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10/10/2009

Izia. « Le rock, c’est moi en musique ! »

izia1.jpgElle n’a que dix-huit ans et on la compare déjà à Janis Joplin. La comparaison est certainement osée, mais allez voir Izia sur scène et vous comprendrez. Cet été, au théâtre Verdière des Francofolies, elle a impressionné son public par un show très physique tout entier dédié au rock. Rencontre avec une chanteuse dont on n’a pas fini d’entendre parler et pas seulement parce qu’elle est la fille de. Mais tout simplement parce qu’elle a du talent à revendre.

Avoir grandi dans une famille d’artistes vous a-t-il aidée dans votre désir de faire de la musique ?

Izia. Je suis incapable d’expliquer les choses. La musique est une envie qui a toujours été là. C’est vrai que le déclencheur a été mon environnement musical qui a agi comme une petite étincelle qui fait que j’ai fait ça. Je ne sais pas l’expliquer. C’est en moi, dans mon corps. À treize ans, j’ai pris une guitare et c’est ce qui est sorti de moi automatiquement. Il y a quelque chose de très naturel dans ma musique et même dans mon approche de la musique. C’est quelque chose d’inconscient quasiment.

On a l’impression que vous êtes assez décomplexée vis-à-vis de la question de votre père.

Izia. Avec Jacques, on a eu un truc très fusionnel. J’ai grandi avec lui. Je n’ai aucun complexe par rapport à ma filiation. Je la revendique. J’en suis plus que fière. Sans lui, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui. Si je ne parlais pas de mon père, c’est comme si je ne parlais pas de ma vie, de moi, de mon parcours. Mon père fait partie de ma musique, de mon expérience musicale. Cela me paraît normal d’être décomplexée vis-à-vis de ça. Si pour d’autres, ce n’est pas évident, moi je le revendique plus que je ne le cache.

Le fait que vous chantiez en anglais signifie-t-il que vous songez à une carrière à l’étranger ?

Izia. Complètement. Mais ce n’était pas du tout le but, comme ce n’était pas le but de faire un album ou de la musique. J’ai pris ma guitare et j’ai fait de la musique, c’est tout. Après, vu que je chante en anglais, il va y avoir d’énormes facilités à bouger à l’étranger. C’est mortel et j’en suis ravie. L’anglais, c’est venu comme une première langue dans ma musique. Je l’ai appris à l’école, j’ai fait des campus quand j’avais treize ans en Angleterre et vu que je n’écoutais que de la musique anglo-saxonne, l’accent s’est fait tout seul en chantant les paroles par-dessus les Beatles, les Rolling Stones. J’ai une vraie passion pour cette langue que je trouve belle, chantante.

izia2.jpgQue vous ont conseillé vos parents lorsque vous leur avez annoncé que vous vouliez devenir chanteuse ?

Izia. C’est au moment de mes quinze ans, quand j’ai fait mon premier Printemps de Bourges. Le lendemain, j’arrêtais les études. Je voulais faire de la musique, je m’ennuyais à l’école. J’avais de très mauvais rapports avec la scolarité. J’ai dit ça à mes parents. Ils ont tout de suite compris. Ils ont été très compréhensifs, voyant que je vivais un grand mal-être scolaire. Je fondais en larmes devant les grilles de l’école, je n’allais jamais en cours. C’était un vrai malaise. Ma mère m’a dit : « Vas-y ma fille, mais je vais t’encadrer. » Elle a demandé à Daniel Colling (le patron du Printemps de Bourges), qui est un ami depuis longtemps, de me trouver des dates de concerts via sa boîte de tours. À chaque fois, il y avait entre deux cents et cinq cents personnes. Cela devenait de plus en plus important. C’est comme ça qu’on en arrive là aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous fait rêver dans ce métier ?

Izia. La scène, le contact avec les gens. C’est cliché que de dire cela, mais c’est ma vie. Quand je fais des concerts, ce n’est pas du tout intellectualisé. Je n’ai pas ce rapport cérébral que beaucoup de Français ont. J’ai un rapport très physique à la musique. Toutes mes émotions passent à travers mon corps. Dans mon échange avec le public, c’est dans le regard, le mouvement. Quand je chante sur scène, il y a un flux entre moi et le public. Il se passe vraiment quelque chose. C’est un peu comme des ondes qui passent et repassent. Je le prends en pleine gueule. C’est un bonheur.

Que représente le rock pour vous ?

Izia. Le rock, c’est moi en musique ! (rires). C’est aussi simple que cela. J’utilise les mêmes mots pour définir ma musique que pour me définir moi-même. Spontanée, libre, énergique, instantanée, révoltée. Comme ma musique, je suis quelqu’un de brut, parfois avec un peu un manque de tact, de très sensible aussi. Tout cela fait ma musique et moi.

Qu’évoquent pour vous des artistes comme Janis Joplin, Bette Midler, auxquelles on vous compare parfois…

Izia. Ce sont des femmes libres. Elles se sont toujours dit : « Je vais de l’avant, je fais ce que je veux et je t’emmerde. » C’est ma philosophie de la vie. Elle est simple, très premier degré. J’ai un côté : « Je crache par terre, on y va et tant pis pour toi si tu ne suis pas. » Ces femmes étaient comme ça. Des personnages à part entière. Je me reflète aussi dans ces femmes parce qu’elles ont fait ce qu’elles voulaient et qu’elles l’ont assumé à fond.

Quels sont les thèmes que vous abordez dans votre premier album ?

Izia. Comme toutes les nanas de dix-huit ans, je parle d’amour, de révolte. J’ai une chanson sur le fait de se bouger le cul, sur la compréhension des sentiments, sur le fait qu’on a envie parfois d’être seule, surtout quand on voudrait que quelqu’un soit près de vous, la contradiction des rapports humains… C’est une musique qui dit : « Bouge-toi, vas dans la rue, chante avec tes potes, danse dans ton salon, seule, en culotte. Lève-toi, sois de bonne humeur ! » C’est un message positif.

Pensez-vous que le rock soit de nouveau à la mode ?

Izia. Je ne pense pas. En France, on a une mauvaise image du rock. Ici, on préfère la pop. Moi, ce que j’appelle rock, c’est les Strokes. En France, on n’a pas les mêmes notions du rock. Moi, on refuse de me passer en radio parce que ma musique est trop violente. Oui-FM considère que ma musique est trop rock. C’est dommage.

Cela marche plutôt bien pour vous. Heureuse de tout ce qui vous arrive ?

Izia. Je suis comblée. Je suis avec mes meilleurs potes en tournée, malgré l’odeur des chaussures des garçons dans le camion, tout va bien ! On est tout le temps en train de se dire qu’on s’aime. Il y a une ambiance hyper peace, hyper love. Je ne peux pas être plus heureuse que je le suis aujourd’hui.

Concerts 12 et 13 octobre au Bataclan, 50, boulevard Voltaire 75011 Paris. Rens. : 01 43 14 00 30. Album Izia, AZ-Universal.

Entretien réalisé par Victor Hache, pour l'Humanité

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08/09/2009

Manu Chao : « La résignation est un suicide permanent »

manuchao1.jpgPorté par le succès de son album, la Radiolina, et de sa tournée internationale « Tombolatour », le chanteur globe-trotteur fait halte sur la grande scène vendredi soir. Un show qui s’annonce exceptionnel, festif, combatif et porteur d’espoir. Entretien.

On célèbre cette année les soixante-dix ans de la Retirada, qu’ont connue des milliers de réfugiés républicains espagnols fuyant la dictature de Franco. Votre famille, d’origine espagnole, a-t-elle vécu ces heures sombres de l’histoire de l’Espagne franquiste ?

 Manu Chao. Mon grand-père maternel (Thomas Ortega), qui était communiste, a été condamné à mort par Franco. Il est parti par le dernier bateau de Valence. Il est arrivé en Algérie, qui était française à l’époque. Et ma mère, ma grand-mère et ma tante sont parties en France par le Pays basque. Elles ont connu les camps de réfugiés, les orphelinats et tout le merdier de la guerre.

 Parliez-vous de tout cela à la maison ?

Manu Chao. J’en parlais avec ma mère, même si moi, je n’ai pas senti tout cela. Quand je suis né, mes parents étaient en France depuis longtemps. Quand j’étais petit, mon grand-père me racontait toute cette période, en long et en large. Maintenant, il est parti. C’est quelqu’un d’important dans ma vie. Un mec honnête qui a défendu ses idées jusqu’au bout, fidèle à ses idées jusqu’à sa disparition. Il est mort à Villejuif, avenue Lénine, je crois. Diriez-vous que votre grand-père a participé à votre construction politique personnelle ?

 manuchao.jpgManu Chao. Après la guerre d’Espagne, il y a toutes les théories entre les communistes, les anarchistes. Cela fait partie de l’histoire. Lui était communiste. Pour moi, le Parti communiste, ça s’est arrêté aux Jeunesses communistes. Il faut dire que la secrétaire était tellement jolie ! On était tous amoureux d’elle. On était des ados, d’excellents colleurs. On collait des affiches mieux que personne, rien que pour elle. Quand on s’est rendu compte qu’il y avait une histoire entre elle et le chef de cellule, qui était quand même le mec le plus fade qui soit, on s’est dit : « Si le communisme c’est ça, ce n’est pas pour nous ! » (rires).

 Comment vous situeriez-vous politiquement ?

Manu Chao. Je n’en sais rien moi-même. Si on parle de la politique « professionnelle », là où on met le bulletin dans l’urne, ça fait trente ans que je vote, mais je n’ai jamais voté pour quelqu’un mais contre quelqu’un. Il n’y a rien qui me convienne vraiment. C’est horrible, mais je crois qu’on est nombreux comme ça. J’espère qu’un jour je pourrai voter d’une manière positive.

 Est-ce pour cela que vous dédiez la chanson Pinocchio à tous les « hommes politiques qui nous mentent »…

Manu Chao. Personne n’est dupe. C’est souvent beaucoup de bla-bla. Ils parlent pour les sondages, mais pas vraiment pour changer les choses. En même temps, le problème est tellement dépassé. On vote pour des gens qui n’ont aucun pouvoir de décision ou très peu, comparé à avant. Quand je suis né, l’État était certainement plus fort que le privé, d’une certaine manière. Aujourd’hui, c’est l’économie qui commande, pas la politique.

Manu Chao. Je fais un constat. Le système est malade. Le fait que souvent on vote, non pas pour quelqu’un mais contre, est certainement un des symptômes de cette maladie. Aujourd’hui, on en est arrivé à un point grand-guignolesque, « pinocchiolesque » tel qu’on vote pour des gens qui, à mon avis, n’ont pas un immense pouvoir face au privé.

 Que faudrait-il faire, selon vous, pour remédier à cette situation, pour remotiver les gens ?

Manu Chao. Les gens dans l’absolu sont motivés, même si pour aller voter, ils ne le sont pas forcément, pour croire en n’importe quel parti politique. C’est la responsabilité des politiques. Je crois qu’il y a de plus en plus de gens qui sont surmotivés pour essayer de survivre au jour le jour. Pour moi, il est évident que pour survivre d’une manière digne, cela se fait plus facilement en étant unis, au niveau du quartier, du voisinage, qu’en étant individualistes : un par un à essayer de sauver sa peau, ça ne marchera pas, il faut trouver des solutions en commun.

 manuchao1.jpgDans la Radiolina, vous dites pourtant « la résignation est un suicide permanent »…

Manu Chao. Ça, c’est dans Proxima estacion esperanza. C’est une des phrases importantes dans ma vie. Elle traînait sur Internet, mais pour moi, elle est à garder en tête toujours. Prochaine station l’espoir, quoi qu’il arrive. Se résigner, c’est mettre un pied dans la tombe. Le système est une grosse farce. On parle de démocratie, mais quelle démocratie ? C’est la dictature de l’argent. On en a ou pas. Il y a quelque chose qui n’est pas démocratique dans la répartition de l’argent. C’est le capitalisme qui commande, le cannibalisme du pognon. C’est à celui qui va bouffer l’autre. Dans ses règles profondes, le capitalisme n’envisage même pas le commerce juste. C’est le profit uniquement. C’est une certaine dictature de ce point de vue.

 Que faites-vous de l’espoir ?

Manu Chao. L’espoir, c’est déjà de ne pas se leurrer. C’est être conscient qu’il va falloir se serrer les coudes et attacher sa ceinture parce que ça va bouger. C’est se dire que les vingt prochaines années, ça ne va pas être du gâteau. Il faut être lucide. Il est clair que la société est en dégénérescence. Il va y avoir de la turbulence, donc il va falloir être vigilant. J’adore cette phrase de René Char, que j’avais mise dans mon disque : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil. » Être lucide, ce n’est pas forcément facile. Mais à partir de là, il faut s’organiser pour essayer de trouver des solutions.

Dans ce contexte, comment vivez-vous les divisions de la gauche ?

Manu Chao. Ils sont entrés dans un jeu qui n’intéresse plus personne. Chacun passe à la télé. Ce sont les petites guerres internes. Ils ne donnent pas l’exemple. Si on considère qu’un parti politique est comme une famille, moi, quand j’ai un problème dans ma famille, je ne l’expose pas à la télévision. En fait, ils peuvent se tirer dans les pattes tant qu’ils veulent, ce qu’il faut, c’est un balayage de toutes les règles pour recommencer autre chose. Il faut inventer d’autres règles, si on veut que les gens y croient de nouveau.

La Fête de l’Humanité fait partie de ces lieux de résistance où l’on cherche à imaginer un autre monde. Quel souvenir gardez-vous de votre dernier passage sur la grande scène, en 2001 ?

Manu Chao. Magnifique. C’est un concert, je crois, qui a laissé des traces. Au-delà de la politique, du Parti communiste, j’estime que la Fête de l’Huma est une des plus belles fêtes politiques qu’il y ait en France. J’aime cette fête, profondément. Merci et (re)merci pour ma jeunesse, pour mes souvenirs d’adolescents, pour la Fête avec tout ce que cela suppose. En France, il y a tellement peu d’endroits vrais. La Fête de l’Huma a cette qualité en elle. Tous les gens qui arrivent d’un peu partout, de l’Aveyron, de la Drôme, les buvettes. C’est un endroit superagréable où aller et vraiment populaire. On se sent heureux et en osmose ici.

Connaissez-vous d’autres lieux qui ont cet esprit ?

Manu Chao. Il y a une fête qui a peu le même feeling, que j’aimerais sincèrement faire parce qu’elle a les mêmes qualités, c’est la fête du Parti communiste à Madrid. C’est un peu le même esprit. Il y a plein de débats, de la musique, et c’est resté populaire. Comme quoi, le Parti communiste, quoi qu’il arrive, a toujours eu des racines populaires qu’il a su préserver. Aucun autre parti n’a jamais su faire ça, avoir une fête où chaque année les gens se rendent, même s’ils ne sont pas communistes.

Vous vous rendez régulièrement en Amérique latine. Quel regard portez-vous sur ce continent qui semble être en perpétuel bouillonnement ?

Manu Chao. On est dans une phase intéressante. Je veux dire que ce n’est pas la pire époque des coups d’États à tire-larigot. Le Honduras, pourquoi son président a-t-il sauté ? Parce qu’il n’a pas d’argent. Ils ont essayé avec Hugo Chavez, mais ils n’y arrivent pas parce qu’il a du pétrole, de l’argent.

Un coup d’État contre Chavez, il y en a eu un et il a été démontré que les Américains étaient derrière. Cela n’a pas réussi parce que ce n’est pas la même situation économique, ni le même soutien des électeurs. Je ne suis pas un chaviste, loin de là, j’ai mes critiques aussi, mais une chose est sûre, c’est que le jour où il y a eu le coup d’État, le peuple des quartiers l’a soutenu.

 Les putschistes ont fait machine arrière parce qu’il y a eu un véritable soutien populaire.

S’agissant du Venezuela, il y a tout le côté Grand-Guignol de Chavez qui me dérange un peu, mais il y a eu des choses vraiment intéressantes qui se sont passées là-bas. Sinon, il n’aurait pas le soutien des gens comme ça. Il serait déjà mort ou en exil. Mais les trois quarts des infos qui arrivent ici, en Europe, à travers les médias, je ne les trouve pas journalistiquement éthiques.

Tout le monde a peur de Chavez. Pourquoi ?

À cause de son côté Gand-Guignol ?

 À ce moment-là Sarko aussi est un Grand-Guignol. Je crois que c’est parce que Chavez ne joue pas le jeu de l’économie mondiale et qu’il fout le bordel. Il a changé des choses au niveau du pays. Je suis allé plusieurs fois au Venezuela pendant le processus, au niveau du quartier, j’ai vu des changements.

Tout ce qui se passe au Venezuela, c’est sous les lois de la démocratie, comme dans un autre pays. On dit que Chavez est en train d’armer les quartiers, mais ces derniers ne l’ont pas attendu pour être armés jusqu’aux dents.

 C’est le trafic de cocaïne qui a armé les quartiers, pas Chavez ! Quand il est arrivé, les quartiers étaient déjà archi-enfouraillés, avec des mômes de quatorze ans terriblement armés. Il y a aussi que Chavez est un militaire qui peut gêner, y compris moi. La première fois que je suis allé au Venezuela, c’était en 1992, avec la Mano Negra, et Chavez était en prison.

 On faisait un concert gratuit, et tout Caracas était dans la rue pour qu’il sorte de prison. Pour quelqu’un comme moi, élevé en France, je trouvais qu’il y avait d’autres chats à fouetter que d’être dans la rue pour qu’un militaire sorte de prison. Donc, je comprends que l’intelligentsia de la gauche européenne soit gênée quelque part.

manuchao.jpgC’est un peu le même sentiment que pour Cuba…

Manu Chao. L’info qui arrive en Europe sur Cuba, elle est écœurante. C’est vrai qu’il y a des problèmes de droits d’expression, de circulation, ou de plein de choses qui ne sont pas réglées là-bas. Je ne dis pas que Cuba est un paradis, mais quand même, ils ont eu des succès absolument extraordinaires par rapport au reste de l’Amérique latine malgré, les difficultés occasionnées par des années de blocus économique.

 On ne peut pas éclipser cela quand on parle de Cuba, ne pas voir que tous les mômes vont à l’école, que la médecine est plus ou moins gratuite. C’est injuste. Il y a plein de choses qui ne fonctionnent pas, c’est certain. Mais, comme je dis toujours, malgré les problèmes de Cuba (manque de démocratie), si je croyais en la réincarnation, si je devais naître pauvre en Amérique latine, je prierais le bon Dieu pour qu’il me fasse naître à Cuba. Et surtout pas à Haïti, qui est juste à côté ! C’est incomparable.

Je ne comprends pas que les intellectuels, les journalistes disent que l’horreur en Amérique latine, c’est Cuba. Quel manque de lucidité ! Comparons avec la Colombie. Démocratie ? le problème de circulation ? On a le droit de sortir du pays, mais il faut avoir l’argent. Ce n’est pas n’importe qui de la population qui peut sortir de Colombie. Le droit d’expression ? Un syndicaliste au fin fond d’un petit village, à Cuba, peut risquer la prison ; en Colombie, il ne faut pas deux ans pour qu’il prenne une balle dans la nuque. C’est là qu’on voit que ce n’est pas noir et blanc. C’est plus nuancé.

En tant que chanteur connu pour ses positions altermondialistes… Manu Chao. Pour ses positions « personnelles » (rires). Je ne récuse pas le mot « altermondialiste », mais je n’aime pas l’étiquette.

…Disons que vous avez une approche musicale citoyenne et politique. Est-ce qu’il y a des pays où vos idées dérangent ?

Manu Chao. Au point d’être vraiment gênant, je ne pense pas qu’ils se soient posé la question comme cela. J’ai récemment vécu une petite anecdote au Mexique, où on a parlé de m’expulser.

La police me recherchait parce que j’avais enfreint la loi 33 mexicaine qui stipule qu’un étranger n’a pas le droit de faire de politique au Mexique. J’ai parlé dans une conférence de presse de terrorisme de l’État mexicain envers les gens d’Atenco, un village à 30 km de Mexico, pour lesquels on milite depuis des années. Il y a onze personnes qui sont encore en prison au Mexique pour avoir défendu leurs terres sur lesquelles on voulait construire un aéroport.

 Deux du village ont été tuées par la police, beaucoup de femmes violées. Les gars ont retenu des policiers deux-trois heures sur la place du village et ils ont été condamnés à entre soixante ans et cent trente ans de prison. Nous, on milite depuis longtemps avec ce village pour changer cela. Au Mexique, j’ai parlé de terrorisme d’État parce que c’est du terrorisme d’État. On leur proposait, à ces villageois, de racheter leurs terres pour une bouchée de pain, les gars n’ont pas accepté et ils ont été expropriés, il y a eu des affrontements. On suit la situation. On a fait des concerts de soutien ici en Europe. L’année dernière, je suis allé au village, où j’ai rencontré des gens. Maintenant, c’est un peu comme une famille.

Des projets ?

Manu Chao. La tournée qui se poursuit en septembre. L’année dernière, ça a été tellement beau de retrouver le public en France ! Il reste beaucoup de villes où on n’est pas allés et où j’ai demandé à faire un tour. Pour le plaisir.

Après, je pense que je vais retourner en Argentine, pour trois ou quatre concerts dans des quartiers qu’on n’a pas eu le temps de faire l’année dernière car nous étions dans une logique de tournée. Ensuite, avec le groupe Radio Bemba, on va prendre quelques chemins de traverse en Argentine, Chili, Bolivie, mais vraiment juste avec une petite camionnette. Et puis concert de soutien pour Atenco [1] , qu’on est en train de monter.

Entretien réalisé par Victor Hache pour l’Humanité

Notes :[1] Atenco est une commune des environs de Mexico. Ses habitants se sont mobilisés pour défendre leurs terres, situées à proximité d’un lac à l’équilibre écologique fragile, et ont réussi à empêcher en 2002 la construction de ce qui devait être le nouvel aéroport de Mexico

 

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29/08/2009

Sarkozy, « interventionniste d’un côté, libéral de l’autre »

STERDYNIAK.jpgEntretien. Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE, revient sur les politiques mises en oeuvre depuis le début de la crise.

Le thème de la reprise, en vogue ces dernières semaines, a-t-il une réalité d’un point de vue économique ?

Henri Sterdyniak. On a connu un dernier trimestre 2008 et un premier trimestre 2009 catastrophiques. Et si la chute de l’activité s’est arrêtée au deuxième trimestre 2009, on ne voit pas de facteur qui pourrait provoquer une forte reprise. Les ménages sont inquiets en raison des licenciements et les investissements des entreprises ne repartent pas, faute de signal positif. Tout ça préfigure une croissance à venir extrêmement médiocre.

Le nombre de chômeurs a augmenté de 26,5 % sur un an. Y voyez-vous un signe de l’échec de la politique de l’emploi menée par le gouvernement ?

Henri Sterdyniak. Le gouvernement n’a pas lancé, comme on pouvait l’espérer, de vaste programme pour inciter les entreprises à conserver les emplois. Le plan de relance français n’était pas à la hauteur du problème. Il n’y a donc pas de miracle : les entreprises ont massivement supprimé des contrats d’intérim et mis fin a des CDD. Une hausse assez sensible du chômage est à prévoir en septembre et octobre.

Dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy voulait imposer aux banques de « financer le développement plutôt que la spéculation », appelant à une « moralisation du capitalisme financier ». Qu’en est-il ?

Henri Sterdyniak. On pouvait attendre une vaste réorientation du système bancaire. Elle n’a pas eu lieu. Le gouvernement n’est pas entré dans le capital des banques, qui n’ont donc pas renoncé à leurs activités les plus rentables sur les marchés financiers et spéculatifs. La morale consisterait à faire en sorte que, dans le secteur financier, on ne puisse pas gagner plus que dans l’industrie. Mais on n’a pas beaucoup avancé sur ce sujet.

Dans son intervention, Nicolas Sarkozy défendait également l’instauration « d’un nouvel équilibre entre l’État et le marché »…

Henri Sterdyniak. Il y a trois, quatre ans, le discours consistait à dire que les entreprises pouvaient se charger de tout. Aujourd’hui, on voit que le privé nous emmène à la catastrophe. Face à cela, Nicolas Sarkozy reste complètement contradictoire en continuant à mener une politique de diminution du nombre de fonctionnaires, notamment dans l’éducation nationale, alors même que les besoins de formation sont très importants. On a, avec Nicolas Sarkozy, une politique à la Janus. Interventionniste d’un côté, et libérale de l’autre.

Quelles devraient être les priorités en matière de politique économique ?

Henri Sterdyniak. Elles sont connues. Il faut réduire fortement l’importance des marchés financiers en recentrant les banques sur le crédit. Il faut aider massivement les secteurs productifs et, à l’échelle mondiale, il faut que chaque pays soutienne sa consommation par les salaires, et pas par les exportations ou la spéculation. Il y a des choses que la France aurait pu faire seule : taxer les hauts revenus, nationaliser les caisses d’épargne et banques populaires pour créer un système public de crédit. Autant de mesures qui n’ont pas vu le jour.

Entretien réalisé par Cyril Charon pour l'Humanité

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10/06/2009

"Nous allons vers de nouvelles crises alimentaires"

Un an après la conférence de la FAO sur l’alimentation et l’agriculture, en pleine crise alimentaire, le rapporteur spécial de l’ONU tire la sonnette d’alarme. Entretien.

faimmonde.jpgIl y a exactement un an, plus d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, dont le président français, Nicolas Sarkozy, étaient venus en personne à la conférence de la FAO en pleine crise alimentaire, évoquant une aide massive à l’agriculture des pays les plus pauvres. Un an plus tard, on est bien loin des promesses annoncées. L’Humanité fait le point avec Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation.

Les promesses faites par les grands États lors du sommet de la FAO en juin 2008 ont-elles été tenues ?

Olivier de Schutter. Personne n’est capable de répondre à cette question, et c’est symptomatique : des engagements financiers sont pris mais il n’existe aucun suivi ni contrôle pour savoir s’ils sont traduits en actes concrets. Les États peuvent s’acheter à bon compte une crédibilité. Il est certain que s’ils devaient se justifier tous les six mois, ils seraient beaucoup plus prudents. Mettre en place un tel suivi, encourager la publication et le suivi des comptes figurent parmi les défis actuels.

On assiste quand même depuis un an à un réinvestissement majeur dans l’agriculture.

shutter.jpgOlivier de Schutter. Effectivement, il y a eu un renouveau massif de l’intérêt pour l’agriculture avec le déblocage de sommes importantes. Mais l’argent n’est pas le cœur du problème. La question fondamentale est de savoir vers quel type d’agriculture et pour qui  ces investissements sont réalisés. Or, beaucoup des investissements récents ont été dirigés vers des projets agro-industriels avec des conséquences dommageables sur la capacité des petits paysans à augmenter leurs revenus. Des efforts très importants ont été faits pour relancer l’offre agricole, et effectivement les récoltes ont été très bonnes en 2008. Le prix des matières premières a beaucoup diminué sur les marchés internationaux. Mais il reste très élevé sur les marchés locaux. Selon une étude de la FAO réalisée dans 58 pays en voie de développement, 80 % des pays connaissent des prix agricoles plus élevés aujourd’hui qu’un an auparavant.

Pourquoi ?

Olivier de Schutter. Parce que personne ne s’est intéressé à l’économie politique de la faim : à savoir que les chaînes de production et de distribution alimentaire sont détenues par des oligopoles, un petit nombre d’opérateurs économiques très peu contrôlés et qui ont profité de la crise. Ils n’ont pas répercuté la baisse internationale sur les marchés locaux. Aujourd’hui, le nombre de personnes qui souffrent de la faim dans le monde a certainement dépassé le milliard. Annoncé par Nicolas Sarkozy lors du sommet de la FAO, un fonds d’investissement pour l’agriculture africaine vient d’être lancé par la France. Que pensez-vous de ce type d’initiative ?

Olivier de Schutter. On revient à la même question : quel type d’investissement veut-on réaliser ? J’ignore à quels projets iront les sommes acheminées par ce fonds mais je mets en garde contre des approches qui visent les « greniers à blé », à savoir des zones fertiles et prometteuses du point de vue de la production, à la recherche d’un retour sur investissement qui soit le plus élevé possible. La logique derrière est que la crise alimentaire serait liée à une offre agricole insuffisante. C’est oublier que les gens ont faim, car ils sont pauvres parce qu’ils vivent dans des zones non fertiles où l’environnement est extrêmement difficile. Ces petits paysans sont les oubliés de ces investissements. Il y a de nombreuses manières d’investir dans l’agriculture qui ne font pas reculer la faim. Je lance donc un appel pour que les États choisissent, parmi les différentes possibilités, ce qui peut le plus réduire la faim et la malnutrition.

Au final, quel bilan faites-vous de l’année écoulée ?

Olivier de Schutter. Je suis très critique. Les véritables problèmes n’ont pas été traités. On n’a pas du tout travaillé sur les causes structurelles de la crise alimentaire. Aucun progrès n’a été fait sur la question des agrocarburants, ni sur le phénomène actuel d’acquisition de terres agricoles à grande échelle dans les pays en développement, où l’avis des populations locales n’est parfois pas pris en compte. Il n’y a pas eu non plus d’avancée sur la lutte contre la spéculation, alors que sa responsabilité dans la dernière crise est reconnue par tous et que des solutions techniques existent. On s’est rassuré à la lecture des chiffres de bonnes récoltes 2008. Je pense nous allons vers de nouvelles crises alimentaires, dès 2010, car les gouvernements n’ont pas pris la situation au sérieux.

Entretien réalisé par Charlotte Bozonnet

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