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02/02/2009

La défiscalisation des 'heures sup' a accéléré la hausse du chômage"

"LEMONDE.FR | 02.02.09


a ministre de l'économie, Christine Lagarde, a annoncé, le 2 février, que le nombre de chômeurs avait augmenté d'environ 45 000 en France au mois de décembre. Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision à l'OFCE, met en cause la politique de défiscalisation des heures supplémentaires mise en place par le gouvernement. "Inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu'il n'y a plus d'activité est nuisible à l'emploi", estime-t-il.
Dans quelle mesure cette hausse du chômage était-elle prévisible ?

anpe.JPGEric Heyer : Une forte dégradation des chiffres de l'emploi est attendue au moins jusqu'au troisième trimestre de l'année 2009 , avec une augmentation du chômage plus légère au quatrième trimestre. Le taux de chômage devrait alors être proche de la barre des 9 % au début de l'année 2010. Mais si nous nous attendions à une hausse, nous ne pensions pas qu'elle serait aussi forte.

Comment expliquer cette hausse ?

Eric Heyer : Essentiellement en raison du fort ralentissement de l'activité. Mais si on est un peu surpris, c'est parce que traditionnellement, la répercussion de la baisse de l'activité se fait en trois temps. Il y a un premier temps où les chefs d'entreprise ne licencient pas et préfèrent jouer sur la durée du travail : ils font appel au chômage partiel et réduisent fortement les heures supplémentaires. Dans un deuxième temps, quand la crise s'installe un peu plus durablement, ils ne renouvellent pas les intérimaires et les CDD. Et dans un troisième temps, ils font des plans de licenciements.

On constate aujourd'hui que le premier temps a été très rapidement passé car il n'y a pas eu beaucoup d'ajustements sur la durée du travail. L'Insee nous indique même qu'il y a une augmentation des heures supplémentaires au cours de la période récente.

Ce recours aux heures supplémentaires n'est-il pas paradoxal ?

Eric Heyer : La loi TEPA de défiscalisation des heures supplémentaires votée l'année dernière explique en partie cette situation. C'était sans doute une idée qui pouvait être soutenable en période de croissance durable et de baisse massive du chômage, mais c'est une politique néfaste en période de crise économique et de forte augmentation du chômage. Inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu'il n'y a plus d'activité est nuisible à l'emploi.

On ne peut pas en vouloir à l'équipe dirigeante de ne pas avoir anticipé la crise économique de 2008, mais dans la mesure où la crise est maintenant bien là, elle aurait du rectifier le tir en mettant entre parenthèses cette loi TEPA.

Dans quelles proportions cette loi a-t-elle joué sur la hausse du chômage ?

Eric Heyer : Même sans cette loi, le chômage aurait augmenté : la loi TEPA vient juste rajouter du chômage au chômage. Il augmente sans doute un peu plus rapidement que dans les ralentissements précédents, en partie parce qu'il n'y a pas eu le rôle amortisseur de la durée du travail. Comme les heures supplémentaires n'ont pas été réduites, l'emploi joue le rôle d'ajustement à cette crise.

Les différents plans de licenciements annoncés sont-ils pris en compte dans cette hausse du chômage ?

Eric Heyer : Nous n'en sommes pas encore là. Pour l'instant, les arrêts d'intérim et les fins de CDD expliquent pour l'essentiel cette augmentation, ces contrats étant utilisés comme une variable d'ajustement. Le nombre d'intérimaires a doublé au cours des dix dernières années, il y en avait 300 000 en France en 1999, entre 600 000 et 700 00 aujourd'hui. Il y a également beaucoup plus de CDD courts de moins de un mois. A la fin des années 1990, 37 % des contrats étaient de moins de un mois, maintenant c'est 57 %.

Quel va être, à votre avis, l'impact sur l'emploi du plan de relance annoncé par le gouvernement ?

Eric Heyer : Le plan de relance ne va pas agir rapidement sur les chiffres du chômage, parce qu'on joue sur de l'investissement. Il n'y aura un impact sur l'activité que dans la deuxième moitié de 2009. Au cours du premier trimestre de l'année, il n'y aura pas vraiment de soutien d'activité, ça ne sera pas suffisamment massif et le chômage va continuer à augmenter.

 

Propos recueillis par François Béguin

 

19:34 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anpe, chômage, heures supplémentaires | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

15/01/2009

Les collectivités territoriales contribuent à hauteur de 22,8 % au financement « initial » de l’éducation en 2007, contre 14 % en 1980

Enseignement

ECOL1.jpgLa Depp (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) du ministère de l’Education nationale vient de mettre en ligne sa publication annuelle "L’état de l’école".

En 2007, la France a consacré à l’ensemble de son système éducatif (métropole + DOM) 125,3 milliards d’euros, soit 6,6 % de la richesse nationale (PIB), ce qui représente un montant de 1 970 euros par habitant, ou 7 470 euros par élève ou étudiant. Hors formation continue, cet effort nous situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (6,0 % contre 5,8 % en 2005).

La part de la dépense d’éducation dans la richesse nationale s’était sensiblement accrue au début des années 1990, pour atteindre 7,6 % en 1993 contre 6,4 % en 1980. Depuis, la tendance s’est lentement et progressivement inversée, la dépense d’éducation continuant l’augmenter, mais moins vite que la richesse nationale.

Depuis 1980, la dépense d’éducation a augmenté de 85 % à prix constants, progressant sur un rythme annuel moyen équivalent à celui du PIB (2,2 %). Cette croissance s’explique moins par l’accroissement du nombre d’élèves et d’étudiants que par celui du coût de chaque élève. Tous niveaux confondus, ce coût unitaire a augmenté de 73 % depuis 1980, en raison du développement particulier des enseignements du second cycle du secondaire et du supérieur relativement plus coûteux, mais surtout de l’amélioration des conditions d’accueil des élèves, et de la revalorisation des carrières et des rémunérations des enseignants.

Durant cette période, les coûts annuels moyens par élève des premier et second degrés ont davantage progressé (de respectivement 79 % et 63 %), que celui d’un étudiant du supérieur (+ 36 %).

Dans le premier degré, la stabilité du nombre d’enseignants conjuguée à la décrue des effectifs d’écoliers s’est traduite jusqu’à la rentrée 2002 par une nette amélioration des taux d’encadrement. Le second degré n’a pas connu une telle évolution, mais dispose de moyens relativement importants par rapport aux autres pays comparables. Les forts taux d’encadrement caractéristiques de notre enseignement secondaire (ratio moyen de 11,9 élèves par enseignant, en 2006), renforcés par la baisse démographique actuelle, tiennent en particulier au fait qu’un nombre important d’heures d’enseignement (un tiers en moyenne et la moitié dans les lycées) sont dispensées non pas devant la classe entière mais devant des groupes réduits d’élèves.

Si le poids de l’enseignement supérieur dans la dépense d’éducation s’est accru depuis 1980, c’est d’abord en raison de la hausse particulière des effectifs d’étudiants, les coûts unitaires ayant en revanche nettement moins progressé que dans l’enseignement scolaire. Une reprise de l’effort en faveur de l’enseignement supérieur est cependant engagée et, en 2007, la dépense par étudiant dépasse plus nettement la moyenne observée pour un élève du second degré, le coût de l’étudiant universitaire restant toujours inférieur à celui d’un lycéen (près de 9 000 euros contre plus de 10 000).

L’État assume de manière prépondérante le financement de la dépense d’éducation, à hauteur de 61 % en 2007, dont 55 % pour le ministère de l’Éducation nationale. Son budget sert d’abord à rémunérer des personnels dont les effectifs et surtout la structure ont sensiblement évolué. Ainsi, 94 % des enseignants du public sont maintenant professeurs des écoles dans le premier degré, et 75 % agrégés ou certifiés dans le second degré.

Les collectivités territoriales contribuent à hauteur de 22,8 % au financement « initial » de l’éducation en 2007, contre 14 % en 1980.

Cette part, qui s’accroît encore avec les nouvelles vagues de décentralisation, dépasse 40 % dans le premier degré, où les communes prennent en charge les dépenses de personnels non enseignants, ainsi que les dépenses de fonctionnement et d’investissement des écoles.

18:28 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, budget, collectivités locales | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

10/12/2008

Automobile. « Il faut geler les dividendes versés aux actionnaires »

voituretruquees.jpgMichel Ducret, dirigeant de la CGT métallurgie, en charge de l’automobile, dénonce la primauté accordée par les groupes à la logique financière.

Chômage partiel touchant des milliers de salariés, menaces sur la pérennité de sites comme Sandouville, nombreux équipementiers inquiétés… Toutes ces mesures sont décidées par le patronat au nom de la crise économique actuelle. Vous en contestez le bien-fondé. Pourquoi ?

Michel Ducret. Les donneurs d’ordres, et une partie des équipementiers, se servent de cette crise pour « taper dans le tas ». L’annonce de 6 000 suppressions d’emplois chez Renault a été faite en juillet, donc bien avant la crise. Les 3 750 suppressions de postes chez PSA figuraient dans le plan Streiff qui a été présenté au printemps… En vérité, on se sert de la crise pour réorganiser toute l’industrie automobile. Au cours des neuf premiers mois de l’année, les entreprises ont eu recours massivement aux heures supplémentaires, aux intérimaires, aux CDD, à la flexibilité des horaires. Il y a eu une montée en puissance de la productivité. Les plans de formation ont été refusés, les augmentations de salaire ont été bien souvent en dessous de l’inflation, les conditions de travail ont été ignorées… Et aujourd’hui, on constate que certes les ventes ont plongé en novembre, mais, sur l’année lissée, Renault par exemple va vendre en 2008 à peu près autant de voitures qu’en 2006 ou 2007.

Les stocks s’accumulent…

Michel Ducret. On dit qu’il y a des parcs pleins et, parallèlement, on a du mal à obtenir un véhicule quand on en veut un. Pour avoir une voiture neuve, un Renault Scenic par exemple, il faut 76 jours. Chez PSA, c’est 3 à 4 mois d’attente pour avoir un C5…

Tout cela parce qu’au fond on n’est plus sur une politique industrielle en tant que telle, mais sur une logique financière : les groupes veulent arriver à servir les dividendes des actionnaires dès le 10e mois de l’année.

Nous craignons qu’à la rentrée, en janvier 2009, ils continuent sur leur lancée en remettant en question des acquis sociaux, alors que ce n’est pas justifié. Renault va encore faire 1,5 milliard d’euros de bénéfice en 2008, soit sensiblement autant qu’en 2007. Si le groupe payait à 100 % le chômage partiel de ses 20 000 salariés, ça lui reviendrait à 0,8 % des dividendes qu’il va verser à ses actionnaires pour 2008.

L’avenir de l’auto ne se présente pas sous les meil- leurs auspices, les ventes risquent de reculer encore…

Michel Ducret. Cela pose la question du pouvoir d’achat. Quand il y a recul du pouvoir d’achat, l’achat d’une voiture n’est pas prioritaire. Nous avons un parc vieillissant (8 ans), il faudrait s’en occuper très sérieusement. Renault fabriquait un petit modèle, la Clio 2, qui se vendait bien. Elle était vendue à 8 000 euros. En prenant en compte la prime à la casse, c’était un véhicule qui pouvait être encore attractif. Mais Renault vient d’en arrêter la production… Parce que les groupes ne suivent plus une logique de volume mais de marges : ils préfèrent vendre 200 véhicules très chers que 2 000 véhicules moins chers.

Les constructeurs doivent aussi, simultanément, relever le défi environnemental…

Michel Ducret. On annonce un véhicule électrique pour 2012. C’est un très gros enjeu. Comment va-t-on s’y prendre pour accueillir ce véhicule dans l’entreprise ? Le développement, la recherche doivent être redimensionnés. Cela renforce notre demande, réitérée depuis des années, de voir organiser un véritable débat national sur l’avenir de l’automobile. Aujourd’hui, on donne beaucoup d’argent aux groupes : il y a eu les 150 millions d’euros débloqués en juillet pour la filière auto, par le biais d’une « charte » qui vise en réalité à gérer les restructurations dans les territoires ; il y a l’aide de 400 millions d’euros que vient d’annoncer Sarkozy pour 2009, et les 40 milliards d’euros que demandent les constructeurs à la Commission européenne. Mais comment utilise-t-on cet argent ? Est-ce qu’on s’en sert pour la recherche et le développement ? Est-ce que l’on peut en contrôler l’usage ? Ou bien est-ce que cela va aller directement aux actionnaires ? Le gou- vernement reste dans l’accompagnement des donneurs d’ordres, pas dans l’offensive en disant qu’on peut faire autrement en obligeant les constructeurs à des contreparties claires et nettes à l’octroi de subventions. Il faut qu’on change la stratégie des donneurs d’ordres, qui n’est plus aujourd’hui que financière, et non industrielle. Il faut abaisser le niveau des marges exigées. De même, Sarkozy aurait pu demander un gel des dividendes versés aux actionnaires sur la période 2008-2009.

Entretien réalisé par Yves Housson, pour l'Humanité

17:04 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voiture, dividendes, économie | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

27/10/2008

Peut-on se passer de la Bourse ?

 Entretiens croisés

avec :

Sylvie Andrieux, députée socialiste des Bouches-du-Rhône, membre de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Marc Cohen-Solal, délégué syndical CGT à la BNP Paribas, Michel Husson, économiste, membre du conseil scientifique d’ATTAC (*), et Marie-Christine Oghly, présidente du MEDEF Île-de-France.

boursedescente.jpgSelon les cours de la Bourse, la valeur d’une entreprise peut s’effondrer du jour au lendemain. Est-il possible de s’émanciper de la Bourse ? Comment ?

Marie-Christine Oghly. Aujourd’hui, seulement 700 entreprises sont cotées en Bourse en France, soit 0,4 % des sociétés anonymes. Il s’agit bien évidemment des plus importantes tant en termes de chiffre d’affaires qu’en termes du nombre d’employés. D’autres modes de financement des entreprises existent : l’investissement familial, les financements de proximité ou encore les « business angels » pour les entreprises innovantes. Néanmoins, aujourd’hui, les investissements que doivent réaliser les entreprises sont de plus en plus importants et coûtent de plus en plus cher, compte tenu de la part occupée par la recherche et l’innovation : il y a donc un impératif à lever des fonds pour répondre à cette exigence. Le succès d’Alternext, marché boursier réservé aux PME, reflète cette nouvelle donne. Il y a clairement, aujourd’hui en France, un manque d’investissement dans le capital-risque.

Sylvie Andrieux. Sur le principe, oui, on peut se passer de la Bourse. Mais il faut surtout permettre l’accès au crédit des PME et des accédants à la propriété par la mise en place d’un fonds national de garantie. La Bourse donne théoriquement une vision objective et réelle de la valorisation d’une entreprise et elle organise la liquidité de la propriété des titres détenus, nous pouvons nous demander si, en réalité, elle n’était pas devenue un outil de profit au service de financiers sans scrupule. Ses fluctuations excessives sont dues à la spéculation. Elles ne sont pas la conséquence de critères économiques et financiers sérieux et mesurables. Toute entreprise peut s’affranchir de la Bourse en limitant la part de son capital mis sur le marché boursier et en diversifiant ses sources de financement, comme je viens de le dire en accédant au crédit.

bourse.jpgMichel Husson. Dans la logique d’une économie capitaliste régie par la loi de la valeur, le cours boursier reflète les anticipations de profit : c’est une sorte de droit de tirage sur la plus-value à venir. Jusqu’au milieu des années 1990, les indices boursiers sont bien corrélés avec des indicateurs de profit. Le lien est ensuite rompu, et les cours boursiers se mettent à croître exponentiellement en décrochant complètement de la rentabilité réelle. Cette « exubérance irrationnelle », pour reprendre l’expression de Greenspan, repose sur un socle objectif, qui est le flux permanent de capitaux « libres » à la recherche d’une hyperrentabilité engendrée par la croissance des profits non investis. La déréglementation permet à ces capitaux de circuler et de fondre, tels des oiseaux de proie, sur les segments les plus rentables. Ainsi naissent les bulles qui reposent sur une illusion fondamentale, celle que l’instrument qui leur permet de prétendre à une fraction de la plus-value est aussi un moyen de la produire effectivement. Ce n’est qu’en tarissant la source qui approvisionne ces capitaux que l’on peut imaginer un retour (improbable) à un fonctionnement normal des Bourses.

Marc Cohen-Solal. Le risque d’effondrement des cours, selon les propos de l’un des patrons d’une grande banque qui m’ont été rapportés, « c’est la dure loi du capitalisme ». Une entreprise peut mourir et ses actionnaires n’ont plus alors que les yeux pour pleurer… en particulier les plus petits et parmi eux les actionnaires salariés qui, appâtés par les perspectives de gain et les abondements, y ont placé toutes leurs économies qui disparaissent souvent en même temps que leur emploi. En effet, une désintoxication boursière à la fois des entreprises, des institutions bancaires (la toute récente affaire des caisses d’épargne est à cet égard édifiante) et de toute la société serait nécessaire. Mais comme pour toute addiction, la désintoxication ne se décrète pas mais se construit.

Il suffit de regarder une cote dans un journal (mais pas l’Huma…) pour constater qu’en fait ce ne sont qu’un petit nombre d’entreprises qui sont en Bourse. L’immense majorité des entreprises n’ont pas recours à l’émission d’actions et soit s’autofinancent, soit ont recours à des financements bancaires (en fait souvent les deux). Pourtant, ce sont ces entreprises cotées en Bourse qui donnent le « la » en matière de critères de gestion.

bourse1.jpgLes entreprises doivent-elles se soumettre aux normes comptables qui dépendent de la Bourse ?

Michel Husson. Les nouvelles normes comptables (IFRS, international financial reporting standard) conduisent à réévaluer trimestriellement les actifs à leur valeur de marché, baptisée « juste valeur ». Tout le monde, ou presque, s’accorde aujourd’hui à dire qu’elles accroissent la volatilité des cours et sont procycliques, notamment en raison de leur interaction avec les règles prudentielles (dites Bâle 2). On se demande bien comment cette monstrueuse absurdité a pu s’imposer à l’échelle européenne.

Sylvie Andrieux. Accéder au marché boursier, c’est accepter des normes comptables communes qui permettent de lire et de comprendre les documents émis (bilans, comptes d’exploitation…) ; mais il faudrait une harmonisation de ces normes à tous les pays avec des systèmes fiscaux comparables (des règles d’amortissement et de provisions notamment). Il faudrait d’abord coordonner nos politiques économiques, et notamment nos politiques budgétaires. Il se trouve qu’il y a des États en Europe qui ont mieux géré leurs finances publiques et qui ont la capacité pour intervenir, notamment l’Espagne. Il faut un contrôle public des agences de notations. Il faut avoir des systèmes de contrôles des comptes, par exemple en finançant, par une redevance sur les banques, des commissaires aux comptes pour les rendre indépendants. Il faut avoir une obligation de transparence sur les produits financiers et savoir exactement quelle est la place des fonds spéculatifs dans le bilan des banques européennes. Il faut réglementer strictement les procédures de ventes à découvert qui sont à l’origine des phénomènes de spéculation affaiblissant l’ensemble du système financier. Il faut avoir une discussion ferme avec la Banque centrale européenne pour la gestion des taux d’intérêts.

Marie-Christine Oghly. Oui. Les entreprises doivent se soumettre aux normes comptables, ce qui représente une forte contrainte pour elles. Les directives européennes sont particulièrement exigeantes dans ce domaine, et il s’agit d’ailleurs d’une bonne chose. Les normes françaises se rapprochent d’ailleurs du système IFRS. Je trouve pour ma part particulièrement rassurante cette exigence de transparence, lors de l’introduction en Bourse ou lors d’une augmentation de capital.

Marc Cohen-Solal. Au-delà du choix entre normes IFRS et normes anciennes, qui est en lui-même très important, c’est le critère de rentabilité, c’est-à-dire le rapport entre profits et capitaux investis, qui est central, et chaque entreprise compare le retour envisageable entre les différentes possibilités qui s’offrent à elle : placement financier ou investissement dans l’entreprise ? Souvent le choix est le placement financier. Et quand il s’agit d’investir, ce n’est pas forcément pour créer des emplois, cela peut aboutir à en détruire.

Est-on obligé de passer par la Bourse pour assurer le financement des entreprises ?

Marie-Christine Oghly. Cela rejoint votre première question. J’ajouterai simplement que l’introduction en Bourse peut être un instrument de notoriété pour une entreprise : au-delà du financement de projets, il y a également la recherche d’un vecteur de communication non négligeable.

Sylvie Andrieux. Oui, s’il s’agit de multinationales ou de sociétés en très fort développement sur des secteurs très capitalistiques (dévoreurs de capitaux, notamment pour financer la recherche-développement) ; non, s’il s’agit de PME à caractère familial implantées localement ou régionalement. Ce que nous proposons, c’est de stimuler l’investissement des entreprises. Il ne peut pas y avoir redressement de la croissance s’il n’y a pas de création de richesses à travers des choix d’investissements. Et dans ces moments de crise, de troubles, d’inquiétude, de peur, la première tentation pour beaucoup d’entreprises est de renoncer à des choix d’avenir, de rétracter la décision d’investissement ou son ampleur. Il faut baisser l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices et relever l’impôt sur les sociétés pour celles qui distribuent leurs profits sous forme de dividendes. Les profits doivent aller à l’investissement et non pas à l’alimentation du marché boursier.

Michel Husson. Non, et d’ailleurs la Bourse n’assure que très partiellement le financement des entreprises. Sa contribution a même pu être négative quand les entreprises pratiquaient à grande échelle le rachat de leurs propres actions. Jusqu’au début des années 1980, l’investissement était financé à 70 % ou 80 % par autofinancement, le reste étant fourni par le crédit, les marchés financiers jouant un rôle très marginal. Revenir à cette configuration serait souhaitable, mais cela irait à l’encontre des intérêts des possédants, qui reposent sur une imbrication très étroite de la finance et des entreprises. En France, les sociétés non financières ont ainsi versé 196 milliards d’euros de dividendes en 2007, mais elles en ont reçu 148 milliards.

Marc Cohen-Solal. Les banques auxquelles s’adressent les entreprises pour obtenir des crédits examinent elles-mêmes, selon le critère de rentabilité dont je parlais, l’opportunité d’accorder ceux-ci. Elles exigent donc des taux d’intérêt « rémunérateurs ». Les entreprises sont donc amenées à appliquer ces mêmes critères, même si elles avaient des velléités de faire différemment. Les banques elles-mêmes y sont fortement poussées non seulement par les exigences de rentabilité de leurs actionnaires mais aussi par les règles dites prudentielles qui leur sont imposées par les pouvoirs publics. Ainsi, si elles veulent faire plus de crédit, elles doivent avoir plus de fonds propres, et pour avoir plus de fonds propres, il faut qu’elles soient encore plus rentables et ponctionnent donc plus leurs clients (entreprises et particuliers). D’où des taux d’intérêt trop élevés, un rationnement du crédit et des folies dans le domaine… des titrisations de créances bancaires refourguées sur les marchés financiers…

Des entreprises (par exemple Clarins) annoncent qu’elles vont sortir de la Bourse. Si ce mouvement se développait, quelles pourraient en être les conséquences ?

Sylvie Andrieux. Aucune sur l’économie réelle.

Marc Cohen-Solal. Il me semble que ce phénomène est tout à fait marginal et correspond à des stratégies particulières de groupes familiaux qui veulent garder tout le contrôle de leur entreprise.

Michel Husson. Clarins est sorti de Bourse grâce à une OPA sur ses propres actions, après que leur cours a perdu 36 % en un an. C’est un moyen de sauver les meubles qui ne devrait tenter qu’un petit nombre d’entreprises parce qu’il est évidemment risqué. On ne peut donc attendre à une sortie en masse mais on pourrait en tirer argument contre les privatisations. En Allemagne, l’État vient de renoncer à mettre sur le marché les 24,9 % qu’il détient dans le capital de Deutsche Bahn - l’équivalent de la SNCF - « étant donné l’évolution actuelle des marchés boursiers ». C’est un argument supplémentaire contre « l’ouverture du capital » de La Poste.

Marie-Christine Oghly. Clarins a choisi de se retirer de la Bourse parce que cette entreprise a estimé que les contraintes réglementaires liées à l’introduction sur le marché étaient trop importantes. Il ne s’agit donc pas d’une condamnation du principe du marché boursier mais, au contraire, de sa trop grande rigueur. J’ajoute que le rôle de l’AMF est une véritable garantie pour l’épargnant. Faire croire qu’il n’y a actuellement aucun contrôle sur les marchés boursiers relève de la polémique : l’exemple de Clarins démontre justement l’inverse.

crise320.jpgEst-ce que cette crise, qui a entraîné des nationalisations partielles de banques, ne plaide pas en faveur de la constitution d’un pôle financier public et de critères de gestion des banques distribuant le crédit, qui soient favorables à la création de richesses réelles et à l’emploi ?

Sylvie Andrieux. Oui, bien sûr, mais il aurait fallu que le gouvernement anticipe la crise. Les caisses de la France sont vides, les annonces successives et les incantations du chef de l’État n’y changeront rien. Le Parti socialiste avait tiré la sonnette d’alarme, il est évident qu’aujourd’hui l’argent du paquet fiscal fait cruellement défaut pour conduire une véritable politique de relance économique.

Michel Husson. Évidemment, parce qu’un pôle financier public permettrait d’orienter le crédit en fonction de priorités définies selon d’autres critères que la rentabilité : ce qui est le plus rentable n’est pas forcément le plus utile socialement. Puisque les gouvernements, même les plus libéraux, sont contraints dans l’urgence de « nationaliser », il faut réhabiliter l’idée même de nationalisation, en disant que le crédit et l’assurance devraient être des services publics gérés démocratiquement. Et si l’on veut être cohérent, il faudrait même avancer l’idée d’une nationalisation intégrale parce que ce serait le seul moyen de s’assurer que l’argent public injecté sert à autre chose qu’à éponger les dettes et à rétablir le profit des banques.

Marie-Christine Oghly. Il n’y a eu, à ce jour, aucune nationalisation partielle ou totale du secteur bancaire en France. La crise actuelle ne doit pas rendre amnésique : un secteur bancaire étatisé dans une économie de marché n’est pas la solution. Souvenons-nous des déboires du Crédit lyonnais dont la facture a été particulièrement élevée pour le contribuable français. Par contre, la crise actuelle démontre que les marchés financiers ont besoin d’une régulation plus importante au niveau mondial et européen. De plus, l’argent investi doit l’être désormais dans l’économie réelle, celle des centaines de milliers de PME et TPE qui font l’activité et l’emploi. La titrisation excessive est l’ennemie de l’entreprise.

Marc Cohen-Solal. Il faudrait une nouvelle sélectivité du crédit favorisant les crédits de long terme à des taux d’autant plus abaissés qu’ils financeraient des investissements créateurs d’emplois nouveaux de salariés qualifiés et bien rémunérés, qu’ils permettraient la formation d’hommes et de femmes accédant ainsi à ces emplois. Au passage, cela favoriserait les ressources les moins chères des banques que sont les dépôts des salariés et des populations.

Ces taux pourraient être abaissés de telle manière qu’ils pourraient même être négatifs en termes réels. Pour y parvenir, ces prêts pourraient être bonifiés en utilisant autrement les milliards d’euros de fonds publics pour l’emploi qui sont distribués sans aucun contrôle de leur utilisation. C’est tout le sens de cette idée de pôle public de financement qui rencontre maintenant un large écho. Précisons qu’il ne s’agit pas d’étatisation pour revenir aux errements du passé, où les banques nationalisées agissaient avec les critères du privé, mais de favoriser la maîtrise par la société elle-même de cette question cruciale : l’utilisation de l’argent (1).

La mobilisation des salariés et des populations, au côté des salariés du secteur bancaire, menacés dans leurs emplois par les Monopoly en cours, est nécessaire pour imposer aux patrons de la finance cette autre utilisation de l’argent. Ainsi les fonds régionaux pour l’emploi déjà créés ou à créer pourraient, s’ils étaient investis par les salariés et leurs représentants, par les populations et leurs élus, jouer un rôle important pour cette réorientation de l’argent vers l’emploi.

De même, le spectacle de Jean-Claude Trichet, directeur de la Banque centrale européenne, implorant un soir à la télévision les acteurs des marchés financiers de se ressaisir, leur disant en substance : « On a tout fait pour vous », peut faire réfléchir : et si les peuples d’Europe exigeaient de la BCE qu’elle réoriente ses refinancements vers des objectifs d’emplois, ne viendrait-il pas obtempérer un soir au JT ?

(*) Auteur d’Un pur capitalisme, Éditions Page 2. 208 pages, 16 euros.

(1) Sur ce sujet, Marc Cohen-Solal recommande le livre de Denis Durand, secrétaire du syndicat CGT de la Banque de France, qui s’intitule Un autre crédit est possible, Éditions Le Temps des cerises, 2005.

Entretiens réalisés par Jacqueline Sellem, pour l'Huamanité

17:22 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bourse, crise, débat | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!