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29/12/2011

Joseph Stiglitz : "L'austérité mène au désastre"

Stigiltz, économie, Europe, austéritéLondres Correspondante - Joseph Stiglitz, 67 ans, Prix Nobel d'économie en 2001, ex-conseiller économique du président Bill Clinton (1995-1997) et ex-chef économiste de la Banque mondiale (1997-2000), est connu pour ses positions critiques sur les grandes institutions financières internationales, la pensée unique sur la mondialisation et le monétarisme. Il livre au Monde son analyse de la crise de l'euro.

Vous avez récemment dit que l'euro n'avait pas d'avenir sans réforme majeure. Qu'entendez-vous par là ?

L'Europe va dans la mauvaise direction. En adoptant la monnaie unique, les pays membres de la zone euro ont renoncé à deux instruments de politique économique : le taux de change et les taux d'intérêt. Il fallait donc trouver autre chose qui leur permette de s'adapter à la conjoncture si nécessaire. D'autant que Bruxelles n'a pas été assez loin en matière de régulation des marchés, jugeant que ces derniers étaient omnipotents. Mais l'Union européenne (UE) n'a rien prévu dans ce sens.

Et aujourd'hui, elle veut un plan coordonné d'austérité. Si elle continue dans cette voie-là, elle court au désastre. Nous savons, depuis la Grande Dépression des années 1930, que ce n'est pas ce qu'il faut faire.

Que devrait faire l'Europe ?

Il y a plusieurs possibilités. Elle pourrait par exemple créer un fonds de solidarité pour la stabilité, comme elle a créé un fonds de solidarité pour les nouveaux entrants. Ce fonds, qui serait alimenté dans des temps économiques plus cléments, permettrait d'aider les pays qui ont des problèmes quand ceux-ci surgissent.

L'Europe a besoin de solidarité, d'empathie. Pas d'une austérité qui va faire bondir le chômage et amener la dépression. Aux Etats-Unis, quand un Etat est en difficulté, tous les autres se sentent concernés. Nous sommes tous dans le même bateau. C'est d'abord et avant tout le manque de solidarité qui menace la viabilité du projet européen.

Vous prônez une sorte de fédéralisme ?

Oui. De cohésion. Le problème, c'est que les Etats membres de l'UE n'ont pas tous les mêmes croyances en termes de théorie économique. Nicolas Sarkozy a eu raison de faire pression sur (la chancelière allemande) Angela Merkel pour la payer pour la Grèce. Nombreux sont ceux qui, en Allemagne, s'en remettent totalement aux marchés. Dans leur logique, les pays qui vont mal sont responsables et doivent donc se débrouiller.

Ce n'est pas le cas ?

Non. Le déficit structurel grec est inférieur à 4 %. Bien sûr, le gouvernement précédent, aidé par Goldman Sachs, a sa part de responsabilité. Mais c'est d'abord et avant tout la crise mondiale, la conjoncture, qui a provoqué cette situation.

Quant à l'Espagne, elle était excédentaire avant la crise et ne peut être accusée d'avoir manqué de discipline. Bien sûr, l'Espagne aurait dû être plus prudente et empêcher la formation de la bulle immobilière. Mais, en quelque sorte, c'est l'euro qui a permis ça, en lui procurant des taux d'intérêt plus bas que ceux auxquels Madrid aurait eu accès sans la monnaie unique. Aujourd'hui, ces pays ne s'en sortiront que si la croissance européenne revient. C'est pour cela qu'il faut soutenir l'économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur.

La baisse de l'euro serait donc une bonne chose ?

C'est la meilleure chose qui puisse arriver à l'Europe. C'est à la France, et plus encore à l'Allemagne qu'elle profitera le plus. Mais la Grèce et l'Espagne, pour qui le tourisme est une source de revenus importante, en seront également bénéficiaires.

Merkel, pourtant, sait que la solidarité peut être importante. Sans cela, il n'y aurait pas eu de réunification allemande.Oui. Mais, justement, il a fallu plus de dix ans à l'Allemagne pour absorber la réunification. Et d'une certaine manière, je pense que les ex-Allemands de l'Ouest estiment qu'ils ont déjà payé un prix élevé pour la solidarité européenne.

Pensez-vous que la viabilité de l'euro soit menacée ?

J'espère que non. Il est tout à fait possible d'éviter que la monnaie unique ne périclite. Mais si on continue comme ça, rien n'est exclu. Même si je pense que le scénario le plus probable est celui du défaut de paiement. Le taux de chômage des jeunes en Grèce s'approche de 30 %. En Espagne, il dépasse 44 %. Imaginez les émeutes s'il monte à 50 % ou 60 %. Il y a un moment où Athènes, Madrid ou Lisbonne se posera sérieusement la question de savoir s'il a intérêt à poursuivre le plan que lui ont imposé le Fonds monétaire international (FMI) et Bruxelles. Et s'il n'a pas intérêt à redevenir maître de sa politique monétaire.

Rappelez-vous ce qui s'est passé en Argentine. Le peso était attaché au dollar par un taux de change fixe. On pensait que Buenos Aires ne romprait pas le lien, que le coût en serait trop important. Les Argentins l'ont fait, ils ont dévalué, ça a été le chaos comme prévu. Mais, en fin de compte, ils en ont largement profité. Depuis six ans, l'Argentine croît à un rythme de 8,5 % par an. Et aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent qu'elle a eu raison.

Propos recueillis par Virginie Malingre pour Le Monde

20:22 Publié dans Actualités, Economie, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stigiltz, économie, europe, austérité | |  del.icio.us |  Imprimer | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

17/12/2011

Qu'est-ce qui fait toujours courir Oscar Niemeyer, 104 ans ?

Entretien réalisé par l'Humanité en 2005

niemeyer1.jpg"Pour être un bon architecte, il faut connaître la vie des hommes, leur misère, leur souffrance - Oscar Niemeyer"

L'immeuble est situé sur la plage de Copacabana, et le bureau, est au dernier étage. Oscar Niemeyer est en retard. Depuis la grande banquette blanche qui longe la grande baie vitrée, on peut se laisser saisir par l'émotion de l'atelier, observer les meubles, les esquisses de l'architecte accrochées sur les murs, un dessin en hommage aux sans-terre portant la mention " la terre appartient à tous "...

Cette attente est un vrai bonheur.

Le voici. Une longue poignée de main et quelques mots chaleureux pour dire tout son plaisir de rencontrer un ami communiste français.

La pièce est petite, intime, sur les murs, les rayonnages sont remplis de livres. Des auteurs français pêle-mêle : Laclos, Dumas, Baudelaire, Camus...

Et l'histoire de la Commune de Paris, sise parmi de nombreux ouvrages d'auteurs brésiliens et d'Amérique latine : Ribeiro, Amado...

Sur son bureau, se trouve l'étincelante plaque en bronze, reçue en hommage lors de l'inauguration du siège du PCF.

Il a une tendresse pour l'Huma : " Je suis toujours le fidèle compagnon du journal l'Humanité. Il faut que vive le journal l'Humanité, il est le compagnon de tous ceux qui combattent la pauvreté, les injustices, le capitalisme. "

L'homme est en forme pour ses quatre-vingt-dix-huit ans. Il se trouve " ordinaire ", et si l'on insiste, précise qu'il " n'a pas vraiment conscience de son génie ".

Cependant, nombre de ses dernières créations, animées par les courbes qui lui sont si chères, sont encore en train de s'élever vers le ciel.

Une cathédrale, un théâtre, un musée du cinéma, le siège de la fondation Oscar Niemeyer et la gare des bateaux sortent de terre, parsèmant le " chemin Niemeyer ", à Niteroi.

Brasilia s'étoffe encore d'un musée d'Art contemporain, de la Bibliothèque nationale, de cinémas, d'un centre musical, dont il a inventé les formes et dessiné les plans. Les bâtiments officiels de l'État du Minas Gerais grandissent à Belo Horizonte. À Potsdam et à Oviedo, des projets se préparent...

niemeyeronu.jpgAux quatre coins du monde, on voit fleurir de nombreux projets nouveaux conçus par vous. En fait, votre énergie est intacte...

Oscar Niemeyer. Je viens au bureau tous les jours, de 11 heures à 23 heures J'ai une façon de travailler très personnelle.

Quand le projet est conçu dans ma tête, je fais le dessin seul, parce que l'architecture demande une transposition, une prise de position très personnelle, individuelle. Quand le projet est fini, j'appelle mes collègues architectes pour travailler au développement. Cela permet la discussion, pour terminer le projet. La construction d'un bâtiment est très difficile, il y a toujours des ajustements à faire par rapport au projet d'origine. Il faut donc être vigilant jusqu'à la fin. C'est d'autant plus vrai pour la construction d'une ville tout entière, en évolution permanente comme Brasilia, qui a commencé il y a maintenant quarante-cinq ans.

L'architecture me demande beaucoup de travail et d'énergie. Je travaille pour la France, pour l'Allemagne, l'Italie. En ce moment, je suis aussi sur un projet de musée à Oviedo, en Espagne.

L'Année du Brésil en France connaît un succès sans précédent...

Oscar Niemeyer. Ça ne m'étonne pas ! Si un jour je dois sortir du Brésil, ce sera en France que j'irai ! Le Brésil a toujours été très lié à la France. Les liens sont encore très étroits aujourd'hui.

La littérature française est bien enseignée, très présente dans les écoles brésiliennes. Je me souviens, quand j'étais à Paris, lors de mon exil dû à la dictature fasciste en 1964, j'ai été surpris du bon accueil d'André Malraux, il a toujours eu beaucoup d'estime pour moi : " J'ai placé votre architecture dans mon musée imaginaire, là où je garde tout ce que j'ai vu et aimé dans le monde. " Il a trouvé la solution pour que je puisse travailler en France, comme un architecte français.

C'est ainsi que pendant mes séjours en France, j'ai pu réaliser la maison de la culture au Havre, la bourse du travail à Bobigny, le siège du PCF à Paris, et le siège du journal l'Humanité à Saint-Denis qui, me dit-on, sont très visités. Ce dont je suis heureux et fier. Je dis souvent, au Brésil : les meilleures personnes que j'ai connues dans la vie, ce sont les camarades communistes français ; ils ne veulent rien pour eux, changer le monde pour tous est leur but.

C'est formidable, non ?

Votre engagement de communiste... est-il toujours le même ?

Oscar Niemeyer. Je suis content, je suis toujours sur le même chemin. Je suis sorti de l'école, et ma famille était une famille bourgeoise.

Mon grand-père était ministre de la Cour suprême du Brésil. J'ai compris immédiatement qu'il fallait changer les choses. Le chemin, c'est le Parti communiste. Je suis entré au Parti et j'y suis resté jusqu'à aujourd'hui, en suivant tous les moments, bons ou mauvais, que la vie impose.

Quand je parle d'architecture, j'ai l'habitude de dire que la vie est plus importante que l'architecture, l'architecture ne change rien, la vie peut changer les choses bien plus que l'architecture. Je pense et je le dis constamment aux collègues, aux étudiants, qu'il n'est pas suffisant de sortir de l'école pour être un bon architecte. Il faut connaître avant tout la vie des hommes, leur misère, leur souffrance pour faire vraiment de l'architecture, pour créer.

Le principal, c'est être un homme qui arrive à comprendre la vie, et il faut comprendre qu'il est important de changer le monde. Nous cherchons une cohérence. Tous les mardis, se tiennent dans mon bureau des rencontres avec des étudiants, des intellectuels, des scientifiques, des gens de lettres. Nous échangeons des réflexions philosophiques, des réflexions sur la politique, sur le monde, nous voulons comprendre la vie, changer la vie, changer l'être humain.

Pourtant, dans un premier temps, je suis pessimiste : je pense que l'être humain a très peu de perspective, mais qu'il faut vivre honnêtement, vivre la main dans la main. Après, dans un second temps, je comprends qu'il faut être moins pessimiste et un peu plus réaliste.

Il faut comprendre que la vie est implacable pour le peuple, chacun arrive avec sa petite histoire. Il y a trop d'injustices. Mais l'engagement avec le Parti communiste permet l'espoir, permet la solidarité, permet le combat commun pour un monde meilleur.

Quel regard portez-vous sur la situation politique du président Lula au Brésil, en particulier, et sur l'évolution politique de l'Amérique latine en général ?

Oscar Niemeyer. Il faut faire de l'Amérique latine un pôle de combat, un pôle de résistance contre l'impérialisme américain...

Il faut comprendre que le peuple américain est comme les autres mais que la politique nord-américaine est menaçante, elle menace l'Amérique latine, dans sa totalité. Il faut mieux se protéger.

J'aurais voulu que Lula soit le leader de cette lutte. Nous n'aimons pas voir le gouvernement de Lula être très aimable avec les Américains. Mais je ne suis pas pessimiste, les forces populaires et progressistes se renforcent, ça donne l'impression que le peuple peut réagir.

Je pense, que, quand la vie est très difficile, l'espoir jaillit du coeur des hommes, il faut se battre, il faut faire la révolution. On ne peut pas améliorer le capitalisme : il est responsable de ce qu'il y a de plus mauvais dans le monde. Il faut que les jeunes soient partie prenante, il faut qu'ils entrent dans la lutte. Je sais que ce n'est pas le moment le plus propice, mais il faut avoir l'espoir.

Propos recueillis par Gérard Fournier , l'Humanité, Décembre 2005

REPERES : Oscar Niemeyer

Né à Rio de Janeiro le 15 décembre 1907, ll est le plus célèbre architecte brésilien, auteur d'une œuvre majeure pour l'architecture moderne, inscrite dans le mouvement du style international.

Niemeyer devient connu pour avoir participer du groupe d'architectes responsables pour le nouveau siège du Ministère de l'Education et Santé, à Rio de Janeiro, du gouvernement de Getúlio Vargas, en 1936.

Sa notoriété mondiale est notamment une conséquence de sa participation à la création de la nouvelle capitale administrative du Brésil, Brasília, inaugurée le 21 avril 1960. Lucio Costa a gagné le concours public du plan d'urbanisme de la nouvelle capitale, réalisé en 1956.

Le président Juscelino Kubistchek appella alors, Niemeyer pour concevoir les principaux équipements publics de la ville, dont la cathédrale, le congrès national, les ministères etc. Juscelino connaissais Niemeyer depuis son projet pour l'ensemble de Pampulha, Belo Horizonte, MG - Juscelino était à l'époque gouverneur de Minas Gerais.

Siège des Nations unies, New York

Oscar Niemeyer participa également avec Le Corbusier à la réalisation du siège de l'ONU à New York en 1952.

Entre 1991 et 1996, il réalise le Musée d'Art Contemporain de Niterói (Museu de Arte Contemporânea de Niterói).

fabien1.jpgAvec la dictature militaire au Brésil, Niemeyer part en France où il fut le concepteur de plusieurs édifices, tels le siège du Parti Communiste Français, place du Colonel Fabien à Paris (1965-1980), le siège du journal L'Humanité à Saint-Denis (1989), ou le centre culturel Le Volcan du Havre. Revendiquant lui-même son attachement aux idéaux communistes, il chercha à ne contribuer à l'étranger qu'avec des maîtres d'ouvrage communistes ou apparentés.

À Paris, on peut observer son travail avec la Bourse du Travail de Bobigny en prenant le tramway, arrêt Bourse du Travail.

Les lignes du bâtiment reprennent le style du Volcan au Havre en de nombreux points; ces courbes se retrouvent aussi dans certains lieux de cette ville, qui dans les années 70 chercha à innover en matière d'architecture.

Construite entre 1976 et 1978, elle se décompose en deux ensembles distincts: on y trouve un auditorium de 465 places entouré de salles de réunions et un bâtiment élevé sur pilotis comprenant quatre étages accueillant diverses organisations syndicales.

Inaugurée le 2 mai 1978, cette structure se dévoile donc par deux bâtiments différents qui ne font qu'un bloc que l'impression d'élévation et de légèreté soude durablement. La courbe, partie intégrante des œuvres de Niemeyer, est une fois de plus à son apogée. Tantôt vague, tantôt montagne, elle trouve une finesse que seul le béton pouvait lui fournir.

Il conçoit en 2003 l'auditorium de Sao Paulo, inauguré en 2005 et recouverte d'une toiture ondulante en béton de près de 27 000 m². Peu satisfait de cette dernière, il en a demandé la destruction d'un fragment ce qui a été refusé par la municipalité.

Niemeyer a une seule fille, cinq petits enfants et plusieurs arrières petits enfants. Il y a même une cinquième génération.

Quand je dessine, seul le béton me permettra de maîtriser une courbe d'une portée aussi ample.

Le béton suggère des formes souples, des contrastes de formes, par une modulation continue de l'espace qui s'oppose à l'uniformisation des systèmes répétitifs du fonctionnalisme international.

Photos : le siège de l'ONU, plus bas le siège du PCF à Paris

25/09/2011

Camila Vallejo «Notre mécontentement est dû à l’insoutenable inégalité»

camilavallejo.jpgÂgée de vingt-trois ans, Camila Vallejo, 
s’est imposée à la tête du mouvement de contestation étudiante qui secoue actuellement 
le Chili. Elle étudie 
la géographie 
et elle est membre des Jeunesses communistes.

Correspondance. Depuis plus de trois mois, vous manifestez pour une éducation publique, gratuite et de qualité. Pourquoi faut-il réformer 
le système éducatif chilien ?

Camila Vallejo. La mobilisation actuelle a atteint ce niveau de pertinence et attire autant l’attention, car nos revendications reflètent le sentiment des Chiliens et de nombreux citoyens du monde. Les médias parlent de LA crise de l’éducation, mais le problème va beaucoup plus loin. Il s’agit d’une crise du système démocratique et d’un mécontentement généralisé dû à l’insoutenable inégalité qui maintient l’énorme majorité des Chiliens dans la précarité, sans santé publique, sans éducation publique et endettés jusqu’au cou, en raison des salaires trop bas. Dans ce contexte, nous n’exigeons pas une réforme du système, mais un changement radical des fondements de celui-ci. Car, dans l’éducation, en premier lieu, c’est à cause de ces fondements que nous sommes encore un pays sous-développé, sans les projets nationaux qui envisagent d’autres valeurs que celles du marché.

Chaque année, les étudiants chiliens se mobilisent. Le mouvement de 2011 semble plus fort et plus entendu...

Camila Vallejo. Tant que le Chili sera un pays injuste et inégalitaire, les gens descendront dans la rue pour le dénoncer. Cela a toujours été la note dominante, même depuis la fin de la dictature. Depuis l’arrivée de Piñera au pouvoir, toutefois, l’évidente défense du privé dans les services basiques du pays et l’assaut de privatisations que le gouvernement a tenté de lancer dans le dos des acteurs sociaux, ont provoqué un mécontentement tel parmi les citoyens qu’il a débouché sur la mobilisation sociale la plus grande depuis les années 1980. Les contradictions entre ce que propose le gouvernement de droite et ce que les citoyens veulent défendre sont de plus en plus aiguës. D’où, la popularité très basse de l’exécutif ces derniers mois.

Qu’attendez-vous du dialogue 
avec le gouvernement ?

Camila Vallejo. Durant ces mois de mobilisation, nous avons été marqués par l’intransigeance avec laquelle le gouvernement a défendu le modèle néolibéral qui prédomine dans l’éducation. En particulier, lorsqu’il s’est montré prêt à exprimer son côté le plus violent et répressif. Après tant de manifestations de centaines de milliers de personnes, qu’il commence juste à vouloir faire respecter la loi (qui interdit le profit dans l’éducation – NDLR) sonne comme un manque de respect. Ce mouvement mérite d’être écouté. Et si le président n’est pas disposé à céder par le dialogue, nous exigerons un référendum pour démontrer et faire respecter l’opinion de la majorité.

Est-ce un avantage 
ou un inconvénient d’être face 
à un gouvernement de droite ?

Camila Vallejo. Avec le gouvernement Piñera, le Chili a compris qu’il n’y a rien de pire pour le peuple qu’un programme de droite. Difficile donc d’y voir un avantage. Cependant, l’assaut de privatisations et les graves erreurs du gouvernement – comme la répression excessive et l’intransigeance idéologique – ont généré une plus grande émotion dans la population, fatiguée des privilèges de quelques-uns. Ceci nous a permis d’atteindre une participation historique aux manifestations et un soutien jamais vu auparavant. À l’inverse, les ferventes convictions néolibérales du gouvernement rendent les avancées et les possibilités d’accord plus difficiles. De plus, cette droite est liée aux « propriétaires du Chili », c’est-à-dire au secteur entrepreneurial et aux familles les plus riches. Elle dispose donc de la grande majorité des médias de masse, de l’influence des riches entrepreneurs, en plus des forces policières et militaires. Déjà en vigueur sous la Concertación (coalition de centre gauche, au pouvoir pendant vingt ans – NDLR), cette situation est encore plus forte aujourd’hui, car le mouvement effraie les plus privilégiés.

En 2006, la mobilisation étudiante avait obtenu une grande table de travail sur l’éducation. Mais, arrivés au Parlement, les projets de loi ont été vidés de leur substance. Comment éviter un échec similaire ?

Camila Vallejo. Même si les deux mouvements se ressemblent, de nouveaux éléments font aujourd’hui envisager une issue positive. D’une part, malgré les efforts de la presse pour nous diviser ou détourner l’attention de la population, nous bénéficions toujours d’un très fort soutien et nos opinions comme dirigeants étudiants sont bien évaluées. D’autre part, même si c’est en partie par opportunisme, la Concertación et ses parlementaires ont une posture plus proche de la nôtre que de celle de l’exécutif. Enfin, nous nous préparons pour cette étape de dialogue. Nous avons exigé des garanties (débats télévisés, gel des projets de loi sur l’éducation lancés au Parlement notamment), pour que le dialogue ne se transforme pas en un accord de coalitions politiques en catimini. Surtout, nous continuerons à manifester.

Vous faites partie des Jeunesses communistes. Quelle influence 
a cet engagement sur votre travail 
de leader et sur le mouvement ?

Camila Vallejo. Une grande partie de la dirigeante que je suis aujourd’hui vient de la militante d’hier. Ma formation politique, la discipline et le soutien de nombreux camarades engagés me permettent de réaliser mon travail avec clarté et tranquillité. Sans eux, ce serait impossible. Par ailleurs, la lutte de ce mouvement est aussi la lutte de ma jeunesse. J’endosse cette cause en tant que représentante des étudiants de l’Université du Chili, mais c’est aussi par conviction personnelle que je me bats pour rétablir l’éducation publique dans mon pays.

En plus d’écrire sur votre rôle à la tête du mouvement, des médias ont évoqué votre physique, vous qualifiant de « belle rebelle », voire de « leader sexy ». Quelle est votre réaction ?

Camila Vallejo. Cela répond au machisme qui, malheureusement, caractérise encore notre société. Mais je crois aussi qu’à cette occasion, nous apprenons quelque chose des capacités des femmes, et j’espère que nous pourrons avancer en matière de discrimination sexiste. Pour que cette situation ne devienne pas juste une anecdote de mauvais goût derrière l’historique mobilisation de cette année.

Entretien réalisé par Lucile Gimberg pour l'Humanité

25/08/2011

Monique Pinçon-Charlot « Il faudrait soigner l’addiction à l’argent des plus riches »

richesse.jpgPour la sociologue Monique Pinçon-Charlot, la campagne sur les déficits publics est une arme idéologique des néolibéraux pour balayer les droits sociaux sur la planète.

Parmi les arbitrages budgétaires discutés demain en conseil des ministres figure 
la proposition de taxer 
les revenus « extravagants ». 
Une telle mesure vous paraît-elle crédible de la part du « président 
des riches ? »

Monique Pinçon-Charlot. C’est un écran de fumée. Le PDG de Publicis, Maurice Levy, a effectivement proposé une petite contribution exceptionnelle des riches mais il l’accompagne de contreparties très violentes pour les peuples : supprimer les dernières poches de 
solidarité qui existent (sécurité sociale, fonction publique), livrer les services au secteur privé, faire tomber au plus bas le coût du travail. Il le dit très clairement : nous, les riches, on fait une opération de communication qui va peut-être nous décharger de 300 millions d’euros, et vous le peuple, vous payez le prix fort ! Les 300 millions correspondent à peu près à la somme votée par les députés UMP quand ils ont décidé de fiscaliser les indemnités des accidentés du travail. Cela montre l’hypocrisie du système.

Vous dites qu’il n’y a pas de problème d’argent mais un manque de volonté politique pour aller le chercher là où il se trouve. Allez-vous jusqu’à penser que la résorption des déficits publics est un faux problème ?

Monique Pinçon-Charlot. Oui, ce débat est totalement faussé. Le déficit et la dette sont des armes économiques et idéologiques. Les néolibéraux s’en servent pour accélérer leur agenda politique et balayer les droits sociaux sur la planète. Tous les bénéfices de la planète finance reviennent aux trois quarts aux financiers, mais c’est au contribuable qu’on demande de rembourser. Avec eux, c’est « face je gagne, pile tu perds ! ». Le système est fait par l’oligarchie financière, il fonctionne pour elle et nous sommes arrivés à un point où la question se pose de soigner l’addiction à l’argent des plus riches.

Que préconisez-vous pour retrouver un cercle plus vertueux dans le partage de la richesse ?

Monique Pincon-Charlot. Déjà, que les riches payent leurs impôts. Le système fiscal doit être revu pour être, non pas dégressif comme aujourd’hui, mais profondément progressif. Le travail est de loin le revenu le plus taxé en France, bien plus que le patrimoine ou le capital. Nous pensons qui faudrait imposer tous les types de revenus, avec un prélèvement à la source, du plus bas, au plus haut. Dans notre système, la TVA serait supprimée et la dernière tranche serait taxée à 95 %.

Le débat s’accélère aussi sur les niches fiscales. Les supprimer ferait rentrer de l’argent dans les caisses…

Monique Pinçon-Charlot. Il faut mettre fin à toutes les stratégies d’optimisation fiscales que nous, sociologues, appelons du vol légal. Pour ramener le déficit public de la France à 3 % en 2013, si tant est que ce soit la principale question posée au pays, ce dont je doute, il faut trouver 95 milliards d’euros. Parmi les enveloppes disponibles, il est possible de piocher dans les 500 niches fiscales qui représentent 75 milliards d’euros. C’est la partie connue du débat. Ce qui l’est moins, et cela fait partie des petites surprises que nous réservons dans la version réactualisée de notre livre (1), concerne par exemple les 80 milliards d’euros comptabilisés dans les modalités particulières de calcul de l’impôt (MDPCI). Le bouclier fiscal est une niche fiscale qui n’a jamais été classée comme telle. Il est rangé dans les MDPCI. On peut faire passer beaucoup de sommes d’une ligne à l’autre. Il y a aussi beaucoup d’argent disponible dans les paradis fiscaux. Une société financière estimait en 2007 que les avoirs non déclarés de Français en Suisse se chiffrent à 80 milliards d’euros (seuls 2 milliards sont déclarés). Sans compter la boîte noire des paradis fiscaux… Les sommes en jeu sont astronomiques.

Publié par l'Humanité

 

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