 1932 à 1963.

hopper3.jpgShirley, souvent seule dans le tableau, est une actrice qui a rejoint le Group Theatre. Elle pense que le quotidien doit alimenter le théâtre et non l’inverse. En miroir de cette mise en scène, Steve (Christoph Bach), son compagnon, photojournaliste qui doit se colleter le réel.

Gustav Deutsch nous invite à une équipée au long cours, trente ans de la vie d’une femme dans l’espace même des œuvres. Grande dépression, chômage, Seconde Guerre mondiale, maccarthysme et trahisons, architectures des plans, géométries des couleurs, le cinéaste n’est pas iconoclaste. Il affirme son propos en se gardant de l’effraction.

Son récit poétique s’ancre dans des contextes d’époques et l’inventivité, d’être déployée d’une main sûre qui use d’audace technologique, ne brise pas pour autant les cadres. Le plan fixe de la toile s’anime des mouvements de caméra.

Le montage permet une articulation inédite à laquelle aucune salle de musée ne pourrait se prêter. La musique de chaque temps adresse ses signes propres. Blues de la grande dépression, Fréhel, Big Mama Thornton ou Joan Baez chantant les droits civiques. Vision de la réalité ou ombres projetées ainsi qu’aux parois de la caverne de Platon, nul besoin de trancher.

Ne restera au fond que l’unique vérité, celle du grand soleil de Van Gogh ou d’Apollinaire. Et trois petites notes de musique

Dominique Widemann, l'Humanité  : http://www.humanite.fr/ceci-nest-pas-un-tableau-dedward-h...

09:20 Publié dans Actualités, ACTUSe-Vidéos, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hopper, film, shirley, peinture | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

16/09/2014

Michèle Delaunay pointe des élus déconnectés de «la vraie vie»

delaunay.jpgSur son blog, l'ancienne ministre et députée Michèle Delaunay souligne la déconnexion des réalités de certains de ses collègues

Après avoir brillamment réussi ses études à Sciences-Po, le jeune étudiant intègre la fonction publique, ou le cabinet d’un élu, avant d’être parachuté dans une circonscription facile, sous le regard bienveillant «d’un mentor», et d’y rester implanté pour plusieurs mandats, en les cumulant bien évidemment.

Voilà le parcours d’un certain type de politiques français, tel que décrit par l’ancienne ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’autonomie, la socialiste Michèle Delaunay, qui a voulu dénoncer cet itinéraire tout tracé de nombreux élus français, dans un billet publié sur son blog samedi, «Comment faire carrière sans mettre un pied dans la vraie vie».

 
 

Seul passeport

Elle appelle cela «le tunnel», une fois dedans, la carrière de ces jeunes élus va se dérouler sans accroc en dehors de toute réalité sociale ou économique. «Ces élus n’ont jamais connu la vie réelle. Entrés tôt dans le tunnel, ils n’en sont jamais ressortis, dénonce-t-elle. S’il est élu, le parachuté devient un conquérant. Nul, sur le terrain, ne le connaissait avant, ne sait vraiment quelles études il a fait ou s’il a eu jamais la moindre responsabilité. Son document électoral est son seul passeport.»

Son nom n’est jamais cité mais le parcours décrit rappelle évidemment le cas Thomas Thévenoud. Après avoir réussi Sciences-Po Paris, le nouveau paria de la gauche était entré en 2000, à l’âge de 26 ans, au cabinet de Laurent Fabius, alors ministre de l’Economie et des Finances. Avant d’être élu premier adjoint à Montceau-les-Mines en 2001, de devenir vice-président du conseil général de Saône et Loire en 2008, d’entrer à l’Assemblée nationale en 2012 et d’entrer au gouvernement Valls, pour neuf jours.

A lire aussi notre récit «Thévenoud, le politique qui voulait s’imposer»

Dans son billet, Michèle Delaunay raille cet entre soi politique, d’élus tous originaires du même milieu social et fabriqués dans le même moule. Ce qui n’est pas son cas. La députée de Gironde a en effet une longue carrière en tant que médecin à Bordeaux avant d’entrer en politique en devenant conseillère municipale à Bordeaux à 2001, à l’âge de… 54 ans. Un parcours plutôt rare dans le paysage politique français.

Seulement deux ouvriers à l’Assemblée nationale

«J’ai pour voisin à l’Assemblée un des deux seuls exploitants agricoles qui y siègent. Il s’y sent sur une autre planète et raisonne d’une manière différente. Pour sûr, il sait ce que payer une facture veut dire ou répondre à une échéance», explique-t-elle toujours sur son blog. 

Les statistiques des origines sociales des députés de l’actuelle législature viennent confirmer ce constat. Ainsi 81,5% des 577 députés appartiennent à la catégorie des cadres et des professions intellectuelles supérieures. Contre 6,6 % des artisans et seulement… deux ouvriers, selon l’Observatoire des inégalités.

Face à cette réalité, Michèle Delaunay tente de sensibiliser les électeurs : «Dans le choix que vous aurez à faire de l’un ou l’autre candidat à l’une ou l’autre élection, il peut n’être pas inutile de regarder s’il est passé par la case Réalité.»

Jérémie LAMOTHE pour Libération

12:31 Publié dans Actualités, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : delaunay, députés, ps, assemblée nationale | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!