25/01/2010
RETRAITES : UN SONDAGE EN CHASSE UN AUTRE
Souvenez vous, dans une récente contribution publiée par Agoravox et qui a suscité un certain intérêt avec près d’une centaine de réactions de votre part, j’avais indiqué à propos du sondage de l’IFOP diffusé par le Journal du Dimanche, qu’il était orienté et qu’il participait à un lancement d’une campagne gouvernementale pour imposer le recul légal du départ à l’âge à la retraite.
L’actualité politique m’a donné raison. La succession dans les médias des hommes politiques de Droite et Socialistes se saisissant des résultats de ce sondage pour justifier cette réforme a été hallucinant.
Pourtant un sondage de CSA, diffusé par le journal l’Humanité du 25 janvier de cette année, contredit largement celui de l’institut de sondage dirigé par Mme Parisot, sans pour cela d’ailleurs avoir les mêmes échos médiatiques ce qui démontre maintenant qu’au sondage orienté s’ajoute aujourd’hui celui de la manipulation de l’opinion publique.
Dans la contribution publié par Agoravox j’avais dit pour rappel :
« L’IFOP a posé une question dite fermée où de toute façon votre réponse est totalement orientée.
La question : Et si vous aviez le choix (les choix imposés de fait par l’institut), concernant votre retraite, préféreriez vous… ?
- cotiser davantage pour partir à la retraite le plus tôt possible…41 %
- Travailler le plus longtemps possible pour garantir une retraite satisfaisante…34 %,
Soit un total de 75 % (91 % pour les plus de 65 ans toujours non concernés mais qui gonflent ces résultats).
La dernière proposition est la suivante :
- Partir le plus tôt possible quitte (bien sûr) à avoir une retraite moindre…23 %.
La seule question qui n’est pas posée et qui bien sûr aurait modifiée l’ensemble des réponses.
- faire cotiser les revenus du capital au même titre que celui des salariés pour maintenir le départ à l’âge de la retraite à 60 et permettre des retraites satisfaisantes pour tous. »
CSA a justement posé cette question et le schéma des réponses a alors était complètement bouleversé.
La question précise posée par CSA était la suivante : « Parmi ces mesures, laquelle ou lesquelles (deux réponses étaient possibles) vous paraissent elles les plus efficaces pour garantir le financement des retraites ? , (entre parenthèse la réponse donnée à l’IFOP) :
- Mettre à contribution les revenus financiers : 50 % (l’IFOP n’a pas posé la question),
- Augmenter les cotisations : 31 % (41 %),
- Allonger la durée des cotisations : 29 % (41 %),
- Diminuer le montant des pensions : 7 % (23 %).
Une autre série de réponses de ce sondage attire également l’attention. A la question suivante posée par CSA « Si le choix ne dépendait que de vous, à quel âge partiriez vous à la retraite ? ». La réponse en moyenne est de 59 ans, elle était de 60 ans en 2006.
L’augmentation de la pénibilité, du stress, les inquiétudes sociales, la montée du chômage expliquent sans doute en partie ces réponses.
Le débat sur les retraites est loin d’être clos. Il n’est pas que purement comptable (le recul du départ à l’âge à la retraite selon les normes actuelles imposées serait alors d’au moins 67 ans comme le dit très justement à ce propos le MEDEF), il est aussi celui du choix d’une civilisation, d’un choix de justice sociale, c'est-à-dire finalement celui avant tout d’un choix politique..
Diaz Diego, Maire adjoint d'Evry, délégué aux Seniors et à 'Intergénération
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12/01/2010
RETRAITES : UN SONDAGE ORIENTE
Le journal du Dimanche vient de publier un sondage IFOP sur les retraites particulièrement discutable, et dans tous les cas très orienté.
Le Journal du Dimanche, du groupe Lagardère, est situé à Droite et classé progouvernemental par de nombreux observateurs. L’IFOP est dirigé par Mme Parisot, présidente du MEDEF.
Ils sont des habitués de ce type d’opérations qui précèdent toujours des projets de lois gouvernementaux et dont l’objectif et de les justifier à partir de sondages qui sont à la limite de la falsification.
Ici l’organisation se décline en plusieurs phases :
1 – Les français sont inquiets sur l’avenir de leurs retraites.
2 – Ils sont prêts à travailler plus.
3 – Ils sont prêts à cotiser davantage.
Tout cela tombe très bien, ce sont justement les propositions gouvernementales.
1 – Les français sont inquiets. Ils sont 76 % à ne pas être confiants quant à la garantie de toucher une retraite satisfaisante à l’avenir.
Le Journal du Dimanche aurait dû ajouter que les français sont inquiets sur la plupart des sujets économiques et sociaux comme l’emploi, la santé, la sauvegarde de l’environnement, celui de la sécurité sociale, du service public, tous les sondages des autres instituts autres que l’IFOP le confirment chaque semaine.
Les français n’ont aucune confiance dans la politique sociale menée par M. Sarkozy et son gouvernement. Les dernières élections européennes l’ont prouvé, plus de 70 % des électeurs n’ont pas voté pour les partis UMP et NC qui le soutiennent, et tout laisse penser qu’il en sera de même à propos des prochaines élections régionales.
Le sondage effectué en décembre 2009 par Sciences-Po/Cevipof indique aussi que 64 % des français n’ont pas confiance au Président de la République actuel.
2 – Ils sont prêts à travailler plus.
La question exacte est la suivante : « l’âge jusqu’auquel la personne est prête à travailler pour avoir une bonne retraite ? », anticipée d’une autre histoire de bien conditionner le sondé, « d’après vous à quel âge serez-vous contraint de partir à la retraite ? », sauve qui peut, à cette dernière question, la réponse en moyenne est de 64,7, et à la première 61,9 ans. Ouf nous l’avons échappé belle…
Mais là où cela se corse, est que les réponses dans le détail ne sont pas si limpides que cela. Bien sûr le Journal du Dimanche ne les publient pas, pour cela il est nécessaire d’accéder à l’ensemble du sondage publié sur Internet.
Ce qui frappe est tout d’abord que ceux qui sont prêts à travailler le plus sont ceux qui ne sont plus concernés, les plus de 65 ans (qui en moyenne rappelons le sont retraités déjà depuis près de 8 ans, l’âge moyen de départ se situant à 57,5 ans). Ils sont 82 % à demander que les autres travaillent à plus de 65 ans.
Par contre les jeunes de 18 à 24 ans qui sont à 70 % au chômage ou dans la précarité ne sont que 40 %, contre 60 % à vouloir travailler au-delà de 65 ans.
Cela pose un problème de solidarité intergérationelle évident. Ceux qui veulent travailler au-delà de 60 ans le font mécaniquement au détriment des plus jeunes. Les statistiques du chômage mettent en évidence ce phénomène, aujourd’hui avec 10 % de sans emplois le recul du départ à l’âge à la retraite se fait contre l’intérêt des plus jeunes.
3 – Vous devrez travailler plus en cotisant davantage. Entre la peste et le choléra, vous devrez choisir les deux.
L’IFOP a posé une question dite fermée où de toute façon votre réponse est totalement orientée.
La question : Et si vous aviez le choix (les choix imposés de fait par l’institut), concernant votre retraite, préféreriez vous… ?
- cotiser davantage pour partir à la retraite le plus tôt possible…41 %
- Travailler le plus longtemps possible pour garantir une retraite satisfaisante…34 %,
Soit un total de 75 % (91 % pour les plus de 65 ans toujours non concernés mais qui gonflent ces résultats).
La dernière proposition est la suivante :
- Partir le plus tôt possible quitte (bien sûr) à avoir une retraite moindre…23 %.
La seule question qui n’est pas posée et qui bien sûr aurait modifiée l’ensemble des réponses.
- faire cotiser les revenus du capital au même titre que celui des salariés pour maintenir le départ à l’âge de la retraite à 60 et permettre des retraites satisfaisantes pour tous.
Rappelons que c’est la principale proposition de la CGT et des Partis du Front de Gauche, et aussi que le CAC 40 dont est membre le Groupe Lagardère commanditaire de ce sondage a progressé de 22 % en 2009, et que depuis 1979 la part des salaires et autres rémunérations dans la valeur ajoutée a diminué de 10 % au détriment des profits.
Ce n’était donc pas une proposition anodine qui aurait sans doute permis plus de réflexion quand au choix de société que nous voulons.
La demande de répartition juste des revenus est une demande forte de l’opinion publique, ainsi dans le sondage de Cevipof cité, 65 % des français considèrent que « pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres ».
Aujourd’hui en France les 10 % les plus riches possèdent selon l’INSEE 24,1 % de la richesse nationale, les 10 % les plus pauvres 3,7 %, et ce différentiel ne cesse d’augmenter depuis la mise en place du bouclier fiscal.
Le débat sur la retraite, comme celui de la santé ou de la défense de l’environnement relève d’un débat de fond du devenir de notre société, et ce n’est pas à partir de sondages orientés qu’il pourra se mener sereinement.
Diaz Diego, Maire adjoint d'Evry, délégué aux Seniors, maintien à domicile et à l'intergénération
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14/12/2009
À quoi sert la vidéosurveillance ?
TABLE RONDE
AVEC : ALAIN BAUER, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE DE LA VIDÉOSURVEILLANCE (*) GILLES SAINATI, MAGISTRAT, MEMBRE DU SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE (**)
Le gouvernement veut tripler le nombre de caméras de vidéosurveillance sur la voie publique en France, d’ici à la fi n 2011… Ce dispositif vous semble-t-il effi cace pour prévenir la criminalité et faciliter le travail d’enquête de la police ?
GILLES SAINATI. Non ! En Grande- Bretagne, le pays qui compte le plus de caméras de vidéosurveillance au monde et où les personnes sont filmées, en moyenne, trois cents fois par jour, la délinquance n’a pas baissé de façon significative. Même le rapport sur la vidéosurveillance, réalisé par l’inspection générale de l’administration, l’inspection générale de la police nationale et l’inspection technique de la gendarmerie nationale, pour le ministère de l’Intérieur, démontre manifestement que les violences faites aux personnes, par exemple, ne diminuent pas si une caméra est installée sur les lieux de l’événement. Il ne faut pas succomber à une fascination du tout-technologique, je pense que la vidéosurveillance n’apporte rien en matière de lutte contre la délinquance.
ALAIN BAUER. C’est vrai qu’il existe une certaine fascination pour la technologie… mais je ne suis pas d’accord avec le reste de vos propos. Certes, au début, une partie des opérateurs de vidéosurveillance – l’exemple le plus emblématique étant celui de Levallois (92) – considéraient quasiment que les caméras allaient descendre des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs ! Les caméras étaient installées avant même de savoir à quoi elles devaient servir. En revanche, aujourd’hui, si l’on place une caméra qui isole un objectif précis, sur un territoire où il existe une visibilité et qui permet de répondre à ce qui est vu en temps réel, enregistré et transmis au centre gérant les images, alors la vidéosurveillance est efficace. Par exemple, le fait de protéger des véhicules dans un parking avec ce type de dispositif a beaucoup rassuré les gens, et je pense notamment aux parkings parisiens dans lesquels les femmes avaient peur de garer leur voiture. Donc, la vidéosurveillance « prêt-àporter » ne sert pas à grand-chose, tandis que la vidéosurveillance « sur mesure » peut être très efficace.
GILLES SAINATI. Certes, les caméras installées dans les parkings pour protéger les objets, les voitures, peuvent avoir un effet dissuasif ou rassurant… Mais le problème, c’est de vouloir résoudre la délinquance par les caméras de surveillance, c’est autrement différent ! La vidéosurveillance ne permet pas d’élucider plus d’affaires que les procédures classiques, et elle ne prévient pas le passage à l’acte. Dans la réalité on se heurte souvent à d’autres problèmes humains, notamment à la violence inhérente à l’auteur qui donne lieu au passage à l’acte, caméra ou non. Donc fonder une politique de sécurité uniquement sur la vidéosurveillance… c’est dangereux !
ALAIN BAUER. La question de savoir si la vidéosurveillance est plus efficace en matière de prévention ou pour le travail des enquêteurs est très complexe. Beaucoup d’études anglaises ont analysé ce sujet et leurs conclusions sont diverses : il y en a pour qui ce dispositif ne change rien, d’autres un peu, tandis que certaines montrent que la vidéosurveillance a eu de vrais effets bénéfiques… Concernant ces publications, on se rend compte d’ailleurs que la vidéosurveillance est efficace lorsque les caméras sont bien utilisées. Par exemple, si vous mettez une caméra aux portes du Stade de France, vous avez un objectif clairement identifié qui est la gestion de la sortie des supporters du PSG, dont chacun sait qu’ils ne sont pas systématiquement aussi gentils que ceux du Stade Français de rugby : cette caméra pourra donc être utile sur un espace ouvert parce qu’elle a un objectif précis. Dans ces cas, la vidéo permet de rassurer le public, peut dissuader les auteurs d’actes malveillants ou encore permettre à la police d’identifier plus facilement les personnes en cause. L’exemple est aussi vrai pour le métro, ou le bus dans lequel aujourd’hui le conducteur est seul et ne peut pas exercer les deux autres métiers de contrôleur et de receveur qui existaient autrefois… Plus l’objet est précis, plus le moment est déterminé, plus l’action est identifiée, plus le dispositif est efficace. Comme à Lyon, la préfecture de police à Paris a fait ce travail doublé d’un contrôle éthique.
Mais le gouvernement parle de milliers de caméras dans la rue…
ALAIN BAUER. Il existe déjà des centaines de caméras de gestion de la circulation contre lesquelles personne n’a d’objection particulière parce qu’elles permettent de gérer les feux tricolores, le trafic…
GILLES SAINATI. Mais aujourd’hui on parle de la prévention de la délinquance : c’est l’objectif des soixante mille caméras de vidéosurveillance annoncées par l’État !
ALAIN BAUER. Effectivement, le gouvernement a une politique qui vise à rajouter des caméras pour lutter contre la délinquance. Les caméras peuvent aider à la prévention situationnelle dès lors qu’elles sont bien placées, avec un objectif précis, comme je l’ai l’expliqué, et elles peuvent aussi permettre d’identifier un auteur après un événement et éventuellement enclencher une procédure. Or ce travail d’enquête peut être facilité par des caméras qui ont été positionnées, à l’origine, pour contrôler des activités techniques. Il n’existe pas une espèce de caméra gentille et de caméra méchante.
GILLES SAINATI. Je ne rentre pas dans ce discours binaire. Bien sûr, on ne doit pas donner un rôle à la vidéosurveillance qu’elle ne peut pas assumer, c’est-à-dire, à mon sens, remplacer les hommes sur le terrain. Or on assiste aujourd’hui à la suppression d’un nombre de postes de policiers qui donne tout de même l’impression que cette augmentation du nombre de caméras de vidéosurveillance aurait pour objectif de remplacer le contact à la fois de l’éducateur de rue mais aussi des policiers qui font de la prévention. Puis, certes, la caméra de vidéosurveillance ne date pas d’aujourd’hui, c’est un dispositif que l’on a commencé à utiliser un peu avant les années 1980 mais il n’a pas empêché l’évolution de la délinquance quelle qu’elle soit. C’est donc un instrument dont il faut maîtriser l’utilisation et non pas être maîtrisé par lui. Bien sûr, notre société évolue vers un transfert des données papier en données numériques et en données visuelles, ça a un avantage mais il ne faut pas s’y restreindre : les rapports humains sont très importants en matière de délinquance, que ce soit au niveau de la prévention ou de la sanction. On ne pourra jamais se passer des hommes. Pour reprendre l’exemple du bus, évoqué par M. Bauer, je crois qu’il serait judicieux qu’il y ait à la fois des caméras et une personne présente pour voir comment se passe le trajet tout simplement, mais aujourd’hui, nous avons perdu cette notion de service à l’usager.
Justement l’investissement, d’environ 21 millions d’euros, consacré à la vidéosurveillance ne risque-t-il pas de se faire au détriment d’autres actions préventives et de celles des policiers sur le terrain ?
ALAIN BAUER. La France, contrairement à ce qui est souvent dit, ne possède pas moins de policiers que d’autres pays, elle est dans la moyenne de ceux de l’Union européenne. Ensuite, le débat qui a amené vers l’usage des caméras découle justement de la multiplication, qui a existé, longtemps, de policiers à caractère statique, les « pots de fleurs » comme on les appelait. Donc l’idée que les policiers statiques soient remplacés par la vidéosurveillance, et qu’ils puissent alors faire du travail de présence, de visibilité, de proximité, a du sens. De la même manière, l’idée de posséder une police d’intervention qui se serve de l’outil caméra en temps réel plutôt que d’avoir des forces statiques, peu à même d’intervenir parce que jamais à l’endroit où l’événement se produit, a du sens. Donc la caméra peut avoir son utilité, elle ne doit pas être considérée comme un « remplaçant à », mais comme une amélioration de la disponibilité et de l’efficacité des forces sur le terrain.
GILLES SAINATI. C’est le débat sur la police de proximité qui revient de manière sporadique dans le débat public sur la sécurité… Mais il faut savoir que ces caméras seront implantées par les municipalités et je me demande s’il est judicieux de dépenser autant – et pour quelle efficacité – pour l’installation de caméras, notamment dans les petites villes où finalement le lien social n’est pas si rompu, et où un travail de terrain réalisé par des associations subventionnées ou des éducateurs de rue pourrait faire mieux qu’une vidéo. Je parle des petites villes ou des zones semi-rurales, parce qu’on entend souvent dire que le maire pourrait trouver une solution au désordre apparent sur la voie publique en disposant des caméras, alors qu’en réalité il passerait à côté de la réponse. Le problème est citoyen : il s’agit de notre rapport à l’État et au service public. La technique peut être utilisée, bien sûr, mais elle doit l’être sans fascination. Or j’ai bien peur que, dans cette politique de multiplication des caméras de vidéosurveillance, nous soyons là-dedans.
Et qu’en est-il de ce qu’on appelle « l’effet plumeau » : la vidéosurveillance déplace-t-elle la délinquance des zones surveillées vers des zones non couvertes ?
ALAIN BAUER. Par préjugé, je pense que la vidéosurveillance engendre un effet plumeau, mais j’avais indiqué il y a plusieurs années qu’il donnait des effets assez étranges : si on imagine des cercles concentriques qui vont de A au centre, à E à l’extrême périphérie, l’effet plumeau ne passe pas de A à B mais de A à E, c’està- dire que l’effet plumeau est assez large et aussi qu’il a un effet quantitatif décroissant. Par exemple, si on considère cent personnes qui auraient pu commettre un délit à un endroit où on a installé une caméra, on en retrouve soixante-dix plus loin. Un certain nombre d’études sur l’effet plumeau concluent qu’il existe un effet de transfert soit marginal, soit complexe. Mais actuellement, en France, on ne peut affirmer si cet effet plumeau existe ou non, car il n’existe pas encore d’outil de cartographie criminelle à l’échelle nationale.
GILLES SAINATI. C’est un peu le mouvement brownien ! Selon les chiffres du rapport du ministère de l’Intérieur, 48 % des commissariats estiment que l’effet plumeau est nul, et 52 % qu’il existe, mais ils ne sont pas en mesure de l’évaluer, donc nous ne connaissons pas réellement cet « effet ». Un trafic de drogue, par exemple, peut se déplacer d’un lieu à un autre à cause d’une caméra mais, de toute façon, la délinquance ellemême évolue de mois en mois, il est donc difficile de lui attribuer une causalité directe et temporelle par une caméra. Le problème est plus profond : le transfert d’un lieu de délinquance vers un autre répond aux contraintes des délinquants eux-mêmes, cela dépasse la mise en place d’une caméra ou non. La vidéosurveillance, par définition, aura d’ailleurs du mal à s’adapter à cette évolution de la délinquance.
L’extension de la vidéosurveillance, des banques aux parkings et à la voie publique, ne risque-t-elle pas de nous mener vers une « société de surveillance », avec toutes les menaces que cela induit pour les libertés individuelles, politiques… ?
GILLES SAINATI. Il existe une volonté de classifier les personnes, d’autant plus qu’avec l’évolution de la technologie, les caméras de vidéosurveillance pourront être reliées à des ordinateurs ayant pour mission de cataloguer les comportements et éventuellement les comportements « pré »-délinquants. Il faut donc faire attention à la catégorisation des individus. C’est le problème du fichage en général : la vidéosurveillance devient un élément d’une possibilité de fichage plus généralisé sur la voie publique. Or le fichage porte atteinte, par définition, au droit à l’oubli. Ensuite, la vidéosurveillance pose le problème du respect de la vie privée, je pense notamment aux petites villes où les gens se connaissent, et où il ne faudrait pas que tous les voisins connaissent la vie de l’autre grâce à leurs relations par le biais de ceux qui géreront les images des caméras. Et, justement, la question se pose de qui va gérer les caméras des réseaux de vidéosurveillance, sontce des personnes qui vont avoir une obligation au secret professionnel et une obligation de déontologie forte ou bien ces images seront-elles aux mains des sociétés privées, comme c’est parfois le cas, et dont on sait que les informations récupérées peuvent être utilisées à leurs fins ? Car plus la caméra de vidéosurveillance est placée dans des endroits de proximité, plus l’intrusion dans la vie privée est importante et plus il faut faire attention. La prudence est de mise par rapport à cette généralisation parce que notre société est fondée, aussi, sur le respect de la vie privée.
ALAIN BAUER. En 1995, le Conseil constitutionnel a lui-même partiellement censuré la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité et indiqué à quel point tout dispositif de sûreté de sécurité de police était attentatoire aux libertés individuelles et que le problème était d’arriver à une sorte d’équilibre. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il fallait une autorisation expresse dans des délais stricts pour que des caméras puissent être installées dans les établissements ouverts au public ou sur la voie publique. Ce n’est pas la vie privée qui est protégée, mais l’intimité de la vie privée. Pour ce qui est du fichage, la vidéoprotection, comme la vidéosurveillance, ne permet pas l’identification des individus, elle permet de voir des individus qui sont de toute façon en situation d’être vus par n’importe quel oeil dans la rue.
GILLES SAINATI. Je pense qu’il faut prolonger la réflexion par rapport au droit à l’oubli. Il existe actuellement des dispositifs en matière de vidéosurveillance qui prévoient que les enregistrements soient effacés au bout d’un certain délai, mais aujourd’hui il est nécessaire d’avoir une exigence accrue parce que l’usage d’images publiques peut atteindre la vie privée. Toutes ces questions exigent une grande réflexion, une modération de l’utilisation de la vidéosurveillance. Il faut replacer la vidéosurveillance comme technologie au sein de cette évolution technologique plus générale du fichage, des fichiers de la police, du service comportemental de la délinquance sur la voie publique… Tous ces éléments liés à la vidéosurveillance interpellent sur la société de demain et sur la notion de liberté publique et individuelle. Ces notions ne doivent pas être passées sous silence mais primer sur l’économie de l’industrie et de la vidéosurveillance.
ALAIN BAUER. Je pense que la vraie difficulté se situera dans la caméra intelligente, celle qui vous identifiera par rapport à votre comportement, ou qui repérera un visage masqué par exemple, avec ce type d’évolutions technologiques déjà visibles en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, il y aura alors un enjeu, citoyen, légal et réglementaire important. Enfin, et là je rejoins Gilles Sainati, il ne faut pas que les autorités publiques, pour des raisons financières, fassent sous-traiter par des opérateurs privés le contrôle de la voie publique. Ce dispositif serait probablement anticonstitutionnel. La Commission nationale de la vidéosurveillance y est fortement opposée.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNA MUSSO, POUR L'HUMANITE
(*) Professeur de criminologie au Cnam, coauteur de Vidéosurveillance et vidéoprotection, avec François Freynet (PUF). (**) Coauteur de la Décadence sécuritaire, avec Ulrich Schalchli. Éditions la Fabrique.
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16/09/2009
Suicide : Lettre ouverte au PDG de France Télécom
Pour France Télécom, il n’a plus de nom. Comme ses collègues, à chaque fois qu’il doit effectuer une transaction, il est identifié par un code comportant quatre lettres et quatre chiffres. Le sien, c’est DYDO 5 403 et c’est donc ainsi qu’il a choisi de signer cette « lettre ouverte » à son PDG. Il y a six ans, déjà, en 2002, il avait tenté de mettre fin à ses jours dans le bureau d’un cadre. Le service dans lequel il officiait comme technicien qualifié à la gestion du réseau était promis à la fermeture. France Télécom lui avait proposé trois postes, tous des emplois de plate-forme téléphonique, n’ayant rien à voir avec son métier. « Je suis un technicien, pas un commercial », répétait-il alors, refusant les offres. Il fut donc « muté d’office ». C’est la procédure. J’avais vingt-six ans de carrière, et deux mois ont suffi pour tout démolir », raconte-t-il. Après dix mois d’arrêt, DYDO 5 403 a dû accepter un poste « bas de gamme », comme il dit.
Il tire des fils toute la journée mais il a choisi « de ne plus se taire ». Dans sa commune de 6 000 habitants où il se fait élire comme conseiller municipal, puis dans son syndicat, la CGT, il retrouve un nom. Et contribue à créer un groupe de travail sur la question. « Il fallait briser le tabou, combattre l’idée que les suicides tiennent à des causes personnelles. c’est le travail qui fait craquer. Depuis que la CGT se préoccupe de la souffrance au travail, certains salariés reprennent nos tracts », témoigne Marie Barot, secrétaire générale de la CGT Fapt du département de Haute-Savoie, qui soutient son initiative. DYDO 5 403 a choisi personnellement de s’adresser à Didier Lombard, PDG de France Télécom, convoqué aujourd’hui par le ministre du Travail, Xavier Darcos. Pour lui, ne plus se taire c’est aussi un moyen de tenir le coup. Son « J’accuse », que vous pouvez lire ci-après, a été transmis, hier, à son chef afin de remonter les échelons hiérarchiques : direction des ressources humaines locale, direction territoriale Centre-Est, puis, direction générale.
Paule Masson, l'Humanité
Lettre ouverte
Devant le désastre humain de ces derniers jours, je me permets de vous interpeller pour apporter ma vision d’agent France Télécom sur ce séisme que vous n’avez pas vu venir, enfermé que vous êtes dans votre tour de Babel. J’estime de mon devoir de vous faire part de mes réflexions pour comprendre comment on en est arrivé là. Je suis convaincu que vous n’avez pas le monopole de la vérité, malgré votre fonction de PDG.
Avec les PDG qui vous ont précédé, MM. Bon et Breton, vous avez planifié, programmé avec des juristes, des experts, des consultants, des organismes de formation pour cadres, une politique de management et organisationnelle pour mettre sur les rails du capitalisme pur et dur notre entreprise. À travers cette politique, vous avez laminé les syndicats, vous avez éloigné inexorablement les centres de décisions en augmentant les territoires des directions régionales, ne laissant sur le terrain au plus près de vos agents que quelques petits chefs issus de leurs rangs pour servir de liens.
La première grosse erreur de cette politique a été de spolier l’identité professionnelle de la majorité de vos agents venant des PTT avec de réelles formations de métiers. Le lien sur le terrain dévolu à ces cadres « N+1 » n’avait plus rien de social. Ce n’était, ce n’est qu’un relais pour mettre en place vos méthodes, vos processus, vos directives, vos aspirations de suppressions d’emplois, pour être crédible auprès des marchés financiers. Beaucoup ne se rendent pas compte du rôle que vous leur avez fait jouer ou qu’ils jouent encore.
Les syndicats, parlons-en… Stratégiquement, là aussi tout était planifié. Par des restructurations incessantes, vous les avez confinés année après année, changement de périmètre après changement de périmètre, dans un travail de réorganisation permanent pour répondre à votre mise en place des institutions représentatives du personnel (lRP). Vous avez voulu des syndicats affaiblis. Vos fiançailles avec les marchés financiers, les actionnaires, vous ont poussé à détruire insidieusement les contre-pouvoirs garants des équilibres sociaux. Certainement au-delà de vos espérances…
Oui, pendant des années, devant le peu de lutte collective d’envergure, vous avez cru gagner. Vous pensiez, comme notre président de la République, que « quand il y a une grève à France Télécom, on ne s’en rend plus compte ». En surfant sur la démagogie et sur l’individualisation à outrance, vous avez mis en place votre politique de restructurations incessantes de vos services.
Après la perte d’identité professionnelle, la perte d’identité géographique : mobilités forcées, imposées. Avec à la clé un travail répétitif, sans autonomie, à la place d’un vrai métier.
Quel projet proposez-vous à ces personnels en errance pour se reconstruire ? Votre projet d’entreprise ? Croyez-vous sincèrement qu’ils puissent y adhérer ? Quel manque de discernement !
Pour casser toute velléité, mise en place d’un management impitoyable, infantilisant, ou dans chaque parole des cadres on entend les mêmes réponses, les mêmes allégations, les mêmes phrases, les mêmes arguments, à la virgule près, pour nous faire accepter l’inacceptable. Sans oublier les chiffres, les indicateurs… Ces années que vous avez planifiées sont d’une violence inouïe. Je suis sûr que l’histoire le jugera un jour ou l’autre. Et voilà que cette violence vous revient en pleine figure, comme un boomerang.
Vous avez cru gagner mais vous avez perdu. Ne laissant que peu d’espace à l’expression démocratique, aux luttes collectives, aux résistances organisées, en méprisant la représentation syndicale (il suffit de lire les réponses faites aux questions des délégués syndicaux et des délégués du personnel où ne transpirent qu’arrogance, suffisance, mépris), vous n’avez pas vu ou pas voulu voir apparaître depuis quelques années une nouvelle forme de lutte insidieuse, souterraine : le suicide… La nature a horreur du vide. Sur les conseils éclairés de certains experts ès communications à la solde des décideurs économiques et politiques, vous avez fanfaronné, dénié ce sujet. Vous avez sali la mémoire des premiers collègues disparus en les méprisant, en cantonnant leur geste désespéré dans des problèmes familiaux, personnels.
Quelle erreur, quel dédain, quelle suffisance ! À force de ne côtoyer que les arcanes des pouvoirs politiques, économiques, médiatiques, on en devient aveugle… Les travailleurs, les gens de peu, les millions de personnes n’ayant pas de Rolex à cinquante-cinq ans n’existent plus…
Et pourtant, la médecine du travail, malgré son peu de moyens, vous alertait. Les comités d’entreprises (CE), les comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT) aussi. Mais la victoire est une drogue douce, elle enivre, elle isole, elle grise. Votre rouleau compresseur écrasait tout sur son passage. Les bénéfices année après année justifiaient vos choix auprès des marchés. Vos actionnaires vous remerciaient…
Devant ce no man’s land de luttes dignes de ce nom, ces signaux puérils de détresse ne vous inquiétaient pas. La puissance de votre communication étouffera à travers les médias ces résidus de gêne d’image de la marque, pensiez-vous. La voie royale du libéralisme était dégagée. On a gagné ! on a gagné ! Et puis le grain de sable. Vos agents hommes, femmes qui veulent vivre debout, dignes, devant votre mutisme, osent symboliquement perpétrer leur suicide sur leur lieu de travail. Crime de lèse-majesté…
En réponse, toujours votre mépris. Pour calmer les médias, vous faites dire par un de vos directeurs : « À France Télécom, on ne se suicide pas plus qu’ailleurs. » Quelle gaffe ! Quel camouflet pour ces hommes et ces femmes ! Vous rendez-vous compte où vous a mené votre aveuglement ? Obliger vos agents avant leur dernier geste à bien préciser qu’ils n’avaient pas de problèmes familiaux, financiers ou autres. Leur problème, c’est bien France Télécom, c’est bien la politique managériale que vous avez mise en place. C’est une violence supplémentaire à laquelle je ne trouve pas de nom. C’est une insulte à la dignité de ces personnes et à leur famille. Ce que j’ai écrit et affiché sur mon lieu de travail avant les événements du 10 septembre 2009 (un collègue qui se poignarde) et du 11 septembre (une collègue qui se défenestre), malheureusement me donne raison : « Le pire est à venir. »
Votre réunion du 10 septembre dernier n’apporte qu’une partie des réponses aux attentes de ces centaines d’agents en stand-by. La mise en place d’un audit extérieur, quelle désillusion, quel manque de respect pour vos équipes de médecine du travail, des élus du CE et du CHSCT qui n’ont eu de cesse de vous alerter, signaler les dérives, les ravages de votre politique à travers des rapports. Peut-être étaient-ils rédigés en chinois et vous n’avez pas daigné les traduire ?
Il est encore temps de les lire…
À l’heure où nous en sommes, que vous reste-t-il pour demeurer crédible auprès de vos agents ?
Soit vous reconnaissez publiquement votre responsabilité dans la souffrance de vos agents, avec en parallèle de véritables négociations avec les syndicats pour infléchir cette politique.
Cette décision serait un geste fort, à même de calmer cette spirale infernale. Elle demande du courage et du coeur… Soit vous restez droit dans vos bottes en niant les relations de cause à effet de votre politique et là, effectivement, je redoute le pire…
Je n’accepterai pas, pour ma part, la troisième solution qui se dessine. C’est-à-dire la mise en place du repérage des agents potentiellement à risque pour un traitement individualisé pour les éradiquer, les gommer, les culpabiliser, les stigmatiser et recommencer comme si rien n’était arrivé.
Veuillez accepter cette humble contribution à votre réflexion ; humainement, pour tous mes collègues, je ne pouvais plus me taire.
Malgré la souffrance qui m’écorche, recevez mes respects.
Ceci est mon « code alliance » à France Télécom, car en tant qu’être humain, je n’existe plus depuis 2002 dans votre entreprise.
DYDO 5403
20:11 Publié dans Actualités | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : suicide, france télécom, lettre | | del.icio.us | Imprimer | | Digg | Facebook | |