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16/07/2012

Buffet: "Varin veut maintenir ses marges, nous, nous voulons maintenir l’emploi"

automobile, front de gauche, François Hollande, philippe varin, psa, marie-georges buffet, psa peugeot-citroën, psa aulnay, suppression d'emplois, fermeture d'usine, Marie-George Buffet, députée de Seine-Saint-Denis, appelle à légiférer pour refuser le plan social présenté par PSA et ses 8.000 suppressions de poste. Elle avait déja interpellé le gouvernement en 2011.

Comment avez-vous réagi 
à l’annonce du plan social 
chez PSA ?

Marie-George Buffet. J’étais très en colère lorsque cette décision a été rendue publique. Ce plan était programmé depuis plus d’un an et PSA a voulu le dissimuler. En 2011, j’avais alerté le gouvernement et l’Assemblée nationale au sujet de ces suppressions d’emplois prévues, ainsi que de la fermeture du site d’Aulnay, sur la base d’un document interne révélé par la CGT. Le ministre de l’Industrie de l’époque, Éric Besson, ainsi que les dirigeants de PSA avaient nié la véracité de ces informations : « Ce sont des menteurs. » Le 18 juin dernier, lors de la réunion entre une délégation de la direction de PSA, les représentants des salariés, Arnaud Montebourg et les élus locaux, aucun élément ne nous a été donné.

 

Qu’avez-vous pensé de l’interview télévisée du chef de l’État à ce propos ?

Marie-George Buffet. L’intervention de François Hollande redonne un peu d’espoir. Elle corrige les propos surprenants du ministre du Travail, Michel Sapin, qui évoquait à la radio, il y a une semaine, la perspective d’une reconversion du site d’Aulnay. Je retiens une phrase forte du président de la République : « Ce plan est inacceptable. » Je partage son analyse, qui revient à refuser une telle casse d’emplois dans une entreprise qui fait des bénéfices. PSA a 11 milliards d’euros de réserves, a vendu 3,6 millions de véhicules en 2010 et a reçu des aides multiples de l’État. L’entreprise a les moyens de faire face à ces difficultés actuelles sans réaliser une telle restructuration. Il faut prendre des mesures pour l’en empêcher et relancer le secteur automobile. J’attends avec impatience la série de propositions du gouvernement, qui devrait être annoncée dans les jours qui viennent. Ce cas concret montre qu’un plan d’aide à l’automobile, comme en 2008 avec la prime à la casse, ne suffit pas.

 

Comment l’État doit-il intervenir 
pour relancer l’automobile sans sacrifier des milliers d’emplois ?

Marie-George Buffet. D’abord, dans le cas d’une entreprise qui fait des bénéfices, distribue des dividendes à ses actionnaires, les licenciements pour motif économique doivent être interdits. Le Front de gauche avait proposé cette loi sous l’ancienne législature. Aujourd’hui, la gauche majoritaire peut l’adopter. Elle est applicable très rapidement. Nous aurions pu la voter à l’Assemblée nationale et au Sénat dès le mois de juillet. Par ailleurs, l’État doit légiférer pour donner de nouveaux droits aux salariés dans la gestion des entreprises publiques et privées. Les représentants des salariés de PSA devraient pouvoir ouvrir les négociations avec la direction et discuter de propositions alternatives. À Aulnay, cela fait des mois que d’autres solutions sont proposées par les salariés, pour poursuivre la production de la C3 et lancer un nouveau véhicule de gamme B dès 2016. Cette négociation demande du temps, donc la loi doit donner aux salariés un pouvoir de suspension face à l’annonce d’un plan social. Enfin, le redressement de ce secteur doit s’effectuer par la relance de la demande intérieure. Il faut augmenter les salaires et les pensions pour dynamiser la consommation. Les 120 milliards d’euros du pacte européen pour la croissance doivent être utilisés en ce sens.

 

Comment va se poursuivre 
la bataille des élus locaux ?

Marie-George Buffet. Nous allons faire pression à l’Assemblée nationale pour obtenir un plan de redressement de l’automobile qui soit satisfaisant. Ce que les salariés de PSA attendent de la gauche, ce sont des mesures concrètes pour sauver leurs emplois. Philippe Varin, le PDG, veut maintenir ses marges, nous, nous voulons maintenir les emplois. Ce week-end, les militants communistes distribuaient déjà, sur le marché du Blanc-Mesnil, un tract de solidarité avec les salariés de PSA Aulnay. Ces derniers décideront de leurs formes d’action et de revendication. À nous d’être à leurs côtés. Les syndicats vont se réunir le 11 septembre pour une grande assemblée dans l’usine d’Aulnay. Une pétition de la CGT de PSA Aulnay contre la fermeture de l’usine a commencé à circuler : j’invite tous mes concitoyens à la signer

25/03/2012

Benoît Jacquot : "Peut-être va-t-on revivre cela au soir du deuxième tour"

 

Un film magnifique 
qui se déroule 
sur trois jours. 
Les Adieux 
à la reine se passent hier mais parlent peut-être d’aujourd’hui.

Désolé 
de commencer ainsi, mais est-ce que 
les Adieux 
à la reine, film d’époque 
donc, est un film cher ?

Benoît Jacquot. Disons qu’il commence à être amorti à 500 000 entrées en France. Du coup, cela entraîne une sortie sur plus de deux cents salles, donc il faut élargir l’offre. Pour autant, connaissant les incidences d’un film comme celui-ci, il me fallait ne rien perdre de mon désir et de ma façon de faire des films. J’ai bénéficié d’un producteur très important de télévision, de la complicité de Jean-Pierre Guérin, qui a déjà obtenu le 7 d’or de la meilleure œuvre de fiction en 1999, puis a décidé de faire du cinéma et qui a produit Mammuth, qui a très bien marché. Du coup, il a décidé de continuer, il est tombé amoureux du livre, qui a obtenu le prix Femina en 2002 qui, pour moi, correspondait à l’idée d’un film que j’avais très envie de voir et de faire. C’est lui qui m’a appelé, mais je ne voyais pas facilement comment le réaliser. Il n’en a pas démordu. Le mariage, si l’on peut dire, est né en 2007. Cela a pris cinq ans entre le moment où j’ai lu le livre à la parution et la mise en production. Puis se sont écoulés encore cinq ans, tant était prégnant le sentiment d’un film à faire. Voilà, il sort maintenant un mois avant le premier tour de la présidentielle et je trouve que cela tombe parfaitement.

Qu’elle était donc votre motivation profonde ?

Benoît Jacquot. Ce qui m’a attaché, c’est l’idée de montrer la fin d’un monde vécu au présent, qui est le centre du monde. De partir de la lectrice de la reine pour arriver au monde clos avec ses rites, la panique provenant des événements, comment elle vit cela, comment son cœur bat plus vite selon ce qui se passe, tout en restant dans le château, comment cette panique s’amplifie, comment sur le rafiot en péril l’équipage se barre avant les touristes. Peut-être, après 
le Costa Concordia, va-t-on 
revivre cela au soir du deuxième tour, si l’on coupe la tête de Sarkozy.

Encore faudrait-il 
la trouver. Parlons du peuple, 
qu’incarne cette lectrice…

Benoît Jacquot. Elle vient de nulle part. Elle est orpheline. C’est en effet une fille du peuple, comme on a dit un peu ultérieurement, chronologiquement parlant. C’est une gueuse. Elle est dans la servitude volontaire. La particularité du film est que tout est exposé par ce témoin alors que moi, je ne suis pas dans l’addiction. Pour moi, Marie-Antoinette n’est pas la rédemptrice telle que la voyait Alexandre Dumas, ni l’héroïne de Chateaubriand, qui reconnaît son sourire en voyant son crâne dans les Mémoires d’outre-tombe. Il y a une fascination qui règne autour du personnage de Marie-Antoinette. Les Japonais ont acheté le film. Les Américains veulent le sortir le 13 juillet. C’est un personnage fascinant. Elle est au centre, mais moi je commence le film au moment où finit celui de Sofia Coppola. Chez moi, elle passe du stade de princesse capricieuse et libertine à celui de reine de France au destin tragique.

 

Une polémique a été provoquée ces jours-ci. 
Des bien-pensants demandent 
de ne pas toucher à la reine...

Benoît Jacquot. Je veux bien qu’il y ait un culte autour de Marie-Antoinette, même si le film n’en fait pas un personnage diabolique. Elle n’est pas forcément sympathique et c’est tout. Le sujet est comment un lieu de pouvoir panique et peut se sentir atteint. Le sujet est à quel point l’installation au pouvoir est organiquement considérée comme éternelle par qui le prend, quand le contre-balancier vient. La République française est la mère de toutes les révolutions. Le but était de s’approcher de cela sans quitter le château, face aux citoyens qui veulent changer de soleil. Ce sans être dans l’antipathie, posture qui ne me paraît pas très intéressante.

Voyez-vous en ce film 
une continuité ou une rupture avec vos films précédents ?

Benoît Jacquot. Je suis dans 
le droit fil de mes films 
précédents. Mais dans un champ que je n’ai pas beaucoup abordé, dans le détour par un monde reconstitué pour toucher quelque chose qui est très actuel. C’est mon film le plus cher avec Tosca, ses décors monumentaux et tout un bazar technique, disons que c’est un de mes films les plus chers. Ce qui m’importe le plus est que, dans ces mouvements de panique, ce qu’on voit de cette panique provoque une accélération physique de tous les états, y compris physique. Ainsi de la reine. Il est admis qu’elle avait des favorites. J’ai évoqué cette possibilité admise par beaucoup et critiquée par certains. Si l’on pense qu’il n’y a jamais eu d’étreintes, vu les mœurs de la cour, il faut se demander de quoi est constitué l’imaginaire de ceux qui protestent.

Les Adieux à la reine, de Benoît Jacquot. France, 1 h 40. Le 14 juillet 1789 à Versailles, l’insouciance règne. Le roi n’est-il pas allé à la chasse ? Comme ne le rappelle pas le film qui, durant trois jours, donc jusqu’à la fuite, ne quitte pas le château pour se cantonner autour de Marie-Antoinette et de son entourage, cette populace qui se croit parvenue parce qu’elle a le bonheur d’habiter dans les combles insalubres. Avec Léa Seydoux dans le rôle de la lectrice, si proche mais dans le même temps si éloignée de la souveraine (Diane Kruger), qui lui préfère la pulpeuse Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen). Drame intime, affaires publiques. Une sacrée, si l’on peut dire, réussite.

Entretien réalisé par Jean Roy

29/12/2011

Joseph Stiglitz : "L'austérité mène au désastre"

Stigiltz, économie, Europe, austéritéLondres Correspondante - Joseph Stiglitz, 67 ans, Prix Nobel d'économie en 2001, ex-conseiller économique du président Bill Clinton (1995-1997) et ex-chef économiste de la Banque mondiale (1997-2000), est connu pour ses positions critiques sur les grandes institutions financières internationales, la pensée unique sur la mondialisation et le monétarisme. Il livre au Monde son analyse de la crise de l'euro.

Vous avez récemment dit que l'euro n'avait pas d'avenir sans réforme majeure. Qu'entendez-vous par là ?

L'Europe va dans la mauvaise direction. En adoptant la monnaie unique, les pays membres de la zone euro ont renoncé à deux instruments de politique économique : le taux de change et les taux d'intérêt. Il fallait donc trouver autre chose qui leur permette de s'adapter à la conjoncture si nécessaire. D'autant que Bruxelles n'a pas été assez loin en matière de régulation des marchés, jugeant que ces derniers étaient omnipotents. Mais l'Union européenne (UE) n'a rien prévu dans ce sens.

Et aujourd'hui, elle veut un plan coordonné d'austérité. Si elle continue dans cette voie-là, elle court au désastre. Nous savons, depuis la Grande Dépression des années 1930, que ce n'est pas ce qu'il faut faire.

Que devrait faire l'Europe ?

Il y a plusieurs possibilités. Elle pourrait par exemple créer un fonds de solidarité pour la stabilité, comme elle a créé un fonds de solidarité pour les nouveaux entrants. Ce fonds, qui serait alimenté dans des temps économiques plus cléments, permettrait d'aider les pays qui ont des problèmes quand ceux-ci surgissent.

L'Europe a besoin de solidarité, d'empathie. Pas d'une austérité qui va faire bondir le chômage et amener la dépression. Aux Etats-Unis, quand un Etat est en difficulté, tous les autres se sentent concernés. Nous sommes tous dans le même bateau. C'est d'abord et avant tout le manque de solidarité qui menace la viabilité du projet européen.

Vous prônez une sorte de fédéralisme ?

Oui. De cohésion. Le problème, c'est que les Etats membres de l'UE n'ont pas tous les mêmes croyances en termes de théorie économique. Nicolas Sarkozy a eu raison de faire pression sur (la chancelière allemande) Angela Merkel pour la payer pour la Grèce. Nombreux sont ceux qui, en Allemagne, s'en remettent totalement aux marchés. Dans leur logique, les pays qui vont mal sont responsables et doivent donc se débrouiller.

Ce n'est pas le cas ?

Non. Le déficit structurel grec est inférieur à 4 %. Bien sûr, le gouvernement précédent, aidé par Goldman Sachs, a sa part de responsabilité. Mais c'est d'abord et avant tout la crise mondiale, la conjoncture, qui a provoqué cette situation.

Quant à l'Espagne, elle était excédentaire avant la crise et ne peut être accusée d'avoir manqué de discipline. Bien sûr, l'Espagne aurait dû être plus prudente et empêcher la formation de la bulle immobilière. Mais, en quelque sorte, c'est l'euro qui a permis ça, en lui procurant des taux d'intérêt plus bas que ceux auxquels Madrid aurait eu accès sans la monnaie unique. Aujourd'hui, ces pays ne s'en sortiront que si la croissance européenne revient. C'est pour cela qu'il faut soutenir l'économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur.

La baisse de l'euro serait donc une bonne chose ?

C'est la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe. C'est à la France, et plus encore à l'Allemagne qu'elle profitera le plus. Mais la Grèce et l'Espagne, pour qui le tourisme est une source de revenus importante, en seront également bénéficiaires.

Merkel, pourtant, sait que la solidarité peut être importante. Sans cela, il n'y aurait pas eu de réunification allemande.Oui. Mais, justement, il a fallu plus de dix ans à l'Allemagne pour absorber la réunification. Et d'une certaine manière, je pense que les ex-Allemands de l'Ouest estiment qu'ils ont déjà payé un prix élevé pour la solidarité européenne.

Pensez-vous que la viabilité de l'euro soit menacée ?

J'espère que non. Il est tout à fait possible d'éviter que la monnaie unique ne périclite. Mais si on continue comme ça, rien n'est exclu. Même si je pense que le scénario le plus probable est celui du défaut de paiement. Le taux de chômage des jeunes en Grèce s'approche de 30 %. En Espagne, il dépasse 44 %. Imaginez les émeutes s'il monte à 50 % ou 60 %. Il y a un moment où Athènes, Madrid ou Lisbonne se posera sérieusement la question de savoir s'il a intérêt à poursuivre le plan que lui ont imposé le Fonds monétaire international (FMI) et Bruxelles. Et s'il n'a pas intérêt à redevenir maître de sa politique monétaire.

Rappelez-vous ce qui s'est passé en Argentine. Le peso était attaché au dollar par un taux de change fixe. On pensait que Buenos Aires ne romprait pas le lien, que le coût en serait trop important. Les Argentins l'ont fait, ils ont dévalué, ça a été le chaos comme prévu. Mais, en fin de compte, ils en ont largement profité. Depuis six ans, l'Argentine croît à un rythme de 8,5 % par an. Et aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent qu'elle a eu raison.

Propos recueillis par Virginie Malingre pour Le Monde

20:22 Publié dans Actualités, Economie, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stigiltz, économie, europe, austérité | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

17/12/2011

Qu'est-ce qui fait toujours courir Oscar Niemeyer, 104 ans ?

Entretien réalisé par l'Humanité en 2005

niemeyer1.jpg"Pour être un bon architecte, il faut connaître la vie des hommes, leur misère, leur souffrance - Oscar Niemeyer"

L'immeuble est situé sur la plage de Copacabana, et le bureau, est au dernier étage. Oscar Niemeyer est en retard. Depuis la grande banquette blanche qui longe la grande baie vitrée, on peut se laisser saisir par l'émotion de l'atelier, observer les meubles, les esquisses de l'architecte accrochées sur les murs, un dessin en hommage aux sans-terre portant la mention " la terre appartient à tous "...

Cette attente est un vrai bonheur.

Le voici. Une longue poignée de main et quelques mots chaleureux pour dire tout son plaisir de rencontrer un ami communiste français.

La pièce est petite, intime, sur les murs, les rayonnages sont remplis de livres. Des auteurs français pêle-mêle : Laclos, Dumas, Baudelaire, Camus...

Et l'histoire de la Commune de Paris, sise parmi de nombreux ouvrages d'auteurs brésiliens et d'Amérique latine : Ribeiro, Amado...

Sur son bureau, se trouve l'étincelante plaque en bronze, reçue en hommage lors de l'inauguration du siège du PCF.

Il a une tendresse pour l'Huma : " Je suis toujours le fidèle compagnon du journal l'Humanité. Il faut que vive le journal l'Humanité, il est le compagnon de tous ceux qui combattent la pauvreté, les injustices, le capitalisme. "

L'homme est en forme pour ses quatre-vingt-dix-huit ans. Il se trouve " ordinaire ", et si l'on insiste, précise qu'il " n'a pas vraiment conscience de son génie ".

Cependant, nombre de ses dernières créations, animées par les courbes qui lui sont si chères, sont encore en train de s'élever vers le ciel.

Une cathédrale, un théâtre, un musée du cinéma, le siège de la fondation Oscar Niemeyer et la gare des bateaux sortent de terre, parsèmant le " chemin Niemeyer ", à Niteroi.

Brasilia s'étoffe encore d'un musée d'Art contemporain, de la Bibliothèque nationale, de cinémas, d'un centre musical, dont il a inventé les formes et dessiné les plans. Les bâtiments officiels de l'État du Minas Gerais grandissent à Belo Horizonte. À Potsdam et à Oviedo, des projets se préparent...

niemeyeronu.jpgAux quatre coins du monde, on voit fleurir de nombreux projets nouveaux conçus par vous. En fait, votre énergie est intacte...

Oscar Niemeyer. Je viens au bureau tous les jours, de 11 heures à 23 heures J'ai une façon de travailler très personnelle.

Quand le projet est conçu dans ma tête, je fais le dessin seul, parce que l'architecture demande une transposition, une prise de position très personnelle, individuelle. Quand le projet est fini, j'appelle mes collègues architectes pour travailler au développement. Cela permet la discussion, pour terminer le projet. La construction d'un bâtiment est très difficile, il y a toujours des ajustements à faire par rapport au projet d'origine. Il faut donc être vigilant jusqu'à la fin. C'est d'autant plus vrai pour la construction d'une ville tout entière, en évolution permanente comme Brasilia, qui a commencé il y a maintenant quarante-cinq ans.

L'architecture me demande beaucoup de travail et d'énergie. Je travaille pour la France, pour l'Allemagne, l'Italie. En ce moment, je suis aussi sur un projet de musée à Oviedo, en Espagne.

L'Année du Brésil en France connaît un succès sans précédent...

Oscar Niemeyer. Ça ne m'étonne pas ! Si un jour je dois sortir du Brésil, ce sera en France que j'irai ! Le Brésil a toujours été très lié à la France. Les liens sont encore très étroits aujourd'hui.

La littérature française est bien enseignée, très présente dans les écoles brésiliennes. Je me souviens, quand j'étais à Paris, lors de mon exil dû à la dictature fasciste en 1964, j'ai été surpris du bon accueil d'André Malraux, il a toujours eu beaucoup d'estime pour moi : " J'ai placé votre architecture dans mon musée imaginaire, là où je garde tout ce que j'ai vu et aimé dans le monde. " Il a trouvé la solution pour que je puisse travailler en France, comme un architecte français.

C'est ainsi que pendant mes séjours en France, j'ai pu réaliser la maison de la culture au Havre, la bourse du travail à Bobigny, le siège du PCF à Paris, et le siège du journal l'Humanité à Saint-Denis qui, me dit-on, sont très visités. Ce dont je suis heureux et fier. Je dis souvent, au Brésil : les meilleures personnes que j'ai connues dans la vie, ce sont les camarades communistes français ; ils ne veulent rien pour eux, changer le monde pour tous est leur but.

C'est formidable, non ?

Votre engagement de communiste... est-il toujours le même ?

Oscar Niemeyer. Je suis content, je suis toujours sur le même chemin. Je suis sorti de l'école, et ma famille était une famille bourgeoise.

Mon grand-père était ministre de la Cour suprême du Brésil. J'ai compris immédiatement qu'il fallait changer les choses. Le chemin, c'est le Parti communiste. Je suis entré au Parti et j'y suis resté jusqu'à aujourd'hui, en suivant tous les moments, bons ou mauvais, que la vie impose.

Quand je parle d'architecture, j'ai l'habitude de dire que la vie est plus importante que l'architecture, l'architecture ne change rien, la vie peut changer les choses bien plus que l'architecture. Je pense et je le dis constamment aux collègues, aux étudiants, qu'il n'est pas suffisant de sortir de l'école pour être un bon architecte. Il faut connaître avant tout la vie des hommes, leur misère, leur souffrance pour faire vraiment de l'architecture, pour créer.

Le principal, c'est être un homme qui arrive à comprendre la vie, et il faut comprendre qu'il est important de changer le monde. Nous cherchons une cohérence. Tous les mardis, se tiennent dans mon bureau des rencontres avec des étudiants, des intellectuels, des scientifiques, des gens de lettres. Nous échangeons des réflexions philosophiques, des réflexions sur la politique, sur le monde, nous voulons comprendre la vie, changer la vie, changer l'être humain.

Pourtant, dans un premier temps, je suis pessimiste : je pense que l'être humain a très peu de perspective, mais qu'il faut vivre honnêtement, vivre la main dans la main. Après, dans un second temps, je comprends qu'il faut être moins pessimiste et un peu plus réaliste.

Il faut comprendre que la vie est implacable pour le peuple, chacun arrive avec sa petite histoire. Il y a trop d'injustices. Mais l'engagement avec le Parti communiste permet l'espoir, permet la solidarité, permet le combat commun pour un monde meilleur.

Quel regard portez-vous sur la situation politique du président Lula au Brésil, en particulier, et sur l'évolution politique de l'Amérique latine en général ?

Oscar Niemeyer. Il faut faire de l'Amérique latine un pôle de combat, un pôle de résistance contre l'impérialisme américain...

Il faut comprendre que le peuple américain est comme les autres mais que la politique nord-américaine est menaçante, elle menace l'Amérique latine, dans sa totalité. Il faut mieux se protéger.

J'aurais voulu que Lula soit le leader de cette lutte. Nous n'aimons pas voir le gouvernement de Lula être très aimable avec les Américains. Mais je ne suis pas pessimiste, les forces populaires et progressistes se renforcent, ça donne l'impression que le peuple peut réagir.

Je pense, que, quand la vie est très difficile, l'espoir jaillit du coeur des hommes, il faut se battre, il faut faire la révolution. On ne peut pas améliorer le capitalisme : il est responsable de ce qu'il y a de plus mauvais dans le monde. Il faut que les jeunes soient partie prenante, il faut qu'ils entrent dans la lutte. Je sais que ce n'est pas le moment le plus propice, mais il faut avoir l'espoir.

Propos recueillis par Gérard Fournier , l'Humanité, Décembre 2005

REPERES : Oscar Niemeyer

Né à Rio de Janeiro le 15 décembre 1907, ll est le plus célèbre architecte brésilien, auteur d'une œuvre majeure pour l'architecture moderne, inscrite dans le mouvement du style international.

Niemeyer devient connu pour avoir participer du groupe d'architectes responsables pour le nouveau siège du Ministère de l'Education et Santé, à Rio de Janeiro, du gouvernement de Getúlio Vargas, en 1936.

Sa notoriété mondiale est notamment une conséquence de sa participation à la création de la nouvelle capitale administrative du Brésil, Brasília, inaugurée le 21 avril 1960. Lucio Costa a gagné le concours public du plan d'urbanisme de la nouvelle capitale, réalisé en 1956.

Le président Juscelino Kubistchek appella alors, Niemeyer pour concevoir les principaux équipements publics de la ville, dont la cathédrale, le congrès national, les ministères etc. Juscelino connaissais Niemeyer depuis son projet pour l'ensemble de Pampulha, Belo Horizonte, MG - Juscelino était à l'époque gouverneur de Minas Gerais.

Siège des Nations unies, New York

Oscar Niemeyer participa également avec Le Corbusier à la réalisation du siège de l'ONU à New York en 1952.

Entre 1991 et 1996, il réalise le Musée d'Art Contemporain de Niterói (Museu de Arte Contemporânea de Niterói).

fabien1.jpgAvec la dictature militaire au Brésil, Niemeyer part en France où il fut le concepteur de plusieurs édifices, tels le siège du Parti Communiste Français, place du Colonel Fabien à Paris (1965-1980), le siège du journal L'Humanité à Saint-Denis (1989), ou le centre culturel Le Volcan du Havre. Revendiquant lui-même son attachement aux idéaux communistes, il chercha à ne contribuer à l'étranger qu'avec des maîtres d'ouvrage communistes ou apparentés.

À Paris, on peut observer son travail avec la Bourse du Travail de Bobigny en prenant le tramway, arrêt Bourse du Travail.

Les lignes du bâtiment reprennent le style du Volcan au Havre en de nombreux points; ces courbes se retrouvent aussi dans certains lieux de cette ville, qui dans les années 70 chercha à innover en matière d'architecture.

Construite entre 1976 et 1978, elle se décompose en deux ensembles distincts: on y trouve un auditorium de 465 places entouré de salles de réunions et un bâtiment élevé sur pilotis comprenant quatre étages accueillant diverses organisations syndicales.

Inaugurée le 2 mai 1978, cette structure se dévoile donc par deux bâtiments différents qui ne font qu'un bloc que l'impression d'élévation et de légèreté soude durablement. La courbe, partie intégrante des œuvres de Niemeyer, est une fois de plus à son apogée. Tantôt vague, tantôt montagne, elle trouve une finesse que seul le béton pouvait lui fournir.

Il conçoit en 2003 l'auditorium de Sao Paulo, inauguré en 2005 et recouverte d'une toiture ondulante en béton de près de 27 000 m². Peu satisfait de cette dernière, il en a demandé la destruction d'un fragment ce qui a été refusé par la municipalité.

Niemeyer a une seule fille, cinq petits enfants et plusieurs arrières petits enfants. Il y a même une cinquième génération.

Quand je dessine, seul le béton me permettra de maîtriser une courbe d'une portée aussi ample.

Le béton suggère des formes souples, des contrastes de formes, par une modulation continue de l'espace qui s'oppose à l'uniformisation des systèmes répétitifs du fonctionnalisme international.

Photos : le siège de l'ONU, plus bas le siège du PCF à Paris